mercredi 19 octobre 2016

LA GARCONNIERE, de Billy Wilder (1960)

100ème critique !

LA GARCONNIERE (The Apartment) est un film réalisé par Billy Wilder.
Le scénario est écrit par Billy Wilder et I.A.L. Diamond. La photographie est signée Joseph LaShelle. La musiqe est composée par Adolph Deutsch.


Dans les rôles principaux, on trouve : Jack Lemmon (C.C. Baxter), Shirley MacLaine (Fran Kubelik), Fred McMurray (J.D. Sheldrake), Jack Kruschen (Dr. Dreyfuss), Edie Adams (Miss Olsen).
 C.C. Baxter
(Jack Lemmon)

C.C. Baxter est employé comme comptable à la "Consolidated", une grosse compagnie d'assurances de New York. Il finit par obtenir une promotion-éclair en passant du 19ème au 27ème étage dans un bureau particulier où il voisine avec les cadres de la société.
En attendant de rentrer chez soi...

Pour en arriver là, Baxter, au caractère apparemment poli, ordonné et ponctuel, a prêté à ses collègues haut placés son appartement pour qu'ils puissent y fréquenter leurs maîtresses. Cela l'oblige à jongler avec un emploi du temps surchargé afin de contenter tout le monde, même si, parfois, il doit passer la nuit dehors - ce qui lui vaut un bon rhume. 
Fran Kubelik et C.C. Baxter
(Shirley MacLaine et Jack Lemmon)

Mais, donc, son organisation a payé : après avoir aidé plusieurs chefs de services, il est à présent sollicité par le big boss en personne, J.D. Sheldrake. Ce que Baxter ignore, c'est que son patron a séduit et donné rendez-vous à Fran Kubelik, la jolie liftière de l'immeuble de la compagnie, dont il est secrètement épris.  
Fran Kubelik e J.D. Sheldrake

 (Shirley MacLaine et Fred McMurray)

Mais la soirée entre la jeune femme et son amant se passe mal : Sheldrake explique qu'il ne peut pas divorcer comme il le lui avait promise et, n'ayant pas eu le temps de lui acheter un cadeau pour Noël, il lui remet un billet de 100 $, comme s'il la payait en vérité pour lui avoir accordé une faveur. Fra, désemparée après le départ de l'indélicat, erre dans l'appartement de Baxter et y trouve ses somnifères - ayant oublié que, lui, l'a attendu en vain toute la soirée pour assister à une comédie musicale (pour laquelle Sheldrake lui avait donné ses places).
Le Dr. Dreyfuss, Fran Kubelik et C.C. Baxter
 (Jack Kruschen, Shirley MacLaine et Jack Lemmon)

En rentrant chez lui, C.C. découvre le corps de Fran dans son lit et comprend qu'elle a voulu se suicider. Il va chercher son voisin, le Dr. Dreyfuss, qui réussit à la réanimer et lui laver l'estomac, puis qui ordonne à Baxter de veiller la jeune femme pendant 48 heures.
C.C. Baxter et Fran Kubelik

Durant ces deux jours, ils font mieux connaissance : il tente de la réconforter tout en veillant à ne pas trop dénigrer Sheldrake, mais en chassant quand même ses collègues lorsqu'ils veulent profiter de la garçonnière. Finalement, le beau-frère de Fran vient la récupérer et corrige, au passage, C.C. qu'il pense responsable de sa tentative de suicide. 
C.C. Baxter et J.D. Sheldrake

Pour le remercier de sa discrétion et du soutien qu'il a apporté à Fran, Sheldrake promeut Baxter en lui offrant la place de son assistant puis lui réclame un double de la clé de son appartement car, ayant entretemps quitté sa femme, il compte bien profiter de sa vie de célibataire. Mais, en comprenant que son patron n'a toujours pas l'intention de prendre soin de Fran, C.C. refuse et démissionne.  
C.C. Baxter et Fran Kubelik : "Je vous aime. - Taisez-vous et donnez."

En passant la fête du Nouvel An avec Sheldrake, Fran apprend le départ de Baxter de la compagnie. Touchée par ce qu'elle devine être la motivation de ce geste, et consciente de la lâcheté de son amant, elle court rejoindre C.C chez lui. Il lui avoue alors son amour et reprend la partie de gin-rami qu'ils avaient commencé lors du séjour de la jeune femme chez lui.

Un an après le triomphe de Certains l'aiment chaud !, Billy Wilder et son nouveau scénariste I.A.L. Diamond développent une nouvelle histoire dont l'inspiration est double : le cinéaste racontera plus tard en avoir eu l'idée en pensant à Brève Rencontre (1945) de David Lean où les deux amants utilisaient  l'appartement d'un ami pour se voir, et en se demandant à quoi ressemblait l'existence de ce dernier. Tony Curtis (que Wilder venait de diriger dans Some like it hot !) ajoutera qu'il utilisait aussi la chambre d'un copain pour y retrouver ses conquêtes féminines et l'avait confié à Wilder, qui ensuite lui répondra qu'il ne pouvait pas lui donner le rôle du propriétaire d'une garçonnière parce qu'il était trop beau. 

Le résultat est un miracle d'écriture, synthèse de la comédie grinçante dont les critiques avaient fait de Wilder le champion et de la chronique plus sentimentale à laquelle il s'était ouvert (dans, par exemple, Ariane, en 1957).  Le script se découpe, selon la structure classique privilégiée par le cinéaste, en trois actes (le prêt de la garçonnière par Baxter et la promotion que cela lui vaut, la révélation de la relation entre Sheldrake et Fran, le rapprochement entre CC et Fran)., alternant avec un équilibre extraordinaire l'humour et la mélancolie, la satire sociale et la romance. Cet accomplissement sera justement récompensé par l'Oscar du meilleur scénario original.

S'il ne fallait retenir qu'un dialogue pour résumer la prodigieuse finesse de l'ouvrage, comme l'illustration parfaite des enseignements de Lubitsch dans le cinéma de Wilder, ce serait celui de la scène du miroir : lors d'une fête donnée dans les bureaux de la "Consolidated", CC entraîne Fran dans son nouveau bureau du 27ème étage après que la jeune femme, troublée, ait appris par la secrétaire que Sheldrake a déjà eu d'autres maîtresses avant elle. Elle vérifie alors son maquillage avec son miroir de poche - accessoire que Baxter a déjà vu puisqu'il l'avait rendu à Sheldrake après que celui-ci ait séjourné à la garçonnière. Mais, autant que la découverte de la liaison de Fran et Sheldrake, ce qui désarme CC, c'est que la glace du miroir est cassée.

- "Le miroir... Il est brisé." dit-il. 
- "Je sais. Et c'est très bien ainsi. C'est comme ça que je me sens." répond-elle.

Une leçon de narration où il suffit d'un objet, de quelques regards pour exprimer toute la détresse des personnages, révéler leurs sentiments, préparer le tournant dramatique du récit. On a la gorge serré pour Fran Kubelik, et toute la peine du monde pour CC Baxter.    

Les personnages sont fortement caractérisés : CC Baxter passe, auprès de ses voisins (puis de certains de ses collègues), pour un noceur invétéré et un coureur de jupons insensible, et même le spectateur le considère d'abord comme un opportuniste pathétique. Mais sa psychologie s'affine progressivement et on reconnaît alors en lui un brave garçon, prisonnier de la combine qu'il a mise au point, proie des chefs de services auxquels il a rendus service plus que complice de leurs turpitudes. Lorsqu'il prend la mesure de l'indignité de son patron envers la femme que lui aime sincèrement, il décide de "devenir un mensch", un véritable homme, pour ne pas ressembler à ses méprisables supérieurs. Il renonce à tous les avantages durement acquis, tourne le dos au système, à l'ascension sociale, par amour et humanité. Le spectateur a alors la confirmation du bon fonds de CC Baxter, de son intégrité morale, de son courage, de la sincérité de ses sentiments.

Fran Kubelik est, elle, la femme fragile et manipulée par un homme puissant et odieux, profitant de sa crédulité avec cynisme, et découvrant tardivement mais avec la force de l'évidence qui l'aime vraiment. Cette figure est une des plus émouvantes et aussi une des plus modernes que le cinéma américain ait produite en ceci qu'elle souligne à quel point l'oppression dont son victimes les femmes dans le travail et l'amour. 

Au centre se situe Sheldrake et tous les cadres machistes et méprisables, cette élite dont Wilder épingle le comportement, la prétendue supériorité.

Pour incarner ces rôles, le cinéaste a si bien choisi ses trois comédiens qu'on ne peut imaginer personne d'autre qu'eux. Jack Lemmon y trouve sans doute son meilleur rôle et la confirmation de sa place de meilleur interprète de Wilder (après Certains l'aiment chaud !, et avant Irma la douce, en 1963 ; La grande combine, en 1966 ; Avanti !, en 1972 ; Spéciale première, en 74 ; et Buddy buddy, en 81). Il est parfait dans tous les registres de ce rôle complet, à la fois arriviste, naïf, amoureux.

Pour lui donner la réplique, Shirley MacLaine est également formidable, passant avec une facilité époustouflante de la détresse la plus cruelle à l'euphorie qu'autorise la découverte d'être vraiment désirée. Impossible de ne pas craquer devant son visage aux expressions si subtiles et intenses.

Enfin, seize ans après Assurance sur la mort, Fred McMurray retrouve Wilder, à nouveau dans un contre-emploi saisissant (il avait déjà hésité en 44 à jouer un criminel, il était aussi indécis en 60 alors qu'il vantait les parcs d'attractions de Disney à la télé pour camper ce mufle absolu), mais il est excellent car il ne cherche jamais à rendre sympathique ce patron sans scrupules et jouisseur égoïste.

Que l'Académie des Oscar n'ait distingué aucun de ces trois acteurs dans ce film reste une des grandes injustices de l'histoire des palmarès ! 

Mais, par ailleurs, La Garçonnière n'a heureusement pas été oublié lors de la cérémonie cette année-là puisque, à juste titre, la direction artistique du décorateur français Alexandre Trauner, la misen en scène de Wilder et le film lui-même (produit par le réalisateur) ont obtenu la statuette dorée. L'étonnante modernité du long métrage tient aussi à tout cela : avec son noir et blanc somptueux (où le chef opérateur Joseph LaShelle accomplit des merveilles, notamment dans les nombreuses scènes nocturnes et en intérieur), ses prises de vue fabuleusement alignées dans des perspectives magnifiques, et accompagnées par la musique d'Adolph Deutsch, on a l'impression que cette histoire fait basculer la façon de raconter dans une nouvelle ère. 

Il n'est donc guère étonnant que, lorsqu'il fut interrogé à ce sujet, Billy Wilder distinguait The Apartment comme son meilleur opus (avec Le Gouffre aux chimères, 1951 - le seul échec commercial pour lequel il gardait un sentiment d'injustice) : de la part d'un auteur qui était son son critique le plus intransigeant, cela disait tout.

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