FENÊTRE SUR COUR (Rear Window) est un film réalisé par Alfred Hitchcock.
Le scénario est écrit par John Michael Hayes, d'après la nouvelle It had to be murder de Cornell Woolrich (alias William Irish). La photographie est signée Robert Burks. La musique est composée par Franz Waxman.
Dans les rôles principaux, on trouve : James Stewart (L.B. Jeffries), Grace Kelly (Lisa Carol Fremont), Thelma Ritter (Stella), Wendell Corey (Tom Doyle), Raymond Burr (Lars Thorwald).
Blessé lors d'un reportage sur une course automobile, le photographe L.B. Jeffries a la jambe gauche plâtrée et il est cloué dans un fauteuil roulant pour sept semaines. Pour ne rien arranger, la météo est caniculaire et il ne peut quitter son petit appartement du quartier de Greenwich Village à New York où sa gouvernante, Stella, vient lui prodiguer ses soins quotidiennement.
Pour tromper son ennui, il épie donc ses voisins : une femme célibataire et dépressive qu'il surnomme "coeur solitaire", la jolie danseuse Miss Torso, un pianiste mélancolique en panne d'inspiration, une sculptrice, un couple de jeunes mariés, les maîtres d'un jeune chien, et les Thorwald - dont la femme est alitée et en conflit ouvert avec son mari.
L.B. Jeffries et Lisa Carol Fremont
(James Stewart et Grace Kelly)
Jeffries est courtisé par la très belle et élégante Lisa Carol Fremont, dessinatrice de mode issue de la bourgeoisie, dont il tente de tempérer les sentiments car il ne croit guère aux chances de leur couple à cause de leur différence d'âge et de caractère - elle souhaite qu'il abandonne ses reportages dangereux.
Stella, Lisa Carol Fremont et L.B. Jeffries
(Thelma Ritter, Grace Kelly et James Stewart)
La curiosité de Jeffries vis-à-vis de ses voisins dérange d'abord Lisa, en particulier l'attention qu'il porte aux Thorwald, dont le mari est peut-être infidèle et prête à se débarrasser de son épouse. Lorsque celle-ci disparaît subitement, sa conviction est faite : elle a été assassinée !
Lars Thorwald
(Raymond Burr)
Jeffries en parle à son ami, l'inspecteur Tom Doyle, mais en l'absence de preuves concrètes, celui-ci ne peut rien faire - et d'ailleurs il ne croit guère à cette histoire, estimant que le reporter l'a fantasmée pour s'occuper l'esprit.
Lisa Carol Fremont et L.B. Jeffries
Jeffries va pourtant trouver le soutien de Lisa, sans doute d'abord motivée par l'opportunité de lui prouver qu'elle n'est pas la jeune fille timorée qu'il croit, et de Stella, voulant protéger cette dernière. Mais en menant leur enquête, ils prennent des risques de plus en plus grands, à commencer par provoquer celui qu'il soupçonne...
L.B. Jeffries et Lisa Carol Fremont
On n'écrit pas de critique des films d'Alfred Hitchcock en pensant dire quelque chose d'inédit - sauf en étant bien arrogant ou saisi par une illumination qui aurait échappé aux analystes depuis 62 ans. Il faut donc rester modeste et préférer exprimer son admiration pour ce qui est sans doute l'oeuvre la plus accomplie du cinéaste.
Adapté d'une nouvelle de Cornell Woolrich (alias William Irish), très enrichie par le scénariste John Michael Hayes qui s'est appuyé sur les suggestions d'Hitchcock en ajoutant surtout un dimension romantique et la description de la vie des voisins de L.B. Jeffries, Fenêtre sur cour a d'abord été conçu par le réalisateur comme la réponse à un vieux défi inassouvi - mettre en scène une histoire dans un espace clos. Effacer l'échec commercial de La corde (1948), dont l'action ne quittait pas un appartement, était une autre motivation.
A partir de cette contrainte, Hitchcock a élaboré un objet cinématographique aussi efficace que sophistiqué en disposant de moyens techniques importants et d'un script fonctionnant sur plusieurs niveaux de lecture. C'est d'abord un suspense captivant (à partir du moment où le suspect du meurtre commet son premier geste compromettant alors que le héros est endormi - le spectateur a alors un temps d'avance et se demande si, et à quand, le personnage principal rattrapera son retard) sur le voyeurisme et la culpabilité (celle qu'éprouve le héros à épier ses voisins, celle aussi du suspect). C'est aussi une analyse malicieuse sur l'art même du cinéma (L.B. Jeffries est le premier spectateur de l'histoire, il en devient le scénariste en cherchant à confondre un meurtrier, il en sera le réalisateur en résolvant l'affaire envers et contre tout).
Comme l'a expliqué le cinéaste John Bogdanovich (qui s'est entretenu avec Hitchcock), le récit se déploie sur trois temps : le spectateur observe d'abord James Stewart (magistral dans son emploi de "monsieur tout-le-monde" dont l'intuition sera bonne, mais aussi fabuleux en baroudeur bougon qui conçoit l'engagement amoureux comme une privation de ses libertés), puis James Stewart observe ses voisins, et enfin nous observons les réactions de James Stewart. On constate donc à quel point le regard et surtout la narration visuelle dominent cette histoire. Par ce procédé, nous avons accès à une multitude d'émotions partagées avec le héros frustré à cause de son immobilité forcée : comme lui, nous souhaitons que quelque chose se passe - même s'il s'agit de quelque chose de dangereux - , puis nous nous mettons à imaginer des horreurs, nous voulons en avoir le coeur net, nous incitons Grace Kelly (d'une beauté et d'une classe surnaturelles - Curtis Hanson, autre cinéaste admirateur de "Hitch" dit, avec raison, que le premier -gros - plan où elle apparaît est "le plus beau plan jamais tournée sur une femme dans l'Histoire du cinéma". On peut ajouter toute la scène suivante où elle allume trois lampes en s'identifiant "Lisa... Carol... Fremont" avant de nous être montrée en pied dans une toilette magnifique dessinée par la costumière Edith Head) à prendre des risques terribles pour confondre le meurtrier... Hitchcock fait du spectateur son complice, sa victime, sa chose.
Il s'amuse aussi avec l'image (les images) du couple et de l'amour : la célibataire "coeur solitaire" et le pianiste en panne d'inspiration (interprété par Ross Bagdasarian, un authentique musicien) ne sont-ils pas destinés à s'unir ? La jolie danseuse Miss Torso cherche-t-elle un riche prétendant ou attend-elle le retour de son fiancé ? Les jeunes mariés qui emménagent à côté de chez Jeffries ne découvrent-ils pas trop vite les affres de la vie à deux ? Les maîtres du chiot ne le chérissent-ils pas comme l'enfant qu'ils n'ont pas ? Et les Thorwald ne sont-ils pas de parfaites muses pour un journaliste en manque de frissons ? (Bogdanovich va jusqu'à penser qu'on peut plaindre Lars quand son plan est ruiné par Jeffries, mais c'est faire preuve d'un peu trop de compassion quand même : la curiosité de L.B. est quand même moins condamnable que l'assassinat commis par son voisin.)
En comparaison avec cette galerie de couples, on peut en revanche s'amuser de la situation de celui formé par Lisa Carol Fremont, idéal absolu de la femme, aussi séduisante que serviable (au point de faire servir un dîner d'un restaurant très chic à celui qu'elle convoite), et L.B. Jeffries, vieux garçon dont la réticence à s'engager dissimule surtout son immaturité.
Mais le désir et l'amour du héros se révèlent lorsque son amante se met en grand danger pour lui : on seulement elle lui prouve qu'elle peut accomplir ce que son état physique à lui ne lui permet pas, mais elle lui démontre son courage, le suit dans son obsession. Il faut noter le regard brillant de la jeune femme, émoustillée après avoir visité l'appartement des Thorwald, auquel répond celui, conquis, excité, de Jeffries. Cela pose plusieurs questions (auxquelles Hitchcock laisse le spectateur répondre) : à quel point Jeffries incite-t-il Lisa, la met-il au défi, à l'épreuve ? A quel point prend-elle de tels risques pour lui et/ou pour elle, et agit-elle ainsi en témoignant d'une capacité insoupçonnée à vivre dangereusement - se traduisant à la fin jusque dans son apparence, troquant ses talons hauts et ses robes haute couture pour un jean et des souliers ? En tout cas, c'est quand Lisa frôle la mort que Jeffries admet ses sentiments pour elle et comprend la folie dans laquelle il l'a entraînée. Seul "Hitch" pouvait traiter d'un couple, de sa naissance et sa confirmation, en s'en amusant aussi perversement mais jubilatoire pour le public.
Il faut enfin souligner l'originalité de la bande-son où les seules musiques qu'on entend proviennent des appartements de l'immeuble, à l'exception du générique (une partition jazz, réarrangée par Franz Waxman d'après un thème qu'il avait composé pour Une place au soleil de George Stevens deux ans auparavant). Et être attentif à la subtilité de l'éclairage de Robert Burks, indiquant le déroulement des journées et des soirées (produit par des projecteurs placés en hauteur, qui faisaient régner une chaleur réellement caniculaire sur la plateau !).
Rear Window exprime à la perfection les lubies du cinéaste anglais disposant alors de tous les moyens d'un grand studio comme Universal au service du concept même d'un film sur le cinéma, sa magie, avec un héros et un spectateur rattrapés par la fiction qu'ils ont désirée. Ce sera le sommet d'une décennie exceptionnelle dans l'oeuvre d'Hitchock, après Le crime était presque parfait (1954) et avant La main au collet (1955), Mais qui a tué Harry ? (1955), L'homme qui en savait trop (1956), Le faux coupable (1957), Sueurs froides (1958) et La mort aux trousses (1959).
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