mercredi 10 mai 2017

GRAND DEPART, de Nicolas Mercier (2013)


GRAND DEPART est un film réalisé par Nicolas Mercier.
Le scénario est écrit par Nicolas Mercier et Simone Study. La photographie est signée Rémy Chevrin. La musique est composée par François-Eudes Chanfrault.


Dans les rôles principaux, on trouve : Pio Marmaï (Romain Gautier), Eddy Mitchell (Georges Gautier), Jérémie Elkaïm (Luc Gautier), Chantal Lauby (Danièle Gautier), Charlotte de Turckheim (Mme Fauras), Gaëlle Bona (Sophie), Zoé Félix (Serena).
 Romain, Luc et leur père, Georges
(Pio Marmaï, Jérémie Elkaïm et Eddy Mitchell)

Cadre dans une entreprise, Romain Gautier entretient une relation conflictuelle avec son frère cadet, Luc, scénariste et homosexuel, qu'il a toujours jalousé parce qu'il est le fils préféré de leur père, Georges. Mais cette situation bascule lorsqu'on diagnostique à Georges une maladie neurodégénérative incurable.
Romain

Leur mère, qui a divorcé, convient avec eux qu'il faut placer Georges dans un établissement spécialisé, tenu par Mme Fauras, une cliente de Romain. Celui-ci ne vient pourtant pas souvent lui rendre visite, se consacrant, comme depuis toujours, d'abord à son travail - peut-être aussi pour se protéger - où son patron songe à lui pour lui succéder bientôt. 
Luc

En proie à des crises de démence violente, Georges agresse le personnel et d'autres patients, et Luc autorise Mme Fauras à lui administrer des neuroleptiques puissants pour le calmer. Mais quand Romain l'apprend, il fait suspendre ce traitement, prêt à en assumer les conséquences.
Georges et Romain

C'est alors que Romain et Georges se rapprochent : ils échangent librement grâce au comportement désinhibé du père et aux efforts du fils pour être plus disponible, lors de promenades nocturnes en ville. Luc estime que Romain cherche à acheter l'affection de leur père et n'assume pas sa déchéance en le confortant dans ses délires. La suite va lui donner raison...   
Luc

Un jour qu'ils déjeunent dans un fast-food, Romain questionne Georges sur ses sentiments pour lui et découvre qu'il le confond avec Luc, depuis le début. Le jeune homme encaisse cette désillusion avec difficulté au point que son patron l'oblige à prendre une semaine de congé pour qu'il se ressaisisse. Romain tente de séduire Serena, une jolie professeur de danse que lui avait présenté son frère, mais elle le repousse en lui expliquant que ce ne serait pas opportun d'avoir une liaison en ce moment. Il vient aussi en aide à Luc qui doit de l'argent à deux prostitués et lui révèle ensuite que leur père était infidèle.
Luc et Romain entourent leur mère, Danièle
(Jérémie Elkaïm, Chantal Lauby et Pio Marmaï)

Après être subitement tombé dans le coma, Georges meurt le soir de Noël. La préparation de ses obsèques permet à Luc et Romain de se réconcilier. Cinq années passent : Romain, promu comme convenu dans son entreprise, s'est marié avec Sophie (rencontrée dans des circonstances désastreuses lors d'un mariage quand son père était malade) et a deux enfants - il apprend à son tour à devenir père.

La maladie et la fin de vie (en l'occurrence celui d'un père de famille), voilà qui augurait d'un parfait téléfilm pour un débat sociétal sur une chaîne du service public... Mais l'ex-scénariste de la série Clara Sheller transforme ce sujet périlleux en une curieuse comédie dramatique, très concise (à peine 85 minutes).

Le résultat n'est pas sans défaut : à ne pas vouloir choisir entre l'humour (même noir) et la gravité (classique), et avec son épilogue moralement très convenu (devenir mari et père pour se réconcilier avec soi-même et ses proches), on a parfois l'impression que Nicolas Mercier ménage la chèvre et le chou, n'ose pas aller jusqu'au bout de son propos (en privilégiant un seul point de vue, celui de Romain).

Mais, en même temps, ce refus de s'inscrire dans un cadre trop rigide permet d'éviter quelques écueils et le réalisateur se risque avec bonheur dans le malaise, la distanciation, la crise agitant les deux frères produisant des explications bienfaitrices. Ainsi, il prend à contrepied le spectateur : c'est évident dans les certaines scènes, les meilleures du film, comme lorsque Romain tente pour la première fois de charmer Sophie en jouant au faux cynique puis qui, ivre mort par dépit, vomit sur la robe de la mariée à la fête de laquelle il était invité, achevant de se ridiculiser (alors qu'il fait toujours tout pour paraître sûr de lui). Plus fort encore, il y a ce moment à la fin de l'histoire où les deux frères ne peuvent réprimer un fou rire devant l'employé des pompes funèbres qui leur vante les mérites d'un cercueil écolo-responsable.

Dommage, en revanche, que le rôle de Luc soit moins développé, alors qu'il y avait de la matière (homosexuel assumé, et accepté par ses parents, la jalousie qu'il suscite chez Romain ne se joue-t-elle pas aussi à ce niveau ? Et, ainsi négligé dans la narration, on voit finalement peu comment il supporte le déclin et la perte de son père...). Idem pour Danièle, la mère, qui, bien que divorcée de Georges, apparaît trop peu dans l'histoire, y compris dans les moments critiques (démissionne-t-elle en laissant ses fils gérer la situation ? Ou est-elle trop accablée ?).

Le titre renvoie aussi bien à la mort (du père, le grand départ est aussi le dernier) qu'à une nouvelle vie (celle que doit emprunter Romain, et dans une moindre mesure son frère et sa mère), avec les responsabilités que cela incombe, la façon de les affronter (qu'est-ce qu'être un fils quand on n'a plus de père ?). Ces interrogations philosophiques sont à peine effleurées dans le scénario, hormis une superbe scène, à la fois tendue et désolée (Luc, après avoir révélé à Romain les infidélités de leur père, préfigurant les siennes, quand il trompe son compagnon avec des prostitués : "Tel père, tel frère : un fou, une folle"). Il est rare que je me plaigne qu'un film soit trop court, mais, en plus d'une mise en scène trop sage, là, certains aspects auraient mérité plus de développement.

Le casting est impeccable : Eddy Mitchell est étonnant dans un rôle périlleux, qu'il incarne avec sobriété et puissance, tandis que Pio Marmaï et Jérémie Elkaïm forment une fratrie formidable (le premier rongé par la jalousie, incapable d'exprimer ce qu'il ressent, le second à la fois désinvolte et blessé, mais plus lucide envers lui-même et les autres). Bien que les seconds rôles féminins soient expédiés, Charlotte de Turckheim est excellente.

Digne, parfois audacieux, Grand Départ manque un peu de souffle, comme si son auteur avait préféré (trop) la retenue à l'émotion.

mardi 9 mai 2017

LES TRIBULATIONS D'UNE CAISSIERE, de Pierre Rambaldi (2011)


LES TRIBULATIONS D'UNE CAISSIERE est un film réalisé par Pierre Rambaldi.
Le scénario est écrit par Michel Siksik, d'après le livre d'Anna Sam. La photographie est signée Thomas Hardmeier. La musique est composée par Emmanuel Rambaldi.


Dans les rôles principaux, on trouve : Déborah François (Solweig), Elsa Zylberstein (Marie/Virginie), Alice Belaïdi (Leïla), Firmine Richard (Sandy), Nicolas Giraud (Charles), Jean-Baptiste Fonck (Anatole), Jean-Luc Couchard (Mercier), Marc Lavoine (Ferry).
 Solweig : caissière le jour...
(Déborah François)

Après de brillantes études pour devenir professeur de français, Sloweig a dû, pour subvenir à ses besoins et ceux de son jeune frère, Anatole, devenir caissière dans un supermarché, car leur mère est morte et leur père hospitalisé dans le coma.
 ... Et blogueuse la nuit

Mais, le soir venu, sous un pseudonyme, la jeune femme écrit un blog, "Qu'est-ce à dire ?", dans lequel elle raconte son quotidien avec causticité mais objectivité. En cette période chargée des fêtes de Noël, la grogne sociale de ses collègues, insatisfaite de leurs conditions de travail et salariales, se fait entendre. Ferry, rédacteur en chef du magazine "Actu", veut découvrir qui est cette blogueuse.  
Ferry
(Marc Lavoine)

Solweig et ses collègues, Leïla et Sandy, accueillent justement une nouvelle recrue, Marie, et lui apprennent à composer avec le tatillon chef-caissier Mercier. La jeune femme, pour arrondir ses fins de mois, accepte aussi de remplacer une amie, Véronique, en donnant des cours particuliers à un adolescent issu d'une bonne famille dont le frère aîné, Charles, comédien, tombe sous son charme.
Charles et Solweig
(Nicolas Giraud et Déborah François)

Pour avoir défendu Solweig contre Mercier et bien qu'elle soit criblée de dettes et enceinte, Leïla est renvoyée. Cela révolte Solweig qui, au détour d'une conversation, se trahit en avouant à demi-mots qu'elle est bien l'auteur de "Qu'est-ce à dire ?" à Marie... Qui, ayant infiltré le supermarché pour Ferry, la dénonce. 
Marie/Virginie
(Elsa Zylberstein)

Peu après, Mercier tente d'abuser sexuellement de Solweig avant que Charles ne la sauve. Elle perd son boulot mais tombe dans les bras de son soupirant et assiste à la représentation du Cid dans laquelle il tient le premier rôle. Après avoir longtemps négligé la pièce pour avoir pensé à elle, il l'encourage à faire quelque chose de concret à partir de son blog. 
Solweig

Lors d'une fête, où elle se découvre à la "une" de "Actu", Solweig apprend que Marie l'a trahie, mais pour mieux informer les lecteurs du labeur des caissières, ce qui, poussée par Leïla et Sandy, l'incite à la pardonner. Six mois plus tard, les confessions de Solweig sont devenues un best-seller, vendu dans le supermarché où elle fut caissière... Et où l'infâme Mercier a été rétrogradé comme agent d'entretien !

Adapté d'un livre-témoignage écrite sous un pseudonyme par une véritable caissière, qui avait causé quelques débrayages dans plusieurs enseignes de la grande distribution, le film de Pierre Rambaldi en respecte légèrement l'esprit en y greffant une romance.

La critique a reproché ce choix au cinéaste d'édulcorer le propos social. Pourtant, cette réorientation permet d'abord de ne pas sombrer dans le misérabilisme en présentant ces ouvrières d'une manière divertissante. De ce point de vue, c'est donc l'anti-Ken Loach, ce dont je ne me plains pas car ce cinéma-vérité, ces films-dossiers, par des réalisateurs-justiciers qui sont moins regardants quand ils sont hébergés dans un palace lors du festival de Cannes (où ils sont régulièrement sélectionnés, quelque soit la qualité de leur oeuvre), a le don de me hérisser (tout comme m'insupportent certains documentaristes faisant du buzz à bon marché en venant provoquer des responsables publiques dans des émissions politiques).

Attention ! Je ne prétends pas que ce film est dénué de reproches : affligé d'un titre médiocre et avec un scénario alourdi par une romance aussi maladroite qu'inutile (et incarné, dans le rôle du prince charmant - enfin... Charmant, c'est vite dit, parce que ce fils à maman qui n'arrive pas à se concentrer sur son rôle parce qu'il est amoureux est surtout une tête à claques comme son interprète, Nicolas Giraud), l'affaire n'est pas gagnée.

Mais le reste est soigné, dès le générique (en animation, très joli), puis la réalisation soignée, le rythme fluide. La défense des caissières est sincère en les présentant comme des femmes de tous âges, consciencieuses, victimes de cadences infernales, de chefaillons mesquins, de clients (vous, moi - qui ne s'est jamais passé les nerfs contre ces filles, pour des broutilles ?) souvent ingrats, et tout ça, pour un salaire indigne.

Elle sont surtout profondément humaines : à cause de ce qu'elles subissent, craignant de perdre leur place - et, ici, ignorant que l'une d'elles est une espionne à la solde d'un journal - , elles sont parfois débordées par des tensions propres à tout groupe, tributaires de leurs origines sociales et de leurs difficultés privées. Mais, malgré tout, solidaires. On les observe avec compassion, et une pointe de culpabilité - pensez, comme le souhaite Solweig, à leur dire "bonjour, merci, au revoir" la prochaine fois que vous leur ferez passer vos articles...

Les actrices sont formidables, Déborah François en tête (pétillante, courageuse, séduisante, maline), entourée par Elsa Zylberstein, Alice Belaïdi et Firmine Richard. Dommage qu'aucun comédien ne soit à leur hauteur, dans un rôle consistant (Marc Lavoine ne fait qu'apparaître dans deux scènes).

C'est, honnêtement, moyen, mais sympathique.   

lundi 8 mai 2017

LA STRATEGIE DE LA POUSSETTE, de Clément Michel (2013)


LA STRATEGIE DE LA POUSSETTE est un film réalisé par Clément Michel.
Le scénario est écrit par Clément Michel avec la collaboration de Louis-Paul Desanges. La photographie est signée Steeven Pettiteville.


Dans les rôles principaux, on trouve : Raphaël Personnaz (Thomas), Charlotte Le Bon (Marie), Jérôme Commandeur (Paul), Camélia Jordana (Mélanie), Julie Ferrier (Valérie), François Berléand (Hamory).
 Thomas et Marie
(Raphaël Personnaz et Charlotte Le Bon)

Quelques mois après leur coup de foudre, le jour où il avait organisé une fête pour son anniversaire pour elle, Thomas est quitté par Marie parce qu'elle juge que leur relation piétine et qu'il ne veut pas d'enfant tout de suite. Un an passe, Thomas déprime et végète professionnellement, entre deux commanditaires (le premier lui demande de dessiner un calendrier érotique, le second d'illustrer une centaine de cartes postales).
Thomas et Léo

En rentrant chez lui, il sauve le bébé de sa voisine, Mélanie, alors qu'elle fait une chute dans l'escalier de l'immeuble. Il la conduit à l'hôpital où elle lui demande de veiller sur son enfant. Une infirmière apprend alors à Thomas que Marie, puéricultrice, a quitté son poste pour fonder une association, "Bébés bonheur", qui vient en aide à des nouveaux parents. 
Marie, Léo et Thomas

Pour se rapprocher d'elle et espérer la reconquérir, Thomas décide d'utiliser le bébé de Mélanie, placée par les médecins en coma artificiel le temps qu'elle récupère. Marie est néanmoins véxée de le découvrir père même s'il précise être séparé de la mère du nourrisson. 
Marie et Valérie
(Charlotte Le Bon et Julie Ferrier)

Ce détail n'échappe pas à une des clientes de l'association, Valérie, mère célibataire et très entreprenante, qui cherche alors à le charmer. Par ailleurs, Marie lui raconte qu'elle a refait sa vie avec un certain Boris, qui travaille dans l'humanitaire à l'étranger.
Thomas et Paul
(Raphaël Personnaz et Jérôme Commandeur)


Suivant les conseils (plus ou moins avisés) de son meilleur ami, Paul, professeur de tennis mythomane et dragueur invétéré, Thomas perfectionne son rôle de "papa", mais Marie, résolue à se venger, lui résiste tout en étant troublé par le soin avec lequel il protège le bébé.
 Mélanie, Léo et Thomas
(Camélia Jordana et Raphaël Personnaz)

Mélanie sort du coma après cinq jours et est impatiente de récupérer son enfant. Elle passe remercier Thomas chez lui après avoir passé une nuit chez elle avec son fils. Mais, épuisée, elle s'assoupit et Thomas a alors l'idée folle d'enlever une dernière fois le bébé pour rejoindre Marie à son association, où elle donne une fête, et la faire craquer. Mais quand Mélanie se réveille et découvre, grâce à une brochure de "Bébés bonheur", où il est allé, elle provoque un scandale et dévoile l'imposture du jeune homme, aussitôt congédié par Marie.
Thomas et Marie

Revenant le lendemain lui présenter ses excuses, Thomas apprend que Marie est partie pour un séminaire en province. Il la rejoint à son hôtel et, contre toute attente, au terme d'une tirade désolée, gagne son pardon. Elle accepte alors de lui accorder une nouvelle chance.

Scénariste passé à la réalisation, Clément Michel a essuyé une pluie de critiques négatives et un échec public avec son premier long métrage. Il n'a certes pas choisi la facilité ni particulièrement brillé dans le délicat exercice de la comédie romantique, qui plus en affublant à son opus un titre médiocre. Mais tout n'est pas à jeter dans cet effort.

L'argument rappelle évidemment beaucoup celui de Trois Hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985), même si on n'a pas à supporter Michel Boujenah dans le cas présent (ce qui est déjà un poids en moins), et que le bébé miraculeusement tombé dans les bras du héros va devenir l'instrument d'une tentative de reconquête amoureuse tout aussi acrobatique. Tout le piquant de la situation se révèle alors puisque, un an auparavant, Thomas a perdu Marie en refusant d'être papa.

Ce postulat aboutit à des gags dans divers registres, inégaux, mais que la réalisation, fluide et efficace (l'affaire est pliée en 85 minutes) à défaut d'être inventive, sert simplement : Thomas fait l'expérience de la paternité avec les aléas que cela implique (d'abord en sérieuse difficulté avec le nourrisson, il finit par s'y attacher et s'en occupe avec tendresse et application), ensuite la présence de ce bébé rebat les cartes de ses relations (avec son meilleur ami Paul, dont les conseils foireux sont éprouvés, et Valérie, mère célibataire, séduite par ce beau jeune homme), enfin l'objectif de retrouver Marie est compromis par la nature même de son approche (fondée sur un énorme mensonge dont il sait qu'il faudra le lui révéler mais qu'il diffère, sachant qu'elle ne lui pardonnera pas davantage que d'avoir refusé de lui donner un enfant un an avant).

Avec ces trois pistes comiques, le cinéaste disposait d'une matière conséquente pour alimenter son récit en scènes plus drôles, et même délirantes, que le résultat, in fine très sage, et dont la happy end est plus qu'improbable.

En revanche, il est un terrain, plus inattendu, où le film est plus convainquant : en abordant frontalement la dépression réelle de son héros, il présente ses failles - et de ce point de vue, Thomas apparaît souvent borderline. Passe encore qu'il instrumentalise le bébé dans son intrigue amoureuse, mais quand il n'entend ni les mises en garde de Paul sur le fait qu'il faudra avouer son mensonge à Marie, qu'il rend l'enfant à contrecoeur à sa mère (à laquelle il a bien évidemment caché ce qu'il en fait) et qu'il le lui enlève une dernière fois, là, le garçon perd vraiment toute mesure et le spectateur comprend que sa solitude l'égare autant à la perspective de ne pas renouer avec Marie que de ne pas conserver le bébé. Dommage que Clément Michel n'ait pas osé souligner cette dérive, quitte à faire dérailler la comédie légère dans un malaise absurde.

Néanmoins, le film dispose de comédiens bien choisis : le couple Raphaël Personnaz-Charlotte Le Bon (en plus d'être deux acteurs physiquement séduisants) fonctionne vraiment bien, le jeu expressif ne sombrant jamais dans l'excès. Ils sont bien soutenus par Jérôme Commandeur, excellent en conseiller à la ramasse, et Julie Ferrier, en "chaudasse" pot-de-colle, sans oublier le premier rôle prometteur de la chanteuse Camélia Jordana.

Tout ça laisse un goût d'inachevé, frustrant, mais avec quelques idées et des interprètes indéniablement inspirées. 

dimanche 7 mai 2017

LIBRE ET ASSOUPI, de Benjamin Guedj (2014)


LIBRE ET ASSOUPI est un film écrit et réalisé par Benjamin Guedj, adapté du roman Libre, seul et assoupi de Romain Monnery.
La photographie est signée Georges Lechaptois. La musique est composée par Mathieu Lamboley.


Dans les rôles principaux, on trouve : Baptiste Lecaplain (Sébastien Morin), Charlotte Le Bon (Anna), Félix Moati (Bruno), Denis Podalydès (Richard), Suliane Brahim (Valentine Caillou), Isabelle Candelier et Jean-Yves Bertheloot (les parents de Sébastien).
 Bruno, Anna et Sébastien
(Félix Moati, Charlotte Le Bon et Baptiste Lecaplain)

Après avoir espéré que ses parents l'entretiendraient toute sa vie, Sébastien s'installe en colocation avec Anna, qu'il avait connu sur les bancs de la fac et qui travaille dans l'édition, et Bruno, épris secrètement de celle-ci et qui collectionne les petits boulots. Pourtant sur-diplômé (dans plusieurs disciplines), Sébastien, lui, ne veut pas travailler car il est estime qu'il perdrait sa vie à la gagner. 
Richard et Sébastien
(Denis Podalydès et Baptiste Lecaplain)

Pour payer quand même sa part du loyer, il demande le R.S.A. et, après avoir rencontré un premier assistant social peu commode, rencontre son remplaçant, Richard, beaucoup plus accommodant et charmé par la philosophie du jeune homme alors que lui n'a jamais su comment être heureux, se contentant d'une petite vie conformiste.  
Bruno, Anna et Sébastien

Trois mois passent et quelques aventures loufoques animent l'existence du trio. Bruno devient gardien dans un musée la nuit et entraîne Sébastien dans son délire (s'y balader en slip) jusqu'à ce qu'ils surprennent des cambrioleurs et réussissent à les décourager - ça n'empêchera pas Bruno d'être viré à cause de la vidéo-surveillance. Sébastien convainc Anna et Bruno des bienfaits de la danse pour se défouler entre deux séances sur le sofa - en se lâchant ainsi, la jeune femme, troublée, comprend qu'elle est amoureuse de Sébastien.  
Anna, Sébastien et Bruno

Peu après, Anna invite des camarades de Fac à une soirée mais la fête prévue tourne au procès contre Sébastien accusé par les invités de vivre aux crochets de la société, de profiter du système. Bruno prend sa défense mais c'est Anna qui approuve le plus le mode de vie "différent" de son ami par rapport à leurs vies rangées à tous.  
Bruno

Cela n'empêchera pas, quelques jours plus tard, Sébastien d'écoper d'une amende pour trouble à l'ordre public après avoir été pris à parti par une femme qui le dénonce au gardien du square de ne rien faire mais de manière insolente. Le jeune homme obtient grâce à Richard un job (surveiller les contenus qu'une chaîne de télé prévoit de diffuser) mais se fait licencier, surpris dans une situation compromettante, après avoir remarqué une syndicaliste, Valentine Caillou, dont il est tombé amoureux. Bruno, comprenant qu'il n'aura aucune chance d'être aimé d'Anna et d'être épanoui professionnellement, postule pour un poste de journaliste sportif (son rêve) et le décroche, ce qui lui permet de déménager. 
Anna

La bande éclate complètement quand Anna, qui a entamé une relation avec Marco, révèle à Sébastien l'avoir invité à habiter avec elle pour former un couple. Déçue et blessée par son indifférence, elle lui demande de partir vivre ailleurs. Sébastien se réfugie un temps chez ses parents et, suite à une expérience limite avec un ours échappé d'un cirque, décide de surmonter sa vraie peur : agir, quitte à échouer.  
Sébastien

Sébastien devient donc vendeur... De lits ! Il rencontre ainsi Valentine Caillou, venue s'équiper en literie. Ils se plaisent, se marient. Sébastien lâche tout afin que Valentine travaille et de s'occuper de leur enfant - un boulot à part entière !

Comment filmer la glande, un héros qui ne veut rien faire ? C'est tout le projet du premier film de Benjamin Guedj dont l'angle comique ne doit pas masquer la profondeur du traitement. Car, en ces temps où la performance est réclamée chez chacun, où on juge un individu à sa productivité, il y a une vraie audace à faire de son personnage principal quelqu'un qui assume pleinement "préférer rêver [sa] vie que de la vivre".

Pour cela, il respecte une véritable éthique de la paresse d'autant plus remarquable que Sébastien est sur-diplômé, adore apprendre, mais refuse de perdre son temps à gagner sa vie. Il vit à contre-courant avec flegme (comme l'illustre, joliment, une scène récurrente où il emprunte une rue empruntée par une horde de cols blancs affairés qu'il doit traverser pour gagner un espace libre). Ne rien faire, c'est du boulot, surtout si on veut bien le faire !

Ce contemplatif, qui lit aussi bien Bukowski, Garcia-Marquez que Franquin (Gaston est sa série favorite évidemment, aussi inadapté que lui à la vie en entreprise, bien que, lui, ne soit ni un écolo, ni un inventeur, ni un anar - Sébastien pourrait être le petit-fils urbain d'Alexandre le bienheureux), passe ses journées et ses nuits sur le canapé de l'appartement où il vit avec Bruno, qui cumule les emplois précaires et ennuyeux, en lorgnant sur la belle Anna, qui oeuvre dans l'édition et finit par en pincer pour Sébastien (qui ne s'en rendra même pas compte). Il peut également compter sur Richard, l'assistant social le plus cool qui soit, qui accepte par sympathie pour son anticonformisme (alors que lui n'a jamais osé marcher en dehors des clous) de le couvrir administrativement en lui obtenant des allocations.  

Mine de rien donc, le cinéaste livre un objet certes curieux, très marrant mais dense (90 minutes bien remplies). On devine ses références (Klapisch pour le héros citadin, l'usage de la voix-off, la jeunesse des protagonistes, mais aussi la stand-up comedy avec un découpage en forme de vignettes - qui forme cependant une narration solide, avec une évolution). On y cite Rousseau ("Pour parvenir au repos, l'homme doit travailler"), on s'y promène la nuit dans un musée en sous-vêtements (pour illustrer l'hilarante philosophie "slipiste" de Bruno, qui parvient à décourager deux voleurs en les culpabilisant car s'ils commettent leur délit, il sera viré), on calme un ours en lui parlant allemand, et on tombe amoureux d'une jolie syndicaliste passionnée (même si elle vous fait perdre votre emploi).

Riche en punchlines efficaces ("travailler vient du latin tripalium, torturer"), l'histoire n'est jamais vulgaire, encore moins fainéante ! Le film séduit en ayant l'air facile alors qu'il est rigoureux, parfois même cruellement émouvant (l'aveu d'Anna à Sébastien - qui évite une romance a priori convenue).

Et puis il est porté par des comédiens formidablement complices et justes - Baptiste Lecaplain est fabuleusement sympathique, Félix Moati parfait comme d'habitude en loser magnifique, et Charlotte Le Bon... Hé bien, elle est sublime au point que c'est la seule chose incompréhensible chez Sébastien de ne pas fondre devant elle ! 

Ajoutez-y un Denis Podalydès génialement lunaire et bienveillant, et vous verrez qu'il est impossible de résister à ce plaidoyer pour l'oisiveté pas si fantaisiste puisqu'il dénonce avec à-propos qu'aujourd'hui "on est est défini par ce que l'on fait, pas par ce que l'on est"

vendredi 5 mai 2017

LE BEAU MONDE, de Julia Lopez-Curval (2014)


LE BEAU MONDE est un film réalisé par Julia Lopes-Curval.
Le scénario est écrit par Julia Lopez-Curval et Sophie Hiet, avec la collaboration de Vincent Mariette. La photographie est signée Céline Bozon. La musique est composée par Sébastien Schuller.


Dans les rôles principaux, on trouve : Ana Girardot (Alice), Bastien Bouillon (Antoine), Baptiste Lecaplain (Kevin), Sergi Lopez (Harold), Aurélia Petit (Agnès), India Hair (Manon).
 Alice
(Ana Girardot)

Alice, 20 ans, vit dans une H.L.M. à Bayeux avec sa mère, récemment licenciée pour des raisons économiques. Pour gagner sa vie, la jeune femme est serveuse dans un salon de thé où elle est abordée par Agnès, une bourgeoise, qui a remarqué le pull qu'elle s'est tricotée et qui lui propose de l'aider à intégrer une école de stylisme où elle pourra se former à sa passion pour la broderie. Peu après, pour la remercier, car elle a été admise, Alice offre une écharpe à Agnès et rencontre son fils, le séduisant Antoine. 
Alice et Antoine
(Ana Girardot et Bastien Bouillon)

Tous deux installés à Paris, ils deviennent amants. Mais dans le milieu aisé du jeune homme, Alice a du mal à se sentir à l'aise tout en sachant qu'ils sont les clients des vêtements qu'elle confectionnera au sein d'un atelier de luxe. Elle éprouve de même une honte coupable lorsqu'elle présente Antoine à sa mère et son beau-père à cause de leur train de vie plus modeste. 
Alice et Antoine

Bientôt, Antoine propose à Alice de vivre avec lui. Mais après qu'Agnès offre à la jeune femme de lui décrocher un stage dans une maison de haute couture, Antoine reproche à Alice de céder à la superficialité du milieu de la mode et de ses clientes. Alice, elle, remarque le regard plus condescendant que bienveillant d'Antoine quand ils participent à une soirée en compagnie de Kevin (l'ex d'Alice) et Manon (sa meilleure amie), qu'il semble davantage considérer comme des sujets pour ses photos que comme des gens en situation de précarité.
Antoine et Alice

En vérité, de tous les personnes qu'elle côtoie, le seul à l'apprécier sincèrement est Harold, le mari d'Agnès et père d'Antoine, car, comme Alice, il vient du prolétariat et il sait par quels sacrifices il faut passer pour réussir sans oublier d'où l'on vient. Sensible à son caractère humble et à son talent, il lui propose de lui louer un studio jusqu'à ce qu'elle puisse s'assumer financièrement.
Harold et Alice
(Sergi Lopez et Ana Girardot)

Alice est touchée par cette attention, comme lorsque Harold la consulte au sujet d'une fragrance qu'il met au point en s'inspirant d'elle mais aussi des senteurs de son enfance à lui. Souvent absent car il va prendre des photos pour une future exposition ou des magazines (auprès desquels sa mère l'introduit), Antoine conçoit de la jalousie du rapprochement entre son père et Alice. 
Antoine

Est-ce pour cela qu'il accrochera des photos de la jeune femme et de sa mère (sans inviter cette dernière) dans la galerie où il présente son travail ? Ou parce qu'il n'a jamais jugé opportun de leur demander leur autorisation ? En tout cas, en le découvrant, Alice le lui reproche violemment et rompt avec lui. Kevin la réconforte en lui avouant l'avoir toujours admirée pour sa force de caractère et sa vocation qu'elle s'est battue pour accomplir.
3 ans après...

Trois ans après. A Arromanches-les-bains, où ils avaient passé leur premier week-end ensemble, Antoine, installé désormais avec une nouvelle fille, traductrice, à Berlin, retrouve Alice, qui travaille beaucoup, en collaboration avec Harold. Ils n'ont jamais pu oublier leur amour tout en ayant conscience qu'en se quittant ils ont pu vraiment avancer dans l'existence.

Julia Lopez-Curval, en cinq films, est parvenue à bâtir une filmographie reconnue par la critique et appréciée par un public de fidèles. Elle a choisi pour son dernier opus de traiter d'un thème rebattu, mais à sa manière, sensible et juste : l'amour entravé par les conventions sociales.

Le sujet n'est donc pas original, depuis Roméo et Juliette, la tragédie originelle de Shakespeare, il a inspiré plus d'un cinéaste, de bien des manières. Le résultat est ici probant, émouvant et sobre, même si on peut déplorer aussi un certain manque de souffle romanesque et un rythme un peu mollasson.

Alice, l'héroïne, est issue d'un milieu modeste mais elle est une brodeuse douée et appliquée qui saisit l'opportunité, quand elle se présente, d'intégrer une école où elle pourra se perfectionner. Son art est ingrat, c'est un labeur de l'ombre, minutieux, et son enseignant ne l'épargne pas pour qu'elle soit plus audacieuse. Parallèlement, elle quitte son petit ami pour tomber dans les bras du fils de sa bienfaitrice, un garçon séduisant, qui se vante volontiers de suivre de grands principes et affiche un mépris certain pour les frivolités du monde la monde. Progressivement, Alice comprend le gouffre qui la sépare d'Antoine, malgré l'amour qu'elle éprouve pour lui, parce que leurs divergences culturelles sont inspirées par la différence de leurs origines sociales - révélation soulignée par les dialogues engagés avec le père du jeune homme, qui, comme elle, vient du bas de l'échelle et est devenu un grand parfumeur grâce à la seule méritocratie.

Julia Lopes-Curval agrémente donc sa romance d'un discours social, mais sans lourdeur. Alice n'est pas une victime échouée dans une famille bourgeoise et les bras d'un amant cynique. Les situations sont plus ambiguës car on la voit aussi éprouver de la honte et de la colère contre sa mère au chômage, résignée, n'attendant plus que de recevoir ses indemnités de licenciement. Elle abandonne aussi sans regret Kevin, son fiancé, pour Antoine. 

La découverte de l'hypocrisie des bourgeois est aussi montrée de manière subtile, lorsque Alice surprend une discussion entre Agnès et sa fille où elles décrivent la jeune femme avec dédain et ricane en notant qu'elle ne ressemble heureusement pas à sa mère. La condescendance d'Antoine apparaît aussi progressivement : d'abord séduisant et aimable, il dévoile son vrai visage de fils capricieux, jaloux, jouisseur, indélicat.

Dans l'épilogue, avec les années qui ont passé, pourtant, tout cela s'est pacifié et on assiste à des retrouvailles douces-amères entre les amants : il n'est pas question de renouer, mais de faire le point, de féliciter chacun pour sa réussite et son bonheur - même si Alice, en répétant qu'elle "travaille beaucoup", dissimule mal les séquelles qu'elle conservées de cette éducation sentimentale et professionnelle.

Ana Girardot, (découverte dans Simon Werner a disparu... et qui sera tête d'affiche du prochain Klapisch, mi-Juin, Ce qui nous lie) d'une grâce absolue, joue avec finesse cette jeune femme instruite cruellement, face à Bastien Bouillon, déjà épatant (avant sa composition irrésistible dans La Prunelle des mes yeux) parce qu'il ne cherche jamais à sauver son personnage. On peut néanmoins regretter que le scénario n'ait pas mieux développé les seconds rôles, comme celui de Baptiste Lecaplain (dans un registre dramatique) ou, dans une moindre mesure, celui de Sergi Lopez (qui, cependant, s'en tire mieux, parvenant à faire exister Harold en peu de scènes par sa présence chaleureuse - même s'il assez déroutant qu'un comédien espagnol compose un rôle avec un prénom aussi anglo-saxon...).

Tout n'est donc pas parfait dans ce petit film, mais en fin de compte, le long métrage ressemble à un ouvrage de broderie, d'une belle finesse, et à un conte sur les désillusions endurées pour grandir.