jeudi 6 octobre 2016

LA FEMME AU PORTRAIT, de Fritz Lang (1944)



LA FEMME AU PORTRAIT (The Woman in the Window) est un film réalisé par Fritz Lang.
Le scénario est écrit par Nunally Johnson, d'après Once Off Guard de J. H. Wallis. La photographie est signée Milton Krasner. La musique est composée par Arthur Lange.
Dans les rôles principaux, on trouve : Edward G. Robinson (Pr. Richard Wanley), Joan Bennett (Alice Reed), Dan Duryea (Heidt), Raymond Massey (Frank Lalor), Edmond Breon (Dr. Michael Barkstane), Arthur Loft (Claude Mazard/Frank Howard).
Richard Wanley et Alice Reed
(Edward G. Robinson et Joan Bennett)

Sa femme et leurs enfants partis en vacances, le professeur en criminologie Richard Wanley passe la soirée dans le club où il ses habitudes en compagnie de ses meilleurs amis, le commissaire Frank Lalor et le docteur Michael Barkstane. Restant après leur départ seul pour lire un ouvrage de la bibliothèque de l'établissement, Wanley s'assoupit.
Lorsqu'il se réveille et sort du club, il remarque dans la vitrine d'une boutique voisine un tableau représentant le portrait d'une belle jeune femme. C'est alors qu'elle apparaît derrière lui pour lui demander du feu pour allumer sa cigarette. Fasciné par la ressemblance de la peinture avec le modèle, il accepte de prendre un verre avec Alice Reed dans un bar puis chez elle où elle propose de lui montrer d'autres oeuvres pour laquelle elle a posées. 
Wanley et Alice

Leur conversation est interrompue par l'arrivée de l'amant d'Alice qui se jette sur Wanley et tente de l'étrangler dans un accès de jalousie. Le professeur se défend en agrippant une paire de ciseaux que lui tend Alice et poignarde mortellement l'homme. 
Alice et Wanley

Bien qu'ayant agi en état de légitime défense, Wanley sait que la police ne les épargnera pas, lui et Alice. Il décide de la débarrasser du cadavre en le jetant dans les bois à l'extérieur de la ville. Pour s'assurer qu'il reviendra et ne la dénoncera pas entretemps, elle garde son gilet. Il le récupère après avoir transporté le cadavre sous une pluie battante au coeur de la nuit.
Peu après, un jeune boy scout trouve le corps. L'identité de la victime est révélée : il s'agissait de Claude Mazard, un riche hommes d'affaires, et c'est l'ami de Wanley, Frank Lalor, qui dirige l'enquête. Une prime importante (10 000 $) est promise à qui fournira des informations aux autorités. 
Heidt et Alice
(Dan Duryea et Joan Bennett)

Le cauchemar recommence pour Wanley et Alice quand la jeune femme reçoit la visite de Heidt, le garde du corps de Mazard, qui la fait chanter en prétendant savoir qu'elle est mêlée au meurtre de son ancien patron. Il lui réclame 5 000 $ contre son silence. 
Alice et Wanley

Wanley, qui souffre d'insomnies depuis le crime et s'est fait prescrire par son ami Barstane un puissant somnifère, en donne une dose à Alice pour empoisonner Heidt quand il viendra chercher sa rançon. Mais la canaille devine le piège et exige encore plus d'argent.
Alice en avise par téléphone Wanley qui, désespéré, prend les doses restantes du somnifère. Alice assiste alors à une fusillade entre la police et Heidt après qu'il l'ait quittée : le maître chanteur est abattu mais le temps que la jeune femme prévienne Wanley, le professeur s'est déjà suicidé...
C'est alors que le majordome du club le réveille : il a rêvé toute cette histoire, et découvre qu'il a pris le responsable du vestiaire pour Mazard et le portier pour Heidt. Dehors, il observe le tableau dans la vitrine mais quand une femme l'accoste pour lui demander une allumette, il s'enfuit, affolé.

"Je suis persuadé que chaque cerveau fabrique en lui-même une inclination au meurtre... Parfois cela me torture, mais parfois aussi cela m'amuse de penser que je suis un tueur en puissance." disait Fritz Lang : aucun autre de ses films n'a exploré avec autant de perfection cette réflexion que The Woman in the Window.

C'est l'oeuvre (le chef d'oeuvre !) d'un cinéaste en exil : établi aux Etats-Unis, Lang s'empare du script que Nunally Johnson a tiré du roman à succès de J. H. Wallis en l'adaptant fidèlement à l'exception de ce célèbre dénouement qui cliva la critique et le public de tous temps. Il semble que le cinéaste et le scénariste aient convenu ensemble qu'un épilogue trop dramatique donnerait au film un aspect trop moralisateur et mais surtout que ce twist final surprendrait plus efficacement. Même quand on a déjà vu le film, on se laisse encore avoir, captivé par l'engrenage diabolique de cette intrigue. De fait, ce cauchemar est un fascinant miroir, un film dans le film.

Lang était hanté par des thèmes récurrents : la culpabilité et l'ironie du destin, le crime et le châtiment. Un meurtre est commis, le spectateur pardonne pourtant le coupable qui a agi en état de légitime défense, autant pour se défendre que pour protéger une séduisante jeune femme. Pourtant, la succession de péripéties qui en découle se transforme en véritable chemin de croix, narré avec un évident plaisir sadique par le cinéaste - au point d'entraîner le pathétique Pr. Wanley dans la forêt où il a abandonné le cadavre quand son ami commissaire s'y rend pour recueillir les premiers résultats de la police (on assiste alors à un moment savoureusement pénible où l'assassin devance imprudemment plusieurs fois les flics qui se rient de lui en insinuant qu'il ferait un coupable idéal).  

Tout semble ainsi précéder dangereusement le destin du héros : il est fasciné par le portrait d'Alice, il accepte de la suivre chez elle, il saisit la paire de ciseaux qu'elle lui tend pour tuer Mazard, il "devine" plusieurs fois les conclusions du commissaire, etc. De même, la situation se tend par d'extraordinaires subtilités : lorsque l'odieux Heidt entre en scène, il semble déjà savoir où trouver ce qu'il cherche pour confondre Alice et son mystérieux complice, en dénichant un cheveu du professeur dans le dossier du canapé, en trouvant le porte-mine de Wanley dans un gant de la jeune femme rangé dans le tiroir d'une commode, en sachant qu'elle veut l'empoisonner parce qu'elle insiste pour qu'il boive le verre d'alcool où elle a versé le somnifère. Pour avoir commis un acte criminel, les coupables sont harcelés par un maître-chanteur qui semble aussi omniscient que le diable lui-même et des forces de police à la perspicacité et à la pugnacité hors du commun.

Ainsi, Lang s'amuse-t-il à tourmenter Wanley et Alice et nous éprouve-t-il : nous craignons à tout moment qu'ils soient démasqués mais le cinéaste pointe autant leur culpabilité que notre complicité - car nous soutenons des assassins. Il explore aussi l'hypocrisie des protagonistes : Wanley est manifestement plus séduit par Alice que par la peinture ; Alice apprécie moins l'amateur d'art que la figure rassurante, paternelle du professeur ; Heidt s'amuse des tentatives de séduction d'Alice pour mieux la forcer à lui remettre l'argent qu'il lui réclame. Même le commissaire Lalor semble avoir rapidement percé à jour Wanley tout comme le Dr. Barkstane rigole de ses insomnies et le met en garde bien légèrement sur le dosage du somnifère qu'il lui prescrit.
  
Les invraisemblances qui apparaissent à mesure que le récit se déploient ne rendent que plus cruel la torture qu'inflige Lang à son héros et celle qui l'a involontairement entraîné dans cet enfer. Fantasmer comme l'a fait le brave professeur est déjà décrit comme une faute, le fatalisme puis la résignation avec laquelle il agit ensuite (cachant un cadavre, imaginant comment se débarrasser du maître chanteur, abandonner Alice en se suicidant) confirment ses faiblesses. 

La mise en scène de Lang est magnifique, avec la photographie admirable de Milton Krasner (les scènes nocturnes, abondantes, sont saisissantes, l'ambiance qui s'en dégage est oppressante au possible). Les mouvements d'appareil sont minimes afin de ne jamais laisser le spectateur anticiper qu'il s'agit d'un songe cauchemardesque, et cette sobriété paie jusqu'au bout avec un morceau de bravoure époustouflant - le plan où Wanley se suicide chez lui et se réveille dans le club, tourné sans coupures, ayant nécessité un dispositif hors champ très étudié pour déplacer les objets, changer les vêtements d'Edward G. Robinson, nuancer les lumières, etc.

L'interprétation est au diapason : Robinson se trouvait être un grand collectionneur d'art dans la vie civile et il campe ce professeur avec une sobriété qui rend sa descente aux enfers terrible. D'âge mur, sans charme, sa présence ajoute à la crédibilité de sa mésaventure quand une femme aussi séduisante que Joan Bennett l'aborde : la comédienne a par la suite l'occasion de prouver la finesse de son jeu lorsqu'elle affronte Dan Duryea, un habitué des rôles de crapules - la séquence où elle lui remet une partie de la rançon et tente de l'empoisonner alors qu'il lui propose de fuir ensemble est un grand moment, le chat tourmentant la souris.

Ce trio d'acteurs exceptionnel aura l'occasion de se retrouver devant la caméra de Lang un an après pour La Rue Rouge, remake de La Chienne de Jean Renoir, tandis que Bennett sera la vedette et la co-productrice du Secret derrière la porte en 48 du cinéaste allemand.

Mais La Femme au portrait est et reste incontestablement le sommet de ces collaborations, un des films noirs les plus audacieusement manipulateurs du genre.

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