mercredi 28 décembre 2016

LA CHARGE HEROÏQUE, de John Ford (1949)


LA CHARGE HEROÏQUE (She Wore A Yellow Ribbon) est un film réalisé par John Ford.
le scénario est écrit par Frank S. Nugent et Laurence Stallings, d'après The Big Hunt et War Party de James Warner Bellah. La photographie est signée Winton C. Hoch. La musique est composée par Richard Hageman.

Dans les rôles principaux, on trouve : John Wayne (capitaine Nathan Brittles), Joanne Dru (Olivia Dandrige), Ben Johnson (sergent Tyree), Victor McLaglen (sergent Quincannon), John Agar (lieutenant Flint Cohill), Harry Carrey Jr. (lieutenant Ross Pennell), Mildred Natwick (Abbey Allshard), George O'Brien (major Mack Allshard).
 Le sergent Quincannon, la capitaine Nathan Brittles et le sergent Tyree
(Victor McLaglen, John Wayne et Ben Johnson)

Le capitaine Nathan Brittles, à la tête du régiment de cavalerie de Fort Starke, sera à la retraite dans six jours. Mais avant d'en profiter, cet officier respecté et à cheval sur le règlement doit faire face à une évasion des indiens Cheyennes et Arapahos de leurs réserves après la défaite du général Custer à la bataille de Little Big Horn le 27 Juin 1876.
Olivia Dandrige et le lieutenant Ross Pennell
(Joanne Dru et Harry Carrey Jr.)

La tâche de Brittles se complique lorsque le major Allshard lui demande de convoyer sa femme, Abbey Allshard, et sa nièce, Olivia Dandrige, pour les conduire à l'abri. Deux lieutenants de la garnison, Flint Cohill et Ross Pennell, se disputent les faveurs de la jeune femme, qui a attaché ses cheveux avec un ruban jaune, signe qu'elle est disposée à s'engager avec un homme.
Le lieutenant Flint Cohill et Olivia Dandrige
(John Agar et Joanne Dru)

Au fort, cependant, tous les soldats déplorent déjà le départ prochain de leur capitaine et mentor, qui, tous les soirs, au coucher du soleil, va se recueillir sur la tombe de sa femme, Mary, morte à l'âge de 34 ans. Brittles n'a jamais refait sa vie et a trouvé dans l'armée une seconde famille, alors qu'il est issu d'un milieu modeste.
Le capitaine Brittles devant la tombe de sa femme

Surpris par Olivia, Brittles lui conseille de bien réfléchir à l'homme avec qui elle veut partager son existence et de veiller à tempérer les jalousies qu'elle suscite entre Cohill et Pennell, dont il loue les qualités d'officiers mais pointe le caractère impulsif. 
Olivia Dandrige et le capitaine Brittles

Le convoi quitte le fort et Brittles peut s'appuyer sur les sergents Tyree et Quincannon pour traverser Monument Valley. Dans ce cadre somptueux mais sauvage, la route est difficile et le danger rôde car les indiens observent la progression de la caravane. 
Le capitaine Brittles et le sergent Tyree

En chemin, une nuit, avec Pennell et Tyree, Brittles part en reconnaissance et surprend Karl Rynders, un trafiquant qui essaie de vendre des fusils aux indiens. Mais la transaction dégénère : il est tué et ses armes volées. La situation devient trop critique pour continuer et le capitaine décide le lendemain de retourner avec le convoi à Fort Starke, laissant Cohill et quelque hommes, tous célibataires, en arrière pour couvrir leur retraite au péril de leur vie. 
Le capitaine Brittles et le chef Poney-qui-marche
(John Wayne et le chef John Big Tree)

Brittles fait son rapport au major Allshard mais le capitaine est désormais à la retraite. Il passe une dernière fois ses troupes en revue et reçoit de ses hommes en cadeau une montre en argent. Pour les remercier, il leur adresse un discours poignant soulignant leur bravoure, qui parvient même à émouvoir le major. Brittles quitte la garnison et rejoint Cohill et ses hommes : comme il lui reste encore quatre heures de service actif, il prend l'initiative d'aller parlementer avec le chef Poney-qui-marche pour éviter un affrontement sanglant entre les soldats et les indiens. Mais la négociation échoue. Le capitaine attend que la nuit tombe et pour empêcher les Apaches, les Comanches, les Cheyennes et les Arapahos, d'attaquer au matin, il fait disperser leurs chevaux.
Quincannon et Brittles

Brittles peut partir tranquille, certain qu'une bataille a été évitée. Mais le sergent Tyree le rattrape pour lui transmettre un courrier : il s'agit de sa nouvelle affectation en qualité de colonel promu pour diriger les éclaireurs. Revenant au fort, il est accueilli en héros tandis que Olivia Dandrige a choisi Flint Cohill comme fiancé.

Il s'agit, après Le Massacre de Fort Apache (1948) et avant Rio Grande (1950), du deuxième volet de la "trilogie de la cavalerie" réalisée par John Ford. Mais c'est aussi le plus bel épisode de ce triptyque, un sommet du western classique, l'un des chefs d'oeuvre du cinéaste dans le genre.

Loin d'être un film à la gloire de l'armée, c'est une histoire humaniste, une histoire d'hommes, au milieu de laquelle une femme va apporter un piquant de comédie tout à fait irrésistible. On peut préférer les visions plus cyniques et ou iconoclastes de Robert Aldrich, Sam Peckinpah ou Sergio Leone, mais il est quand même difficile de ne pas être ému par la beauté élégiaque et mélancolique de cet opus.

Comme les deux titres qui l'encadrent, She Wore A Yellow Ribbon s'inspire des récits sur les tuniques bleues écrits par James Warner Bellah mais aussi des tableaux de Frederic Remington. Ces références permettent à Ford de nous faire entrer dans l'intimité d'une garnison et de nous surprendre avec un récit finalement peu spectaculaire mais plus ancré dans le quotidien des soldats. Même le convoi qui se déplace dans Monument Valley, et qui constitue le coeur du film, est développé de manière à fuir tout sensationnalisme puisque le capitaine Brittles veut d'abord éviter les indiens sur le pied de guerre.

A l'intérieur du fort se construit une dramaturgie folklorique et pittoresque, dont l'attraction principale est la rivalité de deux jeunes lieutenants désirant séduire la nièce du major Allshard. Elle porte un ruban jaune dans les cheveux (qui donne son donne son titre original au film), symbole de sa disponibilité. Mais cette querelle amoureuse tombe mal au moment où plusieurs tribus indiennes, galvanisées par la défaite de Custer à Little Big Horn, s'évadent de leurs réserves et n'entendent pas y être reconduites par les militaires.

Au capitaine Nathan Brittles échoit la mission de protéger la femme et la nièce du major : pour ce veuf, qui a été soldat toute sa vie et qui continue, fidèlement, chaque soir, à déposer quelques fleurs sur la pierre tombale de son épouse, deux règles s'imposent - ne jamais s'excuser (car c'est un signe de faiblesse : une réplique qui sera reprise par les scénaristes de l'abominable série télé NCIS) et obéir jusqu'au dernier jour de son service (il est à six jours de la retraite quand l'histoire débute). Brittles est décrit comme un homme loyal, bon, juste, mais très à cheval avec l'administration (il rédige des rapports en bonne et due forme et communique ses doléances par écrit à son supérieur). Sa rigidité apparente est nuancée par sa malice (il surveille constamment l'haleine du sergent Quincannon, qui avale une gorgée de son whisky à chaque fois qu'il entre dans sa baraque et qu'il a le dos tourné) et sa bienveillance (il prodigue de précieux conseils conjugaux à la jeune Olivia Dandrige, qui fait tourner la tête des lieutenants Cohill et Pennell, et entretient des rapports toujours courtois avec la femme de son major).

John Wayne est fabuleux dans ce rôle que Ford hésita pourtant à lui confier car le personnage avait vingt ans de plus que l'acteur : c'est en découvrant sa composition (remarquable) dans La Rivière rouge (Howard Hawks, 1948) qui lui eût raison de ses doutes et bien lui en prit. Drôle, chaleureux, d'une droiture morale admirable, Nathan Brittles rappelle à quel point le "Duke" était un immense comédien et son réalisateur lui offrit d'ailleurs à la fin du tournage un gâteau avec ce message : "vous êtes un acteur maintenant !" Wayne, lui-même, conserva pour ce capitaine une affection particulière, prestation pour laquelle il aurait amplement mérité un Oscar.

Le metteur en scène Lindsay Anderson déclara que "faire des films qui témoignent de tant d’amour pour les traditions militaires sans être militariste relève de l’exploit" : La Charge héroïque rappelle aussi, une fois de plus, à quel point John Ford était un vrai progressiste et nullement un raciste ou un intolérant : les indiens sont tous incarnés par d'authentiques natifs, et il filme les conditions indignes dans lesquels ils vivaient. Devant sa caméra, il s'agit d'un peuple non pas sanguinaire mais fier, en proie à un conflit générationnel (le dialogue entre Brittles et le chef Poney-qui-marche révèle que ce sont les jeunes, refusant d'écouter leurs aînés, qui veulent la guerre). Le seuls blancs victimes ici sont des trafiquants d'armes aux propos et aux manières odieux.

Le scénario de Laurence Stallings et Frank S. Nugent est donc d'une subtilité exemplaire, alternant moments légers (avec Quincannon), romantiques (avec Olivia et ses soupirants) et émouvants (Brittles devant la tombe de sa femme), capturés par la photographie splendide en Technicolor de Wynton C. Hoch. Le chef opérateur et le cinéaste s'opposèrent pourtant sur le tournage, notamment lors de la scène de l'orage : le premier voulant protéger son matériel commanda à son équipe de le remballer tandis que le réalisateur voulait absolument immortaliser les éléments en colère. Mais le résultat est magnifique, tout comme les scènes en studio où les personnages se découpent sur un coucher de soleil flamboyant. Peu importe alors que Joanne Dru n'ait pas un charisme fou face à John Wayne et que Ben Johnson et Victor McLaglen avec Mildred Natwick volent la vedette aux falots Harry Carrey Jr. et John Agar.

Un autre grand moment est le dernier passage en revue de Brittles lorsqu'il reçoit en cadeau une montre en argent où, pour lire l'inscription gravée à l'intérieur du boîtier, il doit chausser ses lunettes (une improvisation de Wayne) avant de prononcer un discours sobre et bouleversant, qui fait même pleurer le major Allshard. C'est grâce à ces détails et l'excellence du jeu de ses interprètes que Ford que le cinéaste nous cueille.

On n'épuisera jamais le charme de ce long métrage, savant mélange de panache et de sentimentalisme, d'humour et de poésie, de finesse et de vigueur.

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