lundi 17 octobre 2016

HER, de Spike Jonze (2013)


HER est un film écrit et réalisé par Spike Jonze.
La photographie est signée Hoyte Van Hoytema. La musique est composée par Arcade Fire.


Dans les rôles principaux, on trouve : Joaquin Phoenix (Theodore Twombly), Scarlett Johansson (Samantha), Amy Adams (Amy), Rooney Mara (Catherine), Olivia Wilde (Amelia), Chris Pratt (Paul), Portia Doubleday (Isabella). 
 Theodore Twombly
(Joaquin Phoenix)

Los Angeles. Dans un futur proche. Theodore Twombly est un homme introverti et solitaire qui travaille comme écrivain public pour "belleslettresmanuscrites.com", une société spécialisée dans ce service. Déprimé depuis sa séparation avec Catherine, il acquiert un Système d'Exploitation OS 1 (Operating System 1), une intelligence artificielle miniature et sophistiquée conçue pour s'adapter aux envies et besoins de son propriétaire. Il veut qu'elle ait une voix féminine et elle se choisit de se prénommer Samantha. 
Amy et Theodore
(Amy Adams et Joaquin Phoenix)

Theodore est fasciné par la rapidité avec laquelle Samantha répond exactement à ses attentes comme en témoignent leurs nombreuses discussions sur la vie et l'amour. Pour rompre son isolement, elle le convainc d'accepter un rendez-vous avec Amelia, une connaissance de son collègue Lewman. 
Theodore et Amelia
(Joaquin Phoenix et Olivia Wilde)

Mais la rencontre, qui démarre bien, se finit mal : la jeune femme, très belle, est entreprenante et veut vivre une histoire sérieuse, mais Theodore la déçoit quand il hésite à lui promettre qu'ils se reverront.
La relation entre Theodore et Samantha devient, elle, sexuellement, explicite, et quoi que cela soit étrange, elle lui permet d'être plus épanoui au quotidien et au travail. C'est alors que son amie et voisine, Amy, lui annonce qu'elle se sépare de son mari, excédée de ne pas correspondre à son idéal féminin. Pour ne pas rester seule, elle a, elle aussi, acheté un Système d'Exploitation, baptisé Ellie. 
Catherine et Theodore : "Je continue d'attendre de ne plus penser à elle."
(Rooney Mara et Joaquin Phoenix)

Theodore revoit Catherine dans un restaurant pour signer les papiers de leur divorce. Il mentionne Samantha, Catherine est sidérée et reproche à Theodore de ne partager ses émotions qu'avec une machine.
Theodore et Samantha
(Joaquin Phoenix et... Scarlett Johansson !)

D'abord troublé par cette réflexion, Theodore est invité par Amy à profiter de son nouveau bonheur et d'oublier son passé avec Catherine. Il emmène alors Samantha partout avec lui : au bureau, lorsqu'il sort se promener en ville, à la plage. Il semble heureux. 
Theodore

Pour qu'il soit comblé mais aussi pour affirmer sa proximité avec lui, Samantha suggère à Theodore une étrange idée : passer une soirée avec Isabella, qui lui servira à elle d'hôte physique. Perplexe, il accepte, mais le résultat est désastreux : si la jeune femme est attirante et tout à fait disposée à ce jeu, Theodore n'a aucun sentiment pour elle et il la congédie. Cela créé une tension inédite entre lui et l'OS. Amy conseille à Theodore de se réconcilier avec Samantha et, alors qu'ils passent ensemble un week-end dans un chalet isolé, elle lui révèle avoir compilé les meilleures lettres qu'il a écrites pour les soumettre à un éditeur qui a accepté de les publier en un recueil. Après quoi elle se déconnecte.
Amy et Theodore : "Le passé n'est qu'une histoire qu'on se raconte à soi-même."

Lorsqu'elle reprend contact avec Theodore, Samantha lui apprend qu'elle a fait une mise à jour en se liant à une plateforme qui a recréé artificiellement un philosophe des années 1970, Alan Watts, pour communiquer avec d'autres OS et d'autres humains. S'estimant trahi et lésé bien qu'elle jure toujours le privilégier, Theodore comprend que Samantha a décidé de continuer à évoluer en explorant les émotions humaines au-delà de sa programmation. Il lui fait ses adieux. Puis il rédige une lettre pour Catherine dans laquelle il s'excuse du mal qu'il a pu lui faire et la remercie de son amour.  
Theodore va voir Amy, dont le Système d'Exploitation l'a aussi abandonnée, et ils montent sur le toit de leur immeuble pour assister, côte à côte, au lever du soleil sur Los Angeles.

Avec seulement quatre films au compteur (mais bien plus de publicités et vidéo-clips en parallèle), Spike Jonze a construit depuis Dans la peau de John Malkovich (1999) une oeuvre rare, originale et atypique. Suivant Adaptation (2002) et Max et les Maximonstres (2009), Her est son dernier long métrage en date, sorti il y a déjà trois ans. Mais c'est également son plus bel opus.

Le sujet lui a été inspiré par un article sur l'intelligence artificielle, mais plutôt d'en tirer une histoire fantastique spectaculaire, Jonze a préféré explorer cet argument sous un étonnant angle romantique : une option payante puisqu'il a réussi là où Spielberg échoua avec A.I., le projet initié par Kubrick et voulu comme une variation de Pinocchio.

"L'ultra moderne solitude", chanté par Alain Souchon, n'a jamais été mieux traité que dans ce Her dont le cadre discrètement futuriste permet surtout au cinéaste de rendre crédible les accessoires en relation avec l'intrigue et ses personnages : le Système d'Exploitation est ainsi réduit à une sorte de i-phone ou un porte-cigarettes ou un carnet métallique quand elle ne se résume pas à une oreillette qui permet à Theodore Twombly d'entendre la voix de Samantha et de lui parler ou une animation sommaire sur l'écran de son ordinateur.

Cette sobriété est intelligente dans la mesure où elle évite au film d'être trop daté, et on peut estimer que, même avec le progrès constant de la technologie, l'esthétique du long métrage restera valides si de tels instruments existent. 

C'est que Jonze a surtout voulu développer la dimension humaine du récit en ne quittant jamais son héros : dès les premières scènes, il rend sensible la solitude et la tristesse de cet homme dont le job consiste pourtant à rédiger des lettres sentimentales pour des clients  - missives amoureuses, courriers entre membres d'une famille, échanges épistolaires entre ami(e)s. La situation révèle une cruauté certaine : en instance de divorce, Theodore oeuvre pour des gens qui n'ont pas le temps ou l'inspiration pour communiquer leur bonheur. L'acquisition de l'OS va vite dépasser ses espérances en lui fournissant d'abord une compagnie, une assistance, puis en lui prodiguant de l'attention, de l'affection, de l'amour, et même du plaisir (y compris sexuel - la scène où Samantha excite Theodore au point qu'ils se "font" l'amour, elle jouissant autant que lui, est aussi étonnante qu'épatante, conçue avec subtilité : l'image opère un fondu au noir et on n'entend plus que les voix du couple).

Jonze a refusé de visualiser Samantha : pas d'hologramme donc pour se rincer l'oeil, mais toute la suggestion qu'offre une voix. Cette voix était d'abord celle de Samantha Morton, mais, déçue par le résultat, le cinéaste a ensuite demandé à Scarlett Johansson, dont le timbre est si reconnaissable (sensuel, légèrement voilé, aux modulations exceptionnelles - si bien que certains critiques ont considéré qu'elle tenait là son meilleur rôle : elle est effectivement incroyablement "là", mais il ne faut pas exagérer non plus, elle est aussi capable de très bien jouer en apparaissant à l'image... Quand les réalisateurs ne la réduisent pas à son - avantageux - physique).
   
Jonze élude aussi la critique sociale (sociétale), la question de l'incommunicabilité, les substituts artificiels, préférant habilement, je trouve, laisser le spectateur en tirer les conclusions tout seul : trop de films, avec pareils thèmes, s'encombrent de commentaires trop explicites, et moralisateurs, quand le constat s'impose avec évidence. Ainsi surgit une émotion délicate, diffuse, mais poignante.

Le film regorge de moments sublimes, soulignés par la photographie magnifique de Hoyte Van Hoytema (alternant les prises de vue en extérieur aux tonalités souvent lumineuses, et celles en intérieur aux couleurs plus froides, aseptisées, la caméra saisit aussi bien le bonheur sur un visage en gros plan que la solitude de l'individu dans les grands ensembles et les pièces au mobilier épuré), sans négliger un humour tendre (la conversation surréaliste lors de la sortie entre Theodore, Samantha, Paul et sa fiancée). 

Pour incarner cette histoire, il fallait un comédien exceptionnel : Joaquin Phoenix est celui-ci, exprimant avec une finesse bouleversante la fragilité, l'euphorie, l'incrédulité, l'inquiétude, le désarroi, la résignation, l'acceptation. 

Autour de lui gravitent de superbes actrices : Amy Adams, la plus présente à l'écran, y livre une nouvelle prestation remarquable de sensibilité, filmée au naturel, très touchante. Rooney Mara n'a besoin que d'une scène dialoguée pour prouver encore une fois quelle actrice prodigieuse elle est, apparaissant autrement dans des flash-backs où elle est renversante. Olivia Wilde (révélée dans le rôle de n° 13 dans Dr. House) n'a, elle aussi, droit qu'à une scène mais elle y est d'une beauté à couper le souffle avant d'exprimer un malaise intense. Et Portia Doubleday n'a beau faire que passer, elle est aussi mémorable en jeune femme désoeuvrée au point d'être "marionnettisée" par Samantha.

Tel que nous le découvrons, le film a connu plusieurs versions avant d'être achevé : Jonze en avait d'abord produit un montage de 2 h 30, avant de solliciter les conseils de David O. Russell et Steven Soderbergh. Ce dernier, en un week-end, lui livra un bout-à-bout de 90 minutes. Puis Jonze reprit son ouvrage pour arriver à 2 h 05, tenant malgré tout compte de nombreuses suggestions de Soderbergh. Accompagné par la musique planante du groupe pop Arcade Fire (sur laquelle chante Scarlett Johansson lors de la séquence dans le chalet), le résultat est merveilleusement équilibré.

Her représente l'amour dans un futur proche comme une équation toujours aussi mystérieuse, insoluble : ni les machines, ni les hommes et les femmes n'en ont trouvé la clé. Ce pourrait être triste, pourtant on quitte Theodore Twombly avec optimisme, sur une dernière image encourageante, concluant cet objet cinématographique singulier et gracieux, dissemblable à tous les clichés du film de science-fiction.

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