jeudi 19 janvier 2017

LE ROI DE COEUR, de Philippe de Broca (1966)


LE ROI DE COEUR est un film réalisé par Philippe de Broca.
Le scénario est écrit par Daniel Boulanger, d'après une idée de Maurice Bessy. La photographie est signée Pierre Lhomme. La musique est composée par Georges Delerue.


Dans les rôles principaux, on trouve : Alan Bates (Charles Plumpick/le "Roi de Coeur"), Jean-Claude Brialy (Xénophon/le "Duc de Trèfle"), Geneviève Bujold ("Coquelicot"), Françoise Christophe (la "Duchesse"), Pierre Brasseur ("Général Géranium"), Micheline Presle (Mme Eglantine), Michel Serrault (M. Marcel), Julien Guiomar ("Monseigneur Marguerite"), Adolfo Celi (Colonel Alexander Mac Bibenbrook).
 Charles Plumpick/le "Roi de Coeur" et Xénophon/le "Duc de Trèfle"
(Alan Bates et Jean-Claude Brialy)

Octobre 1918. Avant d'évacuer Marville, petite ville du Nord de la France, les allemands dissimulent une énorme charge explosive dont le mécanisme de déclenchement est relié au Jacquemart de l'église. Informé par le docteur, qui le paiera de sa vie, le colonel anglais Mac Bibenbrook détache pour découvrir l'endroit où sont cachés les mines ennemies dans le village le soldat Charles Plumpick, colombophile totalement incompétent en matière.
Mme Eglantine, le "Roi de Coeur" et la "Duchesse"
 (Micheline Presle, Alan Bates et Françoise Christophe)

La ville que découvre Plumpick est désertée par ses habitants à l'exception des pensionnaires de l'asile psychiatrique qui l'ont réinvesti selon leur fantaisie ou leurs fantasmes : untel se croit général installé dans la caserne des pompiers, un autre évêque dans l'église, une autre tenancière d'une maison de rendez-vous, etc. 
"Coquelicot" et Charles Plumpick
(Geneviève Bujold et Alan Bates)

Dérouté autant que charmé par la bienveillante bizarrerie des résidents, Plumpick est reconnu par Xénophon, le "Duc de Trèfle", comme le "Roi de Coeur", revenu dans son fief. "Monseigneur Marguerite" organise rapidement une cérémonie pour son sacre tandis que la "Duchesse" lui cherchent une épouse parmi les filles de Mme Eglantine. Ce sera la jeune et jolie "Coquelicot" qui sera désignée pour devenir la "Reine". 
La cour du "Roi de Coeur" :
le "Général Géranium", M. Marcel, Mme Eglantine, "Monseigneur Marguerite",
le Colonel Mac Bidenbrook, Charles Plumpick, "Coquelicot", la "Duchesse" et le "Duc de Trèfle"
(Pierre Brasseur, Michel SerraultMicheline Presle, Julien Guiomar, Adolfo Celi,
Alan Bates, Geneviève Bujold, Françoise Christophe et Jean-Claude Brialy)

Dépassé par les événements qui se sont enchaînés à toute vitesse, Plumpick n'oublie cependant pas que, comme il l'a appris des allemands à leur insu, les explosifs doivent sauter à minuit et c'est par le plus complet hasard qu'en compagnie de "Coquelicot" il en découvre enfin la cachette puis les désamorce juste avant l'heure cruciale.  
 Le "Roi de Coeur" et "Coquelicot"

Soulagé et heureux, le "Roi de Coeur", dont le comportement déconcertait ses "sujets", les motive à faire la fête. Lorsque les anglais entrent dans la ville, ils sont accueillis par un feu d'artifices qui font croire aux allemands que leurs mines ont effectivement sauté et qu'ils peuvent retourner dans la place.
Le "Général Géranium", "Monseigneur Marguerite", Mme Eglantine,
le "Duc de Trèfle", Monsieur Marcel et la "Duchesse"
(Pierre Brasseur, Julien Guiomar, Micheline Presle,
Jean-Claude Brialy, Michel Serrault et Françoise Christophe)

Au terme de la bataille entre les alliés et leurs ennemis, à laquelle assistent, incrédules, les fous, plus un seul soldat n'a survécu. La "cour" se retire alors dans l'asile, en se débarrassant de leurs oripeaux et en fermant la grille derrière eux.
Salué et décoré par les français, Charles Plumpick hérite d'une nouvelle mission par son Etat-Major mais il déserte pour se présenter, intégralement nu, à la porte de l'institution psychiatrique de Marville afin d'y être admis et d'y retrouver ses amis.

Cinéaste plébiscité par le public et donc valeur sûre commercialement, Philippe de Broca à 33 ans est désormais en mesure de réaliser le film de ses rêves. Il monte sa maison de production avec sa femme Michelle, "Fildebroc", et s'associe avec le studio américain United Artists, qui a remarqué ce hit-maker.

Le Roi de Coeur est écrit une nouvelle fois par le fidèle Daniel Boulanger d'après une idée de Maurice Bessy, inspiré de la tradition de la Fête des Fous célébrée dans les Flandres en 1919. Le résultat doit autant à l'esprit de dérision de de Broca qu'à la fantaisie de son scénariste, tout en disposant d'une équipe technique de premier ordre et d'un casting dont le premier rôle est tenu par une étoile montante du cinéma anglais.

Au début de l'histoire plane une atmosphère inquiétante, due au contexte (la guerre de 14-18, le piège des allemands). Puis la comédie prend rapidement le relais dans un registre loufoque (avec des clins d'oeil pour les connaisseurs au passage puisque Daniel Boulanger joue un général prussien qui veut détruire "artistiquement" Marville, et Philippe de Broca incarne, fugacement, un caporal allemand du nom de... Adolf Hitler !). Ce mélange de parodie, de poésie absurde et de suspense est tout à fait étonnant : les fous prennent possession du village en se distribuant les rôles correspondant à leurs fantasmes (l'"évêque" Marguerite, le "général Géranium", le coiffeur Marcel - joué par un Michel Serrault efféminé sept ans avant La Cage aux folles - ou Mme Eglantine - Micheline Presle, magnifique, qui recouvre sa féminité en se maquillant dans des ruines)

Le soldat Plumpick (incarné par Alan Bates, étonnant en colombophile lunaire) débarque au milieu de ce décor réinventé, totalement ahuri comme nous, mais se laisse entraîner dans ce gentil délire, touché par le charme délicat de la jolie "Coquelicot" (interprétée par Geneviève Bujold, à la grâce aérienne). Ici, le prêtre prône le plaisir, la "Duchesse" affirme qu'"il faut exagérer, sinon il n'y a rien !", les prostituées jouent les enfants de choeur lors d'une cérémonie de sacre trépidante. Quand le "Roi de Coeur" veut guider ses "sujets" à l'extérieur de Marville, ceux-ci refusent pourtant de le suivre car "entre ce monde et [eux], il y a une barrière : ils sont méchants là-bas". Il y a une forme de sagesse élémentaire mais avisée chez ces aliénés, plus raisonnables finalement que les militaires ou les gens "normaux".

L'asile est donc à considérer à double sens : c'est à la fois le domaine des fous mais aussi un havre de paix. Ainsi le burlesque grinçant se fait conte philosophique. La mise en scène, dynamique sans jamais être hystérique (à mille lieues donc des outrances d'un Kusturica donc), alterne moments apaisés, fragiles et bouleversants de beauté ("Coquelicot" funambule, qui rejoint "naturellement" le "Roi de Coeur" en passant par la fenêtre) et mouvements d'ensemble joyeusement exubérants (accompagnés par la musique de Georges Delerue, sur fond de fanfare ou de thèmes plus mélancoliques). Par un effet de contraste habile, les images guerrières révèlent la stupidité des officiers, illustrant le célèbre aphorisme de Clémenceau comme quoi "la guerre est une chose bien trop sérieuse pour être confiée à des militaires".

Cette ode pacifiste, hédoniste, baroque, connaîtra un cuisant échec public et critique dans la France du général de Gaulle qui lui préférera La Grande Vadrouille de Gérard Oury avec le duo De Funés-Bourvil, sorti la même année. De Broca songera alors à tout plaquer (mais Truffaut, qui a toujours salué en lui "le poète de la dérision", le convaincra de se raviser). En revanche, le film sera un succès phénoménal aux Etats-Unis (9 mois à l'affiche à Boston par exemple, premier long métrage français édité en Laserdic par le label Criterion), adapté à Broadway : le propos rencontrait alors un écho certain avec la contre-culture américaine (le "flower power", les manifestations contre la poursuite du conflit au Vietnam, les mouvements pour les droits civiques...). Michelle de Broca expliquera que dans l'hexagone on ne retenait qu'une histoire dérangeante avec des "fous" alors qu'outre-Atlantique on louait cette fantaisie peuplée d'"originaux".

La ressortie actuelle en DVD et Blu-Ray du Roi de Coeur, dans une version restaurée, permettra certainement de réparer une grande injustice et de ne plus résumer son réalisateur à ses films les plus populaires pour le considérer comme un auteur majeur de son époque.

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