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mercredi 14 septembre 2016

LES AVENTURES D'ADELE BLANC-SEC, de Luc Besson (2010)


LES AVENTURES EXTRAORDINAIRES D'ADELE BLANC-SEC est un film écrit et réalisé par Luc Besson, d'après la bande dessinée de Jacques Tardi.
La photographie est signée Thierry Arbogast. La musique est composée par Eric Serra.


Dans les rôles principaux, on trouve : Louise Bourgoin (Adèle Blanc-Sec), Gilles Lellouche (inspecteur Caponi), Philippe Nahon (professeur Ménard), Jacky Nercessian (professeur Espérandieu), Nicolas Giraud (Andrzej Zborowski), Mathieu Amalric (Dieuleveult), Jean-Paul Rouve (Justin de Saint-Hubert), Laure de Clermont-Tonnerre (Agathe Blanc-Sec).
 Adèle Blanc-Sec
(Louise Bourgoin)

1912. Journaliste et romancière à succès, Adèle Blanc-Sec désobéit à son rédacteur en chef qui voulait l'envoyer en reportage au Pérou pour partir en Egypte. Elle veut y ramener à la capitale la momie de Toutmosis, le médecin présumé du pharaon Ramsès II, afin de guérir sa soeur, Agathe, gravement blessée lors d'une partie de tennis.
Dieleveult
(Mathieu Amalric)

Après avoir réussi à subtiliser la momie à l'infâme pilleur de tombes Dieuleveult, Adèle compte sur le professeur Marie-Joseph Espérandieu, spécialiste de la vie après la mort, pour ressusciter Toutmosis. Mais l'excentrique savant a accidentellement réveillé lors d'une expérience un ptérodactyle dans son oeuf conservé au Musée du Jardin des Plantes. 
Le professeur Ménard et son assistant Andrzej Zborowski
(Philippe Nahon et Nicolas Giraud)

La créature sème la panique en ville et l'inspecteur Caponi est chargé de la neutraliser. Pour cela, il va se renseigner auprès d'Espérandieu chez qui la bête a trouvé refuge.Cela vaut au professeur d'être incarcéré à la prison de la Santé mais l'oiseau s'est échappé entretemps. 
Espérandieu
(Jacky Nercissian)

En allant demander la clémence au Président de la République Raymond Poincaré pour Espérandieu condamné à mort, Adèle le sauve d'une attaque du ptérodactyle. Si elle le capture, elle sauvera la vie du savant. Grâce à Andrzej Zborowski, chercheur au musée, elle localise la créature qui a fait son nid dans le Jardin des Plantes et, le chevauchant, elle s'envole pour empêcher l'exécution d'Espérandieu à l'aube, au pied de l'échafaud.  
Justin de Saint-Hubert et l'inspecteur Caponi
(Jean-Paul Rouve et Gilles Lellouche)

De retour au Jardin des Plantes, le chasseur Justin de Saint-Hubert, recruté par Caponi pour tuer le monstre, blesse l'oiseau et le professeur. Adèle conduit alors ce dernier chez elle pour lui prodiguer des soins et lui demander d'entrer mentalement en contact avec la momie de Toutmosis afin qu'elle lui explique comment guérir Agathe.
Toutmosis et Adèle

Puisant ses ultimes forces dans le lien énergétique qu'il partage avec le ptérodactyle comme lui à l'agonie, Espérandieu réussit à ranimer la momie. Direction : le Louvre et le sarcophage de Ramsès II. Le pharaon, grâce à un élixir, rend la santé à Agathe puis se fait la belle avec d'autres membres momifiés de sa cour dans la nuit parisienne. 
Adèle

Alors que Zborowski rend visite à Adèle, il rencontre sa soeur à qui il offre les fleurs qu'il amenait. Adèle, elle, est déjà partie pour de  nouvelles aventures : observée par Dieuleveult, elle embarque sur un paquebot : le Titanic !

J'ai lu il y a quelques années plusieurs tomes de la série écrite et dessinée par Jacques Tardi sans en conserver un souvenir aussi impérissable que Luc Besson que la passion pour cette BD a longtemps motivé pour en acquérir les droits et finalement l'adapter pour la réaliser lui-même.

En m'informant avant de revoir ce long métrage, j'ai appris ainsi que Tardi (qui fait une apparition dans le film, à la fin, parmi les passagers embarquant sur le Titanic) avait d'abord songé à baptiser son héroïne Adèle Rabat-Joie... Et cela m'a fait sourire car il semble bien que les critiques, même si elles ont été globalement plus clémentes avec Besson à cette occasion, exprimèrent leur enthousiasme du bout des lèvres, comme pour ne pas avouer que le résultat était franchement plaisant.

Moi-même, je ne suis plus client de Besson depuis longtemps, quoique j'admets avoir aimé son cinéma à l'époque de Subway (1985) puis de Nikita (1990), Léon (1994) et Le Cinquième Elément (1997). Après, j'ai progressivement lâché l'affaire, avec le sentiment que le cinéaste se muait en entrepreneur, distribuant des ersatz de scénarios à d'autres réalisateurs pour des résultats souvent affligeants. Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec fut une agréable surprise quand je le vis en salles, et aujourd'hui j'attends avec un mélange d'appréhension et de curiosité son Valérian et la cité des mille planètes d'après Christin et Mézières (sortie prévue en 2017).

N'ayant donc pas un souvenir précis de la BD de Tardi, je ne saurai dire si ce qu'en a tiré Besson est fidèle (il semble avoir pris de nombreuses libertés tout en s'inspirant principalement des quatre premiers tomes de la série). Mais je crois que s'il avait intitulé sa production sans citer l'héroïne ou en la renommant, bien des commentateurs auraient été moins sévères.

Le script, comme souvent chez Besson, est assez lâche, décousu, animant moins des personnages bien caractérisés que des caricatures. Le cinéaste a préféré se faire plaisir en convoquant certains éléments de la série, reconstituant à grands frais et grâce aux effets spéciaux le Paris de 1912 : sur ce plan technique, il est difficile de reprocher quoi que ce soit au réalisateur, le seul capable en France à pouvoir rivaliser avec le faste des productions de Hollywood. La photographie de Thierry Arbogast (son fidèle chef op') est superbe, les costumes magnifiques, le tout est emballé avec beaucoup de rythme (105 minutes).

Ce qui déconcerte davantage est la loufoquerie de l'ensemble et les multiples clins d'oeil : les aventures d'Adèle ressemblent beaucoup à celles d'Indiana Jones, avec lequel elle partage un tempérament intrépide mais plus insolent. C'est une héroïne typiquement "bessonienne", et il n'est pas étonnant qu'il en ait confié l'interprétation à une quasi-débutante à l'époque, fidèle à sa réputation de Pygmalion : bonne pioche au demeurant puisque Louise Bourgoin est impeccable, houspillant sans cesse tous les hommes qui se dressent sur sa route, ne jouant jamais sur la séduction tout en étant d'une beauté fracassante (comme je l'ai lu un jour, "c'est un vrai avion de chasse", formule parfaite et évocatrice). 

Autour de cette étoile, les hommes sont des satellites existant difficilement, autant parce qu'ils ne peuvent rivaliser que parce qu'ils sont écrits plus grossièrement. L'humour de Besson est parfois franchement affligeant et du coup les comédiens, même les plus habiles, ne peuvent rien faire pour défendre leur partition. Il y a pourtant du beau monde au générique : Gilles Lellouche, Mathieu Amalric, Jean-Paul Rouve, tous méconnaissables sous d'épais maquillages, d'ostentatoires prothèses et autres postiches. Quand un garçon se présente sous un aspect normal, on est presque surpris, mais aussi plus convaincu car on mesure que ces artifices ne sont pas nécessaires pour que le film ait l'air d'une bande dessinée "live".

Remarquée par Besson à la présentation de la météo du "Grand Journal" (où son passage marqua les mémoires et ne fut jamais égalé) puis dans La fille de Monaco de Anne Fontaine (où déjà elle faisait tourner la tête de Fabrice Luchini et Roschdy Zem), Louise Bourgoin est l'attraction du long métrage : préférée à Sylvie Testud, elle livre une prestation explosive, pleine de fantaisie (la scène des déguisements à la prison de la Santé). Elle est trop sexy par rapport au personnage de Tardi mais qu'importe ! Sans elle, tout ça n'aurait pas eu la même saveur.

Appelez ça un "plaisir coupable" ou reconnaissez simplement que Les aventures d'Adèle Blanc-Sec est juste un bon divertissement, mais ne vous pincez pas le nez : Luc Besson s'est amusé et son plaisir est communicatif. Il n'y a rien d'honteux à ça, et si Tardi est détourné, il n'a pas exprimé de reproches, ce qui prouve que parfois les fans sont plus intégristes que les auteurs.

samedi 30 août 2014

LUCY, de Luc Besson (2014)


LUCY est un film écrit et réalisé par Luc Besson.
La photographie est signée Thierry Arbogast. La musique est composée par Eric Serra.

Dans les rôles principaux, on trouve : Scarlett Johansson (Lucy Miller), Morgan Freeman (Professeur Samuel Norman), Choi Min-sik (Monsieur Jang), Awr Waked (Pierre Del Rio).
Lucy Miller (Scarlett Johansson) prise au piège...

Lucy est une étudiante établie provisoirement à Taipei et qui sort avec un jeune homme aux activités louches. Il la piège en la forçant à livrer une mallette à un homme d'affaires, Mr Jang, dans un hôtel de luxe. Terrifiée, elle est victime d'un guet-apens et subit une opération chirurgicale au cours de laquelle on lui place un sachet d'une drogue de synthèse, le CPH4, dans le ventre. Elle est alors obligée, comme trois autres jeunes gens, de jouer la "mule" pour ce mafieux coréen en livrant le paquet à Paris.
En route pour l'aéroport, elle est enfermée et brutalisée dans une cellule, son geôlier en la frappant déchire le paquet dans son abdomen et libère la drogue dans tout son organisme. L'effet est radical et rapide : Lucy voit ses capacités physiques et mentales décuplées, ce qui lui permet de s'évader. Prenant conscience de ses pouvoirs, elle entreprend de se venger en s'en prenant d'abord au mafieux, puis en signalant les autres "mules" à la police européenne.
Ensuite, au fur et à mesure que le produit la transforme en une créature à la fois supérieure mais désensibilisée, elle s'interroge sur ce qu'elle pourrait faire d'elle et de ses facultés. La réponse lui est inspirée par les travaux d'un éminent professeur, Samuel Norman, spécialiste du cerveau qui a théorisé ce qu'il serait possible d'accomplir si l'être humain utilisait plus de 10% de ses capacités cérébrales.
Mais en voulant rejoindre le savant, Lucy le met aussi en danger car Mr Jang est déterminé à la fois à récupérer sa drogue et à tuer la jeune femme. C'est à Paris que Lucy achève son parcours en même temps que sa métamorphose, tandis que ses ennemis accomplissent un baroud d'honneur.
Lucy disparaît après avoir remonté jusqu'aux origines de l'univers et pour mieux réapparaître, en étant désormais partout et avoir fait don de ses connaissances à Norman et ses collègues scientifiques.
... Puis face à ses ennemis.

Il suffit de jeter un oeil (et plus, si affinités) sur la filmographie de Luc Besson pour constater la place centrale qu'occupe la femme chez lui : toutes ses héroïnes ont été incarnées par des actrices confirmées ou trouvant grâce à lui un rôle important. En comparaison, peu de ses oeuvres reposent sur des hommes, et quand c'est le cas, leur rapport à la femme bouleverse leur existence, de manière parfois tragique (Subway, Le Grand Bleu, Léon).

Qu'elles soient des créations originales (Le 5ème élément, Nikita) ou des personnages iconiques de l'Histoire (Jeanne d'Arc) ou d'oeuvres adaptées (Adèle Blanc-Sec), la femme est au coeur du cinéma de Luc Besson. Mais ce sont, passez-moi l'expression, souvent des femmes "qui en ont", à la manière des héroïnes de James Cameron, des nanas qui ne s'en laissent pas compter. Lucy n'échappe pas à la règle.
Lucy et le flic français auquel elle accorde sa confiance,
l'inspecteur Del Rio (Amr Waked).

C'est un film curieux. Luc Besson, cinéaste qui déchaîne les passions depuis ses débuts, dont les films ont, pour moi-même, suscité la passion, l'affliction ou l'indifférence, m'a cependant toujours semblé remarquable par son style propre : il fait partie de ces réalisateurs dont la composition des plans, le montage, la photographie, bref l'identité visuelle est immédiatement reconnaissable. Il y a une signature Besson.

Quand il lui est arrivé de s'inscrire dans les pas d'autres auteurs, il a aussi su le faire avec une efficacité notable, tirant parti visuellement au mieux de ce qu'une adaptation lui fournissait. Même si ce n'était pas une adaptation directe, les emprunts qu'il effectuait ou ce que lui inspirait le travail d'autrui pouvait être fantastiquement assimilé et projeté - en revoyant Le 5ème élément, il a ainsi rendu un hommage vibrant et ludique aux bandes dessinées de Jean-Claude Mézières et Moebius ; et Adèle Blanc-Sec réinterprète avec beaucoup de tonus ce qu'a produit Jacques Tardi.
Mr Jang (Choi Min-sik), le mafieux coréen et son gang.

Les citations, pourtant, Lucy en regorge et c'est peut-être ce qui étonne le plus, ou du moins premièrement, pour un film de Besson, d'autant que ce sont pas des citations dans le cadre d'une adaptation mais plutôt des emprunts à d'autres films. Pour un projet qu'il couvait depuis une dizaine d'années (mais Besson dit souvent ça de beaucoup de ses films, sans qu'on sache trop ce qui l'a empêché de les finaliser avant : ce n'est en effet ni l'argent ni le temps qui manquent à ce cinéaste mogul), c'est surprenant de constater qu'en fin de compte le résultat semble si peu personnel. Matrix, Limitless, 2001 : L'odyssée de l'espace, entre autres, sont reconnaissables.

Je ne critique pas, comme d'autres l'ont fait dans la presse ou sur le net, la plausibilité de l'histoire - avec les fameux 10% utilisés seulement par le cerveau humain, les pouvoirs qu'acquiert Lucy, ce qu'elle en fait, etc. C'est de la science-fiction, c'est-à-dire une extrapolation fantaisiste de la science et le débat qui consisterait à tracasser un auteur sur ce qui est crédible ou pas dans ce genre de récit est absurde. On peut se montrer plus tatillon sur les réflexions que cela inspire à Luc Besson, sur le fait qu'il exploite bien ou pas ce genre, mais enfin, chercher querelle à un auteur parce qu'il ose montrer des choses invraisemblables ou surréalistes dans le cadre de la science-fiction, c'est vouloir se chamailler à tout prix et pour n'importe quoi.

Non, ce qui m'a laissé perplexe, c'est la quasi-incapacité de Besson à nous faire partager la confusion extrême de son héroïne dans la situation où elle se trouve. Le film commence, il est vrai, par une scène aussi interminable que mal écrite et jouée, où le boyfriend de Lucy tente de la convaincre de livrer la valise à Mr Jang puis y parvient en la piègant : on se croirait dans une mauvaise parodie des célèbres dialogues à la Tarantino, et on se demande pourquoi Lucy ne se débarrasse pas de ce pauvre type en le giflant (ou pire) puis s'en va.

Mais ce piètre prologue s'étend à la rencontre entre Lucy et Mr Jang, avec l'intervention assommante d'un interprète au téléphone (il est difficile de croire qu'un caïd de ce calibre ne parle pas un mot d'anglais ou qu'il n'ait pas un homme de main dans son entourage immédiat qui le fasse).

Passée cette mise en place laborieuse, le film s'emballe une fois que Lucy est devenue une "mule". Je n'ai pas bien compris comment et pourquoi elle échoue dans une cellule avec des geôliers plus soucieux de la violer que de prendre soin de ce qu'elle transporte (il y a un souci dans la hiérarchie de la mafia coréenne), même si, évidemment, avoir Scarlett Johansson (très bien quand elle joue cette super-femme, nettement moins convaincante quand elle doit composer la frayeur, le désarroi, l'émotion) comme captive peut faire tourner la tête de n'importe quel homme, surtout un gangster sans scrupules. Tout cela n'a de toute manière qu'un objectif : déclencher l'accident qui va démarrer véritablement l'aventure avec la transformation de Lucy.

Et là, Besson recouvre tous ses moyens : il filme une Scarlett convulsant avec beaucoup de force, puis une fois transcendée, prête à prendre sa revanche. Il y a alors une succession de scènes formidablement filmées, avec des plans à la steadycam ou en travelling arrière comme Besson sait si bien les réaliser, des images à la composition reconnaissable entre mille (le personnage bien au centre du cadre, avançant vers nous, la caméra tournant autour de lui, un montage très bien dosé). 

Le film est relativement violent, avec ses fusillades, mais finalement très sobre en comparaison avec la moyenne de beaucoup de films d'action contemporains, plus ou moins réalistes, où ça défouraille à tout-va, où le décompte des morts est vite impossible, où l'hémoglobine coule à flots avec force détails sur les impacts, les membres atteints, etc. De la part du cinéaste de Nikita et Léon, c'est là encore inattendu, mais raccord avec le personnage-titre-sujet car Lucy n'est pas une tueuse professionnelle.

Pourtant, on peut s'interroger : le fil n'aurait-il pas gagné à être plus viscéral, plus âpre, au moins pour compenser les commentaires en voix-off que fait Lucy sur son évolution, la conscience de celle-ci, ses conséquences ? 

Dans Nikita, Besson réussissait à nous faire ressentir les différentes étapes de l'initiation de son héroïne (interprétée, il est vrai, par une Anne Parillaud vibrante), cette junkie récupérée par d'obscurs services spéciaux pour devenir une espionne-exécutrice, qu'une romance allait troubler au point de la reconnecter avec son humanité, sa vulnérabilité.

Cela, Luc Besson échoue à le faire passer dans Lucy. C'est en partie la faute au personnage lui-même, qui se déshumanise rapidement et inéluctablement, dans un registre encore plus subie que celui de Nikita. Mais c'est aussi quelque chose sur lequel bute le cinéaste et son actrice, tous deux incapables de communiquer la détresse de Lucy, détresse qui ne l'accable pas assez longtemps qui plus est. Sur 90' de film, Lucy ne souffre finalement pas tant que ça, pas très (pas assez) longtemps pour qu'on soit ému de son sort, et même lorsqu'elle agit pour se venger ou simplement écarter ceux qui se dressent devant elle, cela est mis en scène de manière étrangement frustrante (là on pouvait légitimement attendre une bagarre spectaculaire dans l'hôpital du Val de Grâce, Lucy se contente de faire léviter ses adversaires après les avoir désarmés télékinésiquement). Priver ainsi le spectateur d'un moment attendu est osé certes, mais prive encore davantage du partage des sensations qui le relierait à l'héroïne alors qu'elle pouvait étaler sa puissance de façon plus démonstrative encore (entre une bonne raclée façon Matrix et une correction expédiée façon X-Men 3, il y avait de la marge).   
Lucy et le professeur Samuel Norman
(Morgan Freeman).

C'est que Besson a aussi fait un autre choix problématique dans sa narration, qui ôte au film une partie de son aspect nerveux au profit d'une réflexion qui désensibilise le spectateur : en effet, pour ponctuer ce qui arrive à Lucy puis diriger son personnage au-delà d'une simple affaire de vengeance et de transformation, il introduit dès le départ un autre protagoniste, le professeur Norman. Celui-ci est d'abord montré tenant une conférence sur les capacités cérébrales et les extrapolations qu'il a faites sur leur augmentation (au passage, le cinéaste ne peut s'empêcher d'évoquer le cas des dauphins, ce qui renvoie au Grand Bleu, plus intelligents que l'homme car doté par exemple d'une écholocalisation naturelle). Lucy entre vite en contact avec lui après avoir repéré ses études sur le Net (une fois qu'elle a échappé à ses geôliers et acquis ses pouvoirs, puis fait un détour rapide dans un hôpital - dans lequel elle se déplace avec un énorme flingue à la main sans que cela n'émeuve personne, malades ou personnel... - où elle comprend alors qu'elle "dopée" mais que cela va précipiter sa mort).

Le personnage du Pr Norman, Besson s'en sert comme d'une synthèse pour donner une pseudo-caution scientifique à son histoire. Le générique de fin confirme que le cinéaste a consulté diverses sommités pour rédiger son script (mais sans qu'on sache trop ce qu'il a retenu de ses échanges avec elles et ce qu'il a préféré interpréter pour les besoins du divertissement). Cette béquille scénaristique, outre qu'elle est éculée, alourdit inutilement un film qui a pourtant l'avantage sur beaucoup d'autres longs métrages d'être rapide et bref (1h 30 par les temps qui courent, c'est un effort appréciable, surtout sans un montage épileptique). Les théories, invérifiables mais affreusement bavardes, que prononce d'une voix grave et monocorde Morgan Freeman sont supposées nous faire mesurer le phénomène fabuleux qu'incarne Lucy, la noblesse de ses décisions finales, l'importance historique que cela induit. En vérité, on le subit comme un nouveau commentaire de ce qui se passe, plus ronflant que les pensées de Lucy elle-même mais guère plus éclairant.

Je ne sais pas comment cela aurait pu mieux passer, mais le procédé narratif choisi par Besson encombre tout son film. Peut-être que si le Pr Norman avait été davantage écrit comme un guide, un inspirateur, un accompagnateur pour Lucy, cela aurait mieux fonctionné, mais là, ce prétendu grand savant a l'air plus sidéré de voir ses théories incarnées et déployées que de chercher à aider Lucy. La méprise de Besson tient à ça : son héroïne se déshumanise trop vite pour que le spectateur puisse raisonnablement s'identifier à elle, et le savant qui est implicitement convoqué pour fluidifier la compréhension des évènements a l'air encore plus perdu que le spectateur qui, donc, ne peut pas non plus s'identifier à lui car il comptait là-dessus pour accéder soit à la partie émotionnelle, soit à la partie intellectuelle du sujet.

Pourtant, comme s'il s'était aperçu que quelque chose clochait dans son affaire sur le plan narratif, Besson tente un autre coup très audacieux à la fin. 

Tandis que les protagonistes sont retranchés dans un bâtiment, avec d'un côté les méchants coréens (sur-armés en plein Paris sans que cela n'inquiète trop la police, qui devrait pourtant être sur le pied de guerre après avoir récupéré trois "mules" ensuite exécutées dans un hôpital prestigieux... Besson, qui insiste tant sur le temps passé à concevoir ses scénarios, semble ne pas se relire une fois qu'il peut les produire, négligeant la plus élémentaire vraisemblance dans des scènes de transition qui ne peuvent que faire tiquer a posteriori), et de l'autre la bande de copains savants de Norman avec Lucy et le flic français auquel elle fait confiance, le réalisateur orchestre une de ces fusillades homériques dont il a le secret - non qu'elle soit très originale (elle rappelle fortement l'assaut final de Léon, pour ne citer qu'un exemple dans sa propre filmo) mais elle est quand même efficace.

Et en même temps, Lucy se fait injecter toutes les doses de CPH4 des autres mules pour accéder au maximum de ses capacités, atteindre donc la connaissance absolue mais aussi un moyen de la stocker et de la remettre aux savants (au passage, là encore, ça me vient en l'écrivant, mais des mafieux coréens réussissent à produire un produit aussi puissant, cependant ils n'ont pas l'air de le savoir - pas complètement en tout cas - , ils commencent à le faire circuler mais seulement quatre échantillons, et quand bien même ils savent à la fin quels sont les effets de cette drogue, ils restent convaincus qu'ils vont éliminer Lucy sans trop de problèmes, après qu'elle les ait déjà plusieurs fois et spectaculairement vaincus... Je crois qu'en se limitant à une seule "mule", donc un seul sachet de drogue, tout aurait été plus acceptable car tout le monde - spectateur, héroïne, méchants, alliés - aurait été surpris par les effets du produit et l'issue serait restée incertaine...).

Mais bon, bref, Lucy, qui explique alors que l'unique mesure de la connaissance est le temps, et se laissant cannibaliser par la drogue et ses pouvoirs, va remonter le temps jusqu'aux origines de la terre mais aussi de l'univers. Besson s'en donne à coeur joie dans cette séquence où son brio filmique peut se déployer. Il use d'effets à la fois ludiques et intelligents (Lucy passe littéralement en revue les époques comme on fait défiler des image sur une tablette tactile, la caméra tourne autour d'elle, se rapproche, s'éloigne, les effets spéciaux sont bluffants tout en proposant une version de choses réaliste). Il est évident que tout cet épilogue est une dédicace au final de 2001 : L'Odyssée de l'espace de Kubrick, et d'ailleurs Besson comme Kubrick a le bon sens de se taire (enfin !), plus de voix-off, plus de commentaires, plus de théorisation pseudo-scientifique. On est, peut-être pour la première fois, réellement scotché dans son fauteuil, partageant ce rembobinage spatio-temporel avec Lucy (émaillé d'une scène culottée mais réussie où Lucy/Scarlett se trouve face à Lucy, la première femme, cet australopithèque découverte en 1974 par le paléoanthropologue Donald Johanson, le géologue Maurice Taieb et le paléontologue Yves Coppens).

La chute du film est à l'image de ce qui l'a précédée : Besson nous montre que tout ce que Lucy a pu stocker et transmet aux savants tient dans une banale clé USB, mais que Lucy comme créature a disparu pour être désormais littéralement partout (à la fois dans l'espace - et le temps ? - , veillant sur l'humanité comme une divinité immatérielle et plutôt bienveillante, protectrice). Que la connaissance primordiale et suprême tienne dans une clé USB ne produit pas une image bien fantasmatique (mais très improbable, ou alors il faut que ce petit objet est une capacité de stockage phénoménale...). Par contre, l'idée que Lucy ait atteint un état tel qu'elle n'a plus d'enveloppe matérielle, soit omnisciente et omniprésente, qui plus plutôt bien disposée envers l'humanité (qui ne l'a pourtant pas épargnée), c'est déjà plus inspiré, peut-être naïf, en forme de pirouette narrative (mais moins neu-neu que les dénouements du Grand Bleu, Nikita, Léon ou Le 5ème élément par exemple).

Lucy est un film étrange donc. Luc Besson, qui a souvent répété qu'il arrêtait le cinéma puis a nuancé cette échéance en affirmant qu'il désirait surtout ne pas faire le film de trop, peut s'offrir la sortie qu'il souhaite, sa réputation et ses résultats commerciaux lui permettent d'avoir les plus grandes stars, les budgets les plus considérables, et donc les projets les plus fous. Même s'il adore se décrire comme un mal-aimé, incompris par une certaine critique, tout en assurant qu'il s'en fiche, Lucy prouve qu'il n'a pas abandonné une certaine ambition, rêvant de livrer un film qui surprendrait ses détracteurs (voire les obligeraient à réviser - à réévaluer - son dossier).

Cela, il l'accomplit ici, non sans beaucoup de maladresses, mais avec un indéniable savoir-faire. Il est infiniment plus doué pour le mouvement, l'action, le spectacle, la fantaisie, que pour la réflexion, et ce n'est pas méprisable quand tant de cinéastes français savent peut-être mieux écrire mais filment si mal.

C'est un peu dommage que tout ne soit pas abouti comme cela pourrait l'être, c'est frustrant. Mais il faut reconnaître à Besson un courage certain pour tenter de raconter une telle histoire, réussir à la monter, à y faire adhérer quelques acteurs aussi renommés et un public aussi nombreux (avec certes des fidèles, mais certainement pas que). 

Et peut-être qu'en fin de compte la plus belle réussite de Lucy, c'est d'inspirer autant ceux qui le voient, qu'on soit plus ou moins satisfait...