jeudi 10 novembre 2016

CINQ PIECES FACILES, de Bob Rafelson (1970)


CINQ PIECES FACILES (Five Easy Pieces) est un film réalisé par Bob Rafelson.
Le scénario est écrit par Bob Rafelson, Adrien Joyce et Carole Eastman, d'après une idée de Rafelson et Eastman. La photographie est signée Laszlo Kovacs. La musique est composée de pièces écrites par Wolfgang Amadeus Mozart, Frédéric Chopin, Jean-Sébastien Bach, et de chansons country.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jack Nicholson (Bobby Dupea), Karen Black (Rayette Dipesto), Susan Anspach (Catherine Van Oost), Billy Green Bush (Elton), Lois Smith (Partita Dupea), Ralph Waite (Carl Dupea), William Challee (Nicholas Dupea).
 Rayette Dipesto et Bobby Dupea
(Karen Black et Jack Nicholson)

Bobby Dupea travaille comme foreur pétrolier sur la Côte Ouest des Etats-Unis quand il apprend que son père est mourant. Il vit avec une serveuse, Rayette Dipesto, qu'il trompe avec d'autres filles de passage, rencontrées avec son ami et collègue Elton.
 Bobby Dupea

Dans sa jeunesse, Bobby a été un pianiste prodige mais le cache désormais à ses proches. Quand Rayette lui annonce qu'elle est enceinte et après qu'Elton ait été arrêté par la police pour un délit commis un an plus tôt, Bobby plaque son job et décide de gagner Washington à la demande de sa soeur, Partita, également musicienne, afin de se réconcilier avec son père.
 Bobby et Rayette

A contrecoeur, Bobby emmène Rayette avec lui. En route, ils prennent deux auto-stoppeuses qui vont en Alaska où, disent-elles, tout est encore pur et propre. Mais après une halte dans un restaurant où Bobby s'est disputé avec une serveuse récalcitrante, il continue le voyage sans les deux filles. 
 Halte mouvementée dans un diner

Une fois arrivés à destination, Bobby laisse Rayette dans un motel et rejoint l'île de Puget Sound où se trouve la maison de sa famille. Il découvre que son frère Carl y vit avec sa compagne, Catherine Van Oost, et leur soeur, Partita. Son père est effectivement très diminué physiquement après deux attaques cardiaques qui l'ont rendu muet. Malgré leurs caractères différents, Bobby et Catherine deviennent brièvement amants. 
Bobby et son père, Nicholas
(Jack Nicholson et William Challee)

L'arrivée imprévue de Rayette irrite Bobby qui s'en prend alors aux amis prétentieux de Carl et tente de convaincre Catherine de partir avec lui - mais elle s'y refuse car elle estime qu'il n'aime rien ni personne, à commencer par lui-même. Bobby s'isole avec son père à qui il présente ses excuses sans savoir si elles seront entendues. Puis il repart avec Rayette, qu'il abandonnera avec sa voiture dans une station-service pour se diriger vers le Nord grâce à un chauffeur-routier qui accepte de le véhiculer.

Le titre, énigmatique, de ce film-culte renvoie aux exercices de piano qu'étudiait Bobby Dupea dans sa jeunesse et cette histoire traite de la distance entre l'enfant, qui s'entraînait pour devenir un musicien accompli et satisfaire son père, et l'adulte qu'il est devenu vingt ans plus tard, essayant de changer de vie et d'oublier ce passé.

Mais le drame de Bobby est qu'il n'a fait que fuir et c'est quand il retourne dans la maison familiale que son enfance le rattrape et que les tourments qui l'assaillent depuis toujours le submergent : adulte, il regrette de s'être brouillé avec son père, très malade désormais, et se rend compte qu'il est trop tard pour s'excuser mais aussi qu'en renonçant à son art, qu'il disait pratiquer sans plaisir, il n'est pas plus heureux.

L'errance du personnage le mène dans des lieux propice à l'oubli, aux distractions faciles : le bowling, les bars, les motels. De la même manière son travail de foreur est une autre manière de tourner le dos à ce qu'il a été. Cette dualité est magnifiquement illustrée lors d'une scène où, en route pour son boulot avec son ami Elton, Bobby est pris dans un bouchon : il grimpe alors sur un camion de déménagement et se met à jouer sur un piano transporté avec d'autres meubles au milieu d'un concert de klaxons. C'est un moment filmé avec simplicité et naturel, fantaisiste mais sans sans excès.

Le scénario, qui capte merveilleusement les états d'âme du protagoniste et la condition de la calsse ouvrière, est d'abord l'oeuvre de Carole Eastman, une amie de Jack Nicholson, qui était également proche du réalisateur Bob Rafelson (avec qui il avait tourné pour la télé) : l'acteur a dû jouer les modérateurs entre l'auteur et le cinéaste qui ne s'entendaient pas, ce dernier préférant la spontanéité et favorisant l'improvisation mais surtout se projetant dans l'histoire de Bobby Dupea.

Comme son héros en effet, Rafelson a grandi dans une famille bourgeoise et a fugué à l'âge de quinze ans, enchaînant les petits métiers (marin sur un cargo, jazzman, DJ...) avant de passer derrière la caméra. Comme Bobby, il a coupé les ponts avec ses aïeux car il ne partageait plus leurs valeurs tout comme il se révoltait contre le conservatisme de l'Amérique des années 60. Son héros est tout aussi incapable de composer avec ses origines que de s'adapter au prolétariat dont il a une vision fantasmée et romantique : tout, partout, lui semble vide, sans âme, et le dernier geste de Bobby confirme en fait son statut d'éternel insatisfait, de vagabond sans but. Comme lui, Rafelson mènera sa carrière en marge du système, refusant tout compromis.

Le regard que porte le film sur les personnages et leur situation est critique mais bienveillant - seuls les hippies et les snobs sont vraiment épinglés. Pas de jugement à l'emporte-pièce, pas de parti-pris simpliste, mais beaucoup de sensibilité dans cette auscultation sur l'écart entre bourgeois et prolétaires, et le constat que l'idée d'un peuple (comme d'une famille) uni(e) est illusoire.

Dominant la distribution, Jack Nicholson, qui avait été remarqué l'année précédente dans un second rôle mémorable dans Easy Rider (Dennis Hopper), est formidable, à la fois poignant et cynique, mélancolique et ombrageux, doux et dur. A l'image du film lui-même, triste mais délicat, dépressif mais tendre, d'une sobriété exemplaire. 

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