lundi 31 octobre 2016

LES INDESTRUCTIBLES, de Brad Bird (2004)


LES INDESTRUCTIBLES (The Incredibles) est un film d'animation réalisé et écrit par Brad Bird.
La musique est composée par Michael Giacchino.


Les voix françaises des personnages sont : Marc Alfos (Mr Indestructible / Bob Parr), Déborah Perret (Elastigirl / Helen Parr), Laure Pester (Violet Parr), Simon Konkissa (Flèche / Dash Parr), Amanda Lear (Edna Mode), Juliette Degenne (Mirage), Bruno Salomone (Syndrome / Buddy Pine), Thierry Desroses (Frozone / Lucius Best).

Buddy Pine est le plus grand fan du super-héros Mr Indestructible qui est, lui, singulièrement agacé par cet adolescent. N'ayant pu arrêter le super-vilain Folamour, le justicier est aussi bientôt poursuivi en justice par un civil qu'il a empêché de se suicider et par les autorités à cause des dégâts matériels occasionnés par ses combats. Le gouvernement décide alors de légiférer contre les hommes et femmes masqués qui quittent la scène.  
Bob et Helen Parr

15 années passent. Mr Indestructible a repris son identité de Robert Parr et mène une existence rangée, dans un pavillon de banlieue, avec sa femme, Helen,  l'ex-Elastigirl, et leurs trois enfants : l’aînée Violet, capable de devenir invisible et de créer un champ de force ; Dash dit "Flèche" qui peut se déplacer à grande vitesse ; et Jack-Jack, encore bébé. Bob travaille dans une société d'assurances dont il finit par être licencié après s'être mis en colère contre son chef, mais il le cache à son épouse. 
Jack-Jack, Helen, Violet, "Flèche" et Bob Parr.

C'est alors qu'il reçoit un message de Mirage, une jeune femme qui désire recruter Mr Indestructible pour une mission secrète contre une forte somme d'argent. Bob accepte et raconte à Helen qu'il doit s'absenter, à plusieurs reprises, pour les assurances. Mais sa femme commence à se douter qu'il ment et pense qu'il a une maîtresse.
Mirage et Mr Indestructible

Bob est tout de même curieux de savoir qui est le patron de Mirage et quand il découvre qu'il s'agit de Buddy Pine, devenu un richissime inventeur et super-vilain sous le pseudonyme de Syndrome, il est capturé.
Syndrome

De son côté, Helen apprend la vérité sur les voyages de son mari grâce à Edna Mode, qui confectionne des costumes pour les super-héros et qui y a intégré une balise miniature permettant de localiser Bob. 
Edna Mode et Helen Parr

Elastigirl reprend du service et part à la recherche de Mr Indestructible, suivie par Violet et Flèche jusqu'à l'île où Syndrome a son Q.G.
Les Indestructibles !

Là, la famille découvre que Buddy Pine compte envoyer un robot de combat en ville et le désactiver afin que la population le prenne pour un héros...

Ne cherchez pas/plus : le meilleur film de super-héros est et reste Les Indestructibles ! Cocktail idéalement dosé d'action, d'humour, avec des personnages fortement caractérisés et attachants, et une intrigue palpitante et pétillante, il réussit à combiner tous les éléments à la perfection, comme aucun long métrage "live" n'y est parvenu.

En 2004, pour la première fois pourtant, c'était la première fois que le studio Pixar choisissait des êtres humains comme personnages principaux. L'autre pari  était de confier l'écriture et la réalisation à Brad Bird dont le précédent film d'animation, Le Géant de fer, malgré de très bonnes critiques, n'avait pas rencontré un grand succès public.

La première réussite du film est de ne pas avoir cherché à s'inscrire dans l'hyper-réalisme, donc à délaisser les techniques mises en oeuvre sur des productions comme Final Fantasy et Le Pôle Express. En lieu et place, Brad Bird a préféré, avec intelligence, un graphisme "cartoon" plus traditionnel mais bénéficiant des finitions des images de synthèse.

Les personnages profitent de designs et de traits épurés mais très expressifs, et l'animation est aussi impressionnante de vivacité et de précision. Le rendu des textures est particulièrement remarquable, même pour un film qui a déjà douze ans d'âge. Les décors sont aussi élaborés avec une finesse dans la définition qui laisse pantois, qu'il s'agisse des séquences urbaines ou dans la jungle de l'île où opère Syndrome.

Le récit est mené tambour battant, comme souvent chez Pixar, les rebondissements s'enchaînent à toute allure, l'intrigue est admirablement ficelée. L'introduction est particulièrement jouissive avec la présentation de l'âge d'or des super-héros et leur retraite, traitées à la manière d'archives d'actualités (on reconnaîtra d'ailleurs la voix de Patrick Poivre d'Arvor dans les commentaires de ce prologue).

On peut juste regretter de ne pas savoir comment les justiciers ont acquis leurs pouvoirs, mais c'est un tout petit bémol.

La description de la vie de la famille Parr, l'amitié de Bob avec Lucius Best (alias Frozone), les relations entre la personnalité des enfants et leurs pouvoirs (Violet capable de devenir invisible est d'une timidité maladive, "Flèche" qui court à grande vitesse est farceur et insolent), sont fabuleusement inspirées.

Brad Bird manie les références avec un authentique génie, adressant des clins d'oeil qui raviront les fans de comics : les Indestructibles font penser aux Quatre Fantastiques, mais avec des aptitudes différentes (la rapidité de Flèche évoque Flash ou Quicksilver, l'invisibilité et le champ de force de Violet renvoient à Sue Richards, Elastigirl reproduit de manière féminine Red Richards ou Ralph Dibny et Plastic Man, Frozone rappelle Iceberg, Mr Indestructible Hercule, Syndrome le Dr Fatalis...).

A la caricature de l'embourgeoisement et de l'ennui d'une vie rangée succède une relecture brillante des codes du film d'espionnage (éloquente dans la partie où Mr Indestructible est sur l'île de Syndrome), la parodie de la mode (avec le personnage de Edna), et une version des blockbusters à grand spectacle (avec le dernier acte mettant en scène le robot géant). 

C'est sans doute parce qu'il ne se cantonne pas au registre super-héroïque que le film est si réjouissant : il ironise sur les icônes populaires sans jamais sombrer dans le sarcasme, il mixe James Bond et les BD de Marvel et DC Comics, abonde en "morceaux de bravoure" (la scène des portes avec Elastigirl, la course poursuite de Flèche dans la jungle), sans jamais lever le pied mais sans non plus expédier aucun de ses blocs narratifs. Le script se permet même quelques réflexions sur l'identité (son affirmation, sa protection, mais aussi la tolérance de celle des autres - pertinent quand on est doté de pouvoirs qui vous mettent forcément à l'écart du commun des mortels) la véritable cruauté des méchants (qui ne soucie pas de l'âge de leurs victimes). 

Il existe un expression anglaise pour définir ce genre d'oeuvre : "instant classic", classique immédiat. Un titre que mérite ces Incredibles distrayant et intelligent, produit par un des cinéastes américains les plus accomplis (comme l'ont prouvé ses films suivants, de Ratatouille à A la poursuite de demain et passant par Mission : impossible - Protocole fantôme).

VICE-VERSA, de Pete Docter et Ronnie Del Carmen (2015)


VICE-VERSA (Inside Out) est un film d'animation réalisé par Pete Docter et Ronnie Del Carmen, produit par Pixar.
Le scénario est écrit par Meg Lefauve, Josh Cooley, Pete Docter et Ronnie Del Carmen, d'après l'histoire imaginé par les deux derniers. La photographie est signée Patrick Lin et Kim White. La musique est composée par Michael Giacchino.


Les voix sont doublées par (vo/vf) : Kaitlyn Dias/Clara Poincaré (Riley Andersen), Amy Poehler/Charlotte Le Bon (Joie), Phyllis Smith/Marilou Berry (Tristesse), Lewis Black/Gilles Lellouche (Colère), Mindy Kaling/Mélanie Laurent (Dégoût), Bill Hader/Pierre Niney (Peur), Kyle MacLachlan/Alexis Victor (le père de Riley), Diane Lane/Françoise Cadol (la mère de Riley), Richard Kind/Didier Gustin (Bing Bong).
Riley Andersen entre sa mère et son père

Fille unique, Riley est une pré-adolescente de onze ans qui vit heureuse avec ses parents dans le Minnesota. Cinq émotions résident dans le Quartier Général de son cerveau : on trouve là Joie, à l'enthousiasme débordant ; Tristesse, toujours dépressive ; Peur, toujours craintif ; Dégoût, volontiers dédaigneuse ; et Colère, jamais satisfait et impulsif. 
Au Quartier Général des émotions :
Colère, Dégoût, Joie, Peur et Tristesse

Ce délicat équilibre est bouleversé le jour où Riley doit suivre ses parents en Californie où son père est muté pour son travail. Sur place, le dépaysement est total et la fillette est désorientée, d'autant que les meubles ne sont même pas encore arrivés. Dans le QG, Tristesse redoute le pire pour la suite et Joie a fort à faire pour raisonner le groupe de ne pas céder à la panique.
Premier jour dans sa nouvelle école pour Riley

Pourtant la situation ne se présente pas bien très rapidement : dès son premier jour dans sa nouvelle école, Riley fond en larmes au moment de se présenter à ses camarades de classe, regrettant son existence dans le Minnesota. Joie comprend qu'il faut aider la fillette avant que son moral ne chute. 
Riley dîne avec sa mère et son père

Pendant le dîner avec ses parents, Riley exprime son ressentiment contre son père qu'elle juge responsable de sa détresse. Il réagit avec virulence en la renvoyant dans sa chambre et, même s'il vient ensuite s'excuser en lui promettant que tout va bientôt s'arranger, ils restent fâchés. Joie, Tristesse, Colère, Dégoût et Peur observent avec inquiétude les quatre îles de l'imaginaire de Riley trembler : c'est certain, s'ils ne font pas quelque chose, la Famille, l'Amitié, le Hockey (sport que pratique avec passion Riley) et les Bêtises sont compromises.
Les cinq émotions observent les quatre îles de l'imaginaire de Riley :
la Famille, l'Amitié, le Hockey et les Bêtises.

Alors que Joie tente d'insuffler de la bonne humeur à Riley durant son sommeil, Tristesse touche par mégarde une des billes avec laquelle Joie communique son émotion. Tout l'équilibre est affecté et Joie doit accéder à l'Unité Centrale des pensées pour le rétablir, mais Tristesse y est entraînée avec elle. Colère, Dégoût et Peur restent seuls aux commandes et les conséquences sont ravageuses.
En l'absence de Joie et Tristesse, ce sont Dégoût, Colère et Peur
qui restent aux commandes.

Tandis que Joie et Tristesse doivent trouver l'accès à l'Unité Centrale via un véritable labyrinthe, Riley interrompt brusquement, sous le coup de la Colère, un tchat avec une de ses amies du Minnesota : l'île de l'Amitié s'effondre dans les oubliettes !
Joie et Tristesse reçoivent l'aide de Bing Bong, l'Ami Imaginaire de Riley, qui les guide jusqu'au Train de la Pensée. Mais le voyage est mouvementé et tourmente encore davantage Riley comme le constate Peur, qui est de garde au QG. 
Continuant leur périple dans l'inconscient de Riley, Joie et Tristesse remarquent que l'île des Bêtises puis celle du Hockey sont détruites à leur tour. Colère a pris les commandes avec Dégoût et Riley a décidé de fuguer pour rejoindre le Minnesota en volant la carte bancaire de sa mère afin de se payer le voyage en bus.
Joie réussira-t-elle à convaincre Tristesse qu'elle peut sauver Riley ?

Joie et Tristesse de retour au QG après avoir perdu, tout comme Colère, Dégoût et Peur, leurs connections avec Riley, plus personne ne sait quoi faire pour raisonner la fillette. Seule l'île de la Famille est encore à peu intacte mais les parents Andersen, sans nouvelles de leur fille, sont affolés. 
Joie a alors une intuition géniale et implore Tristesse de provoquer des regrets chez Riley. Ne pouvant se résoudre à quitter ses parents, elle rentre chez eux. Après leur soulagement, elle leur explique pourquoi elle est si malheureuse. Son père et sa mère la réconfortent en lui racontant que s'ils ne peuvent plus vivre dans le Minnesota, le meilleur reste à venir, ici, à San Francisco. 
Quelque temps passe : Riley s’est fait de nouveaux amis et a repris le hockey, ses parents assistent, enthousiastes, à son premier match avec sa nouvelle équipe, et elle croise même un garçon qui tombe amoureux d'elle au premier regard. Dans le QG, les cinq émotions sont ressoudés tout en s'interrogeant sur un nouveau bouton sur leur tableau de commande appelé "Puberté"...

Depuis Toy Story 3 (2010), le studio Pixar, bien que continuant à collectionner les succès commerciaux, capitalisait surtout sur d'autres suites (Cars en 2011, Monstres Academy en 2013) tandis que ses meilleurs réalisateurs (dont le meilleur d'entre eux, Brad Bird) s'échappaient. Les fans de la première heure s'interrogeaient alors sur la dissolution du studio dans la galaxie Disney à laquelle il appartient désormais - même si John Lasseter a toujours assuré que les patrons de l'usine à Mickey lui fichait la paix.

Les craintes ont été balayées avec la sortie triomphale, aussi bien auprès de la critique que du public, de Inside Out, nouveau chef d'oeuvre combinant un propos ambitieux avec la perfection technique. D'une certaine manière, comme dans l'intrigue de ce nouvel opus, le Quartier Général de Pixar avait pour mission de rétablir la situation et c'est Pete Docter assisté de Ronnie Del Carmen qui s'en sont chargés après une laborieuse conception (la production a commencé dès 2009). 

Le cerveau de Riley Andersen (un nom de famille qui renvoie au célèbre conteur) est occupé par un autre QG où cinq émotions principales (Joie, Tristesse, Dégoût, Peur et Colère) s’agitent pour préparer le devenir de leur hôte mais aussi gérer ses souvenirs (matérialisés sous la forme de petites boules colorées rangées dans une gigantesque et dédalesque bibliothèque mémorielle). Lorsque la fillette doit déménager à cause de la mutation professionnelle de son père, quittant son Minnesota chéri pour San Francisco, tout est remis en cause...

Sur cet argument, simple mais riche de possibilités narratives (le paysage mental d'une fillette devant s'adapter à une nouvelle vie et une nouvelle ville), les scénaristes explorent avec malice mais aussi invention et émotion l'évolution d'une enfant de onze ans subissant une situation imposée par des adultes. Les auteurs en profitent pour filer la métaphore avec le cinéma puisque les souvenirs stockés sont projetés sur une toile blanche comme un film sur un écran et les sphères colorés remplacent les bobines de pellicule. La bibliothèque ressemble elle à une cinémathèque immense, avec ses longs métrages muets (la petite enfance), ses courts métrages (les anecdotes), ses Super 8 (les films de famille), ses grosses productions (les étapes les plus marquantes des onze premières années d'existence), etc.

Dans les plis du cerveau de Riley, Joie et Tristesse, lors de leur mission, traversent un studio de tournage (occupé par le tournage des rêves et cauchemars), empruntent un train (clin d'oeil au premier véhicule filmé par les frères Lumière) dont les wagons transportent tout ce que la mémoire retient sur des chemins de fer en forme de pellicule. 

Cette esthétique foisonnante répond à la subtilité des rebondissements du scénario, avec ses oubliettes, ses îles de l'imaginaire (correspondant aux fondements de la vie quotidienne de la fillette), tandis que, dans le monde réel, physique, les scènes relaient les tourments de Riley mais aussi de ses parents, émus par ce qui agite leur progéniture. 

Les émotions retenues sont élémentaires mais judicieusement choisies, et leur design, simple et efficace, garantit au spectateur des moments à la fois drôles et touchants au fil d'un récit mouvementé : la Joie est jaune, le Dégoût est vert, la Colère est rouge, la Tristesse est bleue, la Peur est mauve - une palette qui est à la fois facilement identifiable et compréhensible. 

Vice-Versa réussit brillamment, et pas seulement par la beauté formelle, la qualité technique de l'animation, le soin de la réalisation (qui parvient à démarquer le monde réel de celui des émotions par des mouvements de caméra, des angles de vue, des effets de montage), à conjuguer l'humour et l'émotion justement des meilleurs films produits par Pixar : on rit, on est ému, mais le loufoque est toujours nuancé, voire supplanté, par la mélancolie. Ne nous y trompons pas, s'il s'agit d'un divertissement "familial" très efficace, c'est aussi une histoire sur la perte, le deuil, la fin de l'innocence, comme en témoigne le second rôle qu'est Bing Bong, l'ami imaginaire, qui se sacrifiera pour que Joie et Tristesse sauve Riley et sa famille. Errant dans la mémoire de la fillette, qui l'a oublié, et s'évaporant dans les oubliettes, sa disparition est un moment poignant et charnière du film.

Bien entendu, tout finira bien, mais non sans avoir invité le spectateur à une réflexion sur le passage de l'enfance à l'adolescence : avec humour quand les cinq émotions s'interrogent sur le bouton "Puberté" sur leur nouvelle table de commande, mais aussi avec gravité (avec la tentative de fugue) et tendresse (avec le garçon qui tombe amoureux au premier regard avec Riley).  

Ce portrait d'une enfant à la croisée des chemins, adresse ses adieux à aux émotions absolues et, si elle troublera sans doute les plus jeunes spectateurs, elle rappellera aux plus vieux le temps de l'innocence, si bien évoqué ici par les magiciens à nouveau inspirés (et récompensés par un Oscar du meilleur film d'animation cette année) de Pixar. 

dimanche 30 octobre 2016

LA DERNIERE SEANCE, de Peter Bogdanovich (1971)


LA DERNIERE SEANCE (The Last Picture Show) est un film réalisé par Peter Bogdanovich.
Le scénario est écrit par Peter Bogdanovich et Larry McMurtry, d'après le roman de ce dernier. La photographie est signée Robert Surtees. La musique est composée de chansons des années 1950 (Eddie Arnold, Hank Williams, Tony Bennett, Frankie Laine, Johnny Ray, Hay Starr).


Dans les rôles principaux, on trouve : Timothy Bottoms (Sonny Crawford), Jeff Bridges (Duane Moore), Cybill Sheperd (Jacy Farrow), Ben Johnson (Sam Le Lion), Cloris Leachman (Ruth Popper), Ellen Burstyn (Lois Farrow), Sam Bottoms (Billy).

1951. Anarene, Texas. L'ennui écrase ce patelin perdu où les seuls endroits pour se distraire sont le bistrot-billard, le cinéma "Royal" et le diner, tenus par Sam Le Lion, dans la rue principale.
 Duane Moore, Jacy Farrow et Sonny Crawford
(Jeff Bridges, Cybill Sheperd et Timothy Bottoms)

Dans leur dernière année d'études secondaires, c'est là que se croisent trois amis : il y a Sonny Crawford, timide et mélancolique ; Duane Moore, son meilleur ami extraverti ; et Jacy Farrow, jeune fille de bonne famille et petite amie de Duane. Comme tous les gens de leur âge, ils sont mal vus par la précédente génération qui les considèrent comme des oisifs, se fréquentant alors qu'ils sont issus de milieux sociaux différents, et (pour les deux garçons) incapables de faire gagner l'équipe de football locale.  
Ruth Popper et Sonny Crawford
(Cloris Leachman et Timothy Bottoms)

Sonny, secrètement épris de Jacy, entame une liaison avec Ruth Popper, la femme de son professeur de sport, qui se sent seule. Duane est jaloux parce que Jacy fréquente d'autres garçons de la bourgeoisie locale avec lesquels elle risque de le tromper pour perdre sa virginité.
Jacy Farrow et Duane Moore
(Cybill Sheperd et Jeff Bridges)

Pour s'amuser, un week-end, Sonny et Duane décident de partir en ballade au Mexique sur un coup de tête. Sam Le Lion leur file quelques dollars et leur conseille d'être prudents quand même.
Sam Le Lion
(Ben Johnson)

Mais à leur retour, les deux garçons apprennent, sidérés, que Sam Le Lion est mort subitement, fauché par une crise cardiaque dans son bar. 
Jacy et Lois Farrow
(Cybill Sheperd et Ellen Burstyn)

Cette disparition précipite la fin de l'âge de l'innocence. Duane est incapable de faire l'amour avec Jacy quand, enfin, elle se donne à lui, et il part chercher du travail à Odessa - il finira par s'engager dans l'armée pour aller combattre en Corée. 
Sonny et Jacy

Sonny délaisse Ruth en cédant aux avances de Jacy - elle le convainc de l'épouser avant que ses parents ne la récupèrent et fassent annuler leur union prononcée en Oklahoma. Puis Billy, un adolescent simple d'esprit, qui suivait Duane et Sonny partout, meurt accidentellement, renversé par la camionnette d'un fermier.  
Duane et Sonny

Dévasté de chagrin, Sonny tente de mettre fin à ses jours mais se ravise et va frapper à la porte de Ruth. Il s'excuse de l'avoir abandonnée et, après avoir exprimé sa colère, elle accepte de le pardonner, lui jurant d'être toujours pour lui. 
A Anarene, une dernière projection est donnée au "Royal". 1972 approche et avec cette nouvelle année, une époque se termine pour ce patelin et ses habitants.

En 1971, soit trois ans après son début de carrière, Peter Bogdanovich tournait son chef d'oeuvre avec La Dernière Séance, qui remporta deux Oscar (pour Cloris Leachman dans le second rôle de Ruth Popper et Ben Johnson dans celui de Sam Le Lion, dans la même catégorie - une maigre récolte pour un tel film). Aujourd'hui, le long métrage fait partie du top 100 des films américains de l’American Film Institute et a été désigné pour être l’un des films préservés par la Bibliothèque du Congrès des États-Unis.

Ce qui épate, c'est la maturité du résultat : le réalisateur a su assumer ses influences tout en produisant un film personnel. L'histoire n'a pas vraiment d'intrigue, c'est une chronique composée d'épisodes, qui va d'un personnage à un autre, avec en son centre le trio Sonny-Duane-Jacy et en son coeur la figure de Sam Le Lion. Les héros que met en scène Bogdanovich sont jeunes et (encore) innocents mais sans avenir, saisis dans un somptueux noir et blanc (signé du chef opérateur mythique Robert Surtees, à qui on doit l'image aussi bien de Ben-Hur que du Lauréat) - en réaction à la couleur et aux prises de vue sophistiquées désormais possibles dans les années 1970. Cette esthétique, austère, permet aussitôt au spectateur d'être transporté en 1951 dans ce bled perdu du Texas, ce no man's land balayé par le vent, dominé par un ciel laiteux. 

La reconstitution est minimale mais saisissante, l'ambiance de ce quotidien morne est traduite par de longs plans simples mais admirablement composés, avec une lumière tantôt douce, ouatée, tantôt crue, dure, où le noir profond le dispute à la clarté.

Mais plus que l’ennui, c’est une atmosphère crépusculaire qui baigne le film, un curieux pressentiment de deuil, de fin d'une époque. Comme Anarene est un village, tout s'y sait, aucune intimité n'est possible et chacun compose avec ça - parfois en s'en arrangeant, en voulant en profiter (comme la belle Jacy qui veut perdre sa virginité mais pas la face avec Duane, charmeur un peu vantard mais rustre) ; parfois en s'échinant à se cacher (comme Sonny qui réconforte puis s'attache à Ruth, l'épouse délaissée de son professeur de sport, dont il devient à la fois le fils de substitution et l'amant ). 

Dans cette communauté, la figure de Sam Le Lion (dont on apprendra l'origine de ce flamboyant surnom par la mère de Jacy, dont il fut le premier amour à l'âge qu'a sa fille aujourd'hui - laissant au spectateur la possibilité d'imaginer que Jacy est le fruit de leur passion) domine tout le monde par son intégrité morale et son humanité digne (comme en témoigne la scène où il réprimande la bande Sonny et Duane qui a stupidement humilié Billy le simple d'esprit en voulant le dépuceler avec une prostituée mexicaine). Ce personnage est d'un autre temps et évoque l'Ouest sauvage, une époque révolue, vieux cowboy solitaire : comme il se doit, c'est un acteur emblématique du genre qui l'incarne - l'immense Ben Johnson (La Charge héroïque, L'Homme des vallées perdues, La Horde sauvage).

C'est lui qui programme des classiques dans son cinéma, le seul endroit où on peut oublier l'extérieur : on projette au "Royal" (qui était aussi le nom d'un des deux cinémas dans la ville où j'habite autrefois...) Le Père de la mariée de Vincente Minnelli ou, lors de la fameuse toute dernière séance, La Rivière rouge de Howard Hawks, des longs métrages montrant une vie plus gaie et des espaces différents que ceux d'Anarene. Il est le seul à observer les errances de ces jeunes et à tenter de les recadrer, sans paternalisme, mais en essayant de leur enseigner subtilement des valeurs simples (la solidarité, la dignité, le respect, l'humilité). 

Malgré la sagesse de cet ancien, Sonny (Timothy Bottoms, inoubliable) couche avec l'épouse (Cloris Leachman, frémissante) d'un de ses profs, qui a l'âge d'être sa mère et dont le mal de vivre est incurable. Duane (Jeff Bridges, formidable) est impuissant (d'abord au sens figuré puis au sens propre) face à Jacy (Cybill Sheperd, dans son premier rôle, renversante), en quête de sensations fortes auprès de jeunes hommes aisés ou plus mûrs et expérimentés qui feraient d'être une vraie femme alors même qu'elle ne fait qu'être manipulée par les uns comme les autres, répétant les erreurs de sa mère pour qui l'indépendance passe par l'ascendance qu'elle peut avoir sur son mari.

La chair est représentée sans sensualité dans le film, le corps pas plus que les âmes en peine de ces jeunes gens ne sont prêts au plaisir et à la jouissance. La première fois que Sonny couche avec Ruth, le grincement des ressorts du sommier a quelque chose de pathétique. Lorsque Jacy se donne enfin à Duane dans une chambre d'hôtel (après s'être laissée peloter dans sa voiture), il n'est pas capable d'avoir une érection, à la fois intimidé de posséder ce qu'il a toujours désiré et traumatisé par la mort récente de Sam Le Lion. Jacy, auparavant, se sera livrée à un strip-tease maladroit et désolant pour gagner le droit d'intégrer un cercle de jeunes gens huppés et prétendant être cools en prenant du bon temps nus dans une piscine privée. Ils se livrent dans ces moments d'intimité, mais sans sentiment, pour avoir l'illusion de mener une existence normale, suivre des rituels initiatiques.

L'aspect contemplatif, le rythme languide du film pourront ennuyer les moins patients, mais le sensibilité avec laquelle Bogdanovich excelle à capter la pesanteur de ces destins vaut le coup qu'on s'accroche et vous pénètre de manière bouleversante. Au son de  vieilles rengaines des 50's, cette ballade douce-amère, souvent cruelle, raconte magnifiquement la fin d'un cycle. La nostalgie du cinéaste vous serre la gorge car il réussit à communiquer sa peine devant la disparition d'un certain cinéma en vérité (celui des grands réalisateurs classiques, s'étant illustrés dans le western) contre les auteurs du New Hollywood (avec un style plus urbain, moins romanesque), dont il fait historiquement partie sans partager leur modernité. 

Le dénouement n'a rien de spectaculaire mais diffuse une émotion mémorable : sur l'écran du "Royal", on voit John Wayne rassembler son troupeau dans le Montana et ses cowboys enthousiastes prêts à le suivre - le contraste entre la joie de ces cavaliers et la tristesse des rares derniers spectateurs est bouleversant. C'est triste mais bon sang, qu'est-ce que c'est beau !

SUSIE ET LES BAKER BOYS, de Steve Kloves (1989)


SUSIE ET LES BAKER BOYS (The Fabulous Baker Boys) est un film écrit et réalisé par Steve Kloves.
La photographie est signée Michael Ballhaus. La musique est composée par Dave Grusin.

Dans les rôles principaux, on trouve : Michelle Pfeiffer (Susie Diamond), Jeff Bridges (Jack Baker), Beau Bridges (Frank Barber).

Jack et Frank Baker sont deux frères pianistes de jazz qui travaillent ensemble depuis une trentaine d'années : ils se produisent dans des restaurants, des salles des fêtes et des clubs, devant un public rare et/ou indifférent. Pour chacune de leurs prestations, alors qu'ils sont des musiciens doués, ils touchent des salaires minables de la part de commanditaires souvent méprisants.
Cette existence a fait de Jack un homme amer mais résigné tandis que Frank s'occupe de leur trouver des engagements pour subsister aux besoins de sa propre famille (il est marié et père). Toutefois, les deux frères s'accordent pour que leur spectacle évolue et décident d'engager une chanteuse qui, espèrent-ils, leur permettra de séduire des recruteurs et le public.
Frank, Susie et Jack
(Beau Bridges, Michelle Pfeiffer et Jeff Bridges)

Après avoir fait passer des auditions à plusieurs filles, aux talents très inégaux, ils acceptent, malgré son retard, d'accorder sa chance à Susie Diamond, dont la voix et la présence compensent largement la désinvolture. Le duo devient un trio.
Jack et Susie

Rapidement, le succès de la nouvelle formation croit et ils gagnent mieux leur vie. Mais Frank a remarqué l'attirance de Jack pour Susie et le met en garde : une romance pourrait nuire à la cohésion de leur groupe et à la qualité de leurs performances. Le soir du Nouvel An, Frank doit rentrer chez lui car sa fille est malade, mais Susie et Jack assurent le show quand même : la jeune femme effectue un numéro de charme irrésistible pour son partenaire en interprétant "Makin' whoopee" - une manière suggestive de lui signifier qu'elle aussi a envie de lui. 
Jack et Frank

Jack et Susie passent la nuit ensemble mais le cachent à Frank. Pourtant ce dernier le devine rapidement à son retour et, comme il l'avait prévu, cette situation créé une tension néfaste au sein du groupe car son frère n'est pas disposé à s'engager dans une relation sérieuse.
Jack, Susie et Frank

Le talent de Susie est repéré par un producteur qui lui propose d'enregistrer seule. Elle en fait part à Jack en escomptant qu'il la retienne mais ce n'est pas le cas. Elle quitte donc les frères Baker.
Les revoilà en train de courir le cachet dans des salles de seconde zone jusqu'à participer à un charity show local en plein milieu de la nuit : c'en est trop pour Jack qui se dispute violemment avec Frank - le premier reproche à l'autre d'accepter n'importe quel contrat, le second rappelle qu'il a une famille à sa charge. Les deux frangins se séparent.
Susie

Jack admet que sa vraie passion est de jouer dans un club de jazz avec un public restreint mais connaisseur et s'engage auprès d'un ami. Frank raccroche et se réconcilie avec son cadet, qui veut enfin tenter de conquérir l'amour de Susie - si ce n'est pas trop tard...

Le mélodrame musical est un genre délicat à exploiter et d'ailleurs il est peu fréquenté. Un des seuls - si ce n'est le seul chef d'oeuvre reste Une étoile est née (George Cukor, 1954, avec Judy Garland et Charles Mason). Mais le film écrit et réalisé par Steve Kloves demeure une autre grande réussite, pleine de charme et de mélancolie.

L'histoire est simple : deux frangins, musiciens doués mais cantonnés à se produire sur des scènes minables devant un public qui ne les écoutent pas, engagent une jeune, belle et bonne chanteuse, grâce à laquelle ils accèdent à un succès plus notable. Mais l'amour s'en mêle quand la fille et un des deux frères ont une liaison, par ailleurs très épisodique (ils ne coucheront que deux fois ensemble)... Sur cette trame bien balisée, l'auteur campe trois personnages magnifiquement caractérisés dont les rapports sont développés avec subtilité.

La réalisation est très élégante, grâce à la sublime photo de Michael Ballhaus : l'ambiance du film évoque les classiques des années 40-50 et aurait presque gagné à être filmé en noir et blanc - mais cela nous aurait alors privé de la scène-culte où Susie dans sa robe rouge interprète avec une lascivité extraordinaire le standard jazz "Makin' whoopee" (expression argotique pour dire "faisons l'amour"). C'est un de ces moments magiques qui imprime le regard des cinéphiles pour la vie, au même titre que l'effeuillage de Rita Hayworth dans Gilda (Charles Vidor, 1946).

The Fabulous Baker Boys doit aussi énormément à ses trois acteurs principaux. Michelle Pfeiffer y chante toutes les chansons elle-même et sa voix est renversante : il est regrettable qu'Hollywood ne produise plus de musicals car elle y aurait démontré tout son talent. Elle y est au sommet de sa beauté et interprète Susie avec un mélange de fragilité et d'insolence qui font déplorer qu'on ne la voit plus guère aujourd'hui (son dernier rôle marquant doit remonter à Dark Shadows, de Tim Burton, en 2012).

Kloves a aussi eu de la chance en disposant de deux vrais frères pour incarner les Baker boys puisque l'immense mais mésestimé Jeff Bridges donne la réplique à Beau Bridges : le premier est plus que parfait en loser magnifique, cliché du pianiste résigné à son infortune, tandis que le second brille dans un rôle plus ingrat auquel il donne une dignité et une émotion contenue admirables.

Porté par une collection de tubes jazzy et une partition additionnelle de l'excellent Dave Grusin, ce film est un joyau qui mérite d'être revu et reconsidéré à sa juste valeur - ne serait-ce que pour inspirer à Steve Kloves de revenir derrière la caméra (il n'a tourné qu'un seul autre film ensuite - le tout aussi recommandable Flesh and Bone, en 1993, avec Dennis Quaid, Meg Ryan et James Caan - , privilégiant sa carrière de scénariste - notamment pour la saga des Harry Potter).

vendredi 28 octobre 2016

MAVERICK, de Richard Donner (1994)


MAVERICK est un film réalisé par Richard Donner.
Le scénario est écrit par William Goldman, d'après la série télévisée créée par Roy Huggins (1957). La photographie est signée Vilmos Zsigmond. La musique est composée par Randy Newman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Mel Gibson (Bret Maverick), Jodie Foster (Annabelle Bransford), James Garner (Zane Cooper), Alfred Molina (Angel), James Coburn (Commodore Duvall), Graham Greene (Joseph), Danny Glover (le chef des bandits).

Bret Maverick, chevauchant sa monture Hollie, est pendu par Angel, un mexicain rancunier qu'il a ridiculisé, en plein désert. Pour inciter le cheval de son ennemi à détaler après leur départ, les malfrats jettent un sac rempli de serpents à côté de lui. Maverick se souvient alors que ses ennuis ont véritablement débuté une semaine auparavant...
Bret Maverick, Annabelle Bransford, Johnny Hardin et Angel
(Mel Gibson, Jodie Foster, Max Perlich et Alfred Molina)

Quand il est arrivé à Crystal River, un patelin, Maverick n'avait pas fière allure avec son âne, mais il avait un objectif clair : gagner aux cartes assez d'argent pour s'inscrire à un tournoi de poker quelques jours plus tard. Au saloon, il prend une chambre puis s'installe, le soir venu, à une table où une partie est engagée. Il fait la connaissance de Annabelle Bransford, une jolie tricheuse, qui se prétend veuve, et de Angel, un mexicain susceptible.
Après avoir promis de perdre pendant une heure, Maverick ratisse ses adversaires. Sa chance insolente lui vaut d'être défié par Johnny Hardin, un redoutable pistolero, par qui il ne veut pas risquer de se faire tuer. Pourtant, Bret impressionne la tablée en prouvant qu'il dégaine encore plus vite que son concurrent. Peu après que la partie ait repris, une bande d'hommes vient lui chercher des noises et il les attire dehors pour régler ça aux poings.
Contre toute attente, esquivant aussi bien les coups de ses assaillants que leur en distribuant, il les fait battre en retraite. Angel et Annabelle, spectateurs aux premières loges, sont impressionnés.
Lorsqu'il va se coucher enfin, Maverick reçoit la visite de Annabelle avec qui il échange un baiser passionné. Mais il s'aperçoit qu'elle lui a volé son portefeuille et la rattrape, menaçant de la dénoncer au shérif pour l'obliger à laver sa chemise porte-bonheur.
Le lendemain matin, alors qu'il récupère son linge, trop amidonné et rétréci, Maverick monte juste à temps dans la diligence où embarque aussi Annabelle. Mais la jeune femme reçoit la protection d'un vieux marshall, Zane Cooper.
 Bret Maverick, Zane Cooper et Annabelle Bransford
(Mel Gibson, James Garner et Jodie Foster)

Le voyage qui doit emmener le trio de passagers jusqu'au bateau à vapeur "Lauren Belle", où se déroulera le tournoi de poker, ne va pas être de tout repos : le cocher de la diligence meurt, le véhicule manque de chuter dans un canyon, une caravane de migrants soi-disant détroussés par des indiens oblige Maverick à parlementer avec le chef Joseph - en vérité, une de ses connaissances, qui lui doit mille dollars, qu'il va soutirer à un duc russe campant dans la prairie pour chasser...
En reprenant la route pour rejoindre Annabelle et Zane, Maverick est donc piégé par Angel, payé par un mystérieux commanditaire pour empêcher Bret d'arriver au tournoi.
Bret Maverick et le Commodore Duvall
(Mel Gibson et James Coburn)

Mais la chance est avec Maverick. Il retrouve Annabelle sur le "Lauren Belle" et s'inscrit avec elle au tournoi. L'organisateur est le Commodore Duvall et le gain total promis au vainqueur s'élève à 500 000 $, gardé par le marshall Zane Cooper.
Toutefois, le déroulement et l'issue de ce championnat seront semés de surprises...

Concilier le western et le feel-good movie est l'exercice auquel s'est prêté le réalisateur Richard Donner aux commandes de ce film inspiré de la série télé Maverick, produite en 1957 par Roy Huggins en 1957 mais inédite en France. Déjà, à l'époque, elle fut conçue comme une réponse aux classiques du genre incarnés par John Wayne, glorifiant la légende de l'Ouest et le mythe du cowboy avec un héros qui était un joueur de poker goguenard.

Pour mener ce projet à bien, le cinéaste a disposé des moyens nécessaires, fort des succès des trois Arme Fatale, avec, déjà, Mel Gibson, la star d'origine australienne révélé au début des années 80 dans Mad Max. Le script a été confié aux bons soins de William Goldman, détenteur de deux Oscar pour les scénarios de Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) et Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976) : le résultat est jubilatoire, parfait dosage de comédie et de far-west, déroulé durant 120' sans temps mort.

Le film est par ailleurs superbement photographié, dans des décors naturels (dont un authentique bateau-vapeur, le "Portland"), par le génial Vilmos Zsigmond (Delivrance de John Boorman en 73, L'Epouvantail de Jerry Schatzberg en 73, Rencontres du troisième type de Steven Spielberg en 77, Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino en 78...) et qui est mort au début de cette année.

Toute l'histoire est fondé sur le thème du masque : aucun des personnages n'est ce qu'il prétend être initialement - Maverick se décrit comme un lâche qui ne veut que jouer mais il est aussi un tireur émérite et un observateur aussi minutieux que superstitieux, Annabelle n'est pas une veuve qui joue pour le plaisir mais une tricheuse flambeuse et une voleuse incorrigible, Zane Cooper... Non, je n'en dirai pas plus. Ce serait un mauvais coup à infliger à ceux qui n'ont jamais vu le film que d'en dévoiler toutes les surprises.

Richard Donner s'amuse avec les codes du western mais aussi avec sa propre filmographie - ainsi savoure-t-on un irrésistible clin d'oeil à L'Arme fatale dans une scène où Mel Gibson est braqué par un bandit interprété par Danny Glover, son partenaire dans ledit long métrage, qui s'enfuit ensuite en prononçant sa célèbre réplique ("Je suis trop vieux pour ces conneries !") - et d'oeuvres culte - les retrouvailles de James Garner avec Maverick qu'il incarnait dans la série télé, avec James Coburn qui faisait partie comme lui du casting de La Grande Evasion, la présence d'innombrables comédiens associés au genre dans de petits rôles. Même quand il aborde la question des indiens, le récit le fait avec une décontraction ironique qui déjoue les conventions (tout le passage avec le chef indien Joseph, joué par Graham Greene, encore plus filou que les blancs, est si drôle qu'on lui pardonne d'être un peu trop long).

Par bien des aspects, en fait, Maverick fait penser, pour un fan français de western, non pas à une production américaine, mais à Lucky Luke, tel que l'écrivait Goscinny et la dessinait Morris : on y retrouve cette même dérision, la même succession de clichés habilement détournés, de moments-clé ponctuant l'action - il y a même une scène en particulier qui semble tout droit sortie d'un album de la BD quand Bret, en ripostant contre des déserteurs déguisés en peaux-rouges, tire 14 fois avec son colt sans le recharger (impossible alors de ne pas repenser à ce dialogue où Lucky Luke, interrogé à propos de moment où il remplit son barillet, répond : "après chaque album."). 

On se demande pourquoi Hollywood produit si peu de westerns quand ceux qui s'en emparent aujourd'hui l'explorent avec autant de diversité (qu'il s'agisse de Kevin Costner, Clint Eastwood, Ed Harris, Joel et Ethan Coen) : cela prouve que c'est un genre inspirant des artistes différents et appréciés par les acteurs.

Et justement, les prestations de Mel Gibson (monté sur ressorts, cabotinant comme le ferait Cary Grant, tout en sourire charmeur et yeux qui roulent), de James Garner (matois au possible), James Coburn (épatant en vieux renard), Alfred Molina (impeccable en canaille) et surtout Jodie Foster (rayonnante dans un registre humoristique et adorable peste) prouvent que tout ce beau monde s'est visiblement régalé.

Accompagné par une plus que parfaite partition de Randy Newman, Maverick est comme un bon vin (ou un bon whisky, old chap'), vieillissant fort bien, supportant sans problème d'être revu.

ON S'FAIT LA VALISE, DOCTEUR ?, de Peter Bogdanovich (1972)


ON S'FAIT LA VALISE, DOCTEUR ? (What's Up, Doc ?) est un film réalisé par Peter Bogdanovich.
Le scénario est écrit par Buck Henry, David Newman et Robert Benton, d'après une histoire de Peter Bogdanovich. La photographie est signée Laszlo Kovacs. La musique est composée par Artie Butler.


Dans les rôles principaux, on trouve : Ryan O'Neal (Howard Bannister), Barbra Streisand (Judy Maxwell), Madeline Kahn (Eunice Burns), Kenneth Mars (Hugh Simons), Austin Pendleton (Frederick Larrabee), Mabel Albertson (Mme Van Hoskins), Liam Dunn (le juge Maxwell).
 Howard Bannister et Eunice Burns
(Ryan O'Neal et Madeline Kahn)

San Francisco. Docteur en musicologie, Howard Bannister, accompagné de sa fiancée Eunice Burns, concourt pour l'obtention d'une bourse de 20 000 $ offerte par le directeur du conservatoire Frederick Larrabee. 
Judy Maxwell et Howard Bannister
(Barbra Streisand et Ryan O'Neal)

En concurrence avec Hugh Simons, Howard se prépare au dîner donné par le mécène et où il doit défendre sa thèse sur les roches magnétiques utilisées pour jouer de la musique durant la préhistoire quand il rencontre Judy Maxwell, jeune femme aussi sexy qu'extravagante et intelligente, résolue à s'incruster à la réception et à le séduire.
Howard Bannister, Frederick Larrabee, Judy Maxwell et Hugh Simons
(Ryan O'Neal, Austin Pendleton, Barbra Streisand et Kenneth Mars)

Semant une pagaille indescriptible partout où elle passe, Judy permet pourtant à Howard de décrocher la récompense décernée par Larrabee. Cependant, quatre valises identiques - celle d'une riche cliente de l'hôtel Bristol (où tout le monde est descendu) qui contient ses bijoux, celle de Howard avec ses cailloux, celle de Judy avec ses vêtements et celle d'un espion avec des documents top secrets - passent de main en main - la dernière étant évidemment la plus convoitée par une bande de barbouzes et de mafieux.  
Judy et Howard

Reçus chez lui par Larrabee le lendemain, après une fin de soirée catastrophique (où Howard a dû affronter la jalousie d'Eunice et a mis le feu accidentellement à sa chambre d'hôtel, ce qui lui vaut d'en être renvoyé), Howard est à nouveau, à son corps défendant, accompagné par Judy, suivis des trois hommes voulant récupérer la valise avec les documents top secrets. Pour les semer, le couple s'empare des quatre valises et s'engagent dans une délirante course-poursuite dans les rues de San Francisco... Pour finir dans la baie ! 
Howard et Judy

Le juge Maxwell interroge tous les prévenus et, après avoir reconnu parmi eux sa fille Judy, rend à chacun sa valise puis les renvoie, excédé par l'imbroglio auquel ils sont mêlés. 
Howard et Judy

A l'aéroport, Larrabee, qui avait entretemps choisi de financer les recherches de Hugh Simons, est convaincu que celui-ci n'est qu'un vulgaire plagiaire par Judy et récompense à nouveau Howard. Puis il prend son avion au bras d'Eunice tandis que Howard et Judy s'envolent ensemble en s'avouant leur amour.

Ronde colorée et frénétique de citations cinématographiques, What's Up, Doc ? est le 3ème long métrage de Peter Bogdanovich qui s'inspire d'abord des cartoons de Bugs Bunny (auquel le titre original emprunte sa célèbre interrogation) et de Tex Avery. Le générique est aussi directement tiré du dessin animé avec l'insolent lapin où une main féminine ouvre et feuillette un livre sur les pages duquel figurent les noms des comédiens et de l'équipe (main qui, d'un geste aimable ou dédaigneux, nous indique ce qu'elle pense de chacun). 

Hommage brillant et échevelé à la grande époque de la comédie américaine, le film repose tout entier sur un équilibre périlleux, une fantaisie forcenée mais ici savamment bâtis pour susciter le rire. Bogdanovich a bien révisé mais il ne se contente pas de parodier ses maîtres, il actualise le genre en en gardant les fondamentaux. Le subplot avec les valises est un pur "Mac Guffin", un argument bidon mais suffisamment accrocheur pour captiver le spectateur et lier les éléments du récit : les désirs des personnages sont confrontés à l'hystérie de l'action, ils courent toujours après quelque chose qui, par définition, leur échappe - leurs sentiments mais aussi ce qui menace leur vie. C'est en sachant s'allier qu'ils résoudront ce second problème.

Mais, avant de s'en tirer, il faut que les héros apprennent à se connaître, à se dompter, et cela passe par un combat dont ils savent l'issue mais diffèrent le dénouement car l'un des deux (au moins) hésite à sacrifier son confort. D'où échange de dialogues débités à toute allure, portes qui claquent, cascades périlleuses, ponctués de clins d'yeux complices au spectateur et baisers volés et coups subis. Ici, nul souci de vraisemblance, juste le plaisir de divertir, en invoquant George Cukor, Howard Hawks, les Marx brothers, et un soupçon d'Hitchcock en mode loufoque.

Le film est très drôle mais il fait rire en éprouvant le spectateur comme le héros, à l'usure : en jetant dans le bras d'un Ryan O'Neal, savant lunaire, pour lequel on ne peut que compatir (et dont le rôle rappelle évidemment celui de Cary Grant dans L'Impossible M. Bébé, de Howard Hawks, 1938), une Barbra Streisand déchaînée, Bogdanovich dynamite tout son projet pourtant très écrit, par trois plumes expertes de l'époque (Buck Henry à qui on doit le script du Lauréat de Mike Nichols ; David Newman et Robert Benton qui ont rédigé celui de Bonnie & Clyde d'Arthur Penn).

On s'fait la valise, docteur ? (titre français très moyen...) permet en outre de voyager dans le temps : d'abord bien sûr grâce aux références à la screwball comedy des années 40, mais aussi au New Hollywood des années 70. Autant Bogdanovich vénère les premières, autant il filme ici contre les secondes, le cinéma politique, juste après avoir signé une magnifique chronique dramatique avec La dernière séance (1971). Chez le cinéaste, la nostalgie le dispute à la relecture : visuellement, son film échappe à ce qui se produit quand il est sorti, narrativement il réinterprète un genre avec le recul d'un cinéphile mais en refusant de s'inscrire dans le registre de la critique sociale. Il a voulu (s')offrir une bouffée d'oxygène dans une époque rongée par la guerre du Vietnam et le "Watergate".

Pourtant, la folie qui traverse ce projet n'est pas qu'une échappatoire, c'est aussi un curieux reflet au dérèglement du monde en 1972. Anachronique, accusé de déni, Bogdanovich l'est peut-être, mais plus sûrement encore, il s'affiche comme un artiste qui prend parti par une esthétique issue du passé, de l'"âge d'or". D'une certaine manière, c'est une démarche de résistant, dont l'aspect dérisoire, enfantin même (comme cette scène où Judy et Howard se cache sous une table au restaurant pour parler sans les adultes autour d'eux, ou cet autre moment où ils empruntent des escalators aux mouvements contraires - symbolisant leur attraction/répulsion), le rend sympathique, et dont le résultat est franchement euphorisant.

jeudi 27 octobre 2016

LA BARBE A PAPA, de Peter Bogdanovich (1973)


LA BARBE A PAPA (Paper Moon) est un film réalisé par Peter Bogdanovich.
Le scénario est écrit par Alvin Sargent, d'après le roman de Joe David Brown. La photographie est signée Laszlo Kovacs. La musique est composée par Harold Arlen.


Dans les rôles principaux, on trouve : Tatum O'Neal (Addie Loggins), Ryan O'Neal (Moses Pray), Madeline Kahn (Trixie Delight), P.J. Johnson (Imogene). 
Addie Loggins et Moses Pray
(Tatum O'Neal et Ryan O'Neal)

Middle West des Etats-Unis. Années 1930. Moses Pray, un aigrefin, vient assister à l'enterrement d'une de ses anciennes maîtresses et découvre en même temps qu'elle laisse derrière elle une fillette de neuf ans, Addie Loggins.
Addie et Moses

Il accepte de conduire Addie chez une de ses tantes qui la prendra en charge dans le Missouri. Mais dès le début de leur voyage, leurs relations sont tendues car la gamine pense que Moses est peut-être son père et qu'il a préféré une vie d'aventures minables plutôt que d'aimer sa mère et l'élever. 
Moses et Addie

Néanmoins, Addie va apporter une aide précieuse à Moses dans ses combines lorsqu'il vend des bibles à des veuves crédules qu'elle contribue à apitoyer tout en leur soutirant des sommes extravagantes pour le livre commandé par leurs défunts époux.
Addie et Moses

Complices efficaces en arnaques, ils amassent un joli pactole. Mais la situation se dégrade quand Moses s'entiche de Trixie Delight, une danseuse exotique et intéressée, rencontrée dans une fête foraine, toujours accompagnée de sa bonne noire, Imogene, corvéable à merci.
Addie Loggins, Trixie Delight, Imogene et Moses Pray
(Tatum O'NealMadeline Kahn, P.J. Johnson et Ryan O'Neal)

Addie met au point un piège pour se débarrasser de Trixie en persuadant Moses qu'elle lui est infidèle avec le réceptionniste d'un hôtel. Ils reprennent la route sans elle.
Addie et Moses

De passage dans un patelin, ils repèrent un bootlegger et découvrent où il cache son alcool pour le lui voler et le lui revendre au prix fort. Malheureusement le pigeon est le frère du shérif qui arrête Moses et Addie. Heureusement, la fillette a caché leur argent dans la doublure de son chapeau et, trompant la vigilance de l'adjoint, réussit à s'évader du poste de police avec Moses. 
Addie et Moses

Gagnant l'Etat voisin du Missouri, ils se croient tirés d'affaire puisque hors de la juridiction du shérif, mais celui-ci tombe sur Moses et le roue de coups avec son adjoint et son frère. Moses dépose finalement Addie chez sa tante car il est fauché et ne veut plus la mettre en danger. Nostalgique, elle préfère toutefois s'enfuir aussitôt et rattrape Moses avec lequel elle reprend la route.
Moses et Addie

Peter Bogdanovich, né à New York en 1939, a connu en quelques années tout ce qu'un cinéaste peut vivre à Hollywood, passant du statut de grand espoir du cinéma à celui de réalisateur à succès avant de connaître un spectaculaire déclin professionnel mais aussi personnel (une de ses compagnes, la playmate Dorothy Stratten sera assassinée). Il ne s'en remettra jamais vraiment, même s'il continuera à tourner irrégulièrement (sans renouer avec le grand public), à jouer (notamment dans la série Les Sporano), à écrire (sur ses pairs illustres), soutenu par des auteurs célébrant son influence sur leurs oeuvres (comme Wes Anderson ou Noel Baumbach). Pourtant, il conviendrait aujourd'hui de réhabiliter son travail, qui, au coeur des années 70, engendra de superbes longs métrages, comme cette Barbe à Papa, son plus jolis opus.

Avant cela, dans les années 60, Bogdanovich fut critique cinéma pour le magazine "Esquire" et ses articles, comme ceux des "jeunes turcs" des "Cahiers du Cinéma" (Truffaut, Chabrol, Rivette, Godard, Rohmer) en France, contribuèrent à réhabiliter des cinéastes mésestimés, maudits ou négligés comme Allan Dawn, Orson Welles (qui devint son ami proche et son mentor) et Howard Hawks. Puis il s'exile à Los Angeles où il est repéré et recruté par Roger Corman (qui donna aussi sa chance à Coppola, Scorsese...) grâce à qui il dirige son premier film en 68 (The Targets).

C'est trois ans plus tard que sa carrière décolle alors que le mouvement du "New Hollywood" change le paysage cinématographique américain. La Dernière séance, crépusculaire chronique sur un bled du Texas et sa jeunesse, fait sensation, révélant Jeff Bridges et Cybill Sheperd. Puis en 72, On s'fait la valise, Doc ? revisite la screwball comedy avec une explosive Barbra Streisand et, déjà, Ryan O'Neal. 

Après un drame poignant et une comédie débridée, Paper Moon est comme une synthèse, non seulement des deux précédents titres mais aussi de tout ce qu'aime Bogdanovich dans le 7ème Art américain, un hommage vibrant et sensible aux grands classiques d'autrefois. Située dans les années 30, lors de la Dépression (suite au crash boursier de 1929) et de la prohibition (de l'alcool), l'intrigue est adapté d'Addie Pray, un roman de Joe David Brown par Alvin Sargent. Pourtant, au départ, ce projet était destiné à John Huston avec Paul Newman et sa fille Nell Potts dans le rôles principaux - finalement, le réalisateur abandonne l'affaire et les comédiens se retirent en conséquence. C'est l'ex-femme de Bogdanovich, Polly Platt, qui lui conseille de le récupérer pour diriger à nouveau Ryan O'Neal après On s'fait la valise, Doc ?. Au rendez-vous avec son acteur, le réalisateur rencontre sa fille, Tatum, 8 ans, dont l'allure, l'aplomb et la voix le convainquent qu'il a trouvé la perle rare.

Pour financer le film, Bogdanovich s'associe à Francis Ford Coppola et William Friedkin qui viennent de fonder leur structure, The Director's Company, hébergé par le studio Paramount qui leur donne carte blanche pour des projets à petit budget. Le réalisateur s'en contente et remanie franchement le script de Sargent (qui avait beaucoup taillé dans le roman original) pour l'articuler sur de vieux morceaux de jazz, dont une chanson de 1933, It's only a paper moon, signée Harold Arlen. De fait, le résultat ressemble à une composition jazzy entraînante et alerte, et donnera le titre au film (et pour la petite histoire au texte de Brown quand il sera réédité ! Et quand le film sera repris en salles en 2013 en France, Paper Moon aura aussi remplacé La Barbe à Papa...).

Bogdanovich veut tourner en noir et blanc, car il associe cette image à l'époque du récit et pour mettre en valeur les paysages naturels du Kansas et du Missouri avec ses routes interminables dans la plaine désolée, admirablement photographiées par Laszlo Kovacs dans des compositions splendides. Orson Welles conseillera au chef opérateur d'utiliser un filtre rouge sur l'objectif de la caméra pour obtenir un blanc encore plus prononcé, et donc souligner la luminosité des visages et du ciel. Le résultat est d'une beauté vraiment renversante, d'autant que Bogdanovich privilégie les plans-séquences, rendant sa mise en scène très fluide, légère, et permettant aux acteurs un jeu expressif et naturel.

Evidemment, ce parti-pris allait entraîner des complications pour Tatum O'Neal, qui peinait à retenir ses longs dialogues, mais la fillette, à l'écran, est éblouissante. Le cinéaste ne tarira jamais d'éloges à son sujet, même s'il fallut parfois une quarantaine de prises, et, à dix ans, elle obtint l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle (pourquoi second ? Mystère et injustice !), ce qui en fait la plus jeune lauréate du prix - mais c'est mérité ! Avec son air buté, son regard malicieux, son charisme indéniable, elle est tout bonnement géniale. 

Il serait tout aussi injuste de mésestimer la prestation de Ryan O'Neal, comédien exceptionnel, qui aligna de superbes compositions dans ces années-là (culminant avec le premier rôle de Barry Lyndon de Kubrick en 75), et qui est ici formidable en escroc à la fois pathétique et touchant. 

Très drôle, d'un swing imparable, esthétiquement somptueux, et agrémenté d'une mélancolie craquante, La Barbe à Papa est une merveille, un pur miracle, un exercice de haute voltige, qui copie si bien le cinéma auquel il rend hommage qu'il est digne des grands classiques. Mutin et délicat, c'est un de ces films dont on tombe amoureux fou.