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vendredi 24 février 2017

PREMIER CONTACT, de Denis Villeneuve (2016)


PREMIER CONTACT (Arrival) est un film réalisé par Denis Villeneuve.
Le scénario est écrit par Eric Heisserer, d'après la nouvelle L'Histoire de ta vie de Ted Chiang. La photographie est signée Bradford Young. La musique est composée par Johann Johansson.


Dans les rôle principaux, on trouve : Amy Adams (Dr. Louise Banks), Jeremy Renner (Pr. Ian Donnelly), Forest Whitaker (colonel Weber), Michael Stuhlbarg (agent Halpern), Tzi Ma (général Shang).
 Le vaisseau alien au-dessus du Montana

En douze points du globe, des extraterrestres débarquent sur Terre sans quitter leurs vaisseaux ovoïdes noirs suspendus au-dessus du sol. Cet événement mobilise aussitôt les forces armées des pays concernés. Aux Etats-Unis, le colonel Weber sollicite l'aide du Dr. Louise Banks, linguiste bénéficiant d'une accréditation secret défense, pour tenter de comprendre les raisons de la présence des visiteurs et leurs intentions (pacifiques ou belliqueuses) puis tenter d'établir un moyen de communiquer avec eux.
Le colonel Weber, Louise Banks et Ian Donnelly
(Forest Whitaker, Amy Adams et Jeremy Renner)

Elle part donc pour le Montana où a été établi un camp militaire entourant un des vaisseaux, en compagnie de l'astro-physicien Ian Donnelly. Pour entrer à bord de cette immense coque les militaires passent par une trappe qui s'ouvre toutes les 18 heures et aboutit à une sorte de large baie vitrée derrière laquelle deux extra-terrestres ressemblant à des heptapodes (à cause de leur sept membres flexibles) les attendent. Donnelly les surnomme "Abbott" et "Costello", en référence au célèbre duo d'humoristes américains. 
Louise Banks

Les aliens tracent sur la baie des glyphes en projetant des jets d'encre et Louise les interprète comme un langage très synthétique où chaque signe peut exprimer aussi bien un mot qu'une phrase complète. Mais pendant ce temps la situation internationale se tend lorsque les experts chinois pensent avoir traduit un de ces logogrammes par le terme "arme". 
Un des étranges logogrammes des aliens

Deux soldats américains de la base du Montana, qui escortent Louise et Ian à chacune de leur visite dans le vaisseau, déposent, sans en aviser Weber, une charge explosive. "Abbott" sauve de la déflagration les deux scientifiques in extremis. Puis leur vaisseau change de position, s'élevant plus haut dans le ciel et devenant inaccessible. Les onze autres coques imitent cette manoeuvre partout dans le monde. 
Ian Donnelly

Ordre est donnée d'évacuer la zone. Les chinois décident, eux, avec leurs alliés, de détruire les vaisseaux situés dans leur espace aérien. Louise, qui a compris que les appareils aliens forment une unité de la même façon que leur langage, quitte le campement pour se placer sous la coque dans laquelle elle est réintroduite via une capsule envoyée pour elle. 
Louise Banks

"Costello" communique alors avec la linguiste, lui apprenant que "Abbott" est mort après l'explosion, puis qu'elle peut lire le futur - c'est là en vérité le sens des flashes qui l'assaillaient depuis son arrivée sur le site et dans lesquels elle se voyait mariée, mère d'une petite fille et divorcée suite à la mort prématurée de celle-ci, des suites d'une longue maladie.
Le colonel Weber

Rendue aux siens, Louise parvient, en dérobant le téléphone-satellite d'un agent de la CIA, à contacter le général Shang, à la tête de l'armée chinoise, pour le convaincre de ne pas ouvrir les hostilités contre les extraterrestres. Progressivement, les alliés de la Chine stoppent leurs manoeuvres. Les vaisseaux disparaissent ensuite aussi subitement qu'ils sont arrivés.
Louise et Ian

Comme "Costello" l'avait dit à Louise, dans un lointain futur, comme ils ont permis à l'humanité de s'unifier, les humains aideront à leur tour les aliens le moment venu. Quant à la jeune femme, elle va vivre avec Ian, avec lequel elle aura une fille à qui, peut-être, ils épargneront une mort prématurée.

Présenté à la 73ème Mostra de Venise l'an dernier, Arrival de Denis Villeneuve a créé la sensation en se démarquant du tout-venant des films de science-fiction. Précédé de ce buzz flatteur, le film a ensuite divisé la critique mais a été boudé par le grand public, désarçonné par son style.

Premier Contact s'inscrit dans une double lignée : c'est à la fois un prolongement narratif et esthétique de ce que Villeneuve a produit dans son précédent opus (l'excellent Sicario), avec une héroïne progressant à tâtons dans une (en)quête dont le sens ne se révèle vraiment qu'à la toute fin, et c'est aussi une nouvelle exploration cinématographique d'une tradition fantastique où les humains cherchent à communiquer avec des extraterrestres.

Le résultat est à la fois captivant et nébuleux. Les thèmes creusés ici, comme le langage, le temps, la mémoire, sont ambitieux et le scénario choisit, comme la nouvelle dont il s'inspire, de les traiter sans verser dans le grand spectacle, avec une certaine austérité. La majorité des scènes se déroule dans des tentes où militaires et savants débattent du déchiffrage de symboles, hypothèquent sur leur signification, ou dans la coque caverneuse d'un astronef avec deux créatures, à la physionomie à la fois inquiétante et gracieuse et au comportement énigmatique, ne s'expriment que par des logogrammes aléatoirement traduits).

Ce parti pris peut dérouter, voire décourager, mais si on l'accepte, le jeu en vaut vraiment la chandelle : il s'agit bien de faire ressentir la nécessité de prendre du temps pour comprendre l'Autre. Eric Heisserer nous dispense de bavardages techniques assommants et pseudo-réalistes au profit de scènes silencieuses, de creux dramatiques, correspondant aux recherches hésitantes de la linguiste. Villeneuve met cela en scène en soignant l'ambiance à la fois tendue et suspendue, le rythme volontiers flottant, et c'est souvent envoûtant. On pardonne du coup quelques clichés (comme le personnage du colonel joué par Forest Whitaker avec son air de Droopy massif, ou ces enfilades d'ordinateurs devant lesquels s'affairent des experts dont la contribution semble bien discrète comparée aux efforts déployés par l'héroïne). Mais au moins échappe-t-on à des vues sur des salles de réunion avec des présidents, entourés de généraux va-t-en-guerre opposés à de plus raisonnables scientifiques, ou à des scènes de combat entre des extraterrestres et l'aviation militaire.

La partie plus "cosmique" du film est aussi plus inégale : Premier Contact arrive après des longs métrages écrasants sur le sujet (parmi lesquels Rencontres du 3ème type de Steven Spielberg, Abyss de James Cameron, ou le chef d'oeuvre indépassable que reste 2001 : L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick). La comparaison est inévitable. Mais Villeneuve s'en sort avec les honneurs, grâce au soin qu'il a apporté aux designs (qu'il s'agisse de ceux des vaisseaux ou des extraterrestres et de leur langage) et par sa volonté de coller à son héroïne hantée non pas, comme on le pense au début, par des flash-backs traumatisants par des flash-forwards anxiogènes, ce qui donne une perspective étonnante à l'ensemble, une dimension contemplative, méditative et troublante. Le twist final est habile dans l'opposition qu'il établit entre l'innocence de ce premier contact et l'expérience existentielle (naissance, vie, mort) qu'il provoque.

Amy Adams s'aligne sur la tonalité feutrée du récit et livre une interprétation dense et émouvante, d'une sobriété intense, qui éclipse ses partenaires. Un jeu intériorisé remarquable.

Premier contact à l'image de son sujet ne se livre pas facilement, et peut même frustrer, mais c'est aussi une apologie vertigineuse de l'inconnu et une métaphore brillante sur le destin - qui inspire confiance pour la suite attendue et redoutable que Denis Villeneuve va donner au "cultissime" Blade Runner.  

mardi 3 janvier 2017

MAX ET LES MAXIMONSTRES, de Spike Jonze (2009)


MAX ET LES MAXIMONSTRES (Where The Wild Things Are) est un film réalisé par Spike Jonze.
Le scénario est écrit par Spike Jonze et Dave Eggers, d'après le livre de Maurice Sendak. La photographie est signée Lance Accord. La musique est composée par Karen O et Carter Burwell.

Dans les rôles principaux, on trouve : Max Records (Max), Catherine Keener (Connie), Mark Ruffalo (Adrian). Les voix des Maximonstres sont assurées par : James Gandolfini (Carol), Lauren Ambrose (KW), Paul Dano (Alexander), Chris Cooper (Douglas), Forest Whitaker (Ira), Catherine O'Hara (Judith), Michael Berry Jr. (Bernard), Spike Jonze (Bob et Terry).
 Max
(Max Records)

Max est un garçon de neuf ans, solitaire mais à l'imagination débordante. Ses parents sont divorcés et il vit avec sa mère, Connie, et sa soeur aînée, Claire. Après une bataille de boules de neige qui a dégénéré, les amis de Claire détruisent l'igloo de Max dans le jardin de la maison. Pour se venger, le garçon saccage la chambre de sa soeur.
Max et sa mère, Connie
(Max Records et Catherine Keener)

A l'école, son professeur explique à la classe de Max que le soleil s'éteindra et que cela causera la fin de l'humanité, si elle n'a pas péri avant à cause des dégâts qu'elle provoque. Le soir, furieux que sa mère ait invité Adrian, un prétendant, Max se dispute avec elle et fugue jusqu'à un étang voisin où il monte dans une barque abandonnée là. L'étang devient un océan et Max navigue sur une mer déchaînée toute la nuit.  
Max et Carol
(Max Records et James Gandolfini)

Le matin, il accoste sur une île. En s'enfonçant dans une forêt, il découvre sept immenses créatures dont l'une d'elles, Carol, démolit leurs cabanes car il est en colère après le départ de son amie KW. Max se présente devant ces monstres et gagne leur confiance rapidement en leur affirmant qu'il est un roi doté de pouvoirs magiques, capable de ramener l'harmonie parmi eux. 
Max

 Le retour de KW apaise Carol qui a présenté les autres membres de la communauté à Max : il y a Ira (un géant au caractère aimable et doux), Douglas (qui ressemble à un cacatoés), Judith (au visage de tricératops, compagne d'Ira), Alexander (au visage de chèvre, souffre-douleur de la bande), et Bernard (au visage de taureau). Après une nuit de repos, Carol emmène Max visiter l'île et, dans une grotte, lui montre une maquette d'un village qu'il a construite. Max le convainc d'en organiser l'édification pour le groupe. 
Carol et Max

Lorsque KW apporte les deux hiboux Bob et Terry, Carol est contrarié par la présence de ces deux étrangers à leur communauté. Pour occuper tout le monde, Max organise un match afin de désigner le clan qui devra entretenir le village. Alexander est blessé durant la partie à cause de Carol que KW dispute avant de s'éloigner à nouveau. 
Max et Alexander
(Max Records et Paul Dano)

Max retrouve Alexander seul et celui-ci lui avoue n'avoir jamais cru que le garçon était un roi magicien, mais il conseille de ne pas le répéter à Carol. Ce dernier, après une nuit agité, reproche au matin à Max d'être un mauvais chef, responsable de l'absence de KW, et de la mort prochaine du soleil. Douglas s'interpose mais Carol lui arrache le bras droit (de la plaie coule du sable) puis poursuit le garçon dans la forêt où KW le cache en l'avalant. 
Carol

Après avoir sermonné Carol au sujet de ses colères incessantes qui perturbent le groupe, KW libère Max qui choisit alors de quitter l'île. Avant de partir, il retourne à la grotte où il découvre la maquette du village détruite mais y laisse une marque d'affection pour Carol (un coeur avec des brindilles). 
Bernard, Max, KW, Carol, Douglas, Judith, Alexander et Ira
(Michael Berry Jr., Max Records, Lauren Ambrose, James Gandolfini,
Chris Cooper, Catherine O'Hara, Paul Dano et Forest Whitaker)

Les monstres font leurs adieux à Max qui remonte dans sa barque. Carol, pris de remords, rejoint la plage pour le saluer aussi.   
Max et Carol

A la nuit tombée, Max rentre chez lui où sa mère, affolée, l'enlace puis lui prépare à dîner. Elle s'assoupit tandis qu'il se restaure.

Le projet d'adapter le court texte (moins de 340 mots en dix phrases, accompagnées d'illustrations) écrit par Maurice Sendak en 1963 a longtemps été une Arlésienne à Hollywood puisque le studio Disney s'y intéressa dès le début des années 80. Glen Keane et John Lasseter (qui n'avait pas encore fondé Pixar) réalisent même un film-test mais le résultat ne convainc personne.

Il faudra attendre 2001 pour que Universal acquiert les droits du livre puis 2003 pour que Spike Jonze s'y attache. Il obtient l'accord de Sendak, qui apprécie son style cinématographique, mais un différend oppose l'auteur à la major. Warner récupère l'affaire et entame la pré-production du film.

Jonze en tire un premier script de 110 pages. En 2006, les auditions commencent pour le casting tandis que le responsable des effets spéciaux des Chroniques de Narnia, Howard Berger, élaborent le design des monstres avec le Jim Henson's Creature Shop, car le cinéaste ne veut pas qu'elles soient générées en images de synthèses. Le tournage débute enfin en 2008 pour six mois à Victoria, en Australie, plus six mois supplémentaires pour l'enregistrement des voix à Londres. De prestigieux comédiens se prêtent à l'exercice : James Gandolfini, Forest Whitaker, Chris Cooper, Paul Dano - seule Michelle Williams sera remplacée par Catherine O'Hara pour le doublage de Judith.

Le résultat est un conte étrange mais à la poésie envoûtante : à partir du texte très bref de Sendak, Jonze réussit à donner une personnalité distincte et forte à chacun des monstres qui deviennent des projections de la psyché du jeune Max (excellemment interprété par Max Records, qui ne cherche jamais à rendre son personnage plus sympathique qu'il n'est) et des gens qu'il aime. Ils sont à la fois sauvages, dangereux, irrationnels, mais aussi affectueux. Le réalisateur montre leur masse menaçante, leur cruauté aussi pour mieux souligner que leur domestication par l'enfant ne saurait être que temporaire.

Le règne de Max est un fantasme et lorsqu'il le comprend, il sait qu'il peut/doit revenir auprès de sa mère, conscient qu'il aura à se comporter différemment, plus raisonnablement. Son voyage au pays des monstres est un donc un récit initiatique à la fois terrifiant et merveilleux, et le film, fidèle aux atmosphères récurrentes du cinéma de Jonze, est une méditation sur l'enfance, ses pensées, ses croyances, une fable sur le dialogue - avec soi et les autres (sachant qu'en apprenant à se connaître, on apprend aussi à mieux vivre avec les autres).

Fidèle au livre dans son esprit, Where The Wild Things Are existe comme long métrage en tant que tel, avec sa propre identité, son esthétique. Jonze a sur exploiter le matériau de base comme une sorte de storyboard mais en développant une trame narrative complexe. Son co-scénariste, Dave Eggers, a participé à l'enrichissement psychologique et social de Max, enfant mélancolique et dont l'agressivité traduit son mal-être, son sentiment d'être incompris.

Sa virée imaginaire (même si chacun la traduira librement, le film n'imposant aucune interprétation - est-ce un rêve ? Un véritable voyage dans une dimension parallèle ?) permet à Max une remise en question subtile : les monstres symbolisent sa mère, son nouvel amant, sa soeur, son instituteur, etc. En devenant leur roi, il apprend à dépasser ses craintes, à apprécier son pouvoir et ses limites (quand il en abuse et quand il est démasqué), d'autant que les créatures sont tour à tour drôles et colériques, joueuses et tristes, aimantes et agressives. Mais au fond elles souffrent comme lui du même mal de vivre, se posent les mêmes questions sur leur capacité à s'intégrer à une communauté et au reste du monde (territoire vaste et inconnu et donc inhibant).

Quand viendra l'heure de la séparation, l'émotion est là. Mais l'espoir aussi car Max retrouve, serein, sa famille, et les monstres ont grandi, ont acquis une maturité nouvelle comme lui. Un film curieux mais aux significations multiples et profondes, magnifiquement mises en scène.  

vendredi 2 septembre 2016

SMOKE, de Wayne Wang et Paul Auster (1995)


SMOKE est un film réalisé par Wayne Wang et écrit par Paul Auster.
La photographie est signée Adam Holender. La musique est composée par Rachel Portman.

Dans les rôles principaux, on trouve : William Hurt (Paul Benjamin), Harvey Keitel (Auggie Wren), Harold Perrineau Jr. ("Rashid"/Thomas Jefferson Cole), Stockard Channing (Ruby McNutt), Forest Whitaker (Cyrus Cole), Ashley Judd (Felicity).

Quartier de Brooklyn, New York. 1990. Le destin de plusieurs individus se croisent et sont bouleversés à la suite de ces rencontres :  
 Auggie Wren et Paul Benjamin
(Harvey Keitel et William Hurt)

- Paul Benjamin est un écrivain qui termine difficilement son nouveau manuscrit après plusieurs années d'interruption. Il a cessé d'écrire suite à la mort de sa femme lors du braquage d'une banque. Un soir, en allant chercher ses cigarillos préférés à la boutique d'Auggie Wren, il découvre la passion secrète de ce dernier qui photographie chaque jour à la même heure la rue devant son établissement. En feuilletant les albums où il a rassemblés ses clichés depuis 14 ans, Paul aperçoit, bouleversé, plusieurs images de sa femme, qui venait lui acheter son tabac chez Auggie.
"Rashid" et Paul Benjamin
(Harold Perrineau Jr. et William Hurt)

- Rashid est un adolescent noir de 17 ans qui sauve Paul Benjamin d'un accident lorsque celui-ci traverse sans faire attention un passage pour piétons. Pour le remercier, l'écrivain lui offre de l'héberger durant deux jours et deux nuits. Le garçon cache un sac en papier rempli d'argent dans la bibliothèque de son hôte avant de repartir à la date convenue mais sans pouvoir récupérer son magot.
 Ruby McNutt et Auggie Wren
(Stockard Channing et Harvey Keitel)

- Ruby McNutt est une ancienne amante de Auggie Wren qui resurgit dans sa vie pour lui annoncer qu'ils sont les parents d'une jeune fille, Felicity, toxicomane et enceinte. Il se laisse convaincre d'aller la voir ensemble pour la convaincre de suivre une cure, mais la rencontre se déroule mal : elle a avorté et refuse de les revoir.
Felicity
(Ashley Judd
"Rashid" et Cyrus Cole
(Harold Perrineau Jr. et Forest Whitaker)

- Cyrus Cole est un garagiste noir qui s'est installé dans une maison hors de la ville. Ses affaires ne sont pas florissantes et quand il voit débarquer Rashid, il le prend pour un voyou. Mais constatant son erreur, il consent à l'employer pour qu'il range son débarras. Cyrus explique au garçon qu'il a perdu sa main gauche (aujourd'hui remplacé par une prothèse en forme de crochet) dans un accident de la route qui a aussi coûté la vie à la femme qu'il aimait. Aujourd'hui il en aime une autre avec laquelle il a eu un bébé. L'identité et les motivations de Rashid lui sont révélées le jour où Paul Benjamin et Auggie Wren s'arrêtent au garage et Cyrus découvre que l'adolescent est son fils, dont le vrai prénom est Thomas Jefferson, avec lequel il se réconcilie, passé un accès de colère et de déni.
Auggie Wren

- Auggie Wren tient donc un petit magasin où il vend du tabac. Par amitié pour Paul Benjamin, il emploie provisoirement Rashid mais celui-ci abîme accidentellement un coûteux lot de cigares réservé à de riches clients. Pour le dédommager, le garçon lui donne les 5 000 $ qu'il avait cachés chez Paul, après les avoir volés à deux voyous (ce qui l'avait obligé à fuir son quartier). Mais Auggie préférera donner cet argent à Ruby après leur rencontre avec Felicity. Les fêtes de fin d'année approchent et Auggie rend un autre service à Paul, à qui un journal a passé commande pour écrire un conte de Noël, en lui racontant une histoire qu'il a vécue quatorze ans auparavant et qui lui inspira sa passion pour la photo...

Smoke a été réalisé à partir d'un scénario original de l'écrivain Paul Auster à la demande du cinéaste Wayne Wang. Ce dernier avait découvert son oeuvre en 1990 en lisant dans le "New York Times" sa nouvelle Auggie Wren’s Christmas Story : ce conte est intégralement raconté puis mis en images à la fin du film, et fourniront au personnage de Paul Benjamin de satisfaire une commande pour un journal. La boucle est bouclée entre la réalité et la fiction, Auster intégrant sa propre création initiale dans le corps du script. C'est une sorte de résumé du projet contenu dans le jeu permanent entre le réel et l'imaginaire, qui se nourrissent l'un l'autre. Comme le déclare Auggie Wren :

"Si tu ne partages pas tes secrets avec tes amis,
quel genre d'ami es-tu ?"

C'est ainsi la magie de Noël qui traverse non seulement le conte raconté par Auggie et écrit par Auster, mais aussi irrigue le film tout entier, nourrissant la confusion entre l'histoire et la vérité, le possible baratin d'un habile narrateur et la vérité d'une expérience vécue. Ce point prend d'autant plus de relief que le conte est communiqué par un homme dont la passion est la création d'images puisque Auggie, en plus d'être un commerçant, est un photographe, certes amateur, au projet conceptuel singulier (photographier chaque jour à la même heure le même coin de rue - cela rappelle les expériences de Sophie Calle, une des muses de Paul Auster), mais talentueux. Mais on s'exprime autant par la parole que par l'image au cinéma.

Pour en revenir à la genèse de Smoke, elle a pris du temps à Auster, qui entretemps publia deux romans (Leviathan en 1992 et Mr Vertigo en 1994) : il n'a développé le script qu'à partir de 1993, finalisé deux ans plus tard à la suite d'échanges Wayne Wang. Le résultat de cette collaboration étroite explique pourquoi au générique du film le nom du romancier est cité comme co-auteur à égalité avec le réalisateur.

Les familiers de l'oeuvre d'Auster (même si le film ne s'adresse pas qu'aux initiés et est appréciable par tous) se régaleront des motifs transmis au film : ainsi le titre même renvoie à l'expression "to blow smoke" - raconter des salades. Toute l'histoire exprime ce goût du dialogue, de la discussion, du bavardage, mais ce qui est dit entre les personnages, même si cela apparaît d'abord comme banal, prend tout son sens à un moment. Il est surtout question du talent de conteur des personnages et ainsi Rashid louera-t-il les qualités d'écrivain de Paul comme Paul s'amusera de l'habileté de narrateur d'Auggie. Cyrus résume son passé en lui conférant une morale digne d'une fable, convaincu d'avoir été mutilé par la volonté de Dieu pour le punir. Et Ruby admettra devant Auggie qu'il n'y a en vérité que 50% de chances que Felicity soit sa fille. Le scénario se découpe en cinq actes, correspondant aux cinq protagonistes (1. Paul ; 2. Rachid ; 3. Ruby ; 4. Cyrus ; 5. Auggie), et se déploie lentement, dévoilant les connections entre chacun des héros, leurs antécédents, leurs souvenirs.

Si Auster s'est par la suite consacré seul à la réalisation de deux longs métrages (Lulu on the bridge en 1997 et La vie intérieure de Martin Frost en 2007), (re)voir Smoke demeure la meilleure transposition de son univers sur grand écran comme un prolongement de ses romans. Cette caractéristique alimente d'ailleurs un autre thème du film avec le croisement des arts dont la séquence finale (en noir et blanc) est l'illustration parfaite : après avoir vu et entendu Auggie raconter comment il a volé l’appareil photo dont il se sert depuis 14 ans, tandis que le générique de fin commence à défiler, on voit son histoire en images, comme pour prouver qu'il n'a pas menti, mais aussi comme si l'image prolongeait les mots. 

La fumée du titre évoque aussi le brouillage entre les formes artistiques et les artistes à mesure qu'ils deviennent complices tout en contrastant avec la simplicité de la mise en scène (que certains critiques trouvèrent "fade" à cause de cela alors qu'elle correspond à la narration fluide des romans d'Auster) : ainsi l'amitié qui se noue entre l'écrivain en mal d'inspiration et le buraliste photographe amateur mais doué peut s'interpréter comme la relation qui s'est établi entre Auster, l'homme de mots, et Wang, l'homme d'images. Auster a, comme Auggie avec Paul, offert une histoire à Wang en lui laissant la liberté de la mettre en scène. 

Mais si l'influence d'Auster est indéniable et fait de Smoke une de ses productions évidente, il ne faut pas rabaisser Wayne Wang au rang de simple "metteur en images" de cette histoire. A cette époque, c'est un cinéaste établi depuis plus d'une décennie, révélé en 1982 (avec Chan is Missing), sa contribution a été soulignée par le romancier au niveau de la direction des acteurs (tous excellents, sobres et justes, au point qu'il est impossible de distinguer la qualité des prestations de l'un par rapport aux autres : Harvey Keitel, William Hurt, Harold Perinneau Jr - que le grand public retrouvera plus tard parmi les survivants de la série télé Lost - , Stockard Channing et Forest Whitaker ne font pas de "numéros", de "performances", s'alignant sur la sobriété générale du film), mais aussi de l'importance accordée à la musique, au montage (le réseau complexe des héros est remarquablement bien exposé, le récit est toujours lisible, la photo de Adam Holender est classique mais soignée).

Paul Benjamin, Auggie Wren, Rashid, Ruby, Cyrus Cole se distinguent du lot des bavards (notamment ceux qui traînent dans le magasin de Auggie) par leur aisance verbale, tous à leur manière vivent leur vie comme des héros de romans et enjolivent celles des autres avec des histoires diverses mais divertissantes : on retiendra l'anecdote sur la manière dont Walter Raleigh (mentionné déjà dans Moon Palace et Léviathan), qui introduisit avec succès le tabac à la cour d’Elisabeth I et devient son favori, calculait le poids de la fumée ; ou celle de cet homme parti skier et qui retrouve sous la glace le corps de son père porté disparu en montagne des années auparavant (à présent le fils est plus vieux que son père conservé intact dans le froid). De la même manière, Auggie révèle à ses clients curieux les circonstances dramatiques à l'origine de la panne d'inspiration de Paul, Ruby embobine Auggie pour aller tenter de raisonner Felicity, Rashid ment successivement à Paul puis à Cyrus (en se présentant à lui sous le nom de Paul Benjamin), et Cyrus raconte donc comme une fable l'accident qui lui a coûté l'amour et son bras gauche. Toute l'action tend à sublimer la verve au geste, et quand le silence s'impose, c'est au détour de la découverte d'une photo où Paul revoit sa femme tragiquement disparue dans un album d'Auggie. 

Smoke invoque aussi la coïncidence : Eileen Benjamin aurait-elle été épargnée si Auggie l'avait retardée en lui parlant un peu plus ? Que serait devenu Rashid s'il n'avait évité à Paul d'être écrasé en traversant sans faire attention un passage pour piétons ? Felicity aurait-elle avorté si Auggie et Ruby l'avaient rencontrée plus tôt ? Le film, comme les romans de Paul Auster, font de ces coïncidences un ressort dramatique et rappelle à quel point le monde est imprévisible, chaotique, tandis que raconter des histoires exige au contraire d'en contrôler les rouages. Si tous les personnages du film aiment tellement raconter des histoires, c'est parce qu'en vérité il en maîtrise la mécanique alors qu'ils n'ont pas de prise sur les accidents du réel, les impondérables du quotidien, tout ce que la vie peut vous infliger de tragique et qui nous dépasse.

Produit d’une rêverie entre un écrivain et un réalisateur, réunis pour une adaptation où chacun s'approprie le champ d'expression de l'autre, Smoke est un film à la fois facile à aimer, à comprendre, et complexe à résumer, riche à analyser - une sorte de manifeste sur l'art de la narration. Il a permis la rencontre de deux univers artistiques, qui s’enrichissent l'un l'autre et aboutissent à un résultat fascinant, au ton et au regard chaleureux, humanistes. Comme les héros échangent, on a envie de transmettre ce film comme un présent, convaincu du bien-être qu'il prodigue.