mercredi 7 septembre 2016

MATCH POINT, de Woody Allen (2005)


MATCH POINT est le 36ème film écrit et réalisé par Woody Allen.
La photographie est signée Remi Adefarasin.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jonathan Rhys-Meyer (Chris Wilton), Scarlett Johansson (Nola Rice), Emily Mortimer (Chloe Hewett), Matthew Goode (Tom Hewett), Brian Cox (Alec Hewett), Penelope Wilton (Eleanor Hewett).
Chris Wilton et Tom Hewett
(Jonathan Rhys Meyer et Matthew Goode)

Après une brève carrière sur les courts, Chris Wilton s'est reconverti comme professeur de tennis dans un club huppé de Londres. De condition modeste, il a pour élève le riche Tom Hewett. Leur passion commune pour l'opéra scelle leur amitié et Chris fait la connaissance de la famille Hewett, séduisant la soeur de Tom, Chloe.
Chris Wilton et Nola Rice
(Jonathan Rhys Meyer et Scarlett Johansson)

Il rencontre aussi à cette occasion Nola Rice, la fiancée de Tom, originaire des Etats-Unis, et cherchant à percer, sans succès jusqu'à présent, comme ne manque jamais de le lui rappeler sa belle-mère, comme actrice.

Chris Wilton et Chloe Hewett
(Jonathan Rhys Meyer et Emily Mortimer)

Pistonné par Chloe, Chris est embauché dans la société de Alec, le père de la jeune femme, qui lui promet une belle carrière. Mais le jeune homme est attiré par Nola et ils deviennent amants après une nouvelle dispute entre elle et sa belle-mère.
Tom Hewett et Nola Rice

Chris épouse Chloe qui est pressée d'avoir un enfant. Puis il croise un de ses anciens amis tennisman à qui il se confie : bien que vivant une liaison passionnée avec Nola, il ne souhaite pas perdre Chloe et surtout le confort matériel qu'il a conquis grâce à elle. Peu après, Tom annonce à Chris qu'il a rompu avec Nola pour épouser Heather, enceinte de ses oeuvres.
Chris retrouve, en rejoignant Chloe dans un musée, Nola, de retour des Etats-Unis où elle a fait le point sur sa situation personnelle et professionnelle. Elle consent à lui donner son numéro de téléphone et, quelques jours après, ils reprennent leur relation clandestine.
Nola et Chris

Alors que Chris esquive Chloe, impatiente d'être enceinte, Nola lui apprend qu'elle est enceinte et menace de tout dire aux Hewett s'il ne divorce pas pour vivre avec elle et assumer sa paternité car elle refuse d'avorter ou qu'il se contente de l'aider financièrement pour élever leur enfant.
Alec Hewett et Chris Wilton
(Brian Cox et Jonathan Rhys Meyer)

Acculé, Chris dérobe un fusil de chasse à son beau-père lors d'un week-end dans leur maison de campagne, s'introduit par la ruse dans l'appartement de la voisine de Nola et l'abat, le met à sac pour faire croire à un cambriolage en s'emparant de bijoux et de médicaments, attend Nola et la tue. Il quitte l'immeuble sans avoir été vu : un crime parfait. Puis il se débarrasse de ce qu'il a volé en le jetant dans la Tamise - seule une bague ne tombe pas à l'eau sans qu'il s'en rende compte.

De retour à la maison de campagne des Hewett, après avoir remis le fusil à sa place, Chris est aux côtés de Chloe quand elle annonce à ses parents et son frère qu'elle est enfin enceinte.  
La mort de Nola et de sa voisine est publiée dans le journal, puis la police convoque discrètement Chris pour l'interroger sur sa liaison avec la jeune femme qui tenait, sans qu'il le sache, un journal intime. Il avoue cette relation mais nie être impliqué dans le meurtre, assurant que Nola fantasmait quand elle écrivait qu'il se préparait à divorcer pour l'épouser.
Un des inspecteurs est convaincu que Chris est coupable mais la découverte sur le cadavre d'un toxicomane de la bague de la voisine de Nola convainc la police qu'elle a trouvé l'assassin. Même s'il n'est plus inquiété par la justice, et promis à un bel avenir parmi les Hewett, Chris restera tourmenté par sa conscience sous la forme de l'apparition des fantômes de ses victimes et la conviction qu'il a eu de la chance de s'en tirer ainsi.  

Au mi-temps de sa cinquième décennie comme cinéaste, Woody Allen est dans une situation délicate car il ne trouve plus de financement pour ses nouveaux projets : si ses films continuent de connaître de beaux succès à l'étranger, et en France en particulier, ils ne font plus recette depuis longtemps en Amérique, même si le cinéaste attire toujours des acteurs prestigieux. Même la critique doute de ses capacités après une succession d'opus sans relief (ses derniers efforts louables ont été Tout le monde dit I love you en 1996 et Accords et désaccords en 1999). Seuls les fans les plus fidèles (comme moi) suivent encore ses productions qui sortent avec une régularité métronomique chaque Automne, mais plus par habitude que par réelle conviction...

Lorsqu'un grand cinéaste s'exile pour trouver ailleurs de quoi payer ses films, c'est rarement bon signe : Hollywood est plein d'auteurs de renom qui ont terminé leur carrière dans des films produits par des mécènes exotiques mais avec des résultats improbables. Aussi l'annonce du tournage de son 36ème long métrage à Londres étonna-t-il tout le monde en 2005 - soumis à condition, faut-il le préciser, et parsemé d'obstacles encore (ainsi Kate Winslet se retira du projet une semaine avant la première prise de vue).

Mais à l'image de sa scène d'ouverture, qui voit une balle de tennis rebondir sur l'arête d'un filet et se figer, la chance a souri à Woody Allen comme à son pathétique héros : ce fut non pas le début de la fin mais une renaissance que ce "Point du Match" représenta.  

En s'éloignant de New York, sa seule et véritable muse, plus que n'importe quelle actrice (Diane Keaton, Mia Farrow), c'est comme si le cinéaste avait trouvé une nouveau souffle, déjà pressenti en 1996 quand il se déplaça à Venise et Paris pour Everybody says I love you. Ce déplacement géographique se prolonge d'un changement d'inspiration puisque Match Point n'est pas une comédie, ni un drame inspiré par Bergman (comme jadis Intérieurs, 1978 ; September, 1987 ; ou Une autre femme, 1988) : c'est carrément une tragédie aux airs de film noir !

Avec l'application dont il a su faire preuve pour ses meilleurs scénarios, l'auteur a conçu une intrigue très dense, implacable, aux personnages intemporels et pourtant actuels, abondant en références littéraires (Crimes et châtiments de Dostoïevski), mise en scène avec une précision clinique (il filme Londres et sa campagne environnante avec la même adresse que New York). 

Mais ce qui frappe plus encore, c'est le choix du héros : un arriviste fini qui va tout faire pour s'élever socialement et protéger ses acquis dans la haute société londonienne en faisant preuve d'un cynisme, d'une hypocrisie et d'une perversité sans limites. Ecartant toute ironie, toute drôlerie, Woody Allen s'est mué en un observateur minutieux et impitoyable dans un récit plus long qu'à l'accoutumée (120') mais parfaitement maîtrisé. Un tour de force. 

Match Point peut compter sur une distribution exceptionnelle qui a incontestablement vivifié le cinéma de son auteur et lui a inspiré des audaces inattendues. Jonathan Rhys Meyer prête son physique avantageux et son regard fiévreux, qui font tant penser à ceux de Terence Stamp, à ce Chris Wilton sans scrupules, issu d'un milieu modeste et saisissant avec avidité mais subtilité la chance qui s'offre à lui. Ces opportunités sont d'abord professionnelle - ex-joueur médiocre, il abandonne un poste de prof de tennis pour devenir employé puis cadre dans la société de son beau-père (incarné par le grand Brian Cox - , sociale - il noue un mariage avantageux avec une jeune femme aussi conventionnelle que terne (campée par Emily Mortimer, excellente en pauvre gourde) - , et sexuelle - il entame une liaison avec l'ex-girlfriend de son désormais beau-frère (Matthew Goode, excellent en fils à papa tête à claques). 

Cette maîtresse est jouée par Scarlett Johansson. Si j'ai souvent douté de ses prestations précédentes et suivantes, il faut dire qu'elle n'a jamais été aussi bien filmée et dirigée que par Woody Allen, dont on connaît le faible pour les jolies jeunes femmes, mais qui semble avoir été réellement subjugué par la révélation de Lost in translation. Dès sa première scène, le spectateur partage le trouble du cinéaste : la voix grave, aguicheuse, la manière dont elle allume sa cigarette, sa robe blanche (une référence évidente à Lana Turner dans Le facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett, 1946), c'est spectaculaire. Son rôle est à la fois secondaire et central, elle est celle par qui tout bascule, et même quand elle n'est plus dans le cadre (du récit, de l'image), elle hante encore le film. La force de ce personnage tient à sa progression tout en finesse de la femme fatale, d'objet du désir, à celui de victime - une révolution supplémentaire chez Allen, qui a toujours veillé à donner à ses actrices des rôles de femmes égales et même souvent supérieures aux hommes. Mais Nola est un obstacle pour Chris et elle sera sacrifiée par son amant comme elle a été écartée auparavant par son fiancé mufle, sa belle-famille méprisante. Le destin de cette jeune femme fait écho avec une noirceur glaçante à l'arrivisme du héros mais aussi au refus d'une élite sociale d'intégrer un corps étranger, jugé indigne de son rang.

L'acuité, l'intensité, de ce film impressionne de la part d'un cinéaste qui, à 70 ans, passait pour fini, en panne d'inspiration, à bout de souffle. Il n'a pas seulement médusé les sceptiques, il a prouvé qu'il abordait une nouvelle période, sa plus passionnante depuis les années 80, sa plus riche depuis les 70's, comme s'il rajeunissait au contact de nouveaux interprètes plus "frais" (Scarlett Johansson à deux autres reprises, Ewan McGregor, Colin Farrell, Haley Atwell, Owen Wilson, Marion Cotillard, Evan Rachel Wood, Emma Stone, Jesse Eisenberg, Kristen Stewart).

Jeu, set et match pour Woody !

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