samedi 27 septembre 2014

LE CORSAIRE ROUGE, de Robert Siodmak (1952)


LE CORSAIRE ROUGE (The Crimson Pirate) est un film réalisé par Robert Siodmak.
Le scénario est écrit par Robert Kibbee. La photographie est signée Otto Heller. La musique est composée par William Aldwyn.

Dans les rôles principaux, on trouve : Burt Lancaster (Vallo), Nick Cravat (Ojo), Eva Bartok (Consuelo), Leslie Bradley (baron Don José Gruda), Frederik Leister (El Libre).

Fin du XVIIIème siècle. Le capitaine Vallo dit "le corsaire rouge" fait régner la terreur dans les Caraïbes. 
Vallo et Ojo
(Burt Lancaster et Nick Cravat)

Le baron Gruda est chargé par le gouverneur d'Espagne de réprimer sévèrement le soulèvement d'une des îles de la région mais, en affrontant Vallo, il est abandonné par ses hommes et dépouillé de son bateau et de ce qu'il contient.
(Au centre) le baron Gruda
(Leslie Bradley)

Avec ce navire royal en sa possession, Vallo compte tirer un gros profit de la vente de ses armes aux rebelles et livrer le pirate El Libre aux espagnols, mais ses compagnons refusent ce dernier marché douteux et envisagent de se mutiner.
Vallo et Consuelo
(Burt Lancaster et Eva Bartok)

Epris de la fille de El Libre, il prend fait et cause pour les rebelles contre les Ibères.
Vallo et Ojo

Avec ce film d'aventures survitaminé, Robert Siodmak satisfait tout ce que le spectateur peut attendre de ce genre de productions : des combats spectaculaires, des héros hauts en couleurs, du romantisme exacerbé, des couleurs éclatantes. 105' de plaisir garanti !

Mais plus encore que toutes ces qualités réunies, c'est le parfait dosage entre les péripéties qui s'enchaînent à un rythme effréné et l'humour malicieux qui le distingue du lot : Vallo et Ojo, les deux corsaires affrontent mille dangers le sourire aux lèvres - deux rôles idéaux pour le duo Burt Lancaster-Nick Cravat.

Les deux hommes se connaissent bien puisqu'ils ont été, longtemps avant de faire carrière à Hollywood, partenaires et acrobates dans un cirque, ils réalisent donc toutes leurs (fabuleuses) cascades eux-mêmes, ce qui ajoutent aux frissons du divertissement.

Plus encore que dans La Flèche et le flambeau (Jacques Tourneur, 1950), Le Corsaire rouge fournit le cadre impeccable pour valoriser leurs talents d'interprètes et de voltigeurs, transformant le récit en un grandiose numéro et unique.

Mais ces moments exaltants ne doivent pas occulter que le script original, rédigé par Waldo Salt, a dû être remanié à cause d'allusions communistes qui valurent à l'auteur d'être "blacklisté". Malgré tout, l'histoire conserve son aspect subversif car il n'est pas commun d'assister à un soulèvement populaire à coups de nitroglycérine - transposition transparente de la possession par les soviétiques de la bombe atomique. La charge symbolique est également lisible et subtile comme lorsque des soldats espagnols en patrouille, bien alignés, tombent comme dans un jeu de quilles : esthétiquement, cela suggère que ce qui est en apparence si chaotique et en vérité le produit d'une minutieuse chorégraphie mise en scène avec précision.

Il ne faut toutefois pas sur-interpréter ce divertissement en le commentant comme un film trop politiquement engagé malgré son message de reversement de l'ordre établi. Les ruptures de ton dans l'intrigue, l'enchaînement des scènes d'actions, l'alternance de pathétique et de comique, tout concourt à amuser, dépayser, à ne pas se prendre au sérieux.

Si Le Corsaire rouge est sans aucun doute un sommet du film de pirates, encore 62 ans après, c'est aussi pour son esprit libertaire. Il marque un point culminant dans le genre dit du "swashbuckler" : en effet, l'effondrement progressif, au cours des années 50, du système traditionnel des grands studios allait rendre impossible le financement de telles productions tournées en mer sur des répliques grandeur nature de navires d'époque - éléments aujourd'hui remplacés par les possibilités techniques du numérique dans des films à la fois plus amples et plus boursouflés, plus longs mais moins vifs, sombrant (c'est le cas de le dire) dans une parodie grasse (voir la série des Pirates des Caraïbes).

Avec ce chef d'oeuvre, Robert Siodmak n'a pas seulement immortalisé le crépuscule des sympathiques pirates mais aussi une certaine manière de concevoir ce type de cinéma populaire. 

samedi 30 août 2014

LUCY, de Luc Besson (2014)


LUCY est un film écrit et réalisé par Luc Besson.
La photographie est signée Thierry Arbogast. La musique est composée par Eric Serra.

Dans les rôles principaux, on trouve : Scarlett Johansson (Lucy Miller), Morgan Freeman (Professeur Samuel Norman), Choi Min-sik (Monsieur Jang), Awr Waked (Pierre Del Rio).
Lucy Miller (Scarlett Johansson) prise au piège...

Lucy est une étudiante établie provisoirement à Taipei et qui sort avec un jeune homme aux activités louches. Il la piège en la forçant à livrer une mallette à un homme d'affaires, Mr Jang, dans un hôtel de luxe. Terrifiée, elle est victime d'un guet-apens et subit une opération chirurgicale au cours de laquelle on lui place un sachet d'une drogue de synthèse, le CPH4, dans le ventre. Elle est alors obligée, comme trois autres jeunes gens, de jouer la "mule" pour ce mafieux coréen en livrant le paquet à Paris.
En route pour l'aéroport, elle est enfermée et brutalisée dans une cellule, son geôlier en la frappant déchire le paquet dans son abdomen et libère la drogue dans tout son organisme. L'effet est radical et rapide : Lucy voit ses capacités physiques et mentales décuplées, ce qui lui permet de s'évader. Prenant conscience de ses pouvoirs, elle entreprend de se venger en s'en prenant d'abord au mafieux, puis en signalant les autres "mules" à la police européenne.
Ensuite, au fur et à mesure que le produit la transforme en une créature à la fois supérieure mais désensibilisée, elle s'interroge sur ce qu'elle pourrait faire d'elle et de ses facultés. La réponse lui est inspirée par les travaux d'un éminent professeur, Samuel Norman, spécialiste du cerveau qui a théorisé ce qu'il serait possible d'accomplir si l'être humain utilisait plus de 10% de ses capacités cérébrales.
Mais en voulant rejoindre le savant, Lucy le met aussi en danger car Mr Jang est déterminé à la fois à récupérer sa drogue et à tuer la jeune femme. C'est à Paris que Lucy achève son parcours en même temps que sa métamorphose, tandis que ses ennemis accomplissent un baroud d'honneur.
Lucy disparaît après avoir remonté jusqu'aux origines de l'univers et pour mieux réapparaître, en étant désormais partout et avoir fait don de ses connaissances à Norman et ses collègues scientifiques.
... Puis face à ses ennemis.

Il suffit de jeter un oeil (et plus, si affinités) sur la filmographie de Luc Besson pour constater la place centrale qu'occupe la femme chez lui : toutes ses héroïnes ont été incarnées par des actrices confirmées ou trouvant grâce à lui un rôle important. En comparaison, peu de ses oeuvres reposent sur des hommes, et quand c'est le cas, leur rapport à la femme bouleverse leur existence, de manière parfois tragique (Subway, Le Grand Bleu, Léon).

Qu'elles soient des créations originales (Le 5ème élément, Nikita) ou des personnages iconiques de l'Histoire (Jeanne d'Arc) ou d'oeuvres adaptées (Adèle Blanc-Sec), la femme est au coeur du cinéma de Luc Besson. Mais ce sont, passez-moi l'expression, souvent des femmes "qui en ont", à la manière des héroïnes de James Cameron, des nanas qui ne s'en laissent pas compter. Lucy n'échappe pas à la règle.
Lucy et le flic français auquel elle accorde sa confiance,
l'inspecteur Del Rio (Amr Waked).

C'est un film curieux. Luc Besson, cinéaste qui déchaîne les passions depuis ses débuts, dont les films ont, pour moi-même, suscité la passion, l'affliction ou l'indifférence, m'a cependant toujours semblé remarquable par son style propre : il fait partie de ces réalisateurs dont la composition des plans, le montage, la photographie, bref l'identité visuelle est immédiatement reconnaissable. Il y a une signature Besson.

Quand il lui est arrivé de s'inscrire dans les pas d'autres auteurs, il a aussi su le faire avec une efficacité notable, tirant parti visuellement au mieux de ce qu'une adaptation lui fournissait. Même si ce n'était pas une adaptation directe, les emprunts qu'il effectuait ou ce que lui inspirait le travail d'autrui pouvait être fantastiquement assimilé et projeté - en revoyant Le 5ème élément, il a ainsi rendu un hommage vibrant et ludique aux bandes dessinées de Jean-Claude Mézières et Moebius ; et Adèle Blanc-Sec réinterprète avec beaucoup de tonus ce qu'a produit Jacques Tardi.
Mr Jang (Choi Min-sik), le mafieux coréen et son gang.

Les citations, pourtant, Lucy en regorge et c'est peut-être ce qui étonne le plus, ou du moins premièrement, pour un film de Besson, d'autant que ce sont pas des citations dans le cadre d'une adaptation mais plutôt des emprunts à d'autres films. Pour un projet qu'il couvait depuis une dizaine d'années (mais Besson dit souvent ça de beaucoup de ses films, sans qu'on sache trop ce qui l'a empêché de les finaliser avant : ce n'est en effet ni l'argent ni le temps qui manquent à ce cinéaste mogul), c'est surprenant de constater qu'en fin de compte le résultat semble si peu personnel. Matrix, Limitless, 2001 : L'odyssée de l'espace, entre autres, sont reconnaissables.

Je ne critique pas, comme d'autres l'ont fait dans la presse ou sur le net, la plausibilité de l'histoire - avec les fameux 10% utilisés seulement par le cerveau humain, les pouvoirs qu'acquiert Lucy, ce qu'elle en fait, etc. C'est de la science-fiction, c'est-à-dire une extrapolation fantaisiste de la science et le débat qui consisterait à tracasser un auteur sur ce qui est crédible ou pas dans ce genre de récit est absurde. On peut se montrer plus tatillon sur les réflexions que cela inspire à Luc Besson, sur le fait qu'il exploite bien ou pas ce genre, mais enfin, chercher querelle à un auteur parce qu'il ose montrer des choses invraisemblables ou surréalistes dans le cadre de la science-fiction, c'est vouloir se chamailler à tout prix et pour n'importe quoi.

Non, ce qui m'a laissé perplexe, c'est la quasi-incapacité de Besson à nous faire partager la confusion extrême de son héroïne dans la situation où elle se trouve. Le film commence, il est vrai, par une scène aussi interminable que mal écrite et jouée, où le boyfriend de Lucy tente de la convaincre de livrer la valise à Mr Jang puis y parvient en la piègant : on se croirait dans une mauvaise parodie des célèbres dialogues à la Tarantino, et on se demande pourquoi Lucy ne se débarrasse pas de ce pauvre type en le giflant (ou pire) puis s'en va.

Mais ce piètre prologue s'étend à la rencontre entre Lucy et Mr Jang, avec l'intervention assommante d'un interprète au téléphone (il est difficile de croire qu'un caïd de ce calibre ne parle pas un mot d'anglais ou qu'il n'ait pas un homme de main dans son entourage immédiat qui le fasse).

Passée cette mise en place laborieuse, le film s'emballe une fois que Lucy est devenue une "mule". Je n'ai pas bien compris comment et pourquoi elle échoue dans une cellule avec des geôliers plus soucieux de la violer que de prendre soin de ce qu'elle transporte (il y a un souci dans la hiérarchie de la mafia coréenne), même si, évidemment, avoir Scarlett Johansson (très bien quand elle joue cette super-femme, nettement moins convaincante quand elle doit composer la frayeur, le désarroi, l'émotion) comme captive peut faire tourner la tête de n'importe quel homme, surtout un gangster sans scrupules. Tout cela n'a de toute manière qu'un objectif : déclencher l'accident qui va démarrer véritablement l'aventure avec la transformation de Lucy.

Et là, Besson recouvre tous ses moyens : il filme une Scarlett convulsant avec beaucoup de force, puis une fois transcendée, prête à prendre sa revanche. Il y a alors une succession de scènes formidablement filmées, avec des plans à la steadycam ou en travelling arrière comme Besson sait si bien les réaliser, des images à la composition reconnaissable entre mille (le personnage bien au centre du cadre, avançant vers nous, la caméra tournant autour de lui, un montage très bien dosé). 

Le film est relativement violent, avec ses fusillades, mais finalement très sobre en comparaison avec la moyenne de beaucoup de films d'action contemporains, plus ou moins réalistes, où ça défouraille à tout-va, où le décompte des morts est vite impossible, où l'hémoglobine coule à flots avec force détails sur les impacts, les membres atteints, etc. De la part du cinéaste de Nikita et Léon, c'est là encore inattendu, mais raccord avec le personnage-titre-sujet car Lucy n'est pas une tueuse professionnelle.

Pourtant, on peut s'interroger : le fil n'aurait-il pas gagné à être plus viscéral, plus âpre, au moins pour compenser les commentaires en voix-off que fait Lucy sur son évolution, la conscience de celle-ci, ses conséquences ? 

Dans Nikita, Besson réussissait à nous faire ressentir les différentes étapes de l'initiation de son héroïne (interprétée, il est vrai, par une Anne Parillaud vibrante), cette junkie récupérée par d'obscurs services spéciaux pour devenir une espionne-exécutrice, qu'une romance allait troubler au point de la reconnecter avec son humanité, sa vulnérabilité.

Cela, Luc Besson échoue à le faire passer dans Lucy. C'est en partie la faute au personnage lui-même, qui se déshumanise rapidement et inéluctablement, dans un registre encore plus subie que celui de Nikita. Mais c'est aussi quelque chose sur lequel bute le cinéaste et son actrice, tous deux incapables de communiquer la détresse de Lucy, détresse qui ne l'accable pas assez longtemps qui plus est. Sur 90' de film, Lucy ne souffre finalement pas tant que ça, pas très (pas assez) longtemps pour qu'on soit ému de son sort, et même lorsqu'elle agit pour se venger ou simplement écarter ceux qui se dressent devant elle, cela est mis en scène de manière étrangement frustrante (là on pouvait légitimement attendre une bagarre spectaculaire dans l'hôpital du Val de Grâce, Lucy se contente de faire léviter ses adversaires après les avoir désarmés télékinésiquement). Priver ainsi le spectateur d'un moment attendu est osé certes, mais prive encore davantage du partage des sensations qui le relierait à l'héroïne alors qu'elle pouvait étaler sa puissance de façon plus démonstrative encore (entre une bonne raclée façon Matrix et une correction expédiée façon X-Men 3, il y avait de la marge).   
Lucy et le professeur Samuel Norman
(Morgan Freeman).

C'est que Besson a aussi fait un autre choix problématique dans sa narration, qui ôte au film une partie de son aspect nerveux au profit d'une réflexion qui désensibilise le spectateur : en effet, pour ponctuer ce qui arrive à Lucy puis diriger son personnage au-delà d'une simple affaire de vengeance et de transformation, il introduit dès le départ un autre protagoniste, le professeur Norman. Celui-ci est d'abord montré tenant une conférence sur les capacités cérébrales et les extrapolations qu'il a faites sur leur augmentation (au passage, le cinéaste ne peut s'empêcher d'évoquer le cas des dauphins, ce qui renvoie au Grand Bleu, plus intelligents que l'homme car doté par exemple d'une écholocalisation naturelle). Lucy entre vite en contact avec lui après avoir repéré ses études sur le Net (une fois qu'elle a échappé à ses geôliers et acquis ses pouvoirs, puis fait un détour rapide dans un hôpital - dans lequel elle se déplace avec un énorme flingue à la main sans que cela n'émeuve personne, malades ou personnel... - où elle comprend alors qu'elle "dopée" mais que cela va précipiter sa mort).

Le personnage du Pr Norman, Besson s'en sert comme d'une synthèse pour donner une pseudo-caution scientifique à son histoire. Le générique de fin confirme que le cinéaste a consulté diverses sommités pour rédiger son script (mais sans qu'on sache trop ce qu'il a retenu de ses échanges avec elles et ce qu'il a préféré interpréter pour les besoins du divertissement). Cette béquille scénaristique, outre qu'elle est éculée, alourdit inutilement un film qui a pourtant l'avantage sur beaucoup d'autres longs métrages d'être rapide et bref (1h 30 par les temps qui courent, c'est un effort appréciable, surtout sans un montage épileptique). Les théories, invérifiables mais affreusement bavardes, que prononce d'une voix grave et monocorde Morgan Freeman sont supposées nous faire mesurer le phénomène fabuleux qu'incarne Lucy, la noblesse de ses décisions finales, l'importance historique que cela induit. En vérité, on le subit comme un nouveau commentaire de ce qui se passe, plus ronflant que les pensées de Lucy elle-même mais guère plus éclairant.

Je ne sais pas comment cela aurait pu mieux passer, mais le procédé narratif choisi par Besson encombre tout son film. Peut-être que si le Pr Norman avait été davantage écrit comme un guide, un inspirateur, un accompagnateur pour Lucy, cela aurait mieux fonctionné, mais là, ce prétendu grand savant a l'air plus sidéré de voir ses théories incarnées et déployées que de chercher à aider Lucy. La méprise de Besson tient à ça : son héroïne se déshumanise trop vite pour que le spectateur puisse raisonnablement s'identifier à elle, et le savant qui est implicitement convoqué pour fluidifier la compréhension des évènements a l'air encore plus perdu que le spectateur qui, donc, ne peut pas non plus s'identifier à lui car il comptait là-dessus pour accéder soit à la partie émotionnelle, soit à la partie intellectuelle du sujet.

Pourtant, comme s'il s'était aperçu que quelque chose clochait dans son affaire sur le plan narratif, Besson tente un autre coup très audacieux à la fin. 

Tandis que les protagonistes sont retranchés dans un bâtiment, avec d'un côté les méchants coréens (sur-armés en plein Paris sans que cela n'inquiète trop la police, qui devrait pourtant être sur le pied de guerre après avoir récupéré trois "mules" ensuite exécutées dans un hôpital prestigieux... Besson, qui insiste tant sur le temps passé à concevoir ses scénarios, semble ne pas se relire une fois qu'il peut les produire, négligeant la plus élémentaire vraisemblance dans des scènes de transition qui ne peuvent que faire tiquer a posteriori), et de l'autre la bande de copains savants de Norman avec Lucy et le flic français auquel elle fait confiance, le réalisateur orchestre une de ces fusillades homériques dont il a le secret - non qu'elle soit très originale (elle rappelle fortement l'assaut final de Léon, pour ne citer qu'un exemple dans sa propre filmo) mais elle est quand même efficace.

Et en même temps, Lucy se fait injecter toutes les doses de CPH4 des autres mules pour accéder au maximum de ses capacités, atteindre donc la connaissance absolue mais aussi un moyen de la stocker et de la remettre aux savants (au passage, là encore, ça me vient en l'écrivant, mais des mafieux coréens réussissent à produire un produit aussi puissant, cependant ils n'ont pas l'air de le savoir - pas complètement en tout cas - , ils commencent à le faire circuler mais seulement quatre échantillons, et quand bien même ils savent à la fin quels sont les effets de cette drogue, ils restent convaincus qu'ils vont éliminer Lucy sans trop de problèmes, après qu'elle les ait déjà plusieurs fois et spectaculairement vaincus... Je crois qu'en se limitant à une seule "mule", donc un seul sachet de drogue, tout aurait été plus acceptable car tout le monde - spectateur, héroïne, méchants, alliés - aurait été surpris par les effets du produit et l'issue serait restée incertaine...).

Mais bon, bref, Lucy, qui explique alors que l'unique mesure de la connaissance est le temps, et se laissant cannibaliser par la drogue et ses pouvoirs, va remonter le temps jusqu'aux origines de la terre mais aussi de l'univers. Besson s'en donne à coeur joie dans cette séquence où son brio filmique peut se déployer. Il use d'effets à la fois ludiques et intelligents (Lucy passe littéralement en revue les époques comme on fait défiler des image sur une tablette tactile, la caméra tourne autour d'elle, se rapproche, s'éloigne, les effets spéciaux sont bluffants tout en proposant une version de choses réaliste). Il est évident que tout cet épilogue est une dédicace au final de 2001 : L'Odyssée de l'espace de Kubrick, et d'ailleurs Besson comme Kubrick a le bon sens de se taire (enfin !), plus de voix-off, plus de commentaires, plus de théorisation pseudo-scientifique. On est, peut-être pour la première fois, réellement scotché dans son fauteuil, partageant ce rembobinage spatio-temporel avec Lucy (émaillé d'une scène culottée mais réussie où Lucy/Scarlett se trouve face à Lucy, la première femme, cet australopithèque découverte en 1974 par le paléoanthropologue Donald Johanson, le géologue Maurice Taieb et le paléontologue Yves Coppens).

La chute du film est à l'image de ce qui l'a précédée : Besson nous montre que tout ce que Lucy a pu stocker et transmet aux savants tient dans une banale clé USB, mais que Lucy comme créature a disparu pour être désormais littéralement partout (à la fois dans l'espace - et le temps ? - , veillant sur l'humanité comme une divinité immatérielle et plutôt bienveillante, protectrice). Que la connaissance primordiale et suprême tienne dans une clé USB ne produit pas une image bien fantasmatique (mais très improbable, ou alors il faut que ce petit objet est une capacité de stockage phénoménale...). Par contre, l'idée que Lucy ait atteint un état tel qu'elle n'a plus d'enveloppe matérielle, soit omnisciente et omniprésente, qui plus plutôt bien disposée envers l'humanité (qui ne l'a pourtant pas épargnée), c'est déjà plus inspiré, peut-être naïf, en forme de pirouette narrative (mais moins neu-neu que les dénouements du Grand Bleu, Nikita, Léon ou Le 5ème élément par exemple).

Lucy est un film étrange donc. Luc Besson, qui a souvent répété qu'il arrêtait le cinéma puis a nuancé cette échéance en affirmant qu'il désirait surtout ne pas faire le film de trop, peut s'offrir la sortie qu'il souhaite, sa réputation et ses résultats commerciaux lui permettent d'avoir les plus grandes stars, les budgets les plus considérables, et donc les projets les plus fous. Même s'il adore se décrire comme un mal-aimé, incompris par une certaine critique, tout en assurant qu'il s'en fiche, Lucy prouve qu'il n'a pas abandonné une certaine ambition, rêvant de livrer un film qui surprendrait ses détracteurs (voire les obligeraient à réviser - à réévaluer - son dossier).

Cela, il l'accomplit ici, non sans beaucoup de maladresses, mais avec un indéniable savoir-faire. Il est infiniment plus doué pour le mouvement, l'action, le spectacle, la fantaisie, que pour la réflexion, et ce n'est pas méprisable quand tant de cinéastes français savent peut-être mieux écrire mais filment si mal.

C'est un peu dommage que tout ne soit pas abouti comme cela pourrait l'être, c'est frustrant. Mais il faut reconnaître à Besson un courage certain pour tenter de raconter une telle histoire, réussir à la monter, à y faire adhérer quelques acteurs aussi renommés et un public aussi nombreux (avec certes des fidèles, mais certainement pas que). 

Et peut-être qu'en fin de compte la plus belle réussite de Lucy, c'est d'inspirer autant ceux qui le voient, qu'on soit plus ou moins satisfait...

samedi 3 mai 2014

CAPTAIN AMERICA : THE FIRST AVENGER, de Joe Johnston (2011)


CAPTAIN AMERICA : FIRST AVENGER est un film réalisé par Joe Johnston.
Le scénario est écrit par Christopher Markus et Stephen McFeely, d'après les personnages créés par Joe Simon, Stan Lee et Jack Kirby. La photographie est signée Shelly Johnson. La musique est composée par Alan Silvestri.

Dans les rôles principaux, on trouve : Chris Evans (Steve Rogers/Captain America), Hugo Weaving (Johann Schmidt/Crâne Rouge), Hayley Atwell (Peggy Carter), Tommy Lee Jones (Chester Phillips), Dominic Cooper (Howard Stark), Sebastian Stan (Bucky Barnes), Toby Jones (Arnim Zola), Samuel L. Jackson (Nick Fury).

De nos jours, une équipe du SHIELD retrouve dans les glaces de l'Arctique l'épave d'un avion et, à l'intérieur de l'appareil, un bouclier étoilé rouge, blanc et bleu...

En mars 1942, le chef de l'HYDRA, l'unité scientifique du IIIème Reich, Johann Schmidt, récupère dans la ville de Tonsberg, en Norvège, un tesseract, le Cube Cosmique, appartenant au père des dieux nordiques, Odin. 
Johann Schmidt/Crâne Rouge
(Hugo Weaving)

En 1943, dans le New Jersey, Steve Rogers est une nouvelle fois recalé au bureau de recrutement de l'armée américaine en raison de sa faible constitution physique. Il est alors abordé par le Dr. Abraham Erskine qui lui propose de participer à une expérience scientifique militaire secrète : il est question de créer un super-soldat, sous l'autorité du colonel Chester Phillips et de l'agent britannique Peggy Carter. 
Ayant reçu un sérum, Rogers est transformé en athlète mais Erskine est assassiné sous ses yeux par un espion nazi infiltré dans la laboratoire. Le savant a juste le temps, avant de mourir, de révéler à Rogers qu'un certain Schmidt a également subi le même traitement mais celui-ci n'étant alors pas complètement au point, il a souffert d'effets secondaires physiques et mentaux avant de s'enfuir. 
Dans le laboratoire du projet "Super-Soldat"

Dans les Alpes, Schmidt et le Dr. Arnim Zola réussissent à maîtriser l'énergie du Cube Cosmique. Zola veut l'employer pour ses futures créations et, pour affirmer l'indépendance de l'HYDRA vis-à-vis du Reich, Schmidt assassine les soldats nazis qui les surveillent. 

Cependant, les autorités américaines, refusant de sacrifier leur unique super-soldat sur le terrain, emploient Rogers pour jouer le rôle de "Captain America" dans des exhibitions destinées à soutenir le moral des troupes. 
Mais en Italie, Rogers apprend que son meilleur ami, Bucky Barnes, est porté disparu après avoir été capturé par les forces de l'HYDRA. Contre les ordres de l'Etat-Major, il décide d'aller le sauver, avec la complicité de Peggy Carter et du milliardaire Howard Stark (qui a financé le projet "super-soldat").  
Rogers libère, en affrontant les commandos de l'HYDRA, Barnes et les autres soldats capturés. Puis il combat Schmidt et découvre que le sérum qu'on lui a administré l'a défiguré, son visage décharné a cette couleur écarlate qui vaut le surnom de "Crâne Rouge".
Schmidt s'échappe et Rogers retourne à la base avec les soldats qu'il a libérés.
Captain America
(Chris Evans)

Ses supérieurs convaincus de l'efficacité de Rogers l'autorisent à former une équipe : il recrute Barnes, "Dum-Dum" Dugan, Gabe Jones, Jim Morita, James Montgomery Falsworth et Jacques Dernier pour attaquer d'autres bases de l'HYDRA. 
Stark donne à Rogers du matériel de pointe, dont un  bouclier circulaire en vibranium, un métal rare et quasi-indestructible. 
En s'en prenant à un train dans lequel Zola déplace des machines, Barnes tombe dans un gouffre mais le savant allemand est fait prisonnier par les américains. Résolu à venger Bucky, et gr^pace aux informations de Zola, Rogers lance un assaut contre la base secrète de Schmidt qui s'envole à bord d'un avion pour bombarder les villes américaines. 
En plein vol, le Cube Cosmique échappe aux deux adversaires et l'avion finit par se crasher dans une zone de l'Arctique. Rogers est considéré comme mort. 
Steve Rogers/Captain America et Peggy Carter
(Chris Evans et Hayley Atwell)

Pourtant, Rogers se réveille dans un hôpital. Troublé par une émission radiophonique, il s'échappe et découvre qu'il a survécu à une cryogénisation de plus de 70 ans, comme le lui explique le colonel Nick Fury... 

Pari risqué mais gagné : l'adaptation de Captain America par Joe Johnston pouvait faire craindre le pire mais le cinéaste aux commandes de Jumanji a su transformer cette commande des studios Marvel en une authentique réussite, qui vient s'ajouter à celle de Iron Man.

Le plus grand défi de ce projet consistait à montrer qu'un super-héros au pseudonyme prêtant à des interprétations discutables pouvait susciter l'adhésion au-delà des Etats-Unis. A l'heure où l'impérialisme américain est si décrié, la tâche s'avérait ardue mais, notamment grâce à son incarnation efficace et sobre par le comédien Chris Evans, Steve Rogers est à la fois resté ce boy scout aux couleurs de la bannière étoilée et un justicier qui dépasse le cadre patriotique.

Le script de Christopher Marcus et Stephen McFeely respecte fidèlement les origines du personnage, depuis ses multiples tentatives pour s'engager dans l'armée, sanctionnées par des échecs consécutifs à ses faiblesses physiques, jusqu'à l'expérience secrète et miraculeuse qui va le transformer en surhomme en passant par la "mort du père", le savant assassiné par un nazi infiltré, et ses retrouvailles avec son meilleur ami aux mains de l'ennemi.

Les qualités de cœur de Steve Rodgers parviennent à convaincre tous les rétifs, depuis les officiers militaires jusqu'au spectateur, et sa mue définitive en Captain America s'opère de manière ingénieuse et distancée (unique spécimen de son genre, il est d'abord préservé et cantonné à des exhibitions frustrantes pour remonter le moral des troupes avant de prouver sa valeur et son utilité en outrepassant les ordres).

On pourra regretter que son affrontement contre Johann Shmidt (Hugo Weaving, parfait entre caricature et méchanceté - même s'il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne reprendrait pas son rôle dans de probables suites) ne produisent pas des séquences aussi puissantes qu'espérées, des combats plus âpres, tout comme on déplorera que la mort de Bucky Barnes (fondatrice dans la carrière de Captain America) soit si mal mise en scène. Mais ces réserves mises à part, le film remplit complètement son contrat, abondant en scènes intenses et divertissantes, menées sur un rythme soutenu.

En proposant un Steve Rogers composant bon gré mal gré avec la légende de Captain America, maladroit avec les femmes, le personnage gagne en humanité et permet d'intégrer des éléments plus manichéens. Les seconds rôles campés par  Dominic Cooper, épatant en millionnaire génial et suffisant ; Tommy Lee Jones, impeccable dans la peau d'un gradé bourru, et Hayley Atwell, séduisante et déterminée en espionne anglaise, contribuent au plaisir simple mais efficace de ce grand spectacle, dont l'ambiance évoque le cinéma d'aventures classique (presque) plus que l'action movie super-héroïque convenue.

La réalisation de Joe Johnston emballe tout cela avec élégance et tonus, profitant d'un confortable budget qui a permis une magnifique reconstitution du New York des années 40, des  inventions de l'Hydra, des séquences en extérieurs spectaculaires.

Captain America : First Avenger déjoue donc toutes les craintes et se révèle une adaptation intelligente d'un personnage qui se prête si facilement à la caricature s'il n'avait été si subtilement présenté.