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mardi 28 mars 2017

PERFECT SENSE, de David MacKenzie (2011)


PERFECT SENSE est un film réalisé par David MacKenzie.
Le scénario est écrit par Kim Fupz Aakeson. La photographie est signée Giles Nuttgens. La musique est composée par Max Richter.


Dans les rôles principaux, on trouve : Eva Green (Susan), Ewan McGregor (Michael), Connie Nielsen (Jenny, la soeur de Susan), Stephen Dillane (Samuel, le collègue de Susan), Ewen Bremner (James, le collègue de Michael).
Susan
(Eva Green)

Une épidémie d'origine inconnue se répand dans le monde entier, privant d'abord l'humanité de son odorat. Susan est une épidémiologiste qui fait partie d'une équipe anglaise chargée de découvrir les raisons de ce problème et de trouver des réponses et des solutions.
Michael
(Ewan McGregor)

Michael est un chef cuisinier dans un restaurant londonien, situé à côté de l'immeuble où habite Susan. Il se rend vite compte de l'impact de cette épidémie quand les clients commencent à déserter son établissement et que lui-même est affecté par cette privation sensorielle.
Susan et Michael

Susan et Michael ne tardent pas à faire connaissance. Ils couchent ensemble avec la volonté commune de ne pas s'engager dans une relation sérieuse. Mais ils se revoient fréquemment par la suite et deviennent amants et amoureux. 
Des souvenirs avant de tout perdre

L'épidémie progresse : après l'odorat, la population perd le goût. Une panique irrationnelle puis l'angoisse d'une nouvelle étape gagne la civilisation. Puis les gens se résignent et tentent de s'adapter à leur nouvel état. De plus en plus intimes, Michael et Susan partagent les secrets de leur passé : elle a souffert d'anorexie dans son adolescence et à cause de cela, elle est devenue infertile ; lui a eu une histoire d'amour avec une jeune femme tombée gravement malade qu'il a lâchement quitté car il ne se sentait pas assez fort pour la soutenir - elle est désormais morte et, bien qu'il regrette son attitude, il culpabilise moins. 
"Mr. and Mrs. Assholes"

La crise s'aggrave quand survient la perte d'audition : une recrudescence de colère extrême et de rage éclate. Michael exprime verbalement cette violence contre Susan qui prend peur et s'enfuit. En dépit de tout, le calme revient, les gens essaient de reprendre leurs habitudes, notamment en apprenant le langage des signes pour continuer à communiquer. Lentement, c'est même une euphorie inattendue qui s'impose, chacun ayant désormais la certitude qu'une nouvelle épreuve va se produire. 
Dernier baiser avant la fin du monde

Effectivement, la cécité frappe le monde. Avant de perdre la vue, Michael se précipite chez Susan qui, elle, part le chercher à son restaurant. Ils se retrouvent in extremis dans la rue derrière l'établissement, en bas de l'immeuble où elle réside. Ils s'enlacent et s'embrassent juste avant de devenir aveugles. Il ne leur reste plus qu'un seul sens désormais : le toucher.

Parfait contrepied de Contagion (Steven Soderbergh, 2011), avec son casting de stars et son spectaculaire suspense, le long métrage de David MacKenzie explore le même thème - une épidémie mondiale - mais en en retirant tous les motifs attendus dans un film-catastrophe - scènes de panique générale, violences de masse, représentation horrifique des effets de la maladie, etc.

Ici, effectivement, la maladie ne tue pas, elle est plus sournoise en privant progressivement l'humanité de ses perceptions sensorielles. Cette progression est d'autant plus angoissante qu'elle reste jusqu'au bout sans explication ni remède et s'illustre par un crescendo intense et tragique où l'homme est autant victime de ses peurs primitives que disposé à savourer de nouveau l'existence.

La métaphore est troublante, aussi déconcertante qu'envoûtante. En inscrivant son sujet dans le cadre d'une romance, le cinéaste en souligne la force mélancolique puisque le mal frappe au moment où ses deux héros trouvent enfin le bonheur après des épreuves traumatisantes dans leurs passés respectifs. D'ailleurs, ce qui les accable n'est pas létale : il n'y a donc pas de suspense conventionnel avec la recherche des causes de l'épidémie, celle d'un remède et le sauvetage de l'humanité.

Le film est découpé en quatre actes, correspondant aux quatre sens que perdent les humains, et chacune de ces pertes est habilement traduite par la mise en scène, de manière à la fois poétique, cruelle et percutante (mention spéciale à la perte de l'audition : pendant dix bonnes minutes, plus aucun son, pas davantage de musique pour illustrer la situation - effet garanti !). La tristesse, la colère, la frustration, la résignation se succèdent après chaque nouvelle crise, produisant des moments étonnants.

Le talent avec lequel MacKenzie réussit à immerger le spectateur dans cette expérience est d'autant plus remarquable qu'on devine que le film n'a pas disposé de gros moyens. Mais en préférant se concentrer sur son couple, il permet de mieux s'identifier, de partager leurs peurs, leurs doutes, leur soif de profiter de l'instant. Eva Green et Ewan McGregor interprètent cette partition avec une implication et une justesse égales, avec sobriété et force, l'alchimie de leur couple fonctionne puissamment, leur histoire d'amour est touchante, ponctuée de hauts de de bas crédibles.

Bien entendu, le piège du procédé narratif (on attend chaque nouvelle crise avec un mélange de curiosité et d'inquiétude) est inévitable, et le dénouement (avec la cécité) est illustré par un écran noir juste avant le générique. Mais il n'empêche que le récit, solide et originale, résolument à contre-courant du traitement réservé à ce genre d'intrigue, procure son lot d'émotions fortes et poignantes.  

samedi 15 octobre 2016

MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS, de Tim Burton (2016)


MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS (Miss Peregrine's Homme for Peculiar Children) est un film réalisé par Tim Burton.
Le scénario est écrit par Jane Goldman, d'après le livre de Ransom Riggs. La photographie est signée Bruno Delbonnel. La musique est composée par Mike Highman et Matthew Margeson.

Dans les rôles principaux, on trouve : Asa Butterfield (Jacob Portman), Eva Green (Miss Alma LeFay Peregrine), Samuel L. Jackson (Barron), Ella Purnell (Emma Bloom), Terence Stamp (Abe Portman), Judi Dench (Miss Avocet). Les Enfants Particuliers sont interprétés par : Finlay MacMillan (Enoch), Pixie Davis (Bronwyn), Georgia Pemberton (Fiona), Lauren McCrostie (Olive), Milo Parker (Hugh), Hayden Keeler-Stone (Horace), Cameron King (Millard), Joseph et Thomas Dowell (les jumeaux).

Floride. De nos jours. Jacob est un adolescent qui, sur son temps libre, travaille comme magasinier dans un supermarché et s'occupe de son grand-père, Abe, négligé par ses parents et à qui les médecins ont diagnostiqué une démence précoce. Un soir, à la suite d'un appel téléphonique alarmiste du vieil homme, Jacob se rend chez lui et le trouve mourant dans la forêt derrière sa maison. Les yeux énucléés, il a le temps, avant de s'éteindre d'ordonner à son petit-fils de prévenir une certaine Miss Peregrine dont l'école est basée au Pays de Galles.
 L'école pour enfants particuliers de Miss Peregrine

Après ce drame, Jacob suit une psychothérapie et convainc son père de partir en voyage au Pays de Galles où son grand-père servit comme soldat durant la seconde guerre mondiale. Une fois sur place, il lui fausse compagnie pour rechercher l'emplacement de l'école dont Abe lui a souvent parlé dans les contes qu'il lui racontait enfant. 
Miss Alma LeFay Peregrine
(Eva Green)

Il accède à l'établissement en explorant une grotte : l'endroit est tel qu'en 1943, pris dans une boucle temporelle, juste avant son bombardement par l'aviation allemande, à l'abri des Sépulcreux, les ennemis de Miss Peregrine, qui appartient à l'ordre des Ombrunes, et des enfants particuliers. Ces derniers sont tous dotés de pouvoirs étranges et si l'un d'eux, Enoch, est immédiatement jaloux de Jacob, une autre, Emma, se rapproche vite de lui.  
 Quelques-uns des enfants particuliers.

Miss Peregrine explique que les Sépulcreux, dont le chef est Barron, que Jacob a aperçu près de chez son grand-père le soir de son assassinat, veut la capturer pour lui dérober sa force magique et devenir, avec ses semblables, immortel et recouvrer une apparence humaine. Le garçon, qui ignore comment les aider contre cette menace, découvre qu'il possède lui aussi un don : il peut voir les monstres invisibles aux autres enfants.
 Emma Bloom et Jacob Portman
(Ella Purnell et Asa Butterfield)

Malheureusement, en trouvant l'école, Jacob a permis à Barron de la localiser aussi et, contre la vie sauve des élèves, il obtient la reddition de Miss Peregrine. Culpabilisant, Jacob convainc les enfants de partir sauver leur protectrice en gagnant Blackpool où se réunissent les Sépulcreux dans une autre boucle temporelle - ce qui permettrait aussi au garçon de retrouver son grand-père.
Barron
(Samuel L. Jackson)

L'affrontement entre les enfants et les Sépulcreux est épique mais gagné par Jacob et ses amis. Miss Peregrine, sous sa forme d'oiseau, parvient à s'échapper mais, blessée, s'éclipse pour se rétablir, se contentant provisoirement d'observer comment ses élèves s'en sortiront sans elle désormais.
Jacob, lui, a pu éviter l'assassinat de Abe qui, en retour, lui confie une carte situant toutes les boucles temporelles. L'adolescent va les utiliser pour revoir Emma et ses camarades, et les accompagner dans leurs nouvelles aventures.

Miss Peregrine a les défauts de ses qualités, et le premier d'entre eux est d'être clairement conçu comme le premier volet d'une future franchise qu'espère lancer le studio Fox. D'où un sentiment mitigé à la sortie de la projection : si l'histoire, bien qu'adapté du premier tome de la trilogie de romans écrits par Ransom Riggs, est assez solide pour divertir sans attendre une (ou plusieurs) suite(s), et comporte nombre d'éléments évoquant le cinéma du réalisateur Tim Burton, il n'en reste pas moins que ce dernier n'a pas totalement réussi à transcender cette oeuvre de commande.

La critique a souvent, ces dernières années, pointé du doigt l'inspiration défaillante du cinéaste après l'avoir chéri pendant les années 90. Or, aujourd'hui, tout ce qui faisait la singularité de son style, cette imagerie gothique hérité des films d'épouvante de la Hammer, cet attachement pour les freaks, lui colle tant à la peau que s'il s'en écarte, on le lui reproche, mais s'il s'en contente, on s'en plaint aussi. Un vrai cercle vicieux.

Les nombreux teasers qui ont précédé la sortie de son dernier opus laissaient cependant espérer un retour en force, après le cuisant échec commercial (et, plus partiellement, critique) de son pourtant très estimable Big Eyes (2014) - qui était justement une tentative d'aborder d'autres rivages. Présenté comme une version dark de Mary Poppins (Robert Stevenson, 1964), le film permettait en outre à Burton de retrouver Eva Green, quatre ans après l'épatant Dark Shadows, une actrice taillée pour ses visions extravagantes, et moins encline aux fatigants cabotinages de Johnny Depp.
  
Le résultat est hybride : sans renouer avec les grandes réussites que furent, entre autres, Edward aux mains d'argent (1990) ou Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999), et loin de l'introspection émouvante du pourtant très beau Big Fish (2003), Miss Peregrine's Homme for Peculiar Children  est un divertissement inégal mais plaisant, à destination des enfants.

La comparaison avec les comics et leurs adaptations en films des X-Men est celle qui s'impose le plus vite : Miss Peregrine est une sorte de Professeur Xavier et ses élèves sont des sortes de mutants, même si le scénario ne répond pas à des questions élémentaires (d'où viennent ces enfants ? Et comment ont-ils acquis leurs étranges pouvoirs ? Quelles sont les origines des Ombrunes, leurs gardiennes, et des Sépulcreux, leurs ennemis ?). Que Jane Goldman, qui a adapté le roman, ait aussi écrit le script de Days of Future Past (Bryan Singer, 2014) n'est évidemment pas étranger à ces points communs, en dehors du fait que les créatures imaginées par Stan Lee et Jack Kirby sont antérieures à celles de Ransom Riggs.

La construction du récit est très (trop ?) classique : Jacob nous sert de guide et, même quand son pouvoir nous est révélé en même temps qu'il l'apprend, il reste le seul individu normal (par son aspect, son attitude) dans tout cela.  Le problème tient davantage à l'interprétation d'Asa Butterfield, qui demeure peu expressif, transparent - une vraie déception. C'est d'autant plus remarquable qu'il est entouré de jeunes partenaires, tous inconnus, mais dont les capacités et le jeu sont plus mémorables. Sa partenaire la plus régulière, Ella Purnell, est très convaincante dans un rôle dont la poésie pouvait facilement basculer dans la mièvrerie.

Evidemment, ces jeunes comédiens sont éclipsés par les adultes : dans la peau du méchant Barron, Samuel L. Jackson alterne entre le grand guignol (sans doute pour ne pas trop effrayer le public le moins âgé) et un look qui demeure assez bien étudié pour rester flippant. Pour camper Miss Peregrine, Eva Green est parfaite, d'une classe folle, d'une beauté bizarre dont elle sait jouer avec mesure : on peut cependant déplorer qu'elle soit écartée de l'action dans la dernière partie du film, alors que son personnage méritait d'y démontrer ses talents magiques (c'est là par contre une autre concession, plus évidente, au cahier des charges d'un divertissement pour enfants, où ceux-ci sont mis en avant pour résoudre seuls in fine leurs problèmes, dans une métaphore lourdingue sur l'émancipation).

Dans des seconds rôles, Terence Stamp et Judi Dench sont hélas ! aussi trop sacrifiés, un autre problème manifeste de construction narrative dans un film qui dure 125 minutes (et qui avait donc le temps de mieux disposer ses protagonistes).
  
Tim Burton réalise le tout avec quelques éclairs de génie (le clin d'oeil à Edward aux mains d'argent avec les sculptures végétales dans le parc de l'école de Miss Peregrine, la découverte de l'épave, l'inventivité malicieuse dans la représentation des pouvoirs des enfants particuliers - la super-force de Fiona, l'invisibilité de Millard, etc.) et moments plus quelconques, comme n'importe quel habile technicien aurait pu les mettre en image. On devine parfois que l'artiste est soit englouti par les effets numériques, soit grisé par les possibilités qu'ils lui offrent, tout comme il est évident que le film décolle vraiment comme Burton lorsque l'histoire se déplace au Pays de Galles et anime ses petits monstres (dont les ruses pour abattre les Sépulcreux sont d'une facétie bienvenue), loin de la Floride représentée de manière appuyée comme le vrai cauchemar de l'artiste. 

Le constat est cruel mais indéniable : en l'état, Miss Peregrine et les enfants particuliers échoue à ressusciter la magie des meilleurs opus de Tim Burton. Il y a dans l'oeuvre de Ransom Riggs tout ce qu'il faut pour l'inspirer mais il se l'approprie sans jamais la sublimer. Y a-t-il renoncé parce qu'il n'avait pas toute la liberté pour en faire plus ? Ou n'en a-t-il tout bonnement pas été capable ? Selon l'humeur, on trouvera dans ces interrogations matière à espérer ou se résigner, voire à s'inquiéter. Mais pour ce film-là, il manque quand même une étincelle, un supplément d'âme, ce je-ne-sais-quoi qui aurait transformé le projet en film plus atypique et personnel.

lundi 26 septembre 2016

CRACKS, de Jordan Scott (2009)


CRACKS est un film réalisé par Jordan Scott.
Le scénario est écrit par Jordan Scott, Ben Court et Caroline Ip, d'après le roman de Sheila Kohler. La photographie est signée John Mathieson. La musique est composée par Javier Navarette.


Dans les rôles principaux, on trouve : Eva Green (Miss G.), Maria Valverde (Fiamma Coronna), Juno Temple (Ci Radfield), Imogen Poots (Poppy), Clemmy Rugdale (Fuzzy), Sinead Cusack (Miss Nieven).

1934. Miss G. est professeur de sport dans un pensionnat pour jeunes filles situé sur une île anglaise à l'écart de tout. Elle fascine ses élèves, séduites par sa beauté charismatique, son élégance bohème, et sa personnalité atypique.
Miss G.
(Eva Green)

Elle les incite en effet à se singulariser tout en étant exemplaire, à viser la perfection. Pour cela, elle n'hésite pas à entretenir un esprit de compétition entre ses protégées puis à stimuler leur imagination en leur racontant les nombreux voyages dans des pays exotiques qu'elle a faits avant d'intégrer cette école comme enseignante.
Fiamma Coronna
(Maria Valverde)

Cette situation est compromise avec l'arrivée d'une nouvelle élève, Fiamma Coronna, issue de l'aristocratie, mais placée dans cette institution austère suite à un mystérieux scandale - il est question d'une liaison amoureuse avec un garçon de condition plus modeste.
Ci Radfield
(Juno Temple)

Ci Radfield, qui idolâtre Miss G. et s'emploie pour être sa favorite, accueille froidement Fiamma dont elle jalouse immédiatement la prestance, les origines, et l'intérêt qu'elle suscite chez l'enseignante. Les autres pensionnaires sont divisées : elles ne veulent pas trahir leur "chef" ni que leur professeur les néglige, mais estiment que leur nouvelle camarade doit pouvoir s'intégrer, d'autant que, si elle les toise volontiers avec arrogance, elle les envoûte aussi.
Les filles de Miss G.

La jeune espagnole va aussi perturber Miss G. par son charme méditerranéen, sa classe naturelle, sa culture déjà bien établie, son tempérament rebelle. Elle refuse d'être soumise et cette résistance stimule l'enseignante autant qu'elle la panique, notamment après qu'elle ait compris que Fiamma sait que les histoires sur son passé d'aventurière relèvent de la mythomanie. Miss G. n'a en effet jamais quitté le pensionnat qui tolère ses méthodes après des écarts de jeunesse.
Poppy
(Imogen Poots)

Désirant son élève mais ne souhaitant pas perdre son ascendant sur les autres filles et craignant que sa hiérarchie ne le renvoie, Miss G., repoussée par Fiamma, décide de se venger en manipulant "ses" filles. Jusqu'à un dénouement dramatique...  

Parfois, il ne faut pas chercher bien loin pourquoi on a envie d'un film : la convoitise pour un opus d'un cinéaste admiré, la curiosité pour un long métrage à la réputation alléchante, l'intérêt pour un acteur ou une actrice séduisant... J'ai ainsi voulu voir Cracks pour son interprète principale : Eva Green.

J'ai découvert la fille de Marlène Jobert dans son premier film, Innocents - The Dreamers de Bernardo Bertolucci, une oeuvre dont je garde un souvenir mitigé (il faudrait que je me fasse une séance de rattrapage pour vérifier cette impression) mais où, pour reprendre une formule datée, elle "crevait" l'écran par sa sensualité et son intensité. Depuis, même si je n'ai pas pu toujours suivre sa carrière (carrière qui s'est bâti à l'étranger et en Amérique spécialement, le cinéma hexagonal la snobant de manière incompréhensible), j'ai toujours entretenu l'espoir qu'elle transforme l'essai et accède à des rôles qui lui vaudraient la reconnaissance qu'elle mérite. Cet automne, peut-être y  parviendra-t-elle tout à fait puisqu'elle est la vedette du nouveau Tim Burton, adapté du best-seller de Ransom Riggs, Miss Peregrine et les enfants particuliers, une grosse production prometteuse.

Cracks a auparavant marqué les esprits, même si le film n'a pas convaincu la critique ni rencontré un grand succès public, mais parce que Eva Green a fait l'unanimité avec ce personnage d'enseignante charismatique et borderline. L'oeuvre a aussi fait parler car il s'agissait du premier long métrage de la fille de Ridley Scott (ici co-producteur avec son frère, feu Tony), Jordan Scott.

La combinaison de l'implosion du modèle post-victorien (dans les années 30), de la perversité d'une véritable meute de jeunes filles, le sous-texte saphique renvoie à des films pour lesquels la cinéaste ne cache pas son intérêt, tels que Pique-Nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975), Créatures célestes (Peter Jackson, 1994) ou une version féminine de Sa Majesté des mouches (Peter Brook, 1963). 

Le souci avec des influences aussi prestigieuses, c'est qu'il faut tenir la comparaison et, si le spectacle intimiste des regards en coin, des échanges verbaux fielleux, des frôlements ambigus, est bien là, Cracks échoue à être aussi vénéneux que la tourmente sentimentale et initiatique qu'elle convoque. C'est comme si la réalisatrice avait eu peur de son sujet, de son potentiel, de sa profondeur, et s'était contentée de l'illustrer, certes superbement, mais sans réussir à susciter l'émotion souhaitée. 

D'un point de vue esthétique, le film ressemble de façon troublante aux productions du papa de Jordan Scott, avec une photographie splendide (John Mathieson, un collaborateur fidèle de Ridley Scott), mais la narration est trop timorée, n'exploitant jamais complètement l'atmosphère viciée et sensuelle du jeu de pouvoir qui anime les murs et le parc de ce pensionnat. Le soin porté à l'image phagocyte le récit et empêche le spectateur d'être aussi troublé qu'il le faudrait, plus épaté par la beauté formelle de la production que remué par ces jeunes filles en fleur corrompues par une professeur dont l'emprise est soudain contestée et le désir attisée à égales mesures.

Jordan Scott échoue donc partiellement. Mais pas totalement quand même, et elle le doit à ses actrices, toutes formidables : Juno Temple en disciple glaciale jusqu'à la révélation finale, Imogen Poots en suiveuse soumise, Maria Valverde à la beauté effectivement fascinante mais terriblement fragile, forment un trio excellent - avec une mention pour la jeune comédienne espagnole qui s'exprime sans accent (alors même que, dans les bonus du dvd - des interviews trop brèves aux questions superficielles - elle peine à trouver ses mots, laissant Juno Temple finir ses phrases).

Et il y a donc Eva Green : dire qu'elle est impressionnante est à peine suffisant pour espérer vous convaincre de la force de son interprétation. D'abord souveraine d'une élégance racée, elle se fissure progressivement en exprimant subtilement les failles (les "cracks"  qui donne leur titre au film) de son personnage, jusqu'à une chute aussi abominable que son crime. Elle n'a pas besoin d'en rajouter pour, en un regard, un tremblement des mains, nous faire ressentir son malaise grandissant, sa perte de contrôle. Ajoutez à cela son habillement de plus en plus négligé, à mesure qu'elle sent la situation lui échapper, ses cheveux qui s'effilochent, sa démarche titubante - autant de signes discrets et bien utilisés par la comédienne.
  
Cracks est un curieux objet au final : il promet des fissures, de l'érotisme, mais son traitement est trop lisse pour échapper à l'académisme. Il lui reste ses actrices et, en particulier, sa vedette, qui, elles, lézardent sa trop belle et timide exécution dont le dénouement laisse deviner quelle abîme le film aurait pu explorer.

mercredi 31 août 2016

WHITE BIRD, de Gregg Araki (2014)


WHITE BIRD (White Bird in a Blizzard) est un film écrit et réalisé par Gregg Araki, adapté du roman Un Oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasischke.
La photographie est signée Sandra Valde-Hansen. La musique est composée par Robin Guthrie.

Dans les rôles principaux, on trouve : Shailene Woodley (Katrina "Kat" Connors), Eva Green (Eve Connors), Christopher Meloni (Brock Connors), Shiloh Fernandez (Phil Hillman), Dale Dickey (Mrs. Hillman), Thomas Jane (détective Theo Scieziesciez), Angela Bassett (Dr. Thaler), Gabourey Sidibé (Beth), Mark Indelicato (Mickey), Sheryl Lee (May).

Automne-Hiver 1988. Eve Connors disparaît subitement et sans explications un jour de la maison où elle vit avec son mari, Brock, et sa fille, Katrina ("Kat").
 Eve Connors
(Eva Green)

Incrédules, le père et la fille avertissent la police, qui accorde apparemment peu d'importance à l'affaire, même si le détective Theo Scieziesciez promet de suivre le dossier.
 Kat et Brock Connors
(Shailene Woodley et Christopher Meloni)

Pour l'adolescente, cet événement suit la perte de sa virginité dans les bras de son petit ami et voisin, Phil Hillman, jeune homme séduisant mais vrai cancre au lycée, qu'elle fréquente davantage pour le sexe que par amour, même s'il diffère désormais fréquemment leurs étreintes.
 Kat Connors et Phil Hillman
(Shiloh Fernandez et Shailene Woodley)

Kat est en vérité presque soulagée de la disparition de sa mère comme elle le confie à sa psychothérapeute, le Dr Thaler, et ses deux meilleurs amis, Beth et Mickey, car Eve Connors, après ses premières années comme épouse et mère, était devenue une femme perturbée, agressive, méprisant ouvertement son mari, et oppressant sa fille.
 Kat, Beth et Mickey
(Shailene Woodley, Gabourey Sidibé et Mark Indelicato)

Parce qu'elle a besoin de réponses mais aussi parce qu'elle est physiquement attirée par lui, Kat se rend chez Theo et couche avec lui. Le détective a l'intime conviction que Eve Connors est morte, probablement assassinée, même si aucune preuve contre Brock, qu'il suspectait, n'a permis de le confondre. 
 Theo Scieziesciez et Kat Connors
(Thomas Jane et Shailene Woodley)

Printemps-Eté 1991. Kat suit désormais des études universitaires à Berkeley et profite d'une semaine de vacances pour rentrer voir son père. Il lui annonce fréquenter une nouvelle femme, May, et elle lui donne sa bénédiction puisque Eve n'a pas reparu.
En revoyant Theo, la jeune femme apprend que, contrairement à ce qu'elle pensait, la police a continué à enquêter sur la disparition de sa mère. Mais en remarquant que Phil l'évite et en essayant d'interpréter les rêves récurrents qu'elle fait au sujet de Eve, Kat s'interroge sur l'éventualité d'une liaison entre son ex-boyfriend et sa mère et si son père s'en doutait également.
La vérité sera sensiblement différente mais finira par éclater peu après le retour de Kat en fac...

J'avoue ne m'être jamais vraiment penché sur la filmographie de Gregg Araki, même si je connaissais le cinéaste de nom et de réputation : distingué comme un des enfants terribles du cinéma indépendant américain, il avait sensation avec Kaboom, un long métrage explosif sur la sexualité de la "doom generation" des années 90.

En adaptant un roman de Laura Kasischke, consacrée depuis avec la parution de son chef d'oeuvre Les Revenants, on pouvait donc estimer que Araki s'assagissait. Et cette impression semble se confirmer dès les premières scènes de White Bird à l'esthétique à la fois sobre et élégante, loin des extravagances colorées de ses précédents efforts.

Pourtant, en s'intéressant à nouveau à une adolescente, le cinéaste continue d'explorer cet âge de la vie qui a inspiré ses oeuvres antérieures : en lieu et place d'une recherche de sensations fortes via des stupéfiants, c'est la quête d'une mère subitement disparue qui est au coeur de cette histoire. Et, contre toute attente, cette disparition ne provoque pas de grand bouleversement chez Kat et son père, même si elle survient au moment où la jeune fille s'éveille sexuellement. 

Les lecteurs de Laura Kasischke ne seront pas dépaysés par la transposition sur grand écran de Gregg Araki : il restitue parfaitement les décors familiers de la romancière, cette banlieue pavillonnaire de la middle-class américaine, située dans une ville si banale qu'elle n'est jamais nommée. Ce cadre tranquille est d'abord, dans le premier acte de l'intrigue, moins celui d'une investigation classique (la présence policière y étant résumée à un seul détective, très moyennement motivé) qu'à un champ d'expérimentations diverses pour l'héroïne. Entre ses cours au lycée, ses soirées à refaire le monde avec ses deux meilleurs amis, son flirt avec son voisin, Kat s'ennuie et la disparition de sa mère intervient comme l'élément déclencheur pour s'émanciper. Libérée de cette présence qui n'avait rien de la figure maternelle rassurante, elle aspire à des sensations fortes et, sous le prétexte d'indiquer une piste au policier chargé de l'affaire, se donne à lui après s'être présentée chez lui dans une tenue sans équivoque.

Araki pose cette première partie à la fin des années 80 qu'il reconstitue à l'économie (budget modeste oblige) mais de manière habile, au moyen d'une bande-son datée (Cure, Depeche Mode).

Le deuxième acte débute après une ellipse de presque trois ans et va insister sur l'influence intacte de la disparue, sorte de fantôme hantant encore son mari et sa fille. Araki ponctue ce retour épéhémère au bercail de scènes oniriques en laissant le spectateur spéculer, comme Kat, sur leur signification.

L'histoire a changé de décennie et les couleurs traduisent aussi bien ce saut dans le temps que l'exacerbation des sentiments vis-à-vis de ce mystère irrésolue. Kat a besoin désormais de réponses pour avancer dans la vie, et le film va et vient, de flash-backs trompeurs sur la glissade psychologique de Eve, à la fois frustrée et aguicheuse, et la maturité acquise par sa fille, prête à affronter la vérité. Le procédé permet de souligner la mécanique interne de l'intrigue reposant sur la question de la transition et du conflit : même dérangée et dérangeante, cette mère est, à l'image du titre du film, encore invisible comme un oiseau blanc dans le blizzard mais interpelle sa fille en rêve en lui indiquant qu'elle est là, devant elle.

En étant décidée à déchirer le voile, à découvrir pourquoi et dans quelles circonstances Eve est partie, Kat sonde une liste de suspects potentiels : son ex-petit ami était-il aussi l'amant de sa mère ? Son père l'a-t-il appris et s'est-il vengé (confirmant le récit du détective au sujet de menaces mises à exécution contre de précédents voisins) ? Tout cela se résumait-il à une lutte entre une mère souffrant de ne plus être désirée et jalouse de sa fille devenue plus attirante qu'elle, à une compétition de séductions. En creusant ces pistes, Araki donne à la fois une substance étonnante à la disparue en même temps qu'il définit Kat par le biais de cette douloureuse introspection.

De spectatrice, Kat devient force motrice, et l'interprétation qu'en donne Shailene Woodley est remarquable, aussi convaincante dans l'expression du charme physique, troublante combinaison d'un corps sensuelle et d'un visage encore adolescent, que dans la détermination affichée de la jeune femme avide de réponses.

Son face-à-face atypique avec Eva Green, lors de scènes brèves et intenses, offre à cette dernière l'occasion d'une composition à la fois vertigineuse, où elle réussit à être parfaitement crédible en quadragénaire à la dérive (alors qu'elle n'avait que 34 ans lors du tournage, soit à peine onze de plus que Woodley), et teintée d'auto-dérision (le rôle joue à la fois sur sa présence érotique et ses précédentes prestations dans des rôles habitées).

Pour son formidable duo d'actrices, son dénouement imprévisible et remuant, son ambiance subtilement malsaine et sensuelle à la fois, sa puissance symbolique, ce récit initiatique en forme de polar mérite vraiment qu'on s'y arrête : un film envoûtant, métaphorique et troublant.