vendredi 30 décembre 2016

VICKY CRISTINA BARCELONA, de Woody Allen (2008)

VICKY CRISTINA BARCELONA est un film (le 37ème) film écrit et réalisé par Woody Allen.
La photographie est signée Javier Aguirresarobe.

Dans les rôles principaux, on trouve : Rebecca Hall (Vicky), Scarlett Johansson (Cristina), Javier Bardem (Juan Antonio Gonzalo), Penélope Cruz (Maria Helena), Chris Messina (Doug), Patricia Clarkson (Judy Nash), Kevin Dudd (Mark Nash).
Vicky et Cristina
(Rebecca Hall et Scarlett Johansson)

Deux jeunes femmes américaines, Vicky et Cristina, se rendent à Barcelone pendant l'été où elles sont hébergées par des amies de la famille de la première, Judy et Mark Nash. Très liées, elles sont pourtant dissemblables dans leur manière de vivre : Vicky, la brune, est raisonnable et traditionnelle vis-à-vis des relations amoureuses (elle est d'ailleurs sur le point de se marier) tandis que Cristina, la blonde, se revendique comme anti-conformiste mais aussi plus irrésolue.
Juan Antonio Gonzalo
(Javier Bardem)

Accompagnant Vicky à une exposition, Cristina remarque parmi les invités le peintre Juan Antonio Gonzalo au sujet duquel Judy Nash lui explique qu'il sort d'une relation passionnelle avec sa muse, Maria Helena. Plus tard, alors qu'elles dînent dans un restaurant, il les aborde pour les inviter à le suivre jusqu'à Oviedo pour y visiter la ville, boire, manger et faire l'amour. Cristina est conquise, Vicky est plus réticente mais part quand même avec eux.
Juan Antonio et Vicky

A la fin de leur première journée sur place, Cristina rejoint Juan Antonio dans sa chambre mais, souffrant d'une indigestion, elle doit garder le lit plusieurs jours. En attendant, le peintre passe du temps avec Vicky qui s'attendrit à son égard en l'écoutant parler de sa romance avec Maria Helena. Juan Antonio la présente même à son père, un vieux poète, et elle finit par succomber à ses avances. 
Maria Helena
(Penélope Cruz)

De retour à Barcelone, une fois Cristina rétablie, sans que Vicky lui ait avouée son aventure avec Juan Antonio, cette dernière se replonge dans la rédaction de sa thèse. Cristina entame une liaison avec le peintre tandis que Doug rejoint Vicky. Une nuit, le peintre reçoit un appel téléphonique : Maria Helena a tenté de se suicider. Il va la chercher à l'hôpital et la ramène chez lui. 
Maria Helena, Juan Antonio et Cristina

D'abord tendue, l'ambiance s'apaise vite dans ce ménage à trois au point que Cristina devient aussi l'amante de Maria Helena. De son côté, Vicky prépare son mariage avec Doug qui aimerait l'épouser à Barcelone, les Nash organisant la cérémonie, mais la jeune femme surprend Judy avec son amant et comprend qu'elle-même n'est pas épanouie avec son futur conjoint. Elle pense encore à Juan Antonio comme elle le confie à Judy.
Maria Helena et Cristina

Cristina, pourtant comblée, est rattrapée par son insatisfaction chronique et annonce à Juan Antonio et Maria Helena qu'elle les quitte, ce qui provoque une crise dans leur trio. Alors que son amie est partie réfléchir à son avenir quelques jours en France, Vicky revoit alors le peintre grâce à Judy, qui a appris que Maria Helena l'a à nouveau abandonné. Mais elle resurgit en les menaçant avec un revolver. Juan Antonio la désarme mais Vicky, effrayée, préfère en rester là. 
Vicky

Quelques jours après, Vicky, mariée civilement à Doug, et Cristina rentrent en Amérique : la première s'est résignée à une vie conjugale rangée, la seconde ne sait toujours pas ce qui la rendra heureuse.

Après sa "trilogie anglaise" (Match Point, 2005 ; Scoop, 2006 ; Le Rêve de Cassandre, 2007), Woody Allen poursuit sa balade européenne en posant sa caméra en Espagne. Le soleil de la Catalogne lui inspire une nouvelle pépite, comédie aigre-douce sur deux jeunes femmes  amies mais dissemblables dont les sentiments vont être mis à l'épreuve.

Tout est rayonnant dans Vicky Cristina Barcelona : la ville y est filmée comme pour une brochure touristique (de la même manière que Paris dès les premières images de Minuit à Paris), les maisons, les jardins, les intérieurs, sont superbes, et les comédiens sont saisis de manière à les rendre aussi attirants que les décors dans lesquels ils évoluent.

Il émane de l'ensemble une sensualité solaire tout de même assez inattendue de la part de Allen qui, s'il a souvent écrit sur les affres du coeur, ne s'est jamais attardé sur la dimension charnelle de l'amour. Or, là, il convoque un casting particulièrement séduisant en retrouvant pour la troisième fois consécutive (et dernière à ce jour) Scarlett Johansson, et Rebecca Hall (qui était comme cette dernière à l'affiche du Prestige de Christopher Nolan en 2006), Javier Bardem et Penélope Cruz.

Mais le cinéaste s'en amuse évidemment : l'idyllique exotisme ne sert qu'à souligner les clichés érotiques et les emballements romantiques de ses protagonistes. Les deux filles sont des bourgeoises américaines, figures familières du cinéma d'Allen, en quête de frissons (même si l'une l'admet alors que l'autre s'en défend), jusqu'à l'irruption d'une troisième femme, directement empruntée à Pedro Almodovar, d'autant plus qu'elle est incarnée par Penélope Cruz, et qui fait basculer ce marivaudage dans une fantaisie quasi-burlesque (la comédienne joue là comme Sophia Loren, déchaînée, volcanique - sa prestation, épatante, lui vaudra justement l'Oscar du meilleur second rôle).

Woody Allen utilise les codes du conte initiatique avec une savoureuse ironie. Vicky (interprétée par Rebecca Hall comme si elle imitait la diction bégayante et la gestuelle fébrile de son metteur en scène) comme Cristina (campée par Scarlett Johansson, torride mais surtout "intranquille" - le baiser langoureux qu'elle échange avec Penélope Cruz dans une chambre noire, dont la lumière rouge souligne l'embrasement des corps, restera le grand moment sexy du film) sont tout droit sorties d'un roman de gare, désirables et tourmentés, dépassés par le tourbillon amoureux ibérique. 

Le désir, personnifié par Javier Bardem (viril et déchiré comme la caricature d'artiste qu'aime moquer Allen), est omniprésent (via les dialogues, les lumières, les corps) et oblige à des choix tranchés dans des situations paroxystiques (le sommet étant atteint avec la scène où Maria Helena surgit, revolver au poing, alors que Juan Antonio enlace Vicky, menaçant de les/se tuer - un moment irrésistible et absurde). La raison l'emporte logiquement chez Vicky, les sentiments rongent encore Cristina : aucune ne maîtrise son coeur ou son esprit, comme l'indique la voix off omnisciente, à la fois malicieuse et détachée. Il n'est pas davantage certain que l'expérience aura plus profité à Juan Antonio et Maria Helena, même s'ils ne s'aiment vraiment que dans le conflit.

Le film se termine sur une note troublante même qui résume bien le ton général : la parenthèse refermée, la réalité reprend ses droits, le charme est rompu. Il ne restera aux protagonistes que les fantasmes de ce séjour catalan. Mais cet épilogue doux-amer a plu : avec plus de 95 M $ de recettes (pour un budget de 15), Vicky Cristina Barcelona est un des plus gros succès commercial de son génial auteur.  

jeudi 29 décembre 2016

LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET, de Fritz Lang (1955)


LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET (Moonfleet) est un film réalisé par Fritz Lang.
Le scénario est écrit par Jan Lustig et Margaret Fills, d'après le roman de John Meade Faulkner. La photographie est signée Robert Flanck. La musique est composée par Miklos Rozsa.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jon Whiteley (John Mohune), Stewart Granger (Jeremy Fox), George Sanders (Lord Ashwood), Joan Greenwood (Lady Ashwood), Viveca Lindfors (Anne Minton).
Bienvenue à Moonfleet !

1757. Angleterre. Jeune orphelin, John Mohune arrive à Moonfleet, dans la région du Dorset, à la recherche de Jeremy Fox. Il échoue dans une taverne fréquenté par une bande de brigands aux trognes patibulaires, avant que n'apparaisse le nommé Fox à qui le garçon remet une lettre écrite par sa défunte mère, Olivia, qui l'a bien connu autrefois. Elle lui demande de devenir son protecteur en souvenir de leur relation passée.
John Mohune
(Jon Whiteley)

Mais Jeremy Fox ne sait pas quoi faire de ce gamin : lui est un aventurier hédoniste, entouré de ses sbires et recevant dans son manoir des nobles décadents pour des fêtes bien arrosées. 
Jeremy Fox
(Stewart Granger)

Mais le petit Mohune ne se résigne pas et obtient finalement que son hôte le garde auprès de lui, malgré la méfiance de ses hommes et de sa compagne, Anne Minton. En se promenant au clair de lune dans le cimetière voisin du manoir, le garçon tombe accidentellement dans une crypte abandonnée. En entendant des visiteurs arriver, il se cache et découvre alors que Jeremy Fox est en vérité le chef d'une bande de naufrageurs. Ceux-ci contestent son autorité mais il leur rappelle qu'il a doublé leurs profits depuis qu'il les dirige, ce qui suffit à calmer tout le monde.  
Jeremy Fox et Anne Minton
(Stewart Granger et Viveca Lindfors)

John Mohune découvre ensuite dans le boîtier de la montre qu'il tient de sa mère un étrange message : des extraits de versets de la Bible, qu'un des compagnons de Fox va deviner qu'il s'agit d'un code permettant de localiser la cachette d'un trésor. 
John Mohune et Jeremy Fox

Avisé, Jeremy Fox, passe un marché avec un couple de nobles sans foi ni loi, Lord et Lady Ashwood, pour partager le fruit de la vente du trésor en échange de leur aide pour lui faire quitter Moonfleet.  
Lord et Lady Ashwood
(George Sanders et Joan Greenwood)

Avant cela, Fox doit une fois encore rappeler à l'ordre ses complices désireux d'éliminer John Mohune dont ils craignent qu'il les dénonce à la maréchaussée. Ayant compris que son amant compte se retirer sans elle, Anne Minton le trahit en le signalant aux autorités. Mais Fox et Mohune se sont déjà introduits dans la caserne où est caché le trésor. Il s'agit, comme l'a décrypté le contrebandier, d'un diamant dissimulé dans un puits à l'intérieur d'une tour.  
Le diamant est dans le puits !

Le caillou récupéré, Fox emmène Mohune dans une cabane près de la plage où il pourra se reposer. L'enfant endormi, il s'éclipse avec le diamant pour rejoindre les Ashwood. La cupidité de ces derniers et le remords d'avoir abandonné John convainquent Fox de leur fausser compagnie. Mais il reçoit une balle dans le dos en fuyant. Mortellement blessé, Fox parvient quand même à rejoindre Mohune à qui il rend le brillant grâce auquel il pourra assurer son avenir tandis que le malfrat prend le large à bord du barque.  

Quel curieux destin que celui de Moonfleet, aujourd'hui reconnu comme un grand classique, mais dont la réalisation puis la sortie en salles sanctionnée par un échec commercial cinglant faillirent le condamner aux oubliettes. Le public français ne le découvrit d'ailleurs qu'en 1960 !

Avant cela, Les Contrebandiers de Moonfleet fut conçu par une équipe dont aucun des membres n'estimait les qualités. Les techniciens le considéraient comme une petite production sans envergure. Le réalisateur Fritz Lang redoutait de filmer pour la première fois de sa carrière en couleurs et s'acquitta de sa tâche sans enthousiasme pour une intrigue qu'il trouvait inintéressante. Dore Schary, le patron de la MGM, et John Houseman, le producteur qui initia le projet, l'accompagnèrent mollement. Quant aux acteurs, ni George Sanders, ni Viveca Lindfors ne le mentionnèrent dans leurs autobiographies !

Fidèle à lui-même, Stewart Granger se brouilla dès le début des prises de vue avec Lang et se comporta exécrablement avec ses partenaires. Cela rend sa composition de Jeremy Fox, héros ambigu de ce conte mêlant épouvante et codes du film de cape et d'épée, encore plus trouble puisque le personnage est finalement aussi peu aimable (hormis à la fin) que son interprète.

On le comprend, tout le monde se débrouillait comme il le pouvait. Mais, ignorant ces vilaines affaires de coulisses, l'Hexagone fut le seul pays à apprécier le résultat, "par amour ou par perversion"  se demanda ensuite Lang...

Quelle mouche avait donc piqué tout ce beau monde pour ne pas voir la merveille qu'il était en train de fabriquer ? On peut y lire un snobisme certain : à l'époque, malgré de grandes réussites, le film d'aventures souffrait d'un manque de reconnaissance, il s'agissait pour beaucoup (de ceux qui y participaient et l'analysaient) de séries B colorées mises en images par d'habiles faiseurs dont le talent, le sens esthétique, l'efficacité narrative ne seront que tardivement réévalués.

Comparé donc à Scaramouche (George Sidney, 1952) ou Le Prisonnier de Zenda (Richard Thorpe, 1952), l'intrigue des Contrebandiers de Moonfleet est effectivement plus étrange, notamment parce que le récit repose sur un jeune garçon, John Mohune, entre les mains d'un adulte peu recommandable, Jeremy Fox. Leur relation produit un climat déconcertant et des péripéties étonnamment peu spectaculaires - pas de grands duels à l'épée ici ni de cascades bondissantes. L'action se déroule majoritairement de nuit, dans des lieux de débauche (le manoir de Fox, la taverne, la crypte), et la découverte du diamant a lieu dans un puits, sans coup d'éclat (même si la descente, inquiétante, de John Mohune dans le seau évoque immanquablement Alice chutant dans le terrier du lapin jusqu'aux pays des merveilles de Lewis Carroll). Pas d'humour non plus dans ce récit lugubre, angoissant, dès la première scène où le gamin découvre un brigand récemment pendu : bienvenue à Moonfleet !

En refusant tout ce qui l'inscrirait dans un divertissement ordinaire, le film n'est donc pas simple à apprécier mais en même temps devient justement mémorable à cause de cette espèce d'austérité, de noirceur fascinante. Il plane au-dessus des protagonistes une incertitude intense, on ne sait jamais qui en sortira indemne - pas même le jeune Mohune.

Fritz Lang prétendit que John Houseman fit procéder à des retakes et modifia son montage, notamment la fin - allégations démenties ensuite par des documents de tournage. Mais on n'était plus à ça près : le scénario de Jan Lustig et Margaret Fills prenaient déjà beaucoup de libertés avec le roman de John Meade Faulkner. Et le sentiment qui domine reste celui d'un film à la fois fluide et dense pour les 85 minutes qu'il dure. Par ailleurs, le design - décors, costumes - est superbe : il a été supervisé par Cedric Gibbons, crédité sur plus de mille (!) longs métrages de la MGM. Et les acteurs, malgré leurs comportements peu professionnels alors, sont tous excellents : Stewart Granger bien sûr, mais également George Sanders et Joan Greenwood onctueuses fripouilles, ou le jeune Jon Whiteley, épatant et inoubliable John Mohune à des lieues de tant de mini-stars têtes à claques. Sans oublier Viveca Lindfors, suédoise moins connue que Garbo ou Ingrid Bergman, mais au regard magnifique.    

Pour le pessimiste Fritz Lang, cette commande ne méritait donc sans doute pas qu'on s'y attarde (bien que l'histoire se termine sur une fausse happy end), et les spectateurs américains furent certainement déconcertés par un film qui n'avait ni la vivacité qu'aurait pu lui injecter Raoul Walsh, le clinquant d'un Richard Thorpe ou la légèreté d'un George Sidney. Mal aimée (par ceux qui la firent et la virent), cette oeuvre a été justement réhabilitée en devenant le vrai diamant convoité par Jeremy Fox.  

mercredi 28 décembre 2016

LA CHARGE HEROÏQUE, de John Ford (1949)


LA CHARGE HEROÏQUE (She Wore A Yellow Ribbon) est un film réalisé par John Ford.
le scénario est écrit par Frank S. Nugent et Laurence Stallings, d'après The Big Hunt et War Party de James Warner Bellah. La photographie est signée Winton C. Hoch. La musique est composée par Richard Hageman.

Dans les rôles principaux, on trouve : John Wayne (capitaine Nathan Brittles), Joanne Dru (Olivia Dandrige), Ben Johnson (sergent Tyree), Victor McLaglen (sergent Quincannon), John Agar (lieutenant Flint Cohill), Harry Carrey Jr. (lieutenant Ross Pennell), Mildred Natwick (Abbey Allshard), George O'Brien (major Mack Allshard).
 Le sergent Quincannon, la capitaine Nathan Brittles et le sergent Tyree
(Victor McLaglen, John Wayne et Ben Johnson)

Le capitaine Nathan Brittles, à la tête du régiment de cavalerie de Fort Starke, sera à la retraite dans six jours. Mais avant d'en profiter, cet officier respecté et à cheval sur le règlement doit faire face à une évasion des indiens Cheyennes et Arapahos de leurs réserves après la défaite du général Custer à la bataille de Little Big Horn le 27 Juin 1876.
Olivia Dandrige et le lieutenant Ross Pennell
(Joanne Dru et Harry Carrey Jr.)

La tâche de Brittles se complique lorsque le major Allshard lui demande de convoyer sa femme, Abbey Allshard, et sa nièce, Olivia Dandrige, pour les conduire à l'abri. Deux lieutenants de la garnison, Flint Cohill et Ross Pennell, se disputent les faveurs de la jeune femme, qui a attaché ses cheveux avec un ruban jaune, signe qu'elle est disposée à s'engager avec un homme.
Le lieutenant Flint Cohill et Olivia Dandrige
(John Agar et Joanne Dru)

Au fort, cependant, tous les soldats déplorent déjà le départ prochain de leur capitaine et mentor, qui, tous les soirs, au coucher du soleil, va se recueillir sur la tombe de sa femme, Mary, morte à l'âge de 34 ans. Brittles n'a jamais refait sa vie et a trouvé dans l'armée une seconde famille, alors qu'il est issu d'un milieu modeste.
Le capitaine Brittles devant la tombe de sa femme

Surpris par Olivia, Brittles lui conseille de bien réfléchir à l'homme avec qui elle veut partager son existence et de veiller à tempérer les jalousies qu'elle suscite entre Cohill et Pennell, dont il loue les qualités d'officiers mais pointe le caractère impulsif. 
Olivia Dandrige et le capitaine Brittles

Le convoi quitte le fort et Brittles peut s'appuyer sur les sergents Tyree et Quincannon pour traverser Monument Valley. Dans ce cadre somptueux mais sauvage, la route est difficile et le danger rôde car les indiens observent la progression de la caravane. 
Le capitaine Brittles et le sergent Tyree

En chemin, une nuit, avec Pennell et Tyree, Brittles part en reconnaissance et surprend Karl Rynders, un trafiquant qui essaie de vendre des fusils aux indiens. Mais la transaction dégénère : il est tué et ses armes volées. La situation devient trop critique pour continuer et le capitaine décide le lendemain de retourner avec le convoi à Fort Starke, laissant Cohill et quelque hommes, tous célibataires, en arrière pour couvrir leur retraite au péril de leur vie. 
Le capitaine Brittles et le chef Poney-qui-marche
(John Wayne et le chef John Big Tree)

Brittles fait son rapport au major Allshard mais le capitaine est désormais à la retraite. Il passe une dernière fois ses troupes en revue et reçoit de ses hommes en cadeau une montre en argent. Pour les remercier, il leur adresse un discours poignant soulignant leur bravoure, qui parvient même à émouvoir le major. Brittles quitte la garnison et rejoint Cohill et ses hommes : comme il lui reste encore quatre heures de service actif, il prend l'initiative d'aller parlementer avec le chef Poney-qui-marche pour éviter un affrontement sanglant entre les soldats et les indiens. Mais la négociation échoue. Le capitaine attend que la nuit tombe et pour empêcher les Apaches, les Comanches, les Cheyennes et les Arapahos, d'attaquer au matin, il fait disperser leurs chevaux.
Quincannon et Brittles

Brittles peut partir tranquille, certain qu'une bataille a été évitée. Mais le sergent Tyree le rattrape pour lui transmettre un courrier : il s'agit de sa nouvelle affectation en qualité de colonel promu pour diriger les éclaireurs. Revenant au fort, il est accueilli en héros tandis que Olivia Dandrige a choisi Flint Cohill comme fiancé.

Il s'agit, après Le Massacre de Fort Apache (1948) et avant Rio Grande (1950), du deuxième volet de la "trilogie de la cavalerie" réalisée par John Ford. Mais c'est aussi le plus bel épisode de ce triptyque, un sommet du western classique, l'un des chefs d'oeuvre du cinéaste dans le genre.

Loin d'être un film à la gloire de l'armée, c'est une histoire humaniste, une histoire d'hommes, au milieu de laquelle une femme va apporter un piquant de comédie tout à fait irrésistible. On peut préférer les visions plus cyniques et ou iconoclastes de Robert Aldrich, Sam Peckinpah ou Sergio Leone, mais il est quand même difficile de ne pas être ému par la beauté élégiaque et mélancolique de cet opus.

Comme les deux titres qui l'encadrent, She Wore A Yellow Ribbon s'inspire des récits sur les tuniques bleues écrits par James Warner Bellah mais aussi des tableaux de Frederic Remington. Ces références permettent à Ford de nous faire entrer dans l'intimité d'une garnison et de nous surprendre avec un récit finalement peu spectaculaire mais plus ancré dans le quotidien des soldats. Même le convoi qui se déplace dans Monument Valley, et qui constitue le coeur du film, est développé de manière à fuir tout sensationnalisme puisque le capitaine Brittles veut d'abord éviter les indiens sur le pied de guerre.

A l'intérieur du fort se construit une dramaturgie folklorique et pittoresque, dont l'attraction principale est la rivalité de deux jeunes lieutenants désirant séduire la nièce du major Allshard. Elle porte un ruban jaune dans les cheveux (qui donne son donne son titre original au film), symbole de sa disponibilité. Mais cette querelle amoureuse tombe mal au moment où plusieurs tribus indiennes, galvanisées par la défaite de Custer à Little Big Horn, s'évadent de leurs réserves et n'entendent pas y être reconduites par les militaires.

Au capitaine Nathan Brittles échoit la mission de protéger la femme et la nièce du major : pour ce veuf, qui a été soldat toute sa vie et qui continue, fidèlement, chaque soir, à déposer quelques fleurs sur la pierre tombale de son épouse, deux règles s'imposent - ne jamais s'excuser (car c'est un signe de faiblesse : une réplique qui sera reprise par les scénaristes de l'abominable série télé NCIS) et obéir jusqu'au dernier jour de son service (il est à six jours de la retraite quand l'histoire débute). Brittles est décrit comme un homme loyal, bon, juste, mais très à cheval avec l'administration (il rédige des rapports en bonne et due forme et communique ses doléances par écrit à son supérieur). Sa rigidité apparente est nuancée par sa malice (il surveille constamment l'haleine du sergent Quincannon, qui avale une gorgée de son whisky à chaque fois qu'il entre dans sa baraque et qu'il a le dos tourné) et sa bienveillance (il prodigue de précieux conseils conjugaux à la jeune Olivia Dandrige, qui fait tourner la tête des lieutenants Cohill et Pennell, et entretient des rapports toujours courtois avec la femme de son major).

John Wayne est fabuleux dans ce rôle que Ford hésita pourtant à lui confier car le personnage avait vingt ans de plus que l'acteur : c'est en découvrant sa composition (remarquable) dans La Rivière rouge (Howard Hawks, 1948) qui lui eût raison de ses doutes et bien lui en prit. Drôle, chaleureux, d'une droiture morale admirable, Nathan Brittles rappelle à quel point le "Duke" était un immense comédien et son réalisateur lui offrit d'ailleurs à la fin du tournage un gâteau avec ce message : "vous êtes un acteur maintenant !" Wayne, lui-même, conserva pour ce capitaine une affection particulière, prestation pour laquelle il aurait amplement mérité un Oscar.

Le metteur en scène Lindsay Anderson déclara que "faire des films qui témoignent de tant d’amour pour les traditions militaires sans être militariste relève de l’exploit" : La Charge héroïque rappelle aussi, une fois de plus, à quel point John Ford était un vrai progressiste et nullement un raciste ou un intolérant : les indiens sont tous incarnés par d'authentiques natifs, et il filme les conditions indignes dans lesquels ils vivaient. Devant sa caméra, il s'agit d'un peuple non pas sanguinaire mais fier, en proie à un conflit générationnel (le dialogue entre Brittles et le chef Poney-qui-marche révèle que ce sont les jeunes, refusant d'écouter leurs aînés, qui veulent la guerre). Le seuls blancs victimes ici sont des trafiquants d'armes aux propos et aux manières odieux.

Le scénario de Laurence Stallings et Frank S. Nugent est donc d'une subtilité exemplaire, alternant moments légers (avec Quincannon), romantiques (avec Olivia et ses soupirants) et émouvants (Brittles devant la tombe de sa femme), capturés par la photographie splendide en Technicolor de Wynton C. Hoch. Le chef opérateur et le cinéaste s'opposèrent pourtant sur le tournage, notamment lors de la scène de l'orage : le premier voulant protéger son matériel commanda à son équipe de le remballer tandis que le réalisateur voulait absolument immortaliser les éléments en colère. Mais le résultat est magnifique, tout comme les scènes en studio où les personnages se découpent sur un coucher de soleil flamboyant. Peu importe alors que Joanne Dru n'ait pas un charisme fou face à John Wayne et que Ben Johnson et Victor McLaglen avec Mildred Natwick volent la vedette aux falots Harry Carrey Jr. et John Agar.

Un autre grand moment est le dernier passage en revue de Brittles lorsqu'il reçoit en cadeau une montre en argent où, pour lire l'inscription gravée à l'intérieur du boîtier, il doit chausser ses lunettes (une improvisation de Wayne) avant de prononcer un discours sobre et bouleversant, qui fait même pleurer le major Allshard. C'est grâce à ces détails et l'excellence du jeu de ses interprètes que Ford que le cinéaste nous cueille.

On n'épuisera jamais le charme de ce long métrage, savant mélange de panache et de sentimentalisme, d'humour et de poésie, de finesse et de vigueur.

mardi 27 décembre 2016

LA SOIF DU MAL (Director's Cut), de Orson Welles (1958)


LA SOIF DU MAL (Touch of Evil - Director's Cut) est un film écrit et réalisé par Orson Welles, d'après le roman Badge of Evil de Whit Masterson.
La photographie est signée Russell Metty. La musique est composée par Henry Mancini sous la supervision de Joseph Gershenson.

Dans les rôles principaux, on trouve : Charlton Heston (Ramon Miguel "Mike" Vargas), Janet Leigh (Susan Vargas), Orson Welles (commissaire Henry "Hank" Quinlan), Joseph Calleia (adjoint Pete Menzies), Akim Tamiroff ("Oncle Joe" Grandi), Mort Mills (procureur Schwartz), Marlene Dietrich (Tanya).
 Un plan-séquence d'anthologie pour démarrer !
Mike et Susan Vargas
(Charlton Heston et Janet Leigh)

La lune de miel de Susan et Mike Vargas est interrompue par l'explosion d'une bombe dans le secteur américain de Los Robles, petite ville proche de la frontière mexicaine.
Le commissaire Hank Quinlan et Mike Vargas
(Orson Welles et Charlton Heston)

Vargas redoute que cet attentat provoque des complications avec les autorités locales et ses craintes se vérifient vite lorsqu'il rencontre le commissaire Hank Quinlan chargé de résoudre l'affaire, dont les méthodes douteuses le heurtent. 
"Oncle Joe" Grandi et Susan Vargas
(Akim Tamiroff et Janet Leigh)

Pendant ce temps, Susan Vargas est abordé par les sbires de "Oncle Joe" Grandi, qui les menacent, elle et son mari, à mots couverts si Mike s'implique de trop près dans cette enquête. 
Mike Vargas, le procureur Schwartz, Hank Quinlan et Pete Menzies
(Charlton Heston, Mort Mills, Orson Welles et Joseph Calleia)

Quinlan soupçonne rapidement Manolo Sanchez d'être l'auteur de l'attentat : le jeune homme nie énergiquement mais il fait un coupable idéal car il est le fiancé de Marcia Linnekar dont le père, Rudy, a été tué avec sa compagne, Rita, dans l'explosion. 
Susan Vargas
(Janet Leigh)

Inquiet pour la sécurité de Susan, Mike lui demande de s'installer dans un hôtel isolé, le "Mirador", où la conduit l'adjoint de Quinlan, Pete Menzies. Ils sont suivis par Grandi que Menzies arrête et ramène en ville.
Le procureur Schwartz et Mike Vargas
(Mort Mills et Charlton Heston)

Faute de preuves solides contre Sanchez, Quinlan n'hésite pas en en fabriquer, comme le remarque Vargas, quand des bâtons de dynamite sont retrouvés dans la salle de bain du suspect alors qu'ils n'y étaient pas quelque minutes auparavant lorsque Mike était allé s'y rafraîchir. 
Susan Vargas

Cependant, à son hôtel, Susan est agressée puis droguée et enlevée par Pancho et ses amis, tous à la solde de Grandi, dont le frère a été arrêté par Vargas et qu'il espère ainsi écarter des investigations en cours tout en soulageant Quinlan pour mieux le corrompre. 
Mike Vargas

Vargas accède aux archives du palais de justice grâce au procureur Schwartz et consulte les dossiers des enquêtes menées par Quinlan et Menzies, pour la plupart entachées de graves irrégularités. 
Hank Quinlan et Pete Menzies

Pendant ce temps, Quinlan élimine Grandi dans la chambre d'hôtel de Los Robles où il a fait transporter Susan en l'étranglant avec un bas de la jeune femme. Elle découvre le cadavre à son réveil, juste avant d'être opportunément arrêtée par la brigade des moeurs et placée en détention au commissariat. Mike l'y rejoint et promet de la faire sortir au plus vite, puis passe un marché avec Menzies pour pièger Quinlan. 
Mike et Susan Vargas

Menzies entraîne Quinlan près d'une rivière en portant un micro sur lui, suivi discrètement par Vargas qui les enregistre. Mais le commissaire devine le piège et abat son adjoint avec l'arme de Mike pour qu'il soit accusé du meurtre. Menzies, agonisant, réussit à abattre Quinlan dont la conversation enregistrée est accablante sur ses méthodes. 
La chiromancienne gitane Tanyia : "C'était un sacré bonhomme tout de même !"
(Marlene Dietrich)

Mike retrouve Susan, libéré, tandis que Tanya, une chiromancienne gitane, rejoint le procureur Schwartz devant la dépouille de Quinlan et alors que Sanchez est passé aux aveux.

C'est dix ans après avoir quitté Hollywood qu'Orson Welles y fit son retour pour réaliser cette adaptation libre, qu'il a lui-même rédigée, du roman de Whit Masterson. Il s'était exilé entretemps pour tourner son Othello (1952) puis Mr. Arkadin (1955), dans des conditions éprouvantes (difficultés innombrables pour trouver des financements, des lieux de tournage...).

C'est grâce à Charlton Heston que Welles obtient le poste car l'acteur souhaitait lui donner la réplique. Pour rassurer le studio Universal, le scénariste-cinéaste-comédien met en boîte en quelques heures plusieurs pages de son script, grâce à des répétitions effectuées en amont avec son casting et le soutien de son chef opérateur, Russell Metty, qui règle avec lui de longs plans-séquences admirablement orchestrées (notamment l'interrogatoire de Sanchez par Quinlan, Menzies, Schwartz et Vargas).

Désormais tranquille, Welles va pouvoir travailler comme il le souhaite et il entraîne alors toute son équipe à Venice, sur les conseils de son ami, l'écrivain Aldous Huxley (Le Meilleur des Mondes). Afin de décourager un subalterne du studio de le surveiller, il filme la nuit, réécrivant le scénario le matin et le livrant aux acteurs l'après-midi.

Welles sait aussi que, comme il tient un des rôles principaux, Universal ne pourra pas le remplacer (à moins de retourner tout ce qui l'a déjà été). Heston mais aussi Janet Leigh, que le cinéaste a insisté pour avoir car il appréciait son jeu expressif et vif, le soutiennent, tandis que son ami Joseph Cotten vient jouer un petit rôle. Le casting est hétéroclite (Akim Yamiroff, Dennis Weaver) mais étonnamment cohérent. Même Marlene Dietrich en diseuse de bonne aventure gitane est crédible !

Touch of Evil est évidemment aussi resté célèbre pour son plan-séquence d'ouverture qui est une véritable prouesse mais au service du récit : ces trois minutes, filmées avec une caméra fixée sur une grue, donne le la du film, admirablement fluide, montrant la bombe, l'assassin qui la pose, Vargas et sa femme, Linnekar et Zita, et glissant entre les immeubles et les rues jusqu'à l'explosion. Dès lors, toute l'histoire est sous tension, en proie à une fièvre intense, au rythme implacable. On est entraîné avec les personnages dans un vrai tourbillon de sentiments, de situations : c'est à peine si on remarque les transitions tellement le montage est virtuose.

Pourtant quand les pontes d'Universal découvriront le résultat, ils seront aussi déconcertés que déçus et feront procéder à un remontage et des retakes, réalisées par Harry Keller, un technicien assez habile pour respecter le style de Welles tout en étant moins baroque. Toutefois, Charlton Heston et Janet Leigh se désolidariseront du studio et Welles, parti au Mexique pour préparer Don Quichotte (un de ses innombrables projets qui ne verra jamais le jour), adressera au responsables un mémo de presque 60 pages pour préciser sa vision (avouant au passage avoir à peine lu le roman d'origine pour mieux développer la relation entre Vargas et Quinlan, et par extension celle entre les autorités mexicaine et américaine). Ces notes, heureusement conservées, serviront des années plus tard à établir la version director's cut de 108 minutes (contre les 93 minutes précédentes) désormais disponibles. 

La Soif du Mal n'est pas seulement un grand film pour son époque, c'est un film génial parce qu'il a précédé bien des oeuvres, dans la forme (pour ne citer qu'un exemple : toutes les scènes avec Janet Leigh à l'hôtel préfigurent de façon troublante sa prestation dans Psychose de Hitchcock). Le tour de force est tel que, malgré ses audaces multiples, la censure en 1958 sera moins choqué par les situations que par la manière de filmer de Welles. Mais ce chef d'oeuvre, porté par une interprétation incandescente, une mise en scène étourdissante, des ambiances prenantes, et une intrigue à la fois complexe et lisible, a surtout su conserver toute sa puissance, et en impose, comme l'ogre Orson Welles face au chevalier Charlton Heston et sa princesse Janet Leigh, par sa modernité intacte.

lundi 26 décembre 2016

MARIAGE COMPLIQUE, de Don Hartman (1949)


MARIAGE COMPLIQUE (Holiday Affair) est un film réalisé par Don Hartman.
Le scénario est écrit par Isobel Lennart, d'après la nouvelle Christmas Gift de John D. Weaver. La photographie est signée Milton Krassner. La musique est composée par Roy Webb.

Dans les rôles principaux, on trouve : Janet Leigh (Connie Ennis), Gordon Gebert (Timmy Ennis), Robert Mitchum (Steve Mason), Wendell Corey (Carl Davis), Griff Barnett et Esther Dale (les beaux-parents de Connie).
 Connie Ennis et son fils Timmy
(Janet Leigh et Gordon Gebert)

Jeune veuve de guerre, Connie Ennis élève son fils unique, Timmy, et travaille pour une société de comparaison des prix en signalant à quel tarif sont vendus divers articles dans de grands magasins. C'est ainsi qu'elle achète un train électrique et fait la connaissance de Steve Mason, ancien combattant devenu commis : il devine tout de suite son activité mais ne la signale pas, comme il le devrait au détective de l'enseigne, quand le lendemain elle vient se faire rembourser l'article. Cela coûte la place au brave bougre qui retrouve ensuite Connie à un autre rayon et l'aide à porter jusque chez elle ses paquets.
Carl Davis et Connie Ennis
(Wendell Corey et Janet Leigh)

Steve a ainsi l'occasion de rencontrer Carl Davis, un avocat qui a demandé la main de Connie, mais que son fils rejette quand il s'avise de lui enseigner les bonnes manières en lui rappelant qu'il n'est pas son père. Davis, dépité, s'excuse auprès de Connie mais préfère se retirer, le temps que le garçon se calme. Steve, lui, reste un peu et se met l'enfant dans la poche en lui faisant aussi la leçon mais de manière plus complice. Avant de partir à son tour, il avise Connie qu'elle ne devrait pas l'élever dans le culte de son mari disparu afin qu'elle comme Timmy puissent avancer dans l'existence. 
Connie Ennis et Steve Mason
(Janet Leigh et Robert Mitchum)

Quelque jours après, le matin de Noël, Timmy, fou de joie, réveille sa mère parce qu'il a trouvé sur le pas de la porte de leur appartement un paquet avec le train électrique dont il rêvait (celui-là même qu'elle avait acheté auparavant, que son fils avait découvert en inspectant le paquet indiscrètement, puis qu'elle s'était fait rembourser). Une carte indique à Connie que c'est un présent offert par Steve. Pour le remercier, Timmy suggère à sa mère d'offrir un cadeau à Mason - une cravate prévue pour Carl Davis par exemple.
Carl Davis, Connie et Timmy Ennis, et Steve Mason

Mais l'affaire va provoquer une série de quiproquos : Connie donne la cravate à Steve qui donne la sienne à un clochard qui, pour le remercier, lui donne une salière et une poivrière en argent... Volés à un homme dans le parc où tout ce beau monde se trouve. Steve est peu après accusé de ce vol et la police demande à Connie de venir au poste pour témoigner. Grâce à l'aide de Carl Davis, l'innocence de Steve est prouvée et Timmy l'invite à dîner au réveillon. L'avocat y fait sa demande en mariage à Connie en présence de ses beaux parents invités mais Mason l'imite. Connie tranche en le congédiant. 
Steve Mason et Connie Ennis

Malgré tout, Carl a bien compris que sa belle en pinçait pour son rival et il finira pas la quitter pour qu'elle profite de son bonheur. Connie rattrape, avec Timmy, Steve à bord du train dans lequel il regagne sa Californie natale et ils s'embrassent sous les yeux ravis du fils de la jeune femme.

En 1949, Robert Mitchum, étoile montante de Hollywood qui voit en lui le nouveau "tough guy" à la mode, est arrêté pour possession et consommation de marijuana. L'affaire fait grand bruit mais l'acteur s'en tirera à bon compte. Malgré tout il lui faut restaurer son image.

Le studio RKO, avec lequel il est sous contrat, organise l'opération en lui préparant une comédie, genre qu'il n'a jamais investi, dont la sortie est planifiée pour Noël. Holiday Affair est confié à Don Hartman, "yes man" sans talent comme toutes les compagnies en comptent, pour réaliser le scénario écrit par Isobel Lennart, d'après une nouvelle de John D. Weaver.

Pour donner la réplique à Mitchum, Howard Hughes, le patron de la RKO, impose Janet Leigh, encore débutante à l'époque (elle n'a que 22 ans) mais dont le charme lumineux, le physique à la fois pulpeux et élégant, et la justesse de jeu promettent beaucoup selon le nabab. Malgré une intrigue médiocre, l'entreprise sera un succès et relancera, comme prévu, la carrière de son comédien vedette, qui collaborera dans les années 50 avec les plus grands studios dans des oeuvres nettement plus intéressantes.

Mariage Compliqué deviendra même, avec les années, un authentique film-culte aux Etats-Unis, souvent diffusé (comme le chef d'oeuvre de Capra, La Vie est belle) lors des fêtes de fin d'année, et faisant l'objet d'un remake sous la forme d'un téléfilm en 1996.

Cela étant dit, il ne faut pas prêter à cette bluette, aux artifices narratifs grotesques et aux ficelles plus grosses que des cordes de marine, plus de qualités qu'elle ne prétend en posséder. La RKO était une compagnie habile pour produire des séries B, dans tous les genres, avec des budgets souvent réduits mais des scores étonnants au box office. Néanmoins, la comédie n'était pas un registre dans lequel ses cadres brillaient (malgré des réussites indéniables comme L'Impossible M. Bébé de Howard Hawks, en 1939) et on en a ici un parfait exemple.

Don Hartman n'est pas Hawks, Preston Sturges, Ernst Lubitsch ou George Cukor, loin s'en faut : il conduit le récit sans rythme, enchaînant les péripéties mollement, et échouant plus souvent qu'à son tour à rendre les personnages attachants (le petit Gordon Gebert alias Timmy est une vraie tête à claques, et la défaite de Wendell Corey est prévisible dès sa première scène avec Mitchum, dont la virilité cool en impose naturellement). Mais, pire que tout, tout cela n'est pas drôle : le film flirte avec le mélodrame sans en assumer les aspects (le statut de veuve de guerre de Janet Leigh, celui d'ancien combattant de Mitchum - au passage, son laïus sur le fait qu'elle ne doit pas élever son fils dans le culte de son mari, soldat tombé au front, se révèle très hypocrite puisqu'il a lui-même été militaire et en joue pour séduire autant la mère que son fils, en se posant comme un successeur plus légitime qu'un avocat dans ce foyer !) mais échoue à susciter le rire, faute de situations conçues pour cela.

Le projet ne ment pas sur sa cible, c'est effectivement un divertissement conçu pour célébrer l'esprit de Noël : tout le monde y est d'une bienveillance extraordinaire - le vendeur au grand coeur, l'avocat bonne pâte, la mère de famille courageuse et digne, les beaux-parents si gentils, et même le patron du grand magasin qui reconduit le gamin chez lui après que ce dernier soit arrivé jusqu'à lui pour qu'il lui rembourse son train électrique cassé (afin de donner l'argent à Steve, désormais démuni mais voulant quitter New York pour rentrer en californie) !

Mais aussi sirupeux tout cela soit-il, le handicap insurmontable du film tient bien à... Mitchum lui-même ! Il n'est jamais ni convaincant ni convaincu dans ce rôle et son style d'interprétation - ce fameux "underplay" - joue contre son rôle : il traverse cette romance en ayant l'air de s'en ficher totalement, au point qu'il en devient antipathique. En comparaison, Janet Leigh, d'une beauté comme d'habitude renversante, incarne Connie avec beaucoup plus de sérieux, réussissant à être émouvante sans être mièvre en jeune femme éprouvée, tiraillée entre ses devoirs de mère (consciente de trop couver son fils et de faire tirer la langue à Wendell Corey) et ses envies de femme (elle admet, à à contrecoeur, qu'elle est trop jeune pour rester seule) : le personnage ouvrait des possibilités intéressantes, peu exploitées à l'époque (où pourtant il devait y avoir de nombreuses veuves dans cette situation)...

Ni fait ni vraiment à faire (si ce n'est pour redorer le blason de Mitchum), cette rareté ratée n'a heureusement pas davantage entaché la suite de l'oeuvre de ses interprètes pour qui la décennie qui allait commencer serait celle de la consécration.

dimanche 25 décembre 2016

SCARAMOUCHE, de George Sidney (1952)


SCARAMOUCHE est un film réalisé par George Sidney.
Le scénario est écrit par Ronald Millar et George Froeschel, d'après le roman de Rafael Sabatini. La photographie est signée Charles Rosher. La musique est composée par Victor Young.

Dans les rôles principaux, on trouve : Stewart Granger (André Moreau/Scaramouche), Eleanor Parker (Léonore), Janet Leigh (Aline de Gavrillac), Mel Ferrer (Noël de Mayne), Richard Anderson (Philippe de Valmorin), Nina Foch (Marie-Antoinette).
 Marie-Antoinette
(Nina Foch)

1790. France. Aventurier fanfaron et coureur de jupons, André Moreau doit protéger son meilleur ami, Philippe de Valmorin, aristocrate mais qui publie des pamphlets contre la royauté sous le pseudonyme de Marcus Brutus en appelant le peuple à se soulever.
Léonore et André Moreau
(Eleanor Parker et Stewart Granger)

Pour cela, il l'envoie auprès des membres de la troupe de comédiens de Gaston Binet pendant qu'il va réclamer de l'argent à un créancier à qui il demande aussi de lui révéler enfin le nom de son père - il serait le bâtard du marquis de Gavrillac. A la nuit tombée, André retrouve Philippe comme convenu. Le lendemain, ils reprennent la route et croisent le carrosse d'Aline de Gavrillac à qui André fait la cour avant de découvrir son nom de famille - et donc de se retirer.  
Noël de Mayne
(Mel Ferrer)

Noël de Mayne, la meilleure lame du pays, courtisan de Marie-Antoinette, a promis à la reine d'éliminer Marcus Brutus et il en a l'occasion lors d'une rencontre fortuite dans une auberge où Philippe de Valmorin et André Moreau se sont arrêtés. De Mayne défie le pamphlétaire et le tue à l'épée devant Moreau, impuissant, mais jure de venger son ami avant de prendre la fuite.
Aline de Gavrillac
(Janet Leigh)

Pour se cacher des hommes de de Mayne, Moreau reprend le rôle de Scaramouche dans la troupe de Gaston Binet où joue son autre dame de coeur, Léonore. Sous le masque de ce personnage, il connaît un succès grandissant qui rejaillit sur le reste de la compagnie, bientôt réclamée à Paris. Sur son temps libre, Moreau a convaincu Doutreval, qui approuvait les écrits de Marcus Brutus et qui est le maître d'armes de de Mayne, de lui apprendre à se battre et de le recommander auprès du meilleur professeur d'escrime de la capitale, Perigore. 
Aline de Gavrillac et André Moreau
(Janet Leigh et Stewart Granger)

A l'Assemblée, les aristocrates tuent régulièrement en duel les représentants du peuple. Remarqué par un député chez Perigore et également hostile à de Mayne et ses pairs, Moreau accepte de siéger pour pouvoir défier son ennemi. Mais Léonore et Aline, promise à de Mayne, conspirent ensemble pour qu'ils s'évitent. Toutefois quand Noël apprend où réside André, il entend le tuer dans l'heure mais Aline convainc son prétendant de l'emmener au théâtre comme il le lui avait promis. 
Le duel final entre André Moreau et Noël de Mayne
(Stewart Granger et Mel Ferrer)

Hélas ! en l'attirant au théâtre "L'Ambigu", elle ignore que c'est là que se produit la troupe de Gaston Binet et donc Moreau derrière le masque de Scaramouche. Quand celui-ci remarque de Mayne  au balcon à la fin de la représentation, il saisit l'occasion pour l'affronter. Leur duel commence dans les couloirs des étages, se poursuit dans les escaliers menant au rez-de-chaussée puis la salle de spectacle jusque sur la scène.
Léonore et Aline
(Eleanor Parker et Janet Leigh)

Le combat est acharné mais Moreau finit par dominer mais il ne peut alors se résoudre à tuer de Mayne. Le père de Philippe de Valmorin le rejoint plus tard sur la scène et lui apprend que, contrairement à ce que son créancier lui a raconté, le père d'André n'était pas le marquis de Gavrillac mais celui de Noël de Mayne : son ennemi était donc son demi-frère ! 
Léonore

Léonore reparaît ensuite pour l'inviter à rejoindre Aline et à l'aimer puisque plus rien ne s'y oppose désormais. André embrasse son ex-maîtresse pour la remercier de sa magnanimité.
André Moreau

Lorsqu'ils passent sous son balcon une fois mariés, Aline et André reçoivent un bouquet de fleurs envoyé par Léonore qui se tourne ensuite vers son nouvel amant : Napoléon Bonaparte !

Si on passe le soir de Noël seul, comme ça a été mon cas cette année, alors il faut réserver un film qui vous enchantera. Autant alors sélectionner une valeur sûre qu'on est certain d'apprécier toujours autant même après l'avoir souvent revu. Et dans ce domaine, aucune chance d'être déçu par Scaramouche !

Remake de la version muette de 1923, cette nouvelle adaptation du roman de Rafael Sabatini a été commandée par la Metro-Goldwyn-Mayer dès 1939 mais n'entrera qu'en pré-production qu'en 1951. Le studio en confie la réalisation à de ses meilleurs exécutant, George Sidney, spécialisé dans les comédies musicales, et d'ailleurs le projet devait initialement en être une.

Gene Kelly, Ava Gardner, Elizabeth Taylor et Fernando Lamas sont désignés pour incarner respectivement Moreau, Léonore, Aline et de Mayne, mais le long métrage prend du retard à se monter. Les acteurs, qui ont signé pour d'autres tournages, se désistent les uns après les autres, et la MGM choisit alors de confier le rôle-titre à Stewart Granger, puis recrute Eleanor Parker, Janet Leigh et Mel Ferrer.

Les scénaristes s'amusent avec l'Histoire (mais tant qu'on lui fait de beaux enfants, on peut toujours la détourner, comme disait Alexandre Dumas) : la représentation de l'Ancien Régime est très fantaisiste mais elle fournit des rebondissements particulièrement trépidants à l'intrigue. En vérité, un gentilhomme ne se battait pas à l'épée avec un roturier et les députés étaient par ailleurs déjà fort occupés. Et ne parlons même pas de l'apparition finale de Napoléon Bonaparte !

Pour ce récit tout entier bâti sur les masques - celui évidemment de Scaramouche derrière lequel se dissimule Moreau, mais aussi ceux des sentiments de Moreau pour Léonore puis pour Aline ou de de Mayne pour Marie-Antoinette et Aline, sans oublier celui de Philippe de Valmorin qui rédige des brûlots sous le nom évocateur de Marcus Brutus - , autant y aller franchement, et l'équipe de George Sidney n'a pas eu à se limiter, grâce à un budget confortable (largement amorti grâce au succès commercial du film).

Malgré tout, le tournage n'a pas été une partie de plaisir. D'abord à cause de l'attitude de Stewart Granger qui s'est mis à dos tous ses partenaires comme l'a avoué plus tard Eleanor Parker, dénonçant son impolitesse et son arrogance, jalousant en particulier Mel Ferrer, charmeur avec les dames (il le restera, même en devenant l'époux d'Audrey Hepburn l'année suivante, dont la gloire éclipsa la sienne et le rendit alors aussi odieux sur les plateaux qu'en dehors...).

L'autre épisode qui suscita de vives tensions implique évidemment le célèbre duel final (sans doute le plus spectaculaire de tous les films de cape et d'épée avec ses sept minutes !) : la séquence requit huit semaines de préparation, et Granger fut entraîné par le maître d'armes Jean Heremans. Ni lui ni Ferrer ne furent doublés - Ferrer était danseur et déjà excellent escrimeur, Granger rompu à l'acrobatie (ce qui ne lui épargna pas plusieurs blessures - au genou, à l'épaule et au dos). Etant donné leur rivalité en coulisses, on peut sentir que leur combat n'est pas du chiqué : il peut même se lire comme la métaphore de leur statut - Granger était alors le comédien le mieux payé de la MGM (un million de $ par an de 1950 à 57, date à laquelle il accusera Darryl Zanuck de coucher avec son épouse, Jean Simmons : le producteur, auquel il casse la figure, jure de le briser et y parviendra !) et voulait vraiment dominer son partenaire.

On notera, enfin, sur une note plus légère que Leslie Jones, qui joue le père de Philippe de Valmorin, faisait déjà partie du casting de la version muette trente ans plus tôt dans le rôle de... Noël de Mayne !

Malgré l'ambiance délétère en coulisses, entretenue par sa vedette ("le comédien britannique le plus détestable de Hollywood" comme l'appelait certains journalistes, appuyés par quelques metteurs en scène comme Fritz Lang), Scaramouche demeure un classique absolu du "swashbuckling" grâce à sa réalisation aérienne, bondissante, d'une élégance formelle somptueuse (les costumes et les décors y sont merveilleusement beaux, la photo de Charles Rosher à la fois éclatante et délicate selon la scène) ; et son interprétation exceptionnelle - Stewart Granger est virevoltant et insolent, Janet Leigh sublimement lumineuse, Eleanor Parker d'une sensualité torride, et Mel Ferrer d'un sadisme distingué. L'action est époustouflante, fluide, chorégraphiée avec virtuosité (un reliquat évident de l'intention initiale d'en faire un musical).

A l'image de la leçon du maître d'armes Doutreval à André Moreau ("une épée est comme un oiseau : si on le serre trop fort, on l'étouffe ; si on ne le serre pas assez, il s'envole."), le film vous étreint, palpitant et romantique, tendu et léger à la fois : le spectacle est total et grisant.