vendredi 11 novembre 2016

SHAME, de Steve R. McQueen (2011)


SHAME est un film réalisé par Steve R. McQueen.
Le scénario est écrit par Steve R. McQueen et Abi Morgan. La photographie est signée Sean Bobbitt. La musique est composée par Harry Escott.

Dans les rôles principaux, on trouve : Michael Fassbender (Brandon Sullivan), Carey Mulligan (Sissy Sullivan), James Badge Dale (David Fisher), Nicole Beharie (Marianne), Lucy Walters (la fille du métro).
 Brandon Sullivan
(Michael Fassbender)

Brandon Sullivan est un séduisant trentenaire qui vit à New York et travaille comme cadre dans une entreprise. Il est également un "sex addict", et pour assouvir son obsession il multiplie les aventures d'une nuit, s'offre les services de prostituées, regarde des vidéos pornos, se masturbe dès qu'il peut - y compris dans les toilettes sur son lieu de travail.
 Brandon Sullivan et Dave Fisher
(Michael Fassbender et James Badge Dale)

Pourtant rien dans le comportement discret et prudent de cet homme ne laisse deviner ses turpitudes, à l'inverse de son ami et supérieur, Dave Fisher, marié et père de famille mais infidèle. Un soir, en rentrant chez lui après être allé boire un verre avec des collègues et fait l'amour à une inconnue, Brandon trouve chez lui sa soeur cadette, Sissy, en plein crise sentimentale, de passage à New York pour chanter quelques soirs dans un restaurant chic. Il assiste à une de ses représentations avec Dave, qui la séduit et finit la nuit avec elle. Cette promiscuité perturbe Brandon qui sort courir pour se défouler.
 Sissy Sullivan
(Carey Mulligan)

Le lendemain, au bureau, Dave apprend à Brandon que son ordinateur est parti à la maintenance et que les techniciens ont trouvé sur son disque dur énormément de fichiers pronos - l'oeuvre d'un pirate informatique selon lui. Attiré par une secrétaire, Marianne, Brandon l'invite à dîner et ils conviennent de se revoir. Cependant Sissy a découvert l'addiction de son frère, ce qui provoque sa colère  : il lui demande d'écourter son séjour puis effectue un grand ménage, jetant aux ordures son ordinateur personnel, ses revues et DVD pornos. La honte le rattrape. 
 Brandon et Marianne
(Michael Fassbender et Nicole Beharie)

Brandon entraîne Marianne dans un hôtel chic mais s'avère incapable de lui faire l'amour. Désorienté, il fait appel à une call-girl. De retour chez lui, il a une nouvelle dispute avec Sissy dont il désapprouve la liaison avec Dave et à qui il enjoint de se discipliner. Il sort prendre l'air, la nuit qui l'attend sera une véritable descente aux enfers - il se fait casser la figure par le client d'un bar dont il a dragué la copine en termes très crus, se fait refouler d'une discothèque, entre dans un club gay où un inconnu lui fait une fellation, rejoint deux amies avec qui il fait l'amour jusqu'à l'épuisement. En rentrant à son appartement, il découvre que Sissy s'est ouvert les veines et appelle les secours.
Brandon

La tentative de suicide de sa soeur bouleverse Brandon qui constate sa déchéance.
 La fille du métro
(Lucy Walters)

Quelque temps après, il prend à nouveau le métro pour se rendre au travail. Tout paraît normal jusqu'à ce que son regard croise celui d'une jolie fille, déjà aperçue dans cette rame, et qui lui sourit de manière suggestive, à la fois tendre et aguicheuse...

Pour son deuxième film (après Hunger en 2008), Steve R. McQueen signe une oeuvre choc sur un sujet qui reste tabou car peu montré dans le cinéma américain, l'obsession sexuelle. L'histoire se concentre surtout sur la relation tendue entre Brandon, un homme séduisant et profitant de son charme pour assouvir ses fantasmes, et sa soeur cadette, Sissy, une paumée sentimentale qui cherche à se rapprocher de lui. Le résultat conserve une part de mystère due au fait que le cinéaste ne dit finalement pas grand-chose, fuit toute explication sur le tourment de son héros : c'est à la fois la qualité et la limite du projet.

Limite parce que montrer un homme dont l'affolante manie n'est ni satisfaite par ses conquêtes ni par l'abondante production pornographique qu'il consomme aboutit à un spectacle déprimant et finalement assez pudibond : le sexe y est présenté comme triste mais aussi pervers, corrupteur, accablant. Alors que Joseph Gordon-Levitt, avec un personnage similaire, choisissait d'en rire mais se prenait aussi les pieds dans son sujet en opposant à son Don Jon une pulpeuse romantique (mémorablement incarnée par Scarlett Johansson), McQueen observe Brandon tel un spécimen, si froidement qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'il le considère d'abord comme un malade. Ce manque d'empathie traduit en fait la pudibonderie américaine qui en prétendant aborder frontalement l'addiction sexuelle échoue à la représenter autrement que comme une farce ou un cas clinique.

Au centre du film, Michael Fassbender, un des comédiens les plus magnétiques en exercice aujourd'hui, à la présence physique intense, campe cet homme en payant de sa personne, de façon audacieuse (rien de son athlétique anatomie ne nous est plus inconnue après quelques minutes). Mais au-delà de ces scènes dévoilant un corps tendu, sec, c'est le bouillonnement intérieur qu'on lit de manière bien plus saisissante dans son regard puis la détresse croissante qui l'envahit - les yeux d'un mâle d'abord puissamment viril puis qui se décompose lorsqu'un autre corps, celui de sa soeur, surgit et dérègle son équilibre fragile. C'est Carey Mulligan qui vient jouer ce grain de sable en lui conférant une vulnérabilité poignante, là aussi très rapidement (le plan-séquence où elle chante, presque a capella "New York, New York", filmée en gros plan, est de ceux qui font basculer le film dans une autre dimension).

McQueen joue (sur-joue même parfois) de ce frein comme pour faire un croche-patte à son héros et précipiter ainsi sa chute vertigineuse (il n'arrive même pas à bander avec la seule femme qu'il semble autant désirer qu'aimer, Marianne, interprétée avec sensibilité et sensualité par Nicole Beharie). Le réalisateur en rajoute un peu trop quand il se croit obligé pour souligner son intention d'entraîner Brandon jusque dans un club gay (forcément filmé comme un cloaque entièrement éclairé par des lumières rouges) puis s'abandonner à une partie de jambes en l'air avec deux filles. 

Pourtant à côté de ces moments lourdement insistants (comme le personnage de Dave, dragueur lourdingue, joué par James Badge Dale), McQueen est autrement plus convaincant et suscite un trouble plus efficace dans les deux scènes du début et de la fin, qui se répondent, donnant à l'histoire la forme d'une boucle, où Brandon retrouve une belle passagère de la rame de métro qui le conduit à son bureau. Sans dire un mot, mais avec un sourire à la fois tendre, puis fébrile, et aguicheur, Lucy Walters a inspiré à bien des spectateurs des émotions mémorables (procédez à une recherche sur Google en associant "Shame Lucy Walters" et vous pourrez vérifier l'effet qu'a produit cette actrice)... 

Non sans défaut (son esthétique glacial, sa structure narrative tenant davantage à une suite de scènes qu'à un ensemble fluide, son moralisme implicite), Shame offre une expérience contrastée. Mais la prestation minérale, habitée, hantée même, de son acteur principal doit assez motiver pour la tenter.

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