MOONRISE KINGDOM, de Wes Anderson (2012)

MOONRISE KINGDOM est un film réalisé par Wes Anderson.

Le scénario est écrit par Wes Anderson et Roman Coppola. La photographie est signée Robert Yeoman. La musique est composée par Alexandre Desplat.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jared Gilman (Sam Shakusky), Kara Hayward (Suzy Bishop), Edward Norton (Randy Ward), Bruce Willis (capitaine Sharp), Frances McDormand (Mrs. Laura Bishop), Bill Murray (Mr. Walter Bishop), Tilda Swinton (l'Action Sociale), Jason Schwartzman (cousin Ben), Harvey Keitel (commandant Pierce), Bob Balaban (le narrateur).

 Suzy Bishop et Sam Shakusky

(Kara Hayward et Jared Gilman)

Du 3 au 5 Septembre 1965. Île de New Penzance, Nouvelle-Angleterre. Sam Shakusky, orphelin de 12 ans, fait partie du camp de scout Ivanhoé dirigé par le chef Randy Ward. Suzy Bishop, 12 ans aussi, vit sur l'île avec ses parents, deux avocats, et ses trois frères. Les deux gamins sont amoureux depuis un an, lorsqu'ils se sont rencontrés à une représentation théâtrale dans l'église locale.

Le chef Randy Ward et sa troupe de scouts

(Edward Norton)

Ils ont entretenu leur romance en correspondant et, par ce courrier, ils ont organisés leur fugue. Sam apporte le matériel pour camper et cuisiner, Suzy emmène sa paire de jumelles, ses six romans favoris, son chaton et le tourne-disque à batterie de son frère. 

Suzy et Sam

Leur périple les conduit dans les bois où ils affrontent des scouts d'un camp rival et sèment ceux lancés à leur recherche par le chef Ward. Rien ne saurait les faire dévier de leur objectif : gagner une crique isolée de l'île où ils espèrent être tranquilles et qu'ils décident de rebaptiser "Moonrise Kingdom" ("le Royaume du lever du soleil"). Ils y installent leur tente, écoutent de la musique (Le Temps de l'amour de Françoise Hardy), dansent en sous-vêtements (après avoir plongé dans l'eau tout habillés) et s'embrassent pour la première fois. 

Mr. et Mrs Bishop, Randy et le capitaine Sharp

(Bill Murray, Frances McDormand, Edward Norton et Bruce Willis)

Les parents de Suzy, le chef Ward et le capitaine de police Sharp (qui est aussi l'amant de Mrs. Bishop) trouvent les deux enfants dans la crique. Suzy rentre avec ses parents mais la famille adoptive de Sam refuse de le reprendre. Le garçon reste avec Sharp en attendant l'arrivée de la représentante de l'Action Sociale - qui a fait savoir qu'elle entendait le placer dans un refuge pour mineurs difficiles où il subira un traitement à base d'électrochocs.

L'Action Sociale

(Tilda Swinton)

Les camarades scouts de Sam, qui ne l'appréciaient guère jusque-là, décident de l'aider à échapper à ce terrible sort et, avec Suzy, volent une barque à bord de laquelle ils rejoignent le camp de Fort Lebanon où se trouve le cousin Ben. Celui-ci accepte de les marier et organisent la suite de leur fuite, tandis que le commandant du camp, Pierce, apprend par radio que Ward a désormais perdu toute sa troupe.

Le cousin Ben, Sam et Suzy

(Jason Schwartzman, Jared Gilman et Kara Hayward)

Le temps se gâte : la tempête annoncée depuis le 3 Septembre s'abat maintenant sur l'île et contrarie la cavale de Sam et Suzy. Ils se réfugient avec leurs complices dans l'église puis, quand ils y sont localisés par Sharp, Ward, les Bishop et l'Action Sociale, grimpent dans le clocher.  

Sam et le capitaine Sharp

Sharp les convainc d'en descendre avant d'être foudroyés, ayant obtenu, avec le soutien des Bishop, de devenir le tuteur de Sam. Ainsi pourra-t-il rester en contact avec Suzy...

Le septième opus de Wes Anderson est sorti deux ans après son premier film d'animation, le jubilatoire Fantastic Mr. Fox. Il s'agissait pour le cinéaste de confirmer son retour en grâce : mission accomplie dès les premières scènes, dans lesquelles on retrouve sa mise en scène inimitable, avec ses travellings latéraux, son esthétique précieuse, son casting de stars, ses ambiances décalées.

Comme beaucoup de cinéastes, Anderson éprouve une fascination pour les îles au large de la Nouvelle-Angleterre (où Roman Polanski a planté ses caméras pour son magistral The Ghostwriter et Martin Scorsese pour son adaptation hystérique du Shutter Island de Dennis Lehane). Mais en vérité, toute l'oeuvre du réalisateur a toujours eu un aspect insulaire, ses héros vivant souvent leurs aventures dans des espaces détachés du monde réel où qu'ils transforment en terrains de jeux à leur image (le campus dans Rushmore, la demeure de La Famille Tenenbaum, le sous-marin "Belafonte" de La Vie aquatique, le train d'A Bord du Darjeeling Limited).

Avec Moonrise Kingdom, Anderson pousse cette figure de style encore plus loin en situant l'action dans des camps scouts et une crique perdue, cette dernière figurant un sanctuaire abritant le premier amour de ses deux jeunes fugueurs.

Sam et Suzy sont deux héros "andersoniens" par excellence : introvertis mais géniaux, incompris mais pleins de ressources. La différence, c'est que cette fois le cinéaste ne se contente pas d'animer des adultes restés des mômes inconsolables, il met en scène deux gamins de douze ans. Elle est une lolita boudeuse et rebelle, lui un garçon malin et bonhomme, et leurs looks racontent beaucoup d'eux-mêmes - elle, élégante dans sa robe rose et ses petites valises, lui dans son uniforme kaki garni de badges (dont on devine qu'ils signifient tous quelque chose de précis - comme la broche qui a appartenu à sa mère biologique). Cette présentation visuelle permet à Anderson d'éviter toute explication psychologique, le spectateur sait quasi-immédiatement à qui il a affaire. L'interprétation formidable de Jared Gilman et Kara Hayward fait le reste : ils sont tout simplement épatants.

Leur prestation est d'autant plus remarquable qu'ils sont entourés par des comédiens de haute volée : on y trouve des habitués (Jason Schwartzman, Bill Murray - et je ne saurai que trop vous conseiller les bonus du DVD parmi lesquels il donne une interview hilarante en nous faisant visiter les sites du tournage et en nous révélant pourquoi Wes Anderson a tenu à faire porter à tous ses acteurs des pantalons trop courts...), et de prestigieux nouveaux venus (Edward Norton, Tilda Swinton - qui reviendront dans le film suivant, The Grand Budapest Hotel - , Frances McDormand, Harvey Keitel, Bob Balaban, et un fabuleux Bruce Willis, qui tourne en dérision son emploi de flic). 

Mélangeant à la perfection idéalisme et dérision, le film est une bulle défiant la réalité, une mécanique fragile mais précise, qui résume la démarche d'Anderson : une oeuvre marginale, à part, qui fonctionne en autarcie comme les scouts sur l'île de New Penzance ignorent le continent, invoquent le paradis perdu d'une Amérique encore innocente et prospère dans les années 60.

Cette vision miniaturisée du monde (camps scouts isolés, cabanes dans les arbres, maisons au milieu de nulle part, église) abonde en symboles pop, agit comme une galerie vintage au charme puissant parce qu'assemblés avec maniaquerie. Pour synthétiser cela, il suffit d'observer les bagages de Suzy et le paquetage de Sam, un invraisemblable bric-à-brac mais qui révèle un esprit logique autant que sentimental et structure l'esthétique de l'ensemble.

Les deux enfants ne fuient pas tant les autres que la tristesse et l'ennui qu'ils ont remarqué chez les adultes, leur quête vise un tête-à-tête intime, et l'assurance de leurs sentiments contraste avec le branle-bas de combat qui agite ensuite leurs poursuivants. Tous ceux qui leur courent après le font par culpabilité (le chef Ward, qui apprend que Sam est orphelin), par compassion (le capitaine Sharp qui refuse qu'on maltraite Sam et qui veut protéger Suzy car l'amour qu'il a pour sa mère est sans espoir), ou pour appliquer sans discernement la procédure (l'Action Sociale, prête à tout pour mater ces garnements).

Au déchaînement des éléments répond un affolement du rythme : dans sa dernière partie, Moonrise Kingdom emprunte aussi bien aux cartoons loufoques qu'au film catastrophe et au (micro) drame. Mais Wes Anderson conclut sur une note poignante quand il dévoile le tableau que peint Sam pour (et chez) Suzy et qui représente la crique désormais rayée de la carte de leur escapade romantique : cette image témoigne d'un sentiment évoqué avec une pudeur exemplaire - la nostalgie.