jeudi 2 février 2017

DEUX TÊTES FOLLES, de Richard Quine (1964)


DEUX TÊTES FOLLES (Paris When It Sizzles) est un film réalisé par Richard Quine.
Le scénario est écrit par George Axelrod, d'après le film La Fête à Henriette réalisé par Julien Duvivier et écrit par Julien Duvivier et Henri Jeanson. La photographie est signée Charles Lang Jr.. La musique est composée par Nelson Riddle.


Dans les rôles principaux, on trouve : Audrey Hepburn (Gabrielle Simpson/Gaby), William Holden (Richard Simpson/Rick), Tony Curtis (Philippe/Maurice), Noel Coward (Alexander Meyerheim), Raymond Bussières (François, le chauffeur de Rick).

 Richard Benson
(William Holden)

Richard Benson est un scénariste réputé mais dilettante qui profite de sa luxueuse suite dans un palace parisien tandis que le producteur Alexander Meyerheim attend qu'il lui remette un script de 138 pages pour son prochain film. Nous sommes Vendredi et il doit livrer sa copie le Lundi 14 Juillet.
Gabrielle Simpson
(Audrey Hepburn)

Pour l'aider à rédiger le scénario et stimuler son imagination, on lui envoie Gabrielle Simpson comme secrétaire. Elle habite dans la capitale depuis deux ans, venue à l'origine pour y étudier les films de "la Nouvelle Vague" et leurs auteurs, et y a trouvé un fiancé, Philippe, un comédien qui la néglige au profit de sa carrière  qui ne décolle pas. 
L'inspecteur Gilet et Philippe/Maurice
(Grégoire Aslan et Tony Curtis)

Gabrielle découvre, surprise, que Richard n'a encore rien écrit mais ils se mettent aussitôt au travail en testant plusieurs amorces d'histoires à partir d'un titre : La Fille qui a volé la Tour Eiffel. Mais très vite la narration patine, faute d'idées accrocheuses et cohérentes. 
Rick et Gaby dans La Fille qui a volé la Tour Effeil

Gabrielle tente de prendre les rênes du récit mais l'intrigue dérive alors dans un délire absurde qui emprunte tous les clichés des films de genre - du musical à l'espionnage en passant par la romance, le fantastique, le polar ou la reconstitution historique.
Gabrielle et Richard

Après une nuit de repos pour elle, Richard a, contre toute attente bien avancé en imaginant un récit prometteur impliquant un redoutable voleur (prénommé Rick) qui s'allie avec une ancienne délinquante (Gaby), dont l'inspecteur Gilet d'Interpol se sert pour le piéger. 
Rick et Gaby

Rick compte rançonner un producteur de cinéma contre la restitution des bobines d'un film (La Fille qui a volé la Tour Eiffel). Mais le nabab préférerait en détruire la pellicule, quitte à partager avec le voleur l'argent des assurances ensuite.  
Gaby et Rick

Rick refuse et prend la fuite avec Gaby mais il est abattu en montant dans le jet privé du producteur par Maurice (sosie de Philippe), l'adjoint de Gilet. Cette fin pessimiste déçoit Gabrielle mais suffit à Richard qui est soulagé d'avoir terminé son travail, quel qu'en soit la qualité. 
Rick et Gaby

Comme il l'explique à Gabrielle, il considère de toute façon sa carrière comme un échec et s'est résigné au fait que le cinéma moderne néglige l'importance d'une bonne histoire. Il congédie la jeune femme pour ne pas l'entraîner dans sa chute. Mais, une fois seul, ses sentiments pour elle le convainquent de profiter de la vie avec celle qu'il aime et il la rattrape pour le lui dire. Conquise par ce regain d'énergie qu'elle lui inspire, elle abandonne son fiancé pour fuir avec Richard dans Paris dont le ciel est illuminé par le feu d'artifices du 14 Juillet.

Tourné durant l'été 1962 (en même temps que Charade, de Stanley Donen, également avec Audrey Hepburn), Paris When It Sizzles (soit : "Quand Paris crépite", comme sous un feu d'artifices) est un remake de La Fête à Henriette (1952), réalisé par Julien Duvivier, co-écrit par Henri Jeanson.

Ecrit par George Axelrod (à qui on doit les scripts de rien moins que Sept Ans de réflexion de Billy Wilder en 1955, ou Diamants sur canapé de Blake Edwards en 1961 - déjà avec Audrey Hepburn...), le scénario n'a conservé que la situation de départ - la rédaction d'une histoire par deux scénaristes en panne d'inspiration. Mais l'intérêt est ailleurs car le film de Richard Quine révèle plusieurs niveaux de lecture au fur et à mesure qu'il se déroule.

On a pu reprocher à ce long métrage sa fantaisie un peu forcée ou sa mise en route un peu laborieuse, mais c'est que le traitement appliqué par le cinéaste ne fait justement pas mystère que, parfois, les auteurs doivent doser leurs effets en tâtonnant et que lancer une intrigue peut prendre du temps. C'est à la base même de ce que traverse le personnage de Richard Benson, incapable de livrer un script, de raconter une histoire, mais qui se raconte des histoires et en raconte aussi à la charmante Gabrielle venue l'aider. 

A son contact, il retrouve moins l'inspiration que l'envie de profiter de la vie, en commençant par aimer une jeune femme sensible à sa séduction et sa légèreté mais surtout stimulant son imagination. Quine met en scène ce glissement - un auteur qui n'écrit plus parce que, d'abord, il ne croit plus à ce qu'il écrit - en faisant justement de son héros le spectateur désabusé de son existence et de sa carrière. A la fin, il ne peut plus continuer à (se) mentir. Mais, en attendant, il imagine avec sa secrétaire-assistante d'ultimes rebondissements délirants à une intrigue absurde (uniquement bâtie autour d'un titre grotesque) : ensemble ils épuisent les propositions narratives de tous les genres cinématographiques (espionnage, polar, romance, musical, comédie, etc.) et ils revisitent du même coup tout ce qui a fait a gloire des productions hollywoodiennes qui, en 1964, est en voie de disparition.

Quine tourne en dérision aussi bien les clichés attachés aux films d'hier qu'à ceux qui émergent, épinglant "l'Âge d'Or", brocardant "la Nouvelle Vague" : il le fait cependant sans méchanceté, son propre projet est divertissant, pas moralisateur. Le seul point qu'il regrette clairement est que le scénario, le soin porté à sa rédaction, n'est plus qu'un prétexte désormais. Or, sans histoire solide, point de bon film, et comme le film dans le film (La Fille qui a volé la Tour Eiffel) le prouve, ne subsiste qu'une succession de péripéties loufoques, irréalistes, abêtissantes. Une parodie illustrant la stérilité aussi bien du système des majors (avec une production de masse) que l'illusion d'un renouveau narratif par les cinéastes émergents (qui prétendent tout réinventer alors qu'ils restent influencés par des artistes du passé).

La réalisation de Quine a quelque chose de musical dans ses variations de tempos, son apparente improvisation, son esthétique pop (la photo de Charles Lang Jr. souligne les couleurs éclatantes des costumes et des décors pour distinguer les scènes "réelles" et celles, artificielles, des scènes "fictives").

Mais là où le film est sans doute le plus troublant, c'est dans sa manière d'exploiter la mythologie attachée à ses interprètes : aussi porté sur la bouteille, amoureusement résigné et épris de sa partenaire que son personnage, William Holden compose en vérité à peine cet auteur essoufflé mais revigoré par celle qu'il aimait depuis le tournage de Sabrina (Billy Wilder, 1952), Audrey Hepburn, divine comme d'habitude, sur laquelle le temps a glissé, dans ce registre romantico-fantaisiste qui lui allait aussi bien que les costumes de Givenchy. Les citations à Vacances Romaines (quand Holden partage la frange de Hepburn comme Gregory Peck), Drôle de frimousse (lorsque Holden rappelle qu'ils n'écrivent pas un musical), Tony Curtis (dans un second rôle de nigaud très drôle), les caméos non crédités de Marlene Dietrich ou Mel Ferrer (Mr. Hepburn), tout participe de cette mise en abyme malicieuse.

Un peu inégal rythmiquement donc, mais d'une densité épatante, Deux Têtes folles est un petit bijou. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire