mercredi 30 novembre 2016

LAURA, de Otto Preminger (1944)


LAURA est un film réalisé par Otto Preminger.
Le scénario est écrit par Jay Dratler, Samuel Hoffenstein, Betty Reinhardt, d'après le roman de Vera Caspary. La photographie est signée Joseph LaShelle. La musique est composée par David Raskin.

Dans les rôles principaux, on trouve : Gene Tierney (Laura Hunt), Dana Andrews (inspecteur Mark McPherson), Clifton Webb (Waldo Lydecker), Vincent Price (Shelby Carpenter), Judith Anderson (Ann Treadwell).  
 L'inspecteur Mark McPherson devant le portrait de Laura Hunt
(Dana Andrews)

L'inspecteur Mark McPherson enquête sur l'assassinat d'une jeune et belle publiciste, Laura Hunt, qu'on a trouvée morte chez elle, défigurée par une décharge de chevrotines en plein visage.
Waldo Lydecker et Laura Hunt
(Clifton Webb et Gene Tierney)

La victime bénéficia de l'appui d'un influent chroniqueur mondain, Waldo Lydecker, pour faire carrière, et ce dernier finit par lui demander de l'épouser. Mais la jeune femme était attirée par un autre homme, plus jeune, Shelby Carpenter.
Laura Hunt et Shelby Carpenter
(Gene Tierney et Vincent Price)

Ce playboy était, lui, aimé par Ann Treadwell, qui jalousait la jeunesse et la beauté de Laura Hunt dont elle était proche mais qu'elle savait arrivée grâce à Lydecker. Les suspects ne manquent donc pas pour désigner le meurtrier de la publiciste... 
Waldo Lydecker et Mark McPherson

Fasciné  par le portrait de la disparue, qui est accroché au dessus de la cheminée de son appartement, McPherson est percé à jour par Lydecker qui a deviné l'amour que le policier éprouve pour sa défunte protégée. Un soir qu'il inspecte la correspondance de la jeune femme, il s'endort dans son salon... 
Laura Hunt et Mark McPherson

... Et lorsqu'il se réveille, Laura Hunt se tient devant l'inspecteur, bien vivante ! Elle lui explique s'être absentée depuis quatre jours et ignorer tout de l'affaire la concernant. Le cadavre est alors identifié : il s'agit de celui d'une mannequin que fréquentait Carpenter et qui a été accidentellement confondue avec Laura. Mais par qui ?  
Mark McPherson et Laura Hunt

McPherson organise avec Laura une réception à laquelle sont conviés tous ses proches. Le policier sonde les réactions des invités face au retour de la jeune femme. Lorsque Lydecker revient après que toute l'assistance soit partie, McPherson l'empêchera in extremis de tuer pour de bon Laura par jalousie, hier comme aujourd'hui.
Shelby Carpenter, Laura Hunt, Mark McPherson et Waldo Lydecker

Otto Preminger est le premier à avoir considéré le potentiel cinématographique du roman écrit par Vera Caspary mais le producteur de la Fox, Darry Zanuck, lui refuse la possibilité de le réaliser, préférant confier la mise en scène au plus expérimenté Rouben Mamoulian.

Hedy Lamarr, Jennifer Jones sont pressenties pour le rôle-titre, John Hodiak et Reginald Gardiner pour ceux de McPherson et Carpenter. Pas moins de cinq scénaristes (dont Jerome Cady et Ring Lardner non crédités) s'échineront à rédiger un script convenable en ne gardant que superficiellement la trame du roman original. Le résultat peut se lire à la fois comme une satire des milieux intellectuels, un drame psychologique, une enquête policière, malgré l'étonnante concision du long métrage terminé (à peine 90 minutes !).

Le tournage fournirait à lui seul un autre récit : Preminger et Mamoulian se disputent sans cesse et Zanuck, déçu par les premiers rushes, débarque le second pour permettre enfin au premier de diriger le film. On n'a jamais su si les scènes déjà tournées par Mamoulian avaient été conservées dans le montage - Preminger assurant évidemment que non. Mais jusqu'au bout Zanuck s'opposera à Preminger dont la mise en scène inspirée par son expérience théâtrale et son obsession à traduire en images évocatrices la vérité des sentiments ressemblent surtout pour le nabab à des prétentions snobs.

Il n'empêche, Laura récoltera quand même l'Oscar de la meilleure photo (signée du grand Joseph LaShelle) : pas si mal pour ce qui ne devait être qu'une modeste série B...

Le film, malgré ces vicissitudes, ne souffre pourtant pas de discussions : superbement ouvragé, c'est un authentique et indémodable film noir, qui dépasse les clichés du polar classique pour traiter de la fascination, de l'envoûtement exercés (à son corps défendant) par une jeune femme sur tous les hommes qu'elle croise. Du Pygmalion (ouvertement homosexuel, comme l'était Clifton Webb) qui l'a introduite dans la haute société et a voulu la protéger d'un mariage dégradant au flic littéralement ébloui par son portrait (en fait une photo repeinte par Frank Polony, qui sera d'ailleurs réutilisé dans deux autres films... Dans lesquels ne joue pas Gene Tierney !), cette histoire de (faux) fantôme captive par son aspect quasi-fantastique et nous piège toujours même après plusieurs visions.

Formellement, Preminger utilise des éclairages intenses et contrastés, opposant les lumières violentes de la salle d'interrogatoire du commissariat à l'ambiance onirique de l'appartement de Laura - laquelle apparaît devant McPherson après qu'il se soit endormi et qui se demande s'il ne rêve pas. Le réalisateur s'appuie aussi efficacement sur les jeux et physiques très distincts de ses acteurs : l'ironie mordante de Dana Andrews face à l'affectation de Clifton Webb et la séduction évanescente de Gene Tierney (Andrews et Tierney seront réunis par Preminger six ans plus tard dans Mark Dixon, détective).

Cette autopsie d'un meurtre passionnel aura droit un remake pour la télé (réalisé par John Bramm, un temps envisagé pour diriger l'original après le renvoi de Mamoulian) mais aussi à une version western (Frontier Gambler, 1956) : comme son héroïne, cette intrigue n'a pas cessé de hanter le 7ème Art...

RUSTY JAMES, de Francis Ford Coppola (1983)


RUSTY JAMES (Rumble Fish) est un film réalisé par Francis Ford Coppola.
Le scénario est écrit par Francis Ford Coppola et S.E. Hinton, d'après son roman Rumble Fish. La photographie est signée Stephen H. Burum. La musique est composée par Stewart Copeland.

Dans les rôles principaux, on trouve : Matt Dillon (Rusty James), Mickey Rourke (le "Motorcycle Boy"), Diane Lane  (Patty), Nicolas Cage (Smokey), Dennis Hopper (le père James), William Smith (agent Patterson).
 Rusty James
(Matt Dillon)

Tulsa, Oklahoma. Rusty James, accompagné par ses amis - Smokey, B.J. et Steve - , va affronter Biff Wilcox, le chef d'une bande rivale. Il s'agit de perpétuer la légende du frère aîné de Rusty, le "Motorcycle Boy", qui avait fait cesser ces combats entre gangs mais qui a quitté la ville depuis deux mois.
le "Motorcycle Boy"
(Mickey Rourke)

La bagarre est spectaculaire mais Rusty la remporte jusqu'à ce que le "Motorcycle Boy" resurgisse. Profitant de cette distraction, Biff taillade Rusty à l'abdomen et le "Motorcycle Boy" envoie sa moto percuter Wilcox avant d'évacuer son frère pour le soigner. Partiellement sourd et daltonien, il lui raconte être parti en Californie à la recherche de leur mère tandis que leur père est devenu alcoolique. Mais ce voyage l'a changé : il est devenu mélancolique et ne veut être mêlé à ces querelles de voyous.
Patty
(Diane Lane)

Rusty retrouve Patty, sa petite amie, sage et très belle lycéenne, qui se donne à lui en espérant qu'il cesse de jouer les caïds. Désinvolte, le jeune homme la trompe la nuit suivante lors d'une sortie avec des amis et d'autres filles. Son infidélité est vite dévoilée - Rusty apprendra plus tard que c'est son ami Smokey qui l'a dénoncé pour séduire Patty - mais Rusty, crânement, choisit de se passer de sa fiancée puisqu'elle ne veut plus le voir.
L'agent Patterson, Rusty James et le "Motorcycle Boy"
(William Smith, Matt Dillon et Mickey Rourke)

Tout en errant dans la ville avec son frère aîné, Rusty remarque que l'agent de police Patterson les suit : il veut depuis longtemps arrêter le "Motorcycle Boy" et le provoque en cherchant à le démythifier. 
Rusty James et son frère

Le "Motorcycle Boy" est désormais trop épris de liberté et soucieux d'être tranquille pour répondre aux allégations du policier. Il cherche à expliquer à Rusty que vouloir lui succéder comme chef de gang ne le conduira nulle part, mais ce dernier continue de fantasmer sur le règne passé de son aîné. 
Le "Motorcycle Boy", son père et son frère, Rusty James
(Mickey Rourke, Dennis Hopper et Matt Dillon)

Le père des James, dont les réflexions sont troublées par l'alcool, ne tranche pas dans cette situation. Le "Motorcycle Boy" projette sa névrose à travers les poissons d'un aquarium chez un animalier et qu'il rêve de libérer en les replongeant dans la rivière voisine. Une nuit, n'y tenant plus, il force la porte de la boutique et ouvre toutes les cages puis embarque l'aquarium.  
Le "Motorcycle Boy", Rusty James et les poissons en couleurs

L'agent Patterson saisit cette occasion pour abattre le "Motorcycle Boy". Bouleversé, Rusty enfourche la moto de son frère et quitte la ville. Il gagne la Californie, jusqu'à la mer, et profite su soleil au milieu d'une nuée d'oiseaux volant au-dessus de la plage.

Après l'échec ruineux de Coup de coeur (1982), Francis Ford Coppola doit, pour éponger ses dettes, vendre American Zoetrope, son studio. Il accepte également de tourner des films de commande à petit budget, en commençant par une adaptation de Outsiders d'après le roman de S.E. Hinton.

Ce long métrage révélera toute une troupe de jeunes comédiens, parmi lesquels on trouve notamment Tom Cruise (le seul du lot qui fera une carrière digne de ce nom, encore au sommet aujourd'hui). L'expérience revigore le réalisateur qui décide d'enchaîner aussitôt après avec une autre transposition cinématographique de Hinton et une partie de cette bande d'acteurs.

Il collabore donc à nouveau avec le romancier pour rédiger le script tiré de Rumble Fish, qu'il conçoit comme une version moderne de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955). C'est aussi et surtout l'occasion de rendre hommage à son frère aîné, August, son "meilleur professeur" (comme il le désigne dans la dédicace du film), à travers la relation qu'entretient Rusty James avec le "Motorcycle Boy" (dont le prénom n'est jamais prononcé dans l'histoire, mais dont le surnom orne les murs de Tulsa avec cette inscription mythologique : "The Motorcycle Boy reigns").

Le scénario est rédigé les Dimanches durant les prises de vue d'Outsiders et Coppola le désigne à Matt Dillon et Mickey Rourke, qui sont amis dans la vie. Le tournage débute et se déroule rapidement, en deux mois. Coppola engage le chorégraphe du Ballet de San Francisco, Michael Smuin, pour régler les scènes de combat ainsi que la danse lascive entre les personnages de Rourke et de Diana Scarwid (à la fête foraine), inspirée par le numéro de William Holden et Kim Novak dans Pique-nique (Joshua Logan, 1955).

Le cinéaste réussit à convaincre la production de filmer en noir et blanc car il veut reproduire l'esthétique des vieux films muets de  Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu) et Robert Wiene (Le Cabinet du Dr. Caligari). Il ambitionne d'en faire un "prototype visuel" avec des compositions exagérées, des angles de vue décalés, une lumière tour à tour ouatée et fortement contrastée à la manière du cinéma expressionniste allemand, et cadre souvent caméra à l'épaule (pour traduire le mal-être des personnages).

Pour la scène où Rusty, après avoir été tabassé par deux voleurs, flotte au-dessus de son corps et différents endroits où il est connu (le bar, la maison de Patty), Matt Dillon est pris dans un moule de son corps déplacé par un bras articulé télécommandé. De même, lorsque le "Motorcycle Boy" et son cadet observent les poissons dans l'aquarium, le chef opérateur filme d'abord les deux acteurs en noir et blanc puis les poissons en couleurs avant de projeter les images en couleurs par dessus celles en noir et blanc. L'effet est saisissant, mais surtout très poétique.

Le récit, lui, traite, à la manière d'une rêverie, du temps qui passe, qui fait et défait une légende, de l'héritage, de la fraternité. Pour cela, Coppola, avec l'accord de Hinton, a pris des libertés avec le roman original en supprimant les flash-backs, en rendant les motivations du comportement suicidaire du "Motorcycle Boy" moins explicites. Il modifie aussi la fin : dans le livre, Rusty est arrêté par la police après la mort de son frère et retrouve son ami Steve en Californie cinq ans plus tard.

Remarquable pour son look hybride et avant-gardiste, Rusty James crée avec cette histoire de frères maudits par la réputation de l'aîné une figure de héros inoubliable qui a fait de Mickey Rourke le comédien américain le plus prometteur de sa génération, mais qui comme son alter ego s'auto-détruira. Ce prolongement de la fiction dans la réalité rend encore plus troublant cette oeuvre atypique, attachante et envoûtante qui, si elle fut un échec commercial en Amérique (à peine 2,5 millions de dollars de recettes pour un budget de dix), fut saluée par la critique et célébrée en France, notamment, comme un poème aussi délicat que brillant.

mardi 29 novembre 2016

LES MOISSONS DU CIEL, de Terrence Malick (1978)


LES MOISSONS DU CIEL (Days of Heaven) est un film écrit et réalisé par Terrence Malick.
La photographie est signée Néstor Almendros et Haskell Wexler. La musique est composée par Ennio Morricone et Camille Saint-Saëns.

Dans les rôles principaux, on trouve : Richard Gere (Bill), Brooke Adams (Abby), Linda Manz (Linda), Sam Shepard (Chuck), Robert J. Wilke (le contremaître).
 Linda
(Linda Manz)

1919. Bill travaille dans une fonderie à Chicago lorsqu'une dispute éclate entre lui et son patron. En le frappant, Bill le tue accidentellement. Il s'enfuit en compagnie de d'Abby, qu'il fait passer pour sa soeur, et Linda, qui est effectivement sa cadette -c'est cette dernière qui va nous raconter leur histoire commune.
Bill
(Richard Gere)

Par le train, ils gagnent, avec de nombreux travailleurs saisonniers, le Texas. Ils sont embauchés dans l'exploitation de Chuck, un jeune et riche fermier, et participent aux moissons pour un salaire misérable et des conditions harassantes. 
Abby
(Brooke Adams)

Chuck est un homme respectueux des ouvriers, timide mais aussi malade. Bill surprend une discussion entre le fermier et son médecin qui ne lui donne plus qu'un an à vivre, sans qu'on sache la nature de son mal. 
Chuck
(Sam Shepard)

Ayant remarqué Abby parmi la main d'oeuvre, Cuck en tombe amoureux, contre l'avis de son contremaître, qui le considère comme son fils et trop sentimental à cause de sa fin proche. Contre toute attente, mais pour lui éviter de continuer à vivre dans misère, Bill encourage Abby à se rapprocher et à épouser le fermier. Leur mariage est célébré peur après et le contremaître part s'installer plus loin. 
Bill et Abby

Miraculeusement, les mois passant, l'état de santé de Chuck se stabilise, mais il découvre alors le secret unissant Bill et Abby. Cependant la jeune femme s'est vraiment éprise du fermier. La passage d'une petite troupe de saltimbanques incite Bill à partir.
L'invasion des sauterelles

Lorsqu'il revient, en s'étant acheté une moto avec sa paie, Bill réveille la jalousie de Chuck. Une invasion de sauterelles dévaste alors la plantation de blé à laquelle le fermier met le feu en voulant attaquer Bill avec une lanterne. A l'aube, il ne reste plus rien : Chuck tente d'abattre Bill avec un pistolet mais Bill se défend et le tue en état de légitime défense. 
Le contremaître
(Robert J. Wilke)

Bill entraîne Abby et Linda dans sa fuite. Ils descendent le fleuve à bord d'une frêle embarcation puis se réfugient dans les bois environnant la rive. Le contremaître et la police les retrouvent. Bill est abattu en tentant de s'échapper. Héritant de la fortune de Chuck, Abby place Linda dans une institution privée, d'où elle fugue rapidement avec une autre pensionnaire, tandis que la jeune femme embarque à bord d'un train avec des soldats en partance pour l'Europe et la guerre.

C'est le producteur indépendant Bert Schneider qui a réussi à convaincre le studio Paramount de financer ce film, le deuxième de Terrence Malick, en s'engageant à couvrir les dépassements - ce qui lui permettait de garder le final cut.

Le cinéaste veut d'abord recruter John Travolta pour le rôle de Bill car il considère que l'acteur a un physique proche de celui d'un ouvrier, mais à l'époque les producteurs de la série télé Welcome back, Kotter dans laquelle il joue refuse de le libérer. En apprenant que Richard Gere a adoré son premier opus (La Balade sauvage, 1973), Malick le rencontre et l'engage.

Le tournage débute à l'Automne 1976 non pas au Texas mais dans la province d'Alberta au Canada. Mais le chef opérateur Néestor Almendros est en train de perdre la vue et pour l'aider à élaborer ses éclairages il sera secondé par Haskell Wexler : avant chaque prise de vue, une photo Polaroïd permet la mise au point. "Malick tenait à un film très visuel où l'intrigue serait dévoilée par les images elles-mêmes.", dira ensuite Almendros, admiratif des connaissances techniques du réalisateur.

Une bonne partie des plans sera saisie durant "l'heure bleue", un laps de temps très bref (25 minutes) durant le coucher du soleil, qui diffuse une atmosphère très douce : le résultat est magique, conférant au film une sensualité et une poésie formelle inspirées des grands peintres comme Millet, Seurat, Turner et Hopper (la maison de Chuck reproduit d'ailleurs celle d'un tableau de l'artiste américain).

En revanche, Malick se montre nettement plus distant et froid avec ses acteurs auxquels il donne peu d'indications de jeu. Après deux semaines, déçu par les rushes, il remanie son scénario et imprime à nouveau des kilomètres de pellicules, souvent pour filmer le vente dans les herbes hautes, une sauterelle sur un épi de blé, du mobilier dans la maison du fermier, comme autant de natures mortes. Richard Gere est tellement déconcerté par ces méthodes qu'il songe alors sérieusement à quitter le plateau, et Schneider, également excédé par le style lent et contemplatif de Malick, doit, comme il s'y est engagé, couvrir les frais supplémentaires de sa poche en hypothéquant sa maison.

Tous ces aléas ne doivent pas occulter la réussite du long métrage terminé, qui sera d'ailleurs récompensé par l'Oscar de la meilleure photo en 78 et du prix de la mise en scène au festival de Cannes 79. Days of Heaven est une fascinante expérience de cinéma, l'équivalent d'une symphonie picturale, riche en symboles. Malick y évoque de manière suggestive le bouleversement social et culturel de l'Amérique en pleine industrialisation, dès le générique où défilent des photos de Lewis Hine parmi lesquels il glisse un portrait de Linda Manz (inoubliable narratrice de l'histoire).

Plus que le récit d'une passion tragique, le cinéaste privilégie les sensations à la psychologie dans une chronologie et une logique déstructurées obligeant le spectateur à être attentif aux ellipses, aux non-dit. Le film parle de déracinement et de la précarité - dans le monde des travailleurs saisonniers, qui fuient les villes pour des tâches épuisantes à la campagne, mais aussi à travers les sentiments amoureux qui traversent les protagonistes. Ces derniers incarnent d'ailleurs moins des individus que des archétypes, des visions d'un monde en pleine mutation. Bill et Chuck (joué par le fièvreux Sam Shepard) sont les deux faces d'une même médaille, l'un personnifie le mouvement, l'adaptation ; l'autre la tradition et la permanence. Entre eux, Abby (campée par la touchante Brooke Adams) apparaît comme la femme originelle, tentatrice, salvatrice mais maudite.

Des scènes somptueuses ponctuent cette romance, culminant avec l'invasion des sauterelles et l'incendie qui dévastent l'exploitation de Chuck. Cette espèce d'apocalypse contraste avec le thème musical qui ouvrait le film, non pas composée par Ennio Morricone (dont la partition est étrangement discrète) mais Camille Saint-Saëns (Aquarium, extrait du Carnaval des animaux, qui sera ensuite repris pour illustrer la montée des marches du festival de Cannes !).

Cette ode mélancolique à l'innocence perdue est vraiment une oeuvre à part : en 90 minutes, Terrence Malick a synthétisé toute son cinéma - il ne fera jamais mieux, et attendra vingt ans avant de revenir derrière la caméra pour signer un nouveau chef d'oeuvre (La Ligne rouge)  puis enchaîner d'autres opus, hélas ! de plus en plus médiocres.

lundi 28 novembre 2016

COTTON CLUB, de Francis Ford Coppola (1984)


COTTON CLUB (The Cotton Club) est un film réalisé par Francis Ford Coppola.
Le scénario est écrit par William Kennedy, Francis Ford Coppola et Mario Puzzo, d'après les récits de James Haskins. La photographie est signée Stephen Goldblatt. La musique est composée par John Barry.

Dans les rôles principaux, on trouve : Richard Gere (Michael "Dixie" Dwyer), Diane Lane (Vera Cicero), Gregory Hines (Delbert "Sandman" Williams), Lonette McKee (Lila Rose Oliver), James Remar (Dwight Schultz, "le Hollandais"), Bob Hoskins (Owen Madden), Nicolas Cage (Vincent Dwyer), Fred Gwynne ("Frenchie" Demange), Jennifer Grey (Patsy Dwyer), Joe Dallessandro ("Lucky" Luciano).
 Michael "Dixie" Dwyer
(Richard Gere)

1928. Harlem, New York. Michael "Dixie" Dwyer est le seul musicien blanc, jouant du cornet, dans un groupe de jazz. Il sauve, sans savoir de qui il s'agit, le gangster Dwight Schultz, dit "le Hollandais", d'une tentative d'attentat par des rivaux de la pègre irlandaise.
 Dwight Schultz "le Hollandais"
(James Remar)

Pour Vincent, le frère cadet de "Dixie", c'est là une opportunité d'entrer dans le cercle des partenaires de Schultz et de faire fortune en rackettant les noirs du quartier. 
Delbert "Sandman" Williams
(Gregory Hines)

A la même période, deux danseurs noirs justement, Delbert et Clayton Williams auditionnent au "Cotton Club" pour un numéro de claquettes mais seul le premier est engagé. Il croise ensuite une chanteuse blanche, Lila Rose Oliver, dont il tombe aussitôt amoureux sans réussir à lui parler.
Vera Cicero
(Diane Lane)

Redevable à "Dixie", Schultz lui confie comme mission de veiller et distraire Vera Cicero, sa protégée : ils se détestent ostensiblement -elle ricanant de l'appréhension du musicien à côtoyer des malfrats, lui méprisant son rôle de "poule de luxe" pour "le Hollandais" - mais leur attirance réciproque est toute aussi évidente.
Owen Madden
(Bob Hoskins)

Cependant, Owen Madden négocie une trêve, précaire, avec Schultz qui renonce à des représailles contre les irlandais mais tue quand même leur chef. Delbert revoit Lila au "Cotton Club" et la courtise mais le patron de l'établissement désapprouve ce rapprochement entre un "nègre" et une blanche, même si le danseur surnommé "Sandman" éblouit le public sur scène.
Lila Rose Oliver
(Lonette McKee)

La passion orageuse entre "Dixie" et Vera finit par une nuit d'amour. Au courant de tout, Madden offre au musicien de le libérer de Schultz en en faisant une vedette du cinéma parlant : il jouera à l'écran des gangsters pour les rendre plus sympathiques. Mais Vera refuse de le suivre après qu'il ait passé des essais ayant convaincu les producteurs. Pendant ce temps, le racket continue à Harlem et exacerbe les tensions entre communautés.  
Vincent Dwyer
(Nicolas Cage)

1929. Le gouvernement instaure la Prohibition et la pègre réagit en organisant clandestinement le trafic d'alcool. Avec l'appui financier de Schultz, Vera ouvre son propre club où "Dixie", désormais star de cinéma, s'affiche avec Madden, ce qui provoque l'ire du "Hollandais", trahi par Dwyer. Vincent, son frère, réclame par ailleurs au gangster une part plus importante sur le racket - sans succès. Delbert retrouve Lila au "Vera's Club" où elle chante, accompagnée par "Dixie". Ils finissent la nuit dans un hôtel où, pour avoir une chambre d'habitude refusée aux couples mixtes, Lila avoue qu'elle est en vérité une métisse. 
"Dixie" Dwyer

Une guerre des gangs éclate entre Schultz et Vincent qui riposte en tuant le bras droit du "Hollandais" puis en kidnappant "Frenchie" Demange, le second de Madden, qui a refusé de prendre parti. Madden confie à "Dixie" la rançon (50 000 $) réclamée par son frère et le musicien conseille à son cadet de quitter la ville au plus vite. Il ignore, à tort, cet avis et se fait abattre peu après par les sbires de Madden. 
Vera Cicero et Dwight Schultz

1930. Le "Cotton Club" est à son apogée : Cab Calloway se produit devant des stars comme Charles Cahplin et James Cagney? Dans une loge, "Lucky" Luciano et Owen Madden scellent le sort de Dwight Schultz, trop incontrôlable, et que "Dixie" sépare de Vera. "Le Hollandais" sera exécuté la nuit même après avoir été expulsé du club, alors qu'il préparait une vendetta. Au moment de sa mort, Delbert accomplit un fantastique numéro de claquettes devant le public et Lila. 
Vera et "Dixie"

"Dixie" tente une dernière fois de convaincre Vera de tout quitter pour le suivre. Madden se rend à la police après s'être préparé une détention confortable et brève au pénitencier de Sing-Sing. Delbert épouse Lila. "Dixie" rejoint son train, Vera l'attend sur le quai, finalement prête à rester avec lui.

Le projet du film est initié par le producteur-nabab Robert Evans (à qui on doit, entre autres, Chinatown, de Roman Polanski, en 1974) : il a lu les récits de James Haskins sur l'histoire du mythique cabaret du "Cotton Club" et souhaite en tirer un film d'époque capable de rivaliser avec les grands classiques de l'âge d'or de Hollywood.

Il charge William Kennedy d'en rédiger une adaptation et engage Francis Ford Coppola, qui vient d'enregistrer deux jolis petits succès avec Outsiders et Rusty James (1983) mais cherche encore le film qui lui rendra son prestige. L'auteur du Parrain, l'écrivain Mario Puzzo, se joint à eux.

Mais entre l'ambition démesurée d'Evans et les exigences de Coppola, le budget gonfle rapidement. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ! Le spectacle doit être total et comme aucun comédien n'est une star, tout est fait pour que le film y corresponde.

Chacun donnera de sa personne dans cette folle entreprise : révélé par les succès de American Gigolo (Paul Schrader, 1980) et Officier et gentleman (Taylor Hackford, 1982), Richard Gere, avec une fine moustache rappelant Douglas Fairbanks et Clark Gable, apprend à jouer du cornet et Gregory Hines répète ses numéros de claquettes. Ils réalisent de vraies performances à l'écran, dignes de professionnels aguerris. Diane Lane retrouve Coppola après qu'il l'ait dirigée dans Rumble Fish.

Le tournage sera tendu à cause du dépassement des frais. A sa sortie, le film est tièdement accueilli par la critique et boudé par le public. Ce nouvel échec mine Coppola et ruine Evans. Un verdict injuste, même si le résultat est imparfait.

Là où le bât blesse, c'est au niveau du scénario : construit en trois actes, le récit manque de souffle et souffre d'une dernière partie, chronologiquement resserrée mais manquant curieusement d'intensité à force de multiplier les actions simultanées (Cab Calloway chantant Minnie the mooche, le dernier coup d'éclat de Schultz, le numéro de claquettes de "Sandman", l'exécution du "Hollandais", la valse-hésitation sentimentale de Vera et "Dixie", la succession de Madden par "Lucky" Luciano, les noces de Delbert et Lila - cette dernière étant le personnage le moins bien développé de tout le film).

Il est évident que jamais les visions de Evans, Kennedy, Puzzo et Coppola n'ont été alignées : le producteur a été visiblement obsédé par le faste de l'histoire, le scénariste par l'accumulation des faits fictifs et réels (une idée malheureuse qui ne fonctionne jamais à cause du manque de définition de la relation entre Vera et Schultz), l'écrivain ne parvenant jamais à réécrire une saga mafieuse aussi ample que Le Parrain, et le réalisateur devant composer avec ses délires visuels (le film étant effectivement magnifiquement formellement) et l'inégalité du script.

Là où Coppola est le plus à l'aise, c'est quand il peut s'affranchir de la réalité : ainsi suggère-t-il finement la romance contrariée à cause de la ségrégation entre Delbert et Lila, et on devine ce qu'il aurait pu tirer de l'attraction-répulsion entre Vera et "Dixie" s'il n'avait pas dû accorder autant de place aux luttes de pouvoir entre Schultz et Madden. De même, quand il filme les jam sessions de "Dixie" ou les fantastiques numéros de claquettes de "Sandman", Cotton Club décolle de manière jubilatoire.

En fait, si le scénario s'était contenté de parler de la musique, de la vie du cabaret, et des amours tumultueuses de ses héros imaginaires, cela aurait amplement suffi et abouti à un résultat plus fluide et un format sans doute plus ramassé (le film dure 2 heures 10 et n'en finit pas de finir).

Malgré tout, grâce au glamour du couple Gere-Lane, ce grand film malade ne manque pas d'une qualité qui fait souvent défaut à ce genre de projet : bien qu'inégal, quel panache ! 

dimanche 27 novembre 2016

COUP DE COEUR, de Francis Ford Coppola (1982)


COUP DE COEUR (One From The Heart) est un film réalisé par Francis Ford Coppola.
Le scénario est écrit par Francis Ford Coppola et Armyn Bernstein, d'après une histoire originale de ce dernier. La photographie est signée Vittorio Storaro avec Ronald V. Garcia. La musique est composée par Tom Waits, les chansons sont interprétées par Tom Waits et Crystal Gayle.

Dans les rôles principaux, on trouve : Teri Garr (Frannie), Frederic Forrest (Hank), Nastassja Kinski ( Leila), Raul Julia (Raymond), Harry Dean Stanton (Moe), Lainie Kazan (Maggie).
 Hank et Frannie
(Frederic Forrest et Teri Garr)

Jeune couple résidant à Las Vegas, Hank et Frannie ont laissé , sans y prendre garde, la routine s'installer dans leur romance. Lorsqu'il annonce avoir investi toutes leurs économies pour acquérir une maison, elle s'en sert comme prétexte pour provoquer une dispute en lui reprochant sa désinvolture physique (il a pris du ventre) et morale (il a fait cet achat sans l'en informer). Vexé, Hank accuse Frannie en retour de ne plus croire en eux et en leur avenir commun.
 Raymond et Frannie
(Raul Julia et Teri Garr)

Fâchée, la jeune femme claque la porte pour aller travailler : en dressant la vitrine de la boutique tenue par sa meilleure amie et associée, Maggie, Frannie est abordée depuis la rue par Raymond, qui se présente comme le pianiste d'un restaurant chic où il l'invite à dîner le soir même. Elle accepte, à la fois flattée et amusée.
 Leila
(Nastassja Kinski)

De son côté, Hank s'épanche auprès de son meilleur ami, Moe, avant de le soupçonner d'avoir voulu séduire Frannie car il se vante volontiers de charmer toutes les femmes. Mais il se ravise et s'excuse d'avoir douté de la loyauté de son acolyte, qui, sans rancune, lui donne rendez-vous dans la soirée sur le strip pour s'amuser.
 Raymond et Frannie

En rentrant chez eux, Hank et Frannie reprennent leur dispute lorsque la jeune femme boucle sa valise et enfile une robe rouge provocante. C'est le début d'une longue nuit pour les deux amants qui ne vont cesser de se croiser sans se voir. Elle retrouve Raymond qui officie en vérité comme serveur dans le restaurant où il l'a invitée, mais il l'entraîne dehors où il improvise une danse à laquelle se mêle la foule.
 Leila et Hank

Accompagné de Moe, Hank rencontre Leila, une mannequin à la beauté fascinante mais exaspérée par le dirigisme de son père. Il l'emmène dans une décharge où il recycle les enseignes au néon de casinos et où elle improvise pour lui un numéro d'acrobatie avant de finir la nuit dans ses bras.
 Frannie et Raymond

Frannie commet également une infidélité à Hank en suivant Raymond jusqu'à son motel et en couchant avec lui. Au matin pourtant, Hank est pris de remords et cherche à joindre Frannie pour la reconquérir. Leila le surprend et s'éclipse. 
 Hank et Leila

Frannie est déjà à l'aéroport pour s'envoler en direction de Bora-Bora avec Raymond. Grâce à Maggie qui le lui a dit, Hank la rattrape et tente de la retenir - en vain. Effondré, il rentre chez eux, croyant l'avoir définitivement perdue, mais elle revient alors. Ils s'enlacent en se jurant de ne plus jamais se quitter.

Après les sagas-fleuves des années 1970 (Le Parrain 1 et 2, 72 et 74) et le tournage épique d'Apocalypse Now (1979 - au sujet duquel il prononcera cette fameuse sentence : "ce n'était pas un film sur le Vietnam. C'était le Vietnam !"), Francis Ford Coppola, le plus baroque et grandiloquent des cinéastes du "New Hollywood", veut au début de la nouvelle décennie changer de cap.

Il conçoit son nouveau projet en réaction à ses super-productions antérieures en souhaitant créer plus sereinement et à la manière d'un indépendant. Sa fortune est faite et lui a permis de fonder son propre studio, American Zoetrope, avec ses propres plateaux de tournage. Dans cette structure, il veut revenir au style de ses premiers opus comme Les Gens de la pluie (1969), en impliquant aussi bien les comédiens que les techniciens et les créatifs dans la confection des longs métrages.

Ainsi s'appuie-t-il sur l'histoire originale que lui soumet le débutant Armyn Bernstein, un récit simple mais qu'il peut sublimer visuellement. Pour cela, Coppola veut opérer la synthèse entre l'hommage aux maîtres classiques, comme Vincente Minnelli et Douglas Sirk, et la modernité des outils à sa disposition. Il utilisera donc pour la première fois des caméras électroniques haute définition pilotées à distance, tournant entièrement en studio.

Le résultat est somptueux et 34 ans après, Coup de Coeur reste éblouissant : la netteté des images, la photographie somptueuse de Vittorio Storaro, les fondus enchaînés sophistiquées sont d'une fluidité extraordinaire, les morceaux de bravoure s'enchaînent sans interruption. Un véritable enchantement.

Le scénario est basique, voire simpliste, naïf. Qu'importe ! Cyniques, passez votre chemin : comme le suggère encore mieux le titre original, One from the Heart, ça vient littéralement du coeur, et je n'ai jamais résisté aux chassé-croisé amoureux de Frannie et Hank, pas plus à l'époque où je les ai découvert dans la salle du ciné-club de mon lycée qu'aujourd'hui. Il y a là un mélange irrésistible d'euphorie (le ballet sur le strip) et de mélancolie (soulignée par les mélodies dignes d'un choeur qui commente l'action, composées par Tom Waits et chantées avec Crystal Gayle) absolument divin - et que j'ose préférer, n'en déplaise aux puristes, aux fresques de Coppola dans les 70's (pour tout dire, Brando dans Le Parrain m'a toujours plus fait ricaner que frissonner et la descente du fleuve dans Apocalypse Now m'a toujours semblé trop longue).

Ce sentimentalisme n'empêche, hélas ! pas de constater que, comme pour son épopée vietnamienne, Coppola avec ce "film Disney dans un monde adulte" a aussi signé un mémorable et monumental four : ses exigence esthétiques firent exploser le budget initial (plus de 20 millions de $ de dépassement !), rendant son amortissement commercial impossible. La critique l'éreintera et le public le boudera, même après que le cinéaste en ait proposé un nouveau montage. Ruiné, il vendra ses studios au rabais et devra, pour éponger ses dettes, enchaîner les commandes (sans toutefois les bâcler - et en révélant/confirmant plusieurs acteurs remarquables comme Matt Dillon, Diane Lane, Mickey Rourke, ou son neveu, Nicolas Cage). Il lui faudra attendre onze ans et le succès de sa magnifique adaptation du Dracula d'après Bram Stoker pour se refaire vraiment. Aujourd'hui, Coppola s'est retiré pour cultiver ses vignes : dommage pour le cinoche !

Mais on peut donc toujours revoir les errances nocturnes et romantiques, sous les enseignes lumineuses de Vegas, de Frederic Forrest (qui sera ensuite Hammett sous la direction de Wim Wenders, produit par Coppola), Teri Garr (bien avant de jouer la maman de l'excentrique Phoebe - Lisa Kudrow - dans la série Friends), Raul Julia (futur père de La Famille Addams de Barry Sonnenfeld), Harry Dean Stanton et (la magiquement belle) Nastassja Kinski (couple mythique de Paris, Texas de Wenders) pour se souvenir d'une aventure de cinéma aussi insensée que sublime.  

samedi 26 novembre 2016

LES RUES DE FEU, de Walter Hill (1984)


LES RUES DE FEU (Streets of Fire) est un film réalisé par Walter Hill.
Le scénario est écrit par Walter Hill et Larry Gross. La photographie est signée Andrew Laszlo. La musique est composée par Ry Cooder.

Dans les rôles principaux, on trouve : Diane Lane (Ellen Aim), Michael Paré (Tom Cody), Willem Dafoe (Raven Shaddock), Amy Madigan (McCoy), Rick Moranis (Billy Fish), Richard Lawson (officier Ed Price).
Ellen Aim et The Attackers
(Diane Lane)

Dans "un autre temps, un autre lieu" indéterminés, la chanteuse Ellen Aim et son groupe de rock, The Attackers, donne un concert devant un public déchaîné. Soudain, le gang des Bombers mené par leur chef Raven Shaddock surgit et enlève la jeune femme.
Raven Shaddock
(Willem Dafoe)

Témoin de la scène, Reva Cody, barmaid du "Blackhawk", demande à son frère, Tom, un soldat récemment démobilisé et ancien amant d'Ellen, de sauver Ellen. Mais il rechigne à agir puisqu'elle l'a quitté pour vivre avec son manager, Billy Fish. Le jeune homme est alors interpellé par McCoy, une ancienne militaire comme lui, prête à l'aider dans cette mission. Ils partent à la rencontre de Billy Fish et l'embarquent pour gagner le repaire des Bombers. 
Tom Cody, Billy Fish et McCoy
(Michael Paré, Rick Moranis et Amy Madigan)

En route, le trio se procure des armes. Attendant que la nuit tombe pour agir, McCoy pénètre dans le club "Torchie" pour localiser où Raven retient Ellen tandis que Tom grimpe sur le toit de l'immeuble voisin pour avoir une vue d'ensemble sur la zone. Il aperçoit alors Ellen, les poignets attachés aux barreaux d'un lit, et elle le remarque aussi à travers la fenêtre de sa chambre. Pendant ce temps, Billy attend dans sa voiture au coin de la rue, prêt à démarrer dès que l'équipe reparaîtra.
McCoy
(Amy Madigan)

Pour faire diversion, Tom tire sur des réservoirs de gaz et sur les motos du gang. A l'intérieur du club, ces explosions sèment la panique et McCoy profite du chaos pour couvrir Tom qui est allé libérer Ellen. Raven promet aux intrus qu'il les retrouvera et qu'il se vengera. Rejoignant Billy, Tom, Ellen et McCoy prennent la fuite.
Ellen Aim (au centre) et Billy Fish (à sa gauche)
(Diane Lane et Rick Moranis)

Ils abandonnent la voiture pour prendre le métro : durant le trajet, Ellen apprend que Tom a accepté de la secourir pour de l'argent et non par amour. Une fois à son hôtel, Billy paie Tom mais celui-ci ne prend que la part promise à McCoy et jette le reste des billets à la figure du manager avec mépris. Ellen le rattrape dans la rue et l'embrasse sous la pluie battante.
Ellen Aim et Tom Cody
(Diane Lane et Michael Paré)

Cependant, Raven informe le chef du département de police, Ed Price, qu'il souhaite rencontrer Tom pour l'affronter en duel -  s'il gagne, il récupérera Ellen, sinon le chef de gang s'engage à quitter le quartier. Price recommande à Tom, en lui transmettant le message, de quitter la ville. Le jeune homme monte dans un train avec Ellen avant de l'assommer et de la confier à McCoy. Il rejoint la rue où Raven l'attend et l'affronte devant ses hommes et les habitants du quartier venus en renfort de l'officier Price. Mais Cody réussit à vaincre son adversaire, qui, comme convenu, se retire avec son gang.
Tom Cody
(Michael Paré)

Plus tard, Ellen se prépare à remonter sur scène. Tom lui fait ses adieux tout en lui promettant de toujours être là si elle a besoin de lui. Elle rejoint son groupe et commence son concert tandis que Cody s'éloigne, accompagné par McCoy.
Ellen Aim et les Sorels

L'idée originale de Streets of Fire vient à Walter Hill pendant le tournage de 48 heures (1982) : c'est la chanson du même titre (issu du LP Darkness on the edge on town) de Bruce Springsteen (à qui il voudra ensuite la composition de la bande-son, mais le "boss" sera alors accaparé par le succès de son album Born in the USA) qui l'a inspiré. Pour le cinéaste, il s'agit de réaliser le film de ses rêves, un hommage aux séries noirs et aux comics de sa jeunesse.

Hill rédige avec son co-scénariste Larry Gross un traitement de dix pages qu'il soumet aux producteurs Lawrence Gordon et Joel Silver qui convainquent Universal de financer cette "fable rock'n'roll". Pour pouvoir tourner les nombreuses scènes nocturnes de cette histoire même en pleine journée, il est convenu de tout filmer en studio et d'immenses plateaux sont mis à dispositions de Hill et son équipe technique.

Le casting débute : le script est proposé à Paul McCartney pour le rôle du chanteur kidnappé par le gang des Bombers, mais l'ex-Beatles décline l'offre pour d'autres projets. Joel Silver a repéré la toute jeune (18 ans) Diane Lane dans Rusty James (Francis Ford Coppola, 1983) et persuade Hill de lui faire passer un essai. Elle s'y rend vêtue comme une rockeuse, pantalons en cuir, top en résilles, bottes de motarde, et impressionne le réalisateur qui accepte de réécrire le personnage pour le féminiser. Même si elle sera doublée vocalement (par un mixage des voix de Laurie Sargent et Holly Sherwood) pour les scènes de concert, elle est effectivement épatante, évidemment très belle mais aussi pleine d'énergie.

Amy Madigan obtient aussi que Hill revoie sa copie pour jouer le rôle de McCoy prévu initialement pour un homme - le résultat donne une composition mémorable mais très crédible où la comédienne est impeccable en "tomboy" dur-à-cuire et fort en gueule.

Malgré les efforts de ses producteurs et son insistance, Hill n'arrivera cependant pas à recruter Tom Cruise (lui aussi révélé un an auparavant, dans Outsiders, de Coppola) pour camper Tom Cody, mais il impose un autre débutant avec Michael Paré, vu dans Philadelphia Experiment. Il est un parfait mélange de séduction et de rudesse. Cody aurait dû d'ailleurs être le héros d'une trilogie mais l'échec commercial des Rues de feu condamnera cette ambition.

Car cet opus ne fonctionnera pas auprès du public ni de la critique, déroutés par cet ensemble de polar et de bande dessinée. Le tournage sera d'ailleurs houleux : comme son personnage du manager Billy Fish, Rick Moranis, dans un contre-emploi pour lui qui vient de la comédie, se montre odieux avec Hill et Paré. Ce dernier n'est pas non plus ménagé par son metteur en scène qui multiplie les prises pour le pousser à nuancer son jeu (de fait, il est assez inexpressif, ce qui l'empêchera sûrement ensuite d'accéder à des rôles plus importants et au statut de star). Ces tensions démoralisent le reste du casting et de l'équipe technique, mais servent finalement le film.

Malgré des codes esthétiques empruntés au polar et à la BD (jusque dans les transitions à la manière de balayages donnant l'impression de pages qu'on tourne - l'illusion est poussée jusque dans le son !), la construction du film se réfère en vérité franchement au western : pour s'en convaincre, il suffit d'imaginer des indiens ou des bandits à la place du gang des Bombers (mené par Willem Dafoe, recommandé par Kathryn Bigelow, et qui donne à son personnage un charisme démoniaque fabuleux), de remplacer les voitures et motos par des chevaux, et on se croirait au far-west. Tom Cody est lui-même un ancien soldat, revenu d'une guerre jamais nommé (on peut aussi bien penser au Vietnam qu'à la guerre de sécession qui se poursuivrait dans les rues de la ville), et manie une carabine Winchester, tandis qu'Ellen Aim évoque une chanteuse de saloon capturée puis délivrée par le héros avec son sidekick.

Plus ambigu est le rôle de McCoy dans la mesure où il est incarné par une femme, ce qui trouble sa relation avec Cody : l'aide-t-elle par amitié ? Par amour ? Par attirance pour Ellen ? Ou par goût de la guerre ? Mais cela contribue aussi à l'originalité du projet.

Les Rues de feu renvoie d'ailleurs aussi à la guérilla urbaine, vue et racontée avec des emprunts aux années 30 (le look de hobo de Cody), 50 (les bikers de Raven Shaddock et les habitants de quartier de Richmond) et 80 (avec les néons fluo). Mais ce cocktail, loin d'être indigeste, est ce qui confère toute sa singularité et sa modernité au film, emballé sur un rythme soutenu, des acteurs énergiques, une histoire divertissante, sentimentale et efficace.