mercredi 28 septembre 2016

BIG EYES, de Tim Burton (2014)


BIG EYES est un film réalisé par Tim Burton.
Le scénario est écrit par Scott Alexander et Larry Karaszewski, d'après la vie de Margaret Ulbrich et Walter Keane. La photo est signée Bruno Delbonnel. La musique est composée par Danny Elfman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Amy Adams (Margaret Ulbrich), Christoph Waltz (Walter Keane), Delaney Raye et Madeleine Arthur (Jane Ulbrich enfant et adolescente), Krysten Ritter (DeeAnn), Danny Huston (Dick Nolan), Jon Polito (Banducci), Jason Schwartzmann (Ruben), Terence Stamp (John Canaday).
 Margaret Ulbrich et Walter Keane
(Amy Adams et Christoph Waltz)

1958. Margaret Ulbrich quitte son mari, Frank, avec leur fille, Jane, et la Caroline du Nord pour se rendre à San Francisco où l'attend sa meilleure amie, DeeAnn. Elle trouve un travail dans un magasin de meubles et expose ses tableaux dans un jardin public sur son temps libre. C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Walter Keane, ancien étudiant aux Beaux-Arts de Paris, désormais agent immobilier, divorcé, et intrigué par ses peintures représentant des enfants abandonnés aux grands yeux.
Lorsque Frank réclame la garde exclusive de Jane, Walter demande Margaret en mariage pour la protéger. Ils célèbrent leurs noces à Hawaï où elle tire le portrait à de riches clientes de l'hôtel où ils séjournent en signant désormais "Keane".
Ruben
(Jason Schwartzmann)

De retour à San Francisco, Margaret annonce son changement de situation à DeeAnn tandis que Walter essaie, sans succès, de placer ses peintures et celles de son épouse dans la galerie de Ruben. Amer, il réussit quand même à convaincre Banducci, patron d'un club de jazz, d'accrocher leurs toiles aux murs de son établissement. 
Walter Keane et Dick Nolan
(Christoph Waltz et Danny Huston)

Quand Dino Olivetti (le propriétaire de la marque de machines à écrire) achète un tableau de Margaret, Dick Nolan, journaliste à "The Examiner", aborde Walter qui s'attribue la paternité de l'oeuvre. Le succès s'étend, des célébrités acquièrent de nouvelles peintures : l'Ambassadeur de l'URSS, Joan Crawford, Natalie Wood... Grâce à l'argent gagné, Walter peut ouvrir sa propre galerie, juste en face de celle de Ruben.
Seule Jane désapprouve de voir sa mère ainsi dépossédée. Mais même le prêtre auquel elle se confesse lui dit de soutenir les efforts de son mari pour assurer la subsistance de leur foyer.
Margaret, DeeAnn et Walter
(Amy Adams, Krysten Ritter et Christoph Waltz)

1960 : John Canaday, célèbre critique du "New York Times", écrit une article virulent contre les tableaux de "Keane", pointant leur laideur esthétique et leur pauvreté technique. Pour se défendre, Walter réussit à passer à la télé où il raconte avoir voulu témoigner de la vision traumatisante des enfants perdus durant la seconde guerre mondiale (alors que Margaret lui avait expliqué peindre de grands yeux parce que, durant son enfance, elle avait subi une opération l'ayant rendu temporairement sourde et l'obligeant à davantage regarder le monde). 
Mais son baratin émeut le public qui s'arrache désormais les produits dérivés (posters, cartes postales) de l'oeuvre de Margaret. Elle souffre d'être ainsi exploitée, déconsidérée artistiquement, et a des hallucinations ponctuelles. Pour se ressaisir, elle tente de changer de style en réalisant des autoportraits mais dans l'indifférence des visiteurs de la galerie Keane.
Walter et Margaret

DeeAnn remarque la détresse de son amie et se dispute violemment avec Walter. Margaret découvre ensuite dans une caisse des toiles de son mari signés par un certain Cenic : elle le confond en face à face et apprend qu'il n'a même jamais été à Paris ni suivi des cours aux Beaux-Arts.
1964 : Walter veut exposer à la Foire internationale de New York dans le pavillon de l'Education au profit de l'UNICEF. Margaret peint une fresque pour l'occasion mais John Canaday, en l'apprenant, obtient que l'oeuvre soit décrochée. Walter se moque que ce soit le travail de sa femme qui soit ainsi attaqué, il s'estime personnellement insulté et s'en prend successivement à Canaday puis à Margaret et Jane. 
John Canaday et Walter Kean
(Terence Stamp et Christoph Waltz)

1965 : La mère et la fille s'enfuient à Hawaï. Walter n'accepte de divorcer que si Margaret lui cède l'intégralité des droits des tableaux des "enfants aux grands yeux" et lui en livre une centaine d'inédits. Elle les lui envoie mais signé de ses initales (MDH comme Margaret Doris Hawkins) puis révèle à la radio l'imposture de Walter. L'éditeur de Keane, éclaboussé par ce scandale, le lâche. 
Walter et Margaret

Décidant de se défendre seul, Walter perd le procès qui l'oppose ensuite à Margaret après que le juge, pour trancher, ordonne aux deux parties de réaliser un tableau devant le jury.
Walter mourra en 2000 sans jamais admettre sa défaite mais en ne produisant plus rien. Margaret, elle, se remariera, ouvrira une galerie et peindra tous les jours de sa vie.

Big Eyes est un curieux film : oeuvre d'un cinéaste dont la réputation s'est bâtie sur des histoires et des héros à la marge (de fameux "freaks" souvent incarnés par son acteur fétiche, Johnny Depp - Edward aux mains d'argent, Sleepy Hollow : la légende du cavalier sans tête, Sweeney Todd, Charlie et la chocolaterie, Dark Shadows...), l'histoire s'inspire de faits réels et a été adaptée par un tandem rompu à l'exercice du biopic, Scott Alexander et Larry Karasewski, qui avait déjà fourni le script de Ed Wood à Tim Burton (mais aussi Man on the moon sur la vie de l'humoriste Andy Kaufman et Larry Flint sur le fondateur de la revue pornographique pour Milos Forman). A priori donc, tous les ingrédients requis pour un solide succès critique et public.

Pourtant, à quelques rares exceptions, la presse et les fans de Burton ont été sceptiques devant le résultat et le film a été son plus gros échec commercial. Un revers ironique pour une success story fondée sur une ahurissante imposture, mais aussi révélatrice des attentes suscitées par un auteur qu'on relie d'abord à une esthétique sombre, gothique, et un univers fantastique. Pourtant, ce n'est pas la première fois que le cinéaste s'éloigne de ses terres de prédilection, mais c'est comme si, à chaque fois qu'il le fait, les commentateurs et les spectateurs le refusaient (Big Fish, inspiré par la mort de son propre père, avait subi le même sort).

Big Eyes mérite-t-il donc son échec ? Tout d'abord, il n'aura pas condamné Burton qui l'a tourné pour un petit budget et qui s'est vite remis en selle (son prochain opus, le prometteur Miss Peregrine et les enfants particuliers, sera en salles le 3 Octobre prochain, précédé d'une rumeur positive). Ensuite, même si le résultat est inégal, il est loin d'être déshonorant et possède même divers attraits indéniables.

Le premier d'entre eux est justement d'apprécier le talent du cinéaste hors de sa zone de confort : s'il n'a pas la poésie pathétique d'Ed Wood, son précédent biopic (1994), la photo de Bruno Delbonnel (qui avait éclairé Inside Llewyn Davis des frères Coen) est superbe et n'est pas parasitée par trop d'effets spéciaux (les hallucinations de Margaret, qui voit à un moment les clients d'un supermarché avec de grands yeux comme les enfants qu'elle peint, sont rapides et discrètes). Ensuite, la narration est bien rythmée : le film dure 105 minutes sans réel temps mort (seul le procès à la fin est un peu trop long, alourdi par le cabotinage de Christoph Waltz, toujours incapable de composer un autre personnage que celui d'un odieux connard sadique et bavard depuis sa révélation dans Inglorious Basterds de Tarantino en 2009). Enfin, Burton intègre habilement la reconstitution de l'époque (fin des 50's, début des 60's) sans être trop décoratif : le design du film est élégant et la mise en scène fluide, soulignant surtout les acteurs (son actrice principale en particulier).  

De même, si le récit cite certaines célébrités contemporaines des Keane (et en montre certaines), Big Eyes évite soigneusement une figuration tape-à-l'oeil : il est question d'Andy Warhol, de Marilyn Monroe, Natalie Wood, Joan Crawford, mais le scénario préfère intégrer des seconds rôles moins renommés mais plus déterminants comme un obscur journaliste spécialisé dans les faits divers comme Dick Nolan (Danny Huston, un peu trop effacé) ou le critique d'arts John Canaday (Terence Stamp, toujours impressionnant et dont on se surprend à découvrir qu'il apparaît pour la première fois chez Burton). Jon Polito et Krysten Ritter apparaissent aussi, mais leurs prestations sont sous-exploitées, tout comme l'est la fille de Margaret, incarnée successivement par Delaney Raye (excellente) et Madeleine Arthur (un peu en deçà) - dommage car, dans ce dernier cas, il est évident qu'elle a toujours représenté une menace dans la combine de Walter Keane. 

En revanche, s'il y en a bien une qui mérite d'être saluée au-delà de toutes les réserves émises sur le film, c'est Amy Adams : j'avoue avoir longtemps dédaigné cette comédienne, abonnée aux comédies romantiques (un peu comme Anne Hathaway), avant qu'elle ne participe justement à une version ironique du genre (Il était une fois, de Kevin Lima, 2007). Il semble que, comme le vin, elle se bonifie avec l'âge et qu'en abordant la si redoutée quarantaine, elle affiche toute la subtilité de son jeu (nomination à l'Oscar pour American Bluff de David O. Russell, 2013 ; annoncée comme une des favorites à la statuette en 2017 dans le prochain Denis Villeneuve, Arrival, et le nouveau Tom Ford, Nocturnal Animals).

Qui mieux qu'elle, avec son regard clair, pouvait interpréter cette femme dépossédée de son oeuvre hantée par ces "grands yeux" du titre ? Elle livre une prestation très fine, frémissante et touchante, qui permet au spectateur d'être plus ému par le sort de Margaret mère et épouse que par l'artiste au talent si discuté (sa peinture ne me semble pas bonne même si elle dégage indéniablement une impression singulière, une sensibilité spéciale).

Peut-être formellement impersonnel, Big Eyes n'en reste pas moins un film éminemment "Burtonien" : ce portrait d'un couple malade, damné par le mensonge du mari et la condition de la femme, est bien celui du cinéaste qui, depuis Beetlejuice, occupe dans le paysage de Hollywood une figure étrangement ressemblante à ses héros, celle d'un auteur bizarre néanmoins parfaitement intégré au système sans qu'on sache si c'est un compromis ou un choix.   

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