vendredi 21 octobre 2016

L'AVENTURE DE MADAME MUIR, de Joseph L. Mankiewicz (1947)


L'AVENTURE DE MADAME MUIR (The Ghost and Mrs Muir) est un film réalisé par Joseph L. Mankiewicz.
Le scénario est écrit par Philip Dunne, d'après le roman de R.A. Dick (alias Josephine Leslie). La photographie est signée Charles Lang. La musique est composée par Bernard Hermann.


Dans les rôles principaux, on trouve : Gene Tierney (Lucy Muir), Rex Harrison (capitaine Daniel Gregg), George Sanders (Miles Fairley), Edna Best (Martha Huggins), Natalie Wood et Vanessa Brown (Anna Muir enfant et adulte), Anna Lee (Mme Fairley), Isobel Elsom (la belle-mère de Lucy), Victoria Horne (la belle-soeur de Lucy).
 La belle-soeur et la belle-mère de Lucy Muir
(Victoria Horne et Isobel Elsom)

Londres, à la fin du XIXème siècle. Lucy Muir, jeune et jolie veuve, annonce à sa belle-mère et sa belle-soeur qu'elle part s'installer dans un cottage en bord de mer à White cliff avec sa fille, Anna, et sa servante, Martha.
Lucy Muir et le capitaine Daniel Gregg
(Gene Tierney et Rex Harrison)

Sur place, contre l'avis de l'agent immobilier, elle fait l'acquisition d'un manoir qu'on prétend hanté par le fantôme du capitaine Daniel Gregg. Et, effectivement, dès le premier soir, Lucy fait la connaissance de ce spectre bougon mais inoffensif, qui voulait que sa demeure devienne un musée pour les marins et qui nie s'être suicidé comme le raconte la légende. Toutefois il promet ne n'effrayer ni Martha ni Anna.
Lucy Muir et Miles Fairley
(Gene Tierney et George Sanders)

En difficulté financière, Lucy accepte la proposition de Gregg de rédiger ses Mémoires de capitaine. Durant l'écriture ils se rapprochent tant et si bien que naît entre eux un sentiment amoureux. Mais leur romance étant sans avenir, il l'incite à rechercher un homme bien vivant. En se rendant chez un éditeur à Londres, Lucy est ainsi abordée par Miles Fairley qui lui fait la cour.
Lucy Muir et Daniel Gregg

Fairley lui révèle être l'auteur de livres pour enfants très populaires qu'il signe sous le pseudonyme d'oncle Neddy (qu'adore Anna Muir), puis Lucy apprend avec joie que son manuscrit va être publié - et donc qu'elle pourra conserver le manoir. Fairley suit Lucy à Whitecliff et ses efforts pour la séduire paient, mais provoquent la colère de Gregg - et le mépris de Martha, qui n'apprécie guère cet homme trop charmeur pour être honnête. Toutefois le capitaine se résigne et disparaît après avoir, durant le sommeil de Mme Muir, suggéré qu'ils ne se sont jamais vus. 
Lucy et Anna Muir
(Gene Tierney et Vanessa Brown)

De retour à Londres pour y signer son contrat d'édition, Lucy obtient l'adresse du domicile de Fairley et découvre qu'il est marié, et a été par le passé plusieurs fois infidèle. Dépitée, elle rentre au cottage.
Mme Muir et le fantôme

Lucy y finit ses jours paisiblement en compagnie de Martha. Anna, devenue une belle jeune femme, lui présente son fiancé, un lieutenant de marine, et lui propose, en vain, de venir vivre avec eux en ville. Elles évoquent le fantôme du capitaine avec complicité et aussi Fairley, que sa femme a quitté.
Les années passent. Lucy s'éteint paisiblement un soir et Gregg reparaît alors : elle recouvre sa jeunesse, telle qu'elle était quand ils se sont rencontrés, et leurs deux fantômes quittent la maison.

Ce film, une des plus belles (si ce n'est la plus belle) comédies romantiques fantastiques, a beau ne pas avoir été écrit par Joseph L. Mankiewicz, il est indéniablement une oeuvre du cinéaste à part entière car il explore ses thèmes de prédilection. C'est aussi l'ancêtre de Ghost de Jerry Zucker, dont on peut mesurer en les comparant le gouffre qualitatif qui les sépare : 43 ans après, le sucre a remplacé la magie.  

"Je suis ici parce que vous croyez en moi. Continuez à le croire et je serais toujours réel pour vous." affirme le fantôme du Daniel Gregg à Lucy Muir, et cette foi en un autre, même mort, illustre bien la relation étonnamment sensuel qui va lier le capitaine bourru et la jolie veuve : étant la seule à le voir (au moins dans un premier temps, puisque, beaucoup plus tard, sa fille avouera l'avoir vu aussi), Lucy reconnaît en cet homme sans doute celui qu'elle attendait et qui l'attendait aussi. C'est un véritable coup de foudre et leur passion, bien que chaste, est sans ambiguïté : il tolère sa présence plutôt que de vouloir l'effrayer et elle ne cessera de le regretter après avoir commis l'erreur d'avoir cru à la cour d'un séducteur mufle, cynique et égoïste (George Sanders, méprisable à souhait). Mais entretemps, autant par jalousie que par dépit, Gregg aura glissé une poignante déclaration d'amour à l'oreille de sa bien aimée alors qu'elle dort tout en lui suggérant de l'oublier. La force des sentiments qu'elle éprouve pour lui empêchera le souvenir du capitaine de s'évaporer complètement.  

Du scénario que Philip Dunne avait tiré du roman de R.A. Dick (nom de plume de Josephine Leslie - un parallèle troublant que celui de savoir que l'auteur de cette histoire est une femme quand le film montre une femme rédiger les Mémoires d'un homme...), Mankiewicz dit : "c'était une pure romance, et le souvenir le plus marquant que j'en garde est la scène des adieux du capitaine à la veuve : il y exprime le regret de la vie merveilleuse qu'ils auraient pu connaître ensemble. Il y a le vent, la mer, la quête de quelque chose d'autre... Et les déceptions que l'on rencontre. Ce sont là les sentiments que j'ai toujours voulu transmettre, et je crois bien qu'on en trouve trace dans presque tous mes films, comédies ou drames."

La dernière partie du film nous émeut par sa délicate mélancolie, après nous avoir auparavant distrait par un subtil mélange de comédie (le capitaine effrayant la belle-mère et la belle-soeur de Lucy, Lucy commençant à jurer comme le capitaine - ""Peste !") et de romantisme (l'admission des sentiments de la veuve pour le capitaine et réciproquement, jamais explicitement formulés ; l'entreprise de séduction de Fairley et la découverte de sa véritable nature par Lucy). Mankiewicz dessine aussi le portrait d'une héroïne très moderne par rapport à son époque, décidant de quitter la ville pour le bord de mer, en quête de renouveau plus que frivolité, gagnant son indépendance en devenant un écrivain à succès.

Ce temps des succès et des désillusions passé, Gene Tierney, sublime, toute en douceur et en détermination, vieillit sensiblement, sans artifice grossier (un maquillage discret, les cheveux blanchis - là encore, le film est admirable techniquement) : sa fille est devenue une jeune femme, fiancée (tiens, tiens) à un beau lieutenant de marine, seule sa fidèle bonne Martha est restée auprès d'elle. Pour figurer les années écoulées, le réalisateur montre le flux et reflux des vagues sur la côte, une mer de plus en plus agitée, annonçant le dénouement, accompagnés par un ensemble de cordes volontiers grandiloquent sur la musique de Bernard Hermann.

Pourtant, si le film échappe à toute mièvrerie, c'est parce que Mankiewicz montre la mort imminente alors, la fin inévitable, non pas comme un dénouement amer, miné par les regrets, mais comme un ode à l'amour et à la vie : le capitaine revient chercher Lucy et l'emmener avec elle, hors de leur manoir, et la manière dont Rex Harrison, imposant, rappelle sa "Lucia" en dit plus long sur ce qui les unit que tous les effets spéciaux du monde. La caméra enveloppe les amants avec une fluidité et une élégance infaillibles, dans une photographie ouatée superbe signée Charles Lang.  

Toujours, le cinéaste parvient à aller au-delà des codes du genre : d'abord spirituelle et enlevée, l'histoire se mue en songe méditatif sur la frontière entre vie et mort, amitié et amour, réalité et rêve. Ce tourbillon d'émotions nous emporte en seulement une centaine de minutes. Pour ses pairs, à l'époque, Joseph L. Mankiewicz se distinguait par son intelligence mais aussi son absence de vanité, ce qui lui permettait de si bien capter les personnages au coeur d'intrigues aux constructions parfois sophistiquées ou en mélangeant les genres avec brio. Toutes qualités ici synthétisées, dans une filmographie où les héroïnes menaient la danse avec une grâce infinie : à l'image de son cinéma.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire