CE PLAISIR QU'ON DIT CHARNEL (Carnal Knowledge) est un film réalisé par Mike Nichols.
Le scénario est écrit par Jules Feiffer. La photographie est signée Guiseppe Rotunno.
Dans les rôles principaux, on trouve : Jack Nicholson (Jonathan), Arthur Garfunkel (Sandy), Candice Bergen (Susan), Ann-Margret (Bobbie), Cynthia O'Neal (Cindy), Carol Kane (Jennifer), Rita Morena (Louise).
Jonathan et Sandy dans les années 50.(Jack Nicholson et Arthur Garfunkel)
Années 1950. Jonathan et Sandy sont deux étudiants inséparables qui débattent sans fin de leur sujet favori : les femmes. Jonathan est un jouisseur pour qui le physique prime, Sandy est un sensible moins sûr de lui. Mais ils se confient sur les filles qui les font fantasmer et comparent leur "tableau de chasse".
Susan et Sandy(Candice Bergen et Arthur Garfunkel)
Lors d'une soirée, Sandy aborde la belle Susan et lui fait une cour assidue. Elle est encore vierge et aspire à une relation sérieuse, se destinant à devenir avocate. Jonathan la drague à son tour, les jours suivants, sans rien dire à Sandy et finit par coucher avec elle. Susan se donne ensuite à Sandy mais Jonathan lui avoue alors qu'il l'aime et lui demande de choisir avec qui elle veut rester, menaçant même de tout dire à Sandy. Il n'en fera rien, préférant rompre avec elle.
Sandy et Jonathan dans les années 60.
Années 1960. Jonathan est devenu expert-comptable, Sandy médecin. Ce dernier a épousé Susan avec laquelle il vit une relation routinière mais stable tandis que son ami se satisfait de son existence de célibataire et d'aventures sans lendemain. Jusqu'à ce qu'il rencontre la superbe Bobbie, une mannequin un peu plus âgée que lui.
Bobbie et Jonathan(Ann-Margret et Jack Nicholson)
D'abord comblée sexuellement, Bobbie tombe amoureuse de Jonathan et lui demande de l'épouser et d'être la mère de leurs enfants. Il veut y réfléchir, mais gagne du temps en vérité car cette perspective lui déplaît.
Cindy et Jonathan(Cynthia O'Neal et Jack Nicholson)
Pour forcer Bobbie à le quitter, Jonathan se montre alors odieux avec elle. En faisant connaissance avec Cindy, la maîtresse de Sandy, il va jusqu'à proposer à son ami de consoler Bobbie pour qu'il couche avec son amante. Mais son plan échoue quand Bobbie fait une tentative de suicide.
Sandy
Années 1970. Sandy a divorcé de Susan et vit désormais avec une fille beaucoup plus jeune que lui, Jennifer, avec laquelle il assiste à une projection de diapositives par Jonathan de toutes les filles avec qui ce dernier est sorti depuis vingt ans. Désormais également divorcé d'avec Bobbie, avec qui il a eu une fille, Wendy, il est devenu un homme aigri.
Jonathan
Jonathan juge avec mépris la relation de Sandy et a perdu toutes ses illusions concernant l'amour. Il se réfugie chez la seule femme aussi désabusée que lui, Louise, qui l'apprécie pour sa virilité, sans rien réclamer en retour.
Âgé de 79 ans, Jack Nicholson n'est plus apparu au cinéma depuis 2010 (Comment savoir, de James L. Brooks). Qu'est devenu cet acteur génial ? A-t-il pris sa retraite, et si oui, pourquoi ? On serait tenté de penser, pour paraphraser Norma Desmond dans Boulevard du crépuscule que, peut-être, le cinéma est devenu trop petit pour ce géant. Et c'est bien dommage.
Alors, replongeons-nous dans ses films : il en tourné un paquet, et dans le lot, beaucoup de fameux. Nicholson, comme de Charles Bronson (dans un autre registre), est un monstre sacré qui, à un moment, ayant trouvé le rôle qui a fait basculer sa carrière, s'est vu réduire à un emploi : celui du fou, immortalisé par Kubrick dans Shining (1979). Par la suite, souvent, les metteurs en scène lui ont demandé de reproduire ce numéro, comme incapables de capter les nuances de son jeu au-delà de ses célèbres sourcils en forme d'accents circonflexes et de ce sourire carnassier. Le triomphe du premier Batman de Tim Burton (1989) a achevé de figer Nicholson dans ce rôle.
Pourtant, avant Burton, avant Kubrick, Jack Nicholson aura marqué la fin des années 60 et les années 70-80 dans des compositions magistrales et des longs métrages exceptionnels, passant même à deux reprises derrière la caméra, et gagnant trois Oscar - deux fois pour le premier rôle, dans Vol au-dessus d'un nid de coucou, en 1976, et Pour le pire et le meilleur, en 1997 ; une fois pour le second rôle, dans Tendres passions, en 1984 - au milieu d'un flopée d'autres récompenses. Il a été dirigé par les plus grands et permis, par sa seule présence, à des films d'accéder au statut de classiques. C'est le cas, entre autres, de Ce Plaisir qu'on dit charnel, de Mike Nichols, en 1971.
Mine de rien, Carnal Knowledge a aujourd'hui une valeur presque documentaire tant il reflète le discours en pleine mutation du cinéma sur la sexualité des années 1950 à 70 : à sa sortie, il provoqua un scandale à cause du vocabulaire très cru qu'employaient les protagonistes pour évoquer les femmes, leurs relations intimes avec elles. Les protagonistes sont deux amis étudiants qui passent en effet leur temps à débattre sur le beau sexe, et avant même d'apparaître à l'image, on entend leurs discussions sur ce sujet durant le générique.
La femme apparaît comme un objet de fantasmes infinis, et prolonge ce que Nichols abordait dans Le Lauréat (1967) : le cinéaste trouve le ton juste sur les dialogues écrits par l'auteur de comics Jules Feiffer et dits par Arthur Garfunkel (le chanteur acolyte de Paul Simon, excellent dans son rôle le plus célèbre) et Jack Nicholson (extraordinaire, dominant complètement le film).
Découpé en trois actes bien nets, le film commence d'abord comme une sorte de comédie grinçante où les deux jeunes hommes se disputent les faveurs de la belle Susan (incarnée par la superbe Candice Bergen, parfaite en fausse oie blanche), qui a tout, selon eux, de la femme idéale : "intelligente, douce, grande, avec des gros nichons, souriante aussi, mais surtout avec des gros nichons". Celle-ci conserve son mystère intact car ses sentiments ne sont jamais directement formulés, et à ce jeu de l'amour et du hasard revisité, on devine déjà qu'il n'y aura pas de vainqueur. Très efficace et troublant à la fois.
La deuxième partie confirme que le personnage de Jonathan est le plus charismatique : tandis que Sandy a finalement épousé Susan et mène une existence bourgeoise et rangée, voire morne, avec elle, son ami continue de collectionner les aventures d'un soir jusqu'à sa rencontre avec une magnifique mannequin, un peu plus âgée que lui. Ann-Margret lui prête son physique voluptueux mais pas seulement : nommé à l'Oscar du meilleur second rôle, elle livre une interprétation formidable, passant de la bombe sexuelle à la femme déchue, humiliée, de manière poignante et subtile. La désagrégation lente mais inéluctable de son couple avec Nicholson, les reproches odieux qu'il lui adresse (alors qu'il est le seul responsable du gâchis), donnent lieu à des moments terribles mais admirablement nuancés.
Enfin, le dernier segment donne lieu à un bilan encore plus noir : une scène hallucinante montre Jonathan projeter les diapos de toutes les filles avec lesquelles il a eu une relation (du flirt passager à la liaison suivie) à Sandy et la nouvelle petite amie de celui-ci (une jeune fille, muette devant ce spectacle pathétique). L'aigreur exprimée par le personnage de Nicholson à l'encontre des femmes, du couple formé par son ami (à qui il déclare qu'il n'a jamais autre chose qu'"une couille molle"), remplace toutes les scènes de la vie conjugale : le réalisateur, depuis le début, ne les filme pas, pas plus qu'il ne s'encombre de figurants, de seconds rôles (hormis Cindy, mais Cynthia O'Neal, son interprète, ne fait que passer). Tout est conçu de manière à isoler les deux héros, d'abord pour nous les rendre le plus proche possible puis pour souligner leur solitude, leur échec, leur déclin.
En se/nous privant de tous ces à-côtés, Nichols réussit paradoxalement à suggérer très efficacement tout ce qui se déroule hors champ - l'usure, la routine, la jouissance, la frustration, etc. Cette mise à l'écart culmine avec une scène de l'acte II : une dispute éclate entre Nicholson et Ann-Margret au cours de laquelle il laisse exploser sa colère, l'insulte de manière virulente, la réduisant à une paire de "gros nichons" (ce qu'il convoitait pourtant par-dessus tout plus jeune) qui passe son temps à dormir. La caméra cadre l'actrice en plan serré, juste au-dessus de la poitrine, suffisamment près à la fois pour rappeler ce corps de rêve mais aussi pour remarquer sa respiration de plus en plus haletante pendant qu'elle encaisse les mots effroyables de son amant. Le visage de la jeune femme blêmit, se décompose littéralement, ses yeux s'embuent, tandis que son partenaire va-et-vient dans la chambre en hurlant de plus en plus fort ses récriminations. La violence de cette scène est pétrifiante, le jeu des acteurs insensé, la mise en scène acérée.
A la fin du film, une gueule de bois sévère attend le personnage de Nicholson et achève le spectateur : Jonathan en est réduit à fréquenter une femme (jouée par Rita Moreno), aussi désabusée et cynique que lui, et qu'il paie pour des faveurs sexuelles, dans un simulacre de pari. Sandy, auparavant, émettait l'hypothèse qu'il n'y avait peut-être pas de plaisir à attendre d'une femme qu'on aime, alors Jonathan en rétribue une pour qu'elle vante sa virilité, sa "puissance", pour être encore excité et rassuré.
Entre les fanfaronnades des deux jeunes étudiants et la déchéance des deux amis quadragénaires, les masques sont tombés. Et Mike Nichols a fixé sur la pellicule cette défaite totale sans concessions. Le constat est glaçant, le film très fort, et Jack Nicholson impérial.
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