vendredi 6 janvier 2017

LE FARCEUR, de Philippe de Broca (1960)


LE FARCEUR est un film réalisé par Philippe de Broca.
Le scénario est écrit par Philippe de Broca et Daniel Boulanger (également auteur des dialogues). La photographie est signée Jean Penzer. La musique est composée par Georges Delerue.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jean-Pierre Cassel (Edouard Berlon), Anouk Aimée (Hélène Laroche), Georges Wilson (Guillaume Berlon, le frère aîné d'Edouard), Geneviève Cluny (Pilou, la femme de Guillaume et l'ex-femme d'Edouard), Anne Tonietti (Olga, la servante des Berlon), Pierre Palau (Théodose, l'oncle d'Edouard et de Guillaume), François Maistre (André Laroche, la mari d'Hélène).
La famille Berlon : oncle Théodose, Guillaume, Edouard, Olga et Pilou
(Pierre Palau, Georges Wilson, Jean-Pierre Cassel, Anne Tonietti et Geneviève Cluny)

Toujours gai, plein de charme, élégant, Edouard Berlon est doté de nombreux talents mais il ne les exploite pas, préférant consacrer son temps à l'art d'aimer, allant d'une femme à une autre sans jamais s'attacher. Il vit chez son oncle Théodose avec son ex-femme, Pilou, désormais mariée à son frère aîné, Guillaume, et aux côtés de Olga, la servante, qu'il rejoint parfois dans sa chambre.
 Hélène Laroche
(Anouk Aimée)

Guillaume entretient tout ce petit monde en leur faisant jouer les figurants pour les romans-photos historiques qu'il réalise. Un jour, surpris par le mari jaloux d'une de ses maîtresses, Edouard fuit par les toits et atterrit finalement dans le parc d'une belle maison. Il s'y introduit et fait la connaissance d'Hélène, la femme du propriétaire, André Laroche, un riche industriel.
Edouard Berlon et Hélène Laroche

Edouard tombe amoureux d'Hélène au premier regard mais elle, elle le considère avec incrédulité et dédain. Cela ne le décourage pas et il lui fait une cour assidue les jours suivants en cherchant à la revoir par tous les moyens, même si le majordome qui l'a identifié le repousse à chaque fois.
 "Moi, je ne mourrai jamais, je n'ai pas le temps !"

Les efforts d'Edouard finissent par payer car Hélène s'adoucit et accepte même de le suivre chez l'oncle Théodose. Pour cette grande bourgeoise qui s'ennuie auprès d'un mari qui lui préfère ses fructueuses affaires, la rencontre avec cette tribu de zigotos est un choc qui la déride.
Edouard et Hélène

Néanmoins, Edouard comprend que pour la garder il ne doit pas se relâcher et il la distrait autant qu'il la flatte en permanence. Hélène est grisée au point que son humeur modifiée interroge son mari. N'ayant cependant pas succombé à ses avances, Edouard déprime jusqu'à garder le lit.
 Edouard et Hélène

Pilou est envoyée auprès d'Hélène pour l'affranchir de l'état de santé déclinant d'Edouard. Emue, elle lui rend visite et, gagnée par son regain de forme et ses prévenances, accepte de rester avec lui. Pour avoir plus d'intimité, et aussi parce que Guillaume convoque une réunion de famille pour décider si son frère doit rester avec eux puisqu'il ne participe plus à ses romans-photos, les amants partent s'installent dans une auberge aux environs de Paris.
Edouard et Hélène

Mais sur place, Hélène se plaint du froid et de l'inconfort, regrettant le luxe auquel elle est habituée. Las de l'entendre rouspéter, Edouard sort de leur chambre et courtise la soubrette avec laquelle il danse et commence déjà à oublier sa maîtresse sur le point de s'en aller...

Bien qu'il n'ait pas fait partie de la bande issue des "Cahiers du Cinéma", Philippe de Broca avait pu obtenir le financement de son premier film (Les Jeux de l'amour, 1960) grâce à son amitié avec Claude Chabrol qui avait intercédé auprès du producteur Alexandre Mnouchkine. C'est à nouveau avec ces deux partenaires qu'il monte son deuxième long métrage, Le Farceur, quelques mois plus tard, la même année.

Le jeune cinéaste va y affirmer l'identité de son cinéma en signant une comédie sentimentale pétillante, dynamique, et visuellement très élégante. Déjà il explore des thèmes qui vont devenir récurrents chez lui : la satisfaction d'un plaisir immédiat, l'apprentissage dans la bonne humeur, l'insouciance amoureuse. Et ses protagonistes sont de sympathiques marginaux, hédonistes et cultivés, tranchant avec les codes d'une société guindée.

De Broca souligne l'énergie du récit via son héros : Edouard Berlon habite dans une maison sur trois niveaux (un vrai décor de maison de poupées, qui a du inspirer Wes Anderson plus tard), qui est comme une espèce de théâtre débordant de vie et que la mise en scène explore de manière virtuose grâce à des mouvements d'appareils d'une fluidité étonnante pour l'époque (bien avant la steadycam, et sans pouvoir utiliser de grues). Le réalisateur étend son dispositif scénique en filmant Paris comme un vaste terrain de jeux où son héros court sur les toits (fabuleuse séquence d'ouverture), danse sur les quais (un numéro magique exécuté par Jean-Pierre Cassel, dont la grâce aérienne explique l'admiration que lui portait Gene Kelly), pédale sur son vélo comme un dératé.

Ce cinéma-là n'a peur de rien - ni de l'absurde, ni de la fantaisie, ni même d'une certaine folie - au diapason de ses personnages. C'est ce qui distingue au fond de Broca de ses contemporains (Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol) mais le rapproche d'autres (les stylistes comme Demy, Rappeneau, Malle).

Jean-Pierre Cassel rode le personnage de charmeur insatiable et insaisissable qu'il peaufinera ensuite dans L'Amant de cinq jours (avec un destin plus cruel) et Un Monsieur de compagnie (dans un délire coloré réjouissant). C'est aussi un homme plein de contradictions assumées ("je suis athée mais croyant en Dieu, en vous, au vélo, à l'amour !" déclare Edouard à Hélène) : c'est un jouisseur décomplexé, malicieux, joueur, à la langue bien pendue. Mais aussi un être capricieux (il reste au lit quand Hélène refuse de le revoir), égocentrique (seul son plaisir compte). En vérité il ne sait pas s'arrêter, il brûle sa vie sans en apprécier les plaisirs, en demandant toujours plus, plus vite.

Face à lui se dressent son frère aîné (joué avec sagesse par Georges Wilson), son oncle (bienveillant Pierre Palau) et son ex-femme (délicieuse Geneviève Cluny), qui tentent de le raisonner, de lui apprendre à savourer le présent, grâce à leur culture, leur expérience, leur caractère plus modéré. Mais leurs efforts ne sont pas récompensés pour ce jeune père de deux enfants en bas âge qui refuse d'être un adulte responsable.

Cette insatisfaction culmine, de façon douce-amère, quand il aboutit dans une impasse, comprenant qu'il aime une femme qui ne l'aime pas, tient à sa tranquillité bourgeoise : Anouk Aimée l'incarne avec une élégance extraordinaire mais si elle sait être belle et désirable, elle n'est pas aimable. Un rôle ingrat mais qu'elle assume formidablement - et qui donne l'occasion de se rappeler qu'à 28 ans, l'actrice menait déjà une carrière prodigieuse (La Dolce Vita, de Fellini, et l'année suivante, Lola, de Demy).

Ce fond de mélancolie, s'il ne fait pas, contrairement à ce que dit son titre, une comédie provoquant de francs éclats de rire (les merveilleux dialogues de Daniel Boulanger sont plus fins que ça), nuance sans freiner l'élan du film, soutenue par la musique joviale de Georges Delerue. Le résultat posait déjà Philippe de Broca comme l'auteur atypique qu'il est resté. 

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