jeudi 29 septembre 2016

GONE BABY GONE, de Ben Affleck (2007)


GONE BABY GONE est un film réalisé par Ben Affleck.
Le scénario est écrit par Ben Affleck et Aaron Stockard, d'après le roman de Dennis Lehane. La photographie est signée John Toll. La musique est composée par Harry Gregson-Williams.


Dans les rôles principaux, on trouve : Casey Affleck (Patrick Kenzie), Michelle Monaghan (Angie Gennaro), Morgan Freeman (capitaine Jack Doyle), Ed Harris (agent Remy Bressant), John Ashton (agent Nick Poole), Amy Ryan (Helene McCready), Titus Welliver (Lionel McCready), Amy Madigan (Bea McCready), Edi Gathegi (Cheese Jean-Baptiste), Madeline O'Brien (Amanda McCready).
 Patrick Kenzie et Angie Gennaro
(Casey Affleck et Michelle Monaghan)

Boston. Patrick Kenzie et Angie Gennaro, un couple de détectives privés, sont engagés par Lionel et Bea McCready pour retrouver leur nièce, Amanda, 4 ans, dont la disparition est commentée dans tous médias. 
Lionel et Bea McCready
(Titus Welliver et Amy Madigan)

Le capitaine de la police, Jack Doyle, n'apprécie guère cette initiative mais s'y résigne. Angie est, elle, anxieuse à l'idée d'un dénouement tragique, doutant de pouvoir se remettre de la mort d'une enfant. 
Jack Doyle, Patrick Kenzie et Angie Gennaro
(Morgan Freeman, Casey Affleck et Michelle Monaghan)

L'enquête conjointe des détectives et de la police les conduit à soupçonner la mère de la fillette, Helene McCready, toxicomane peu inquiète par la situation. Elle avoue être sortie dans un bar le soir de la disparition d'Amanda pour retrouver son amant, un dealer connu sous le pseudonyme de "Skinny" Ray, avec lequel elle a volé la coquette somme de 130 000 $ à un caïd local, "Cheese" Jean-Baptiste. Patrick le connaît et propose de lui parler.
Nick Poole, Helene McCready et Remy Bressant
(John Ashton, Amy Ryan et Ed Harris)

Accompagnés des agents Remy Bressant et Nick Poole du Boston Police Department, Patrick et Angie se rendent avec Helene chez "Skinny" Ray et le trouvent battu à mort. Son butin est enterré dans son jardin comme le pensait Helene.
Entretemps, les services de Doyle ont reçu une demande de rançon émanant de "Cheese" qui veut récupérer son argent en échange d'Amanda.
Patrick Kenzie, Remy Bressant, Angie Gennaro et Nick Poole

L'échange doit avoir lieu dans les carrières du quartier de Quincy à la nuit tombée, mais au moment et au lieu dits, une fusillade éclate et, le temps que Patrick et Angie rejoignent Bressant et Poole, "Cheese" a été tué avec ses complices. Angie plonge dans le lac où elle a entendu tomber quelque chose mais ne repêche qu'une poupée.
L'affaire est close peu après, concluant à la mort par noyade d'Amanda McCready : ses obsèques ont lieu sans corps à enterrer. Le capitaine Jack Doyle devance les sanctions de sa hiérarchie en démissionnant après une carrière exemplaire.  
Pourtant, deux mois après, l'enquête rebondit quand Patrick apprend à la télé la disparition de Johnny Pietro, 7 ans. Un de ses amis, dealer, oriente ses recherches et l'emmène chez un certain Corwin Earle, toxicomane ayant fréquenté Helene McCready. 
Angie Gennaro

Angie traumatisée par l'affaire d'Amanda, Patrick affranchit Bressant et Poole qui font une descente nocturne chez Earle. Un échange de tirs blessent mortellement Poole et oblige Patrick à intervenir en soutien. Il retrouve le cadavre du petit garçon dans la baignoire de Earle qu'il abat. Si son geste tourmente Patrick, Bressant a, lui, la conviction qu'il a bien agi, car il ne supporte pas qu'on s'en prenne aux enfants. 
Cette attitude trouble le jeune détective qui cherche à en savoir plus sur l'agent en interrogeant un ami commun dans la police : il apprend ainsi qu'une rumeur court selon laquelle Bressant était en relation avec Lionel McCready bien avant la disparition d'Amanda (il lui avait évité la prison après une bagarre dans un bar).
Patrick Kenzie

Patrick et Angie interrogent Lionel dans un bar et il leur avoue que l'agent a enlevé Amanda pour la protéger de sa mère, piéger "Cheese" et récupérer la rançon. Bressant surgit et tente alors d'abattre Lionel mais le barman le blesse mortellement.
Interrogé par la police, Patrick comprend qu'on veut le compromettre. Il réfléchit alors à qui serait assez influent pour avoir protéger les agissements de Bressant et, avec Angie, se rend chez Doyle. Il y retrouve Amanda qu'il a adopté avec sa femme pour lui assurer un meilleur avenir. Angie approuve ce choix mais pas Patrick qui dénonce l'ancien capitaine.
Amanda est rendue à sa mère tandis que Angie quitte Patrick. Il rend visite peu après à Helene pour s'apercevoir qu'elle néglige toujours sa fille, se préparant à sortir pour rencontrer un homme (après avoir viré Lionel et Bea), et la confiant au détective en attendant l'arrivée de la baby-sitter. 

Il y a des accroches, ces petites phrases sur l'affiche censées tenter le spectateur, qui en disent plus long sur la manière dont un studio souhaite promouvoir un film que sur l'histoire du film : ainsi note-t-on que pour Gone baby gone, l'accent est mis sur l'adaptation d'un roman de l'auteur de Mystic Tiver (transposé avec succès par Clint Eastwood en 2003) plus que sur le fait qu'il s'agit du premier film réalisé par Ben Affleck.

On peut expliquer cette discrétion sur le néo-cinéaste parce qu'il était alors encore considéré comme un acteur au crédit bien entamé, dont les qualités d'interprète ont souvent suscité la moquerie. La surprise de la réussite de son passage derrière la caméra n'en fut que plus grande - et la suite de sa nouvelle carrière a confirmé les espoirs placés dans ce premier effort (en 2010 avec un autre excellent polar, The Town, puis en 2012 avec le triomphe public et critique d'Argo).

Pourtant, on pouvait se douter que Ben Affleck avait de grandes ambitions et s'était donné les moyens de les concrétiser en s'entourant d'une équipe technique de première classe (John Toll comme chef opérateur a photographié La Ligne Rouge de Terrence Mallick en 1998 ou Braveheart de Mel Gibson en 1995 ; William Goldenberg est le monteur de Michael Mann). Et pour couronner le tout, il s'emparait du roman le plus emblématique de la série des enquêtes de Patrick Kenzie et Angie Gennaro écrite par Dennis Lehane. 

Le romancier, loué par la critique et le public, est un auteur réputé pour ses intrigues sombres, ses personnages tourmentés, situés dans un décor urbain précisément décrit et théâtre d'événements horribles. De cette histoire, Affleck et son co-scénariste Aaron Stockard ont su tirer la substantifique moëlle en n'hésitant pas à tailler dans sa matière très dense : l'intrigue y gagne en nervosité sans perdre en mystère et surtout en restituant la force poignante de son dénouement.

Surtout on devine ce qui a fasciné Affleck dans ce récit noir : observer la population des précaires de Boston, les efforts de deux détectives acceptant le job avec réticence, la gangrène d'une ville par la criminalité et la drogue. Abondant en scènes nocturnes, les scènes clés se jouant dans des rues glauques ou des bars minables, traversés par des personnages résignés par leur condition misérable, Gone baby gone ne manque pas d'intensité et soigne ses ambiances, dominées par une sorte de fatalisme écrasant.

Le film gagne aussi sur le plan formel car Affleck n'en rajoute pas : il traite l'histoire avec sobriété, assumant son classicisme, loin du lyrisme trop appuyé d'Eastwood. La complexité de l'investigation, sa construction en deux actes, n'égarent jamais le spectateur, et son utilisation de la voix off reste très mesurée. La maîtrise avec laquelle il a su tenir son projet est épatante mais révèle un metteur en scène exigeant, méticuleux, bien préparé : mûr. 

Il a aussi pu s'appuyer sur une superbe distribution, avec une galerie de seconds rôles campés par des comédiens de grande classe : quel plaisir de voir Morgan Freeman qui ne se contente pas de cachetonner et cabotiner, de voir le magnétisme de Ed Harris aussi bien valorisé. Face à ces monstres sacrés, les prestations de Michelle Monaghan, révélée par Kiss Kiss Bang Bang, ici dans un registre dramatique qu'elle assume avec la même subtilité, et surtout de Casey Affleck, le cadet de Ben, puissant et sobre (comme il a souvent été salué depuis et qui en fait un candidat sérieux aux prochains Oscar pour Manchester by the sea de Kenneth Lonergan), sont remarquables. 

Gone baby gone est un coup d'essai et un coup de maître : cette série noire, sans fioritures mais pas sans style, fait forte impression - et rend impatient de découvrir le prochain opus de Ben Affleck, à nouveau adapté de Dennis Lehane (Live by night, en 2017). 

KISS KISS BANG BANG, de Shane Black (2005)


KISS KISS BANG BANG est un film réalisé par Shane Black.
Le scénario est écrit par Shane Black, d'après le roman Bodies are where you find them de Brett Halliday. La photographie est signée Michael Barrett. La musique est composée par John Ottman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Robert Downey Jr. (Harry Lockhart), Val Kilmer (Perry Van Shrike alias "Gay Perry), Michelle Monaghan (Harmony Faith Lane), Corbin Bernsen (Harlan Dexter).

Harry Lockhart est un loser : alors qu'il vole, la nuit, dans un magasin, un jouet pour son fils, son complice déclenche accidentellement l'alarme et les oblige à prendre la fuite. Alors qu'une voisine leur tire dessus, les deux hommes se séparent quand les policiers arrivent sur les lieux.
Harry aboutit dans une salle d'audition pour un film où il est pris pour un acteur. Improvisant avec le texte qu'on lui donne, il impressionne suffisamment le directeur de casting pour être engagé sur-le-champ !
Perry Van Shrike et Harry Lockhart
(Val Kilmer et Robert Downey Jr.)

Harry est invité à une soirée donnée par le producteur du film, une ex-vedette de cinéma, Harlan Dexter, où il fait la connaissance de Perry Van Shrike, un détective privé et consultant avec lequel il devra perfectionner son interprétation tout en devant supporter l'homosexualité affichée et volontiers exubérante de ce dernier.
Harmony Faith Lane
(Michelle Monaghan)

Dans ce cocktail, Harry a aussi la surprise de retrouver Harmony Faith Lane, son amour de jeunesse, qui essaie (sans succès jusque là) de faire carrière à Hollywood. Ils finissent la nuit ensemble ailleurs, mais Harry, ivre, couche avec la meilleure amie de la jeune femme !
Harry, Harmony et Perry

Mais les ennuis ne sont pas terminés pour Lockhart car, comme dans les romans policiers de Johnny Gossamer que dévorait Harmony dans son adolescence, elle, lui et Perry vont être embarqués dans deux affaires a priori distinctes mais qui vont se révéler liées : d'un côté, le suicide apparent de la soeur d'Harmony (venue la rejoindre à Los Angeles), et de l'autre, le meurtre de Veronica, la fille de Dexter avec qui il venait de se réconcilier et que Perry surveillait... 

Bien qu'il n'en soit pas l'inventeur, Shane Black a été un des exploitants du concept du "buddy movie", le "film de potes" avec un duo de héros d'abord mal assortis dont les différences se transforment au gré de leurs (més)aventures en atouts. Walter Hill avec 48 heures (avec Nick Nolte et Eddie Murphy, 1982) a illustré le premier ce principe. Black l'a popularisé en écrivant en 1987 L'Arme fatale (réalisé par Richard Donner, avec Mel Gibson et Danny Glover).

La suite fut plus compliqué pour le golden boy, qui déclare aujourd'hui renier à 70% sa production scénaristique des années 80 à cause des réécritures imposées par les studios. Peut-être aussi parce que, avec Joe Esztehars (à qui on doit le script de Basic Instinct de Paul Verhoeven), il fut désigné il y a une douzaine d'années comme "l'homme qui tua le métier de screenwriter" (comme le titra un article du "New York Times"). Surtout parce que le succès de Black déclina au début des années 90 quand Hollywood misa sur de nouvelles façons de raconter ses histoires, éloignées des séries B sexys et cools.

Pourtant, contrairement à une de ces répliques les plus fameuses ("je suis trop vieux pour ces conneries", dans L'Arme fatale 2), Shane Black a pu compter sur le producteur emblématique des 80's pour effectuer son retour en 2005 avec Kiss Kiss Bang Bang. Sa première réalisation est à la fois comme le prolongement des récits qui firent sa gloire d'auteur et leur commentaire en tant que cinéaste.

Black n'est peut-être pas un grand conteur mais son amour pour ce cinéma-bis est sincère et l'homme connaît ses classiques, aussi bien dans la littérature policière anglaise qu'américaine. Ce mélange de fan attitude et de culture lui permet de maîtriser son sujet en ayant désormais la distance nécessaire pour le traiter avec dérision, à la manière de celui qui est revenu de tout. L'intrigue de KKBB est impossible à résumer, tout juste peut-on en écrire l'amorce comme je l'ai fait, en camper les protagonistes, mais c'est moins la lisibilité que la malice de l'entreprise qui compte.

Il ne s'agit pas d'excuser le fait que le scénariste ait voulu égarer volontairement le spectateur, mais bien de pointer qu'en donnant à son histoire un narrateur aussi pathétique et embrouillé que Harry Lockhart il ne faut pas s'attendre à une ligne bien droite et sérieuse. 

L'interprétation survoltée de Robert Downey Jr. (qui, malgré le peu de succès du film au box office, tiendra là le rôle de son come-back avant le triomphe de Iron Man en 2008 - et il saura s'en souvenir en confier la mise en scène de Iron Man 3 à Black en 2013) souligne ce sentiment : comme nous, il évolue dans une affaire absurde, grotesque, spectaculaire, dont il espère d'abord survivre avant de la comprendre.

Le script donne du biscuit à ses interprètes, notamment à un autre revenant (même si, lui, ne saura pas autant en profiter ensuite), Val Kilmer, qui incarne un détective privé homosexuel très fier d'être surnommé "Gay Perry" ("Gai Paris") et avec lequel il fait preuve d'une auto-dérision jubilatoire. Downey Jr. est aussi très bon grâce à l'auto-dérision de Kilmer, avec lequel il a eu une collaboration très complice (comme en témoigne le bêtisier publié dans les bonus du DVD). Abondant en répliques souvent très drôles, débitées à une allure folle, leurs échanges sont un régal.

Le film a aussi permis de révéler la sublime Michelle Monaghan, une comédienne dont le charme et l'esprit comique forment une combinaison rare mais sous-exploitée depuis. Vous ne verrez jamais une fille déguisée en mère Noël aussi sexy et décalée.
Le superbe générique qui ouvre le film.

La réalisation, servie par une photo léchée et un montage inventif (qui illustre bien la narration désordonnée, hésitante de Lockhart), sert impeccablement ce cocktail de violence et d'humour dans la droite ligne d'un cinéma populaire, décontracté mais pas désinvolte. Surtout que, sous le vernis du divertissement, on peut lire la critique acérée des aspects les plus sordides du business de Hollywood : tout y passe, des starlettes sacrifiées aux producteurs véreux, des comédiens ratés aux consultants engagés pour assurer une pseudo-crédibilité à des films irréalistes, des mondanités luxueuses aux dépravés pique-assiette qui les fréquentent.

Black n'en profite cependant pour régler des comptes personnels, il se pose plutôt en observateur sarcastique de ce milieu qui le fit roi avant de l'oublier. On pense au méconnu et pourtant très estimable Get Shorty de Barry Sonnenfeld (1995, d'après Elmore Leonard), avec des références savoureuses (comme lorsque Harry et Harmony se moquent des ressemblances approximatives des invités de la party avec des célébrités).

Derrière son titre magnifique (une de ces punchlines comme Black sait les formuler), Kiss Kiss Bang Bang est une sorte de conte, alambiqué mais réjouissant, qu'on peut voir et revoir sans en épuiser tout le jus.

mercredi 28 septembre 2016

SUNSHINE CLEANING, de Christine Jeffs (2008)


SUNSHINE CLEANING est un film réalisé par Christine Jeffs.
Le scénario est écrit par Megan Holley. La photographie est signée John Toon. La musique est composée par Michael Penn.


Dans les rôles principaux, on trouve : Amy Adams (Rose Lokorwski), Emily Blunt (Norah Lokorwski), Alan Arkin (Joe Lokorwski), Jason Spevak (Oscar Lokorwski), Steve Zahn (Mac), Clifton Collins Jr. (Winston).
 Oscar, Rose, Norah et Joe Lorkowski
(Jason Spevak, Amy Adams, Emily Blunt et Alan Arkin)

Après avoir été une pom-pom girl populaire au lycée, Rose Lorkowski est maintenant, à trente ans, mère célibataire et femme de ménage, entretenant une liaison avec Mac, un policier marié. Sa soeur cadette, Norah, est une paumée au caractère lunatique, hantée par le suicide de leur mère, qui fut éphémèrement comédienne. Leur père, Joe, survit en participant à des combines sans lendemain. 
Quand Oscar, le fils de Rose, est renvoyé de son école, considéré comme "attardé" par le personnel enseignant, Rose comprend qu'elle doit trouver un job mieux rémunéré pour qu'il soit scolarisé dans de meilleures conditions.
Mac
(Steve Zahn)

Mac suggère alors à Rose de monter sa propre affaire pour nettoyer des scènes de crime. Le travail est ingrat mais rémunérateur. Elle convainc difficilement Norah de l'assister et fondent ensemble la société "Sunshine Cleaning" (un nom choisi parce qu'il n'est pas trop "glauque" pour une telle activité).
Les débuts sont pénibles : il faut s'habituer aux odeurs, au sang, à la manipulation des produits et instruments. Mais, progressivement, les deux soeurs y regagnent l'estime d'elle-même en s'acquittant de leur boulot avec application. Pour Rose, la motivation est toute trouvée - travailler pour son fils - tandis que Norah semble dans ce cadre exorciser ses propres démons morbides. 
Norah et Rose Lorkowski
(Emily Blunt et Amy Adams)

Grâce à l'aide de leur fournisseur de produits et de matériel, Winston, un manchot passionné de maquettes, Rose apprend à mieux commercialiser ses services en démarchant des hôtels, en obtenant un PSP (Permis pour Substances Pathogènes), achetant une fourgonnette.
Oscar est gardé par son grand-père quand sa mère s'absente tandis que Norah se lie d'amitié avec Lynn, la fille d'une des victimes dont elle nettoyé le domicile et qui est donc orpheline de mère comme elle. 
Rose et Norah

Leur business s'améliore lorsqu'une compagnie d'assurances leur offre un contrat pour s'occuper de maisons à nettoyer, ce qui établira leur réputation. Mais cette ascension va être compromise quand Rose, invitée à une fête donnée par des camarades de lycée, ne peut aider Norah sur un chantier. Cette dernière provoque involontairement l'incendie d'une maison, ce qui provoque la colère de sa soeur, la ruine de leur société. Peu après, Lynn arrête de fréquenter Norah, jugeant malsaine la raison pour laquelle elle s'est rapprochée d'elle. 
Rose et Norah

Le sixième anniversaire d'Oscar offre l'occasion aux deux soeurs de se réconcilier. Leur père vend sa maison afin de permettre à Rose de rembourser les 40 000 $ qu'elle doit pour l'incendie et pour relancer ses affaires pour lesquelles il l'assistera désormais. Norah, elle, choisit de prendre la route pour refaire sa vie ailleurs, loin des souvenirs de sa mère, après l'avoir vue une dernière fois dans la rediffusion du téléfilm dans lequel elle avait tournée. 
Norah, Oscar et Rose

Sunshine Cleaning a été produit par l'équipe de Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006), petit film indépendant mais gros succès critique (avec plusieurs Oscar à la clé) et commercial. On retrouve d'ailleurs le grand Alan Arkin dans les deux longs métrages.

Le sujet, lui, évoque celui déjà abordé, sous l'angle du thriller par Renny Harlin dans Cleaner, également sorti en 2008, mais le script de Megan Holley a sa propre originalité. Cependant, l'affiche trompe le spectateur en promettant une histoire sur deux soeurs réunies dans le nettoyage de scènes de crimes : en vérité, l'histoire s'intéresse davantage à Rose qu'à Norah et l'élément policier est peu exploité (il est juste le prétexte pour initier la reconversion de l'héroïne). 

Lauréate d'un concours, l'auteur collabore avec la réalisatrice néo-zélandaise Christine Jeffs. Ensemble, les deux femmes développent le récit dans une direction dont l'inégalité fait aussi le charme : il ne s'agit pas vraiment d'une franche comédie même si le scénario fournit des gags étonnants sur le boulot des deux soeurs, mais ce n'est pas non plus un drame quand bien même certains passages sont plus graves (et moins réussis). 

On s'amuse quand Rose et Norah découvrent, dégoûtées, les scènes de crime ou de suicide, qu'elles doivent apprendre à utiliser les produits de nettoyage, qu'elles apprennent à plaisanter de la morbidité des circonstances ("Un suicide ? Super !" s'exclame Rose). Par contre, le mal-être de Norah, son fétichisme envers les objets ayant appartenu à sa mère, sa relation avec Lynn, ou les problèmes scolaires d'Oscar plombent la belle énergie du film sans susciter l'émotion souhaitée.

La mise en scène est sobre, pour ne pas dire fade, et esthétiquement le film est quelconque : c'est l'autre faiblesse du projet que de ne pas avoir su bien mettre en images un sujet et des personnages pareils. C'est aussi la limite inhérente aux petites productions de ce type qui, quand elles ne sont pas portées par un cinéaste avec un regard singulier et un vrai souci formel, bute contre son manque de moyens.

Heureusement, le casting fait passer ces lacunes. Amy Adams et Emily Blunt ont été très tôt impliquées et leur complicité a permis de rehausser le niveau. S'il faut toutefois en distinguer une, alors Amy Adams fournit une meilleure prestation que sa partenaire, réussissant à ne jamais sombrer dans la caricature, et faisant de Rose une femme à la fois fragile et déterminée avec beaucoup de nuances. Emily Blunt ne démérite pas mais souffre d'avoir avec Norah un personnage moins subtil et moins défini aussi : cette soeur cadette se réduit à une fumeuse de joints qui n’a jamais rien entrepris ni réussi par paresse, écrasée par son chagrin. Elle finit par aller voir ailleurs une fois libérée de manière très expéditive de sa peine comme si, en vérité, elle n'avait jamais trouvé sa place dans cette histoire. 

Petit film inabouti, mais véritablement porté par ses comédiens, en particulier par le jeu lumineux d'Amy Adams, Sunshine Cleaning est donc à réserver aux fans de cette formidable actrice.

BIG EYES, de Tim Burton (2014)


BIG EYES est un film réalisé par Tim Burton.
Le scénario est écrit par Scott Alexander et Larry Karaszewski, d'après la vie de Margaret Ulbrich et Walter Keane. La photo est signée Bruno Delbonnel. La musique est composée par Danny Elfman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Amy Adams (Margaret Ulbrich), Christoph Waltz (Walter Keane), Delaney Raye et Madeleine Arthur (Jane Ulbrich enfant et adolescente), Krysten Ritter (DeeAnn), Danny Huston (Dick Nolan), Jon Polito (Banducci), Jason Schwartzmann (Ruben), Terence Stamp (John Canaday).
 Margaret Ulbrich et Walter Keane
(Amy Adams et Christoph Waltz)

1958. Margaret Ulbrich quitte son mari, Frank, avec leur fille, Jane, et la Caroline du Nord pour se rendre à San Francisco où l'attend sa meilleure amie, DeeAnn. Elle trouve un travail dans un magasin de meubles et expose ses tableaux dans un jardin public sur son temps libre. C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Walter Keane, ancien étudiant aux Beaux-Arts de Paris, désormais agent immobilier, divorcé, et intrigué par ses peintures représentant des enfants abandonnés aux grands yeux.
Lorsque Frank réclame la garde exclusive de Jane, Walter demande Margaret en mariage pour la protéger. Ils célèbrent leurs noces à Hawaï où elle tire le portrait à de riches clientes de l'hôtel où ils séjournent en signant désormais "Keane".
Ruben
(Jason Schwartzmann)

De retour à San Francisco, Margaret annonce son changement de situation à DeeAnn tandis que Walter essaie, sans succès, de placer ses peintures et celles de son épouse dans la galerie de Ruben. Amer, il réussit quand même à convaincre Banducci, patron d'un club de jazz, d'accrocher leurs toiles aux murs de son établissement. 
Walter Keane et Dick Nolan
(Christoph Waltz et Danny Huston)

Quand Dino Olivetti (le propriétaire de la marque de machines à écrire) achète un tableau de Margaret, Dick Nolan, journaliste à "The Examiner", aborde Walter qui s'attribue la paternité de l'oeuvre. Le succès s'étend, des célébrités acquièrent de nouvelles peintures : l'Ambassadeur de l'URSS, Joan Crawford, Natalie Wood... Grâce à l'argent gagné, Walter peut ouvrir sa propre galerie, juste en face de celle de Ruben.
Seule Jane désapprouve de voir sa mère ainsi dépossédée. Mais même le prêtre auquel elle se confesse lui dit de soutenir les efforts de son mari pour assurer la subsistance de leur foyer.
Margaret, DeeAnn et Walter
(Amy Adams, Krysten Ritter et Christoph Waltz)

1960 : John Canaday, célèbre critique du "New York Times", écrit une article virulent contre les tableaux de "Keane", pointant leur laideur esthétique et leur pauvreté technique. Pour se défendre, Walter réussit à passer à la télé où il raconte avoir voulu témoigner de la vision traumatisante des enfants perdus durant la seconde guerre mondiale (alors que Margaret lui avait expliqué peindre de grands yeux parce que, durant son enfance, elle avait subi une opération l'ayant rendu temporairement sourde et l'obligeant à davantage regarder le monde). 
Mais son baratin émeut le public qui s'arrache désormais les produits dérivés (posters, cartes postales) de l'oeuvre de Margaret. Elle souffre d'être ainsi exploitée, déconsidérée artistiquement, et a des hallucinations ponctuelles. Pour se ressaisir, elle tente de changer de style en réalisant des autoportraits mais dans l'indifférence des visiteurs de la galerie Keane.
Walter et Margaret

DeeAnn remarque la détresse de son amie et se dispute violemment avec Walter. Margaret découvre ensuite dans une caisse des toiles de son mari signés par un certain Cenic : elle le confond en face à face et apprend qu'il n'a même jamais été à Paris ni suivi des cours aux Beaux-Arts.
1964 : Walter veut exposer à la Foire internationale de New York dans le pavillon de l'Education au profit de l'UNICEF. Margaret peint une fresque pour l'occasion mais John Canaday, en l'apprenant, obtient que l'oeuvre soit décrochée. Walter se moque que ce soit le travail de sa femme qui soit ainsi attaqué, il s'estime personnellement insulté et s'en prend successivement à Canaday puis à Margaret et Jane. 
John Canaday et Walter Kean
(Terence Stamp et Christoph Waltz)

1965 : La mère et la fille s'enfuient à Hawaï. Walter n'accepte de divorcer que si Margaret lui cède l'intégralité des droits des tableaux des "enfants aux grands yeux" et lui en livre une centaine d'inédits. Elle les lui envoie mais signé de ses initales (MDH comme Margaret Doris Hawkins) puis révèle à la radio l'imposture de Walter. L'éditeur de Keane, éclaboussé par ce scandale, le lâche. 
Walter et Margaret

Décidant de se défendre seul, Walter perd le procès qui l'oppose ensuite à Margaret après que le juge, pour trancher, ordonne aux deux parties de réaliser un tableau devant le jury.
Walter mourra en 2000 sans jamais admettre sa défaite mais en ne produisant plus rien. Margaret, elle, se remariera, ouvrira une galerie et peindra tous les jours de sa vie.

Big Eyes est un curieux film : oeuvre d'un cinéaste dont la réputation s'est bâtie sur des histoires et des héros à la marge (de fameux "freaks" souvent incarnés par son acteur fétiche, Johnny Depp - Edward aux mains d'argent, Sleepy Hollow : la légende du cavalier sans tête, Sweeney Todd, Charlie et la chocolaterie, Dark Shadows...), l'histoire s'inspire de faits réels et a été adaptée par un tandem rompu à l'exercice du biopic, Scott Alexander et Larry Karasewski, qui avait déjà fourni le script de Ed Wood à Tim Burton (mais aussi Man on the moon sur la vie de l'humoriste Andy Kaufman et Larry Flint sur le fondateur de la revue pornographique pour Milos Forman). A priori donc, tous les ingrédients requis pour un solide succès critique et public.

Pourtant, à quelques rares exceptions, la presse et les fans de Burton ont été sceptiques devant le résultat et le film a été son plus gros échec commercial. Un revers ironique pour une success story fondée sur une ahurissante imposture, mais aussi révélatrice des attentes suscitées par un auteur qu'on relie d'abord à une esthétique sombre, gothique, et un univers fantastique. Pourtant, ce n'est pas la première fois que le cinéaste s'éloigne de ses terres de prédilection, mais c'est comme si, à chaque fois qu'il le fait, les commentateurs et les spectateurs le refusaient (Big Fish, inspiré par la mort de son propre père, avait subi le même sort).

Big Eyes mérite-t-il donc son échec ? Tout d'abord, il n'aura pas condamné Burton qui l'a tourné pour un petit budget et qui s'est vite remis en selle (son prochain opus, le prometteur Miss Peregrine et les enfants particuliers, sera en salles le 3 Octobre prochain, précédé d'une rumeur positive). Ensuite, même si le résultat est inégal, il est loin d'être déshonorant et possède même divers attraits indéniables.

Le premier d'entre eux est justement d'apprécier le talent du cinéaste hors de sa zone de confort : s'il n'a pas la poésie pathétique d'Ed Wood, son précédent biopic (1994), la photo de Bruno Delbonnel (qui avait éclairé Inside Llewyn Davis des frères Coen) est superbe et n'est pas parasitée par trop d'effets spéciaux (les hallucinations de Margaret, qui voit à un moment les clients d'un supermarché avec de grands yeux comme les enfants qu'elle peint, sont rapides et discrètes). Ensuite, la narration est bien rythmée : le film dure 105 minutes sans réel temps mort (seul le procès à la fin est un peu trop long, alourdi par le cabotinage de Christoph Waltz, toujours incapable de composer un autre personnage que celui d'un odieux connard sadique et bavard depuis sa révélation dans Inglorious Basterds de Tarantino en 2009). Enfin, Burton intègre habilement la reconstitution de l'époque (fin des 50's, début des 60's) sans être trop décoratif : le design du film est élégant et la mise en scène fluide, soulignant surtout les acteurs (son actrice principale en particulier).  

De même, si le récit cite certaines célébrités contemporaines des Keane (et en montre certaines), Big Eyes évite soigneusement une figuration tape-à-l'oeil : il est question d'Andy Warhol, de Marilyn Monroe, Natalie Wood, Joan Crawford, mais le scénario préfère intégrer des seconds rôles moins renommés mais plus déterminants comme un obscur journaliste spécialisé dans les faits divers comme Dick Nolan (Danny Huston, un peu trop effacé) ou le critique d'arts John Canaday (Terence Stamp, toujours impressionnant et dont on se surprend à découvrir qu'il apparaît pour la première fois chez Burton). Jon Polito et Krysten Ritter apparaissent aussi, mais leurs prestations sont sous-exploitées, tout comme l'est la fille de Margaret, incarnée successivement par Delaney Raye (excellente) et Madeleine Arthur (un peu en deçà) - dommage car, dans ce dernier cas, il est évident qu'elle a toujours représenté une menace dans la combine de Walter Keane. 

En revanche, s'il y en a bien une qui mérite d'être saluée au-delà de toutes les réserves émises sur le film, c'est Amy Adams : j'avoue avoir longtemps dédaigné cette comédienne, abonnée aux comédies romantiques (un peu comme Anne Hathaway), avant qu'elle ne participe justement à une version ironique du genre (Il était une fois, de Kevin Lima, 2007). Il semble que, comme le vin, elle se bonifie avec l'âge et qu'en abordant la si redoutée quarantaine, elle affiche toute la subtilité de son jeu (nomination à l'Oscar pour American Bluff de David O. Russell, 2013 ; annoncée comme une des favorites à la statuette en 2017 dans le prochain Denis Villeneuve, Arrival, et le nouveau Tom Ford, Nocturnal Animals).

Qui mieux qu'elle, avec son regard clair, pouvait interpréter cette femme dépossédée de son oeuvre hantée par ces "grands yeux" du titre ? Elle livre une prestation très fine, frémissante et touchante, qui permet au spectateur d'être plus ému par le sort de Margaret mère et épouse que par l'artiste au talent si discuté (sa peinture ne me semble pas bonne même si elle dégage indéniablement une impression singulière, une sensibilité spéciale).

Peut-être formellement impersonnel, Big Eyes n'en reste pas moins un film éminemment "Burtonien" : ce portrait d'un couple malade, damné par le mensonge du mari et la condition de la femme, est bien celui du cinéaste qui, depuis Beetlejuice, occupe dans le paysage de Hollywood une figure étrangement ressemblante à ses héros, celle d'un auteur bizarre néanmoins parfaitement intégré au système sans qu'on sache si c'est un compromis ou un choix.   

mardi 27 septembre 2016

LES QUATRE MALFRATS, de Peter Yates (1972)


LES QUATRE MALFRATS (The Hot Rock) est un film réalisé par Peter Yates.
Le scénario est écrit par William Goldman, d'après le roman Pierre qui brûle de Donald Westlake. La photographie est signée Ed Brown. La musique est composée par Quincy Jones.


Dans les rôles principaux, on trouve : Robert Redford (John Dortmunder), George Segal (Kelp), Ron Liebman (Stan Merch), Paul Sand (Allan Greenberg), Moses Gun (Docteur Amusa), Zero Moster (Abe Greenberg).
 La Pierre du Sahara

1972, New York City. Le cambrioleur John Dortmunder sort de prison. Il est attendu dehors par Kelp, un ancien complice qui s'est marié à sa soeur cadette, Clara, et travaille désormais comme serrurier. Mais ce n'est qu'une couverture car il a un coup à proposer à Dortmunder.
John Dortmunder, Kelp et le Docteur Amusa
(Robert Redford, George Segal et Moses Gun)

Présenté au Docteur Amusa, le représentant aux Nations Unies d'un petit pays africain, Dortmunder se voit confier la mission de récupérer "la Pierre du Sahara", un diamant actuellement exposé dans un musée. S'il réussit, il recevra, avec ses partenaires, 250 000 $, et le commanditaire leur versera 150 $ par semaine pour leur frais et leur fournira tout le matériel nécessaire à l'opération. 
Kelp et Dortmunder
(George Segal et Robert Redford)

Kelp présente Dortmunder à ses acolytes : Stan Merch, spécialiste en véhicules de tous genres, et Allan Greenberg, expert en explosifs - ce dernier suggère de revendre le diamant aux assureurs pour en tirer plus d'argent mais Kelp lui rappelle que s'ils font ça, le Dr. Amusa se vengerait.
Le vol du diamant au musée se déroule presque parfaitement : Stan fait diversion en feignant de perdre le contrôle de sa voiture qui percute l'entrée. Les gardiens sortent pour lui prêter secours, permettant à Dortmunder, Kelp et Allan de s'introduire dans le musée. Ils dérobent le diamant mais, après que Stan ait été évacué en ambulance, les gardiens surprennent les cambrioleurs et réussissent à appréhender Allan... Qui avale le diamant ! 
Le Dr. Amusa, Abe Greenberg, Dortmunder et Kelp
(Moses Gun, Zero Mostel, Robert Redford et George Segal)

L'avocat d'Allan qui n'est autre que son père, Abe, rencontre le Dr. Amusa, Dortmunder et Kelp pour leur remettre un plan de la prison où est retenu son fils.
Dortmunder et Kelp se glissent, de nuit, dans la cour de la prison puis dans les murs et gagnent l'infirmerie où Allan est conduit après avoir agressé son co-détenu. Ils ressortent pour rejoindre Stan qui les attend avec une voiture à bord de laquelle ils se cachent dans un camion, le temps que la police s'éloigne du quartier.  
John Dortumunder, Allan Greenberg, Kelp et Stan Merch
(Robert Redford, Paul Sand, George Segal et Ron Liebman)

Allan révèle alors qu'il a caché le diamant dans la cellule du poste de police où il a été placé en garde en vue avant son incarcération.
Stan atterrit en hélicoptère sue le toit du commissariat de la 9ème Rue et, pendant qu'il lâche dans la rue des bombes fumigènes, Dortmunder, Kelp et Allan s'introduisent dans le poste de police équipés de masques à gaz pour se protéger des lacrymogènes qu'ils y ont lancé. Une nouvelle déconvenue conclut leur expédition : le diamant n'est plus dans la cellule où fut enfermé Allan.
Dortmunder jure qu'il récupérera désormais ce caillou coûte que coûte et comprend alors que c'est Abe qui le détient puisqu'il est le seul autre homme à qui Allan a dit où il était. Menaçant l'avocat, il apprend qu'il a déposé le diamant dans un coffre de la First National City Bank. Mais le cambrioleur ne peut y accéder car la guichetière vérifie la signature de chaque dépositaire.  
Dortmunder

Grâce à une complice qui hypnotise le responsable de la salle des coffres au préalable, Dortmunder loue un casier dans la banque et peut ouvrir celui de Abe avec la clé qu'il lui a remis. Il y trouve enfin le diamant et sort de l'établissement avant que l'avocat et le Dr. Amusa, qui a entretemps congédié Kelp, STan et Allan, n'y arrivent.
John rejoint ses acolytes avec le caillou qu'ils vont pouvoir revendre aux assureurs pour être payés.
Les quatre malfrats

Sans doute parce qu'il estimait n'être pas un acteur de comédie, Robert Redford n'a jamais apprécié à sa juste valeur Les Quatre Malfrats, dans lequel il est pourtant excellent mais qui est un film jubilatoire. Il est donc temps de (re)donner envie de voir cet opus !

L'histoire est adapté du roman, traduit en français sous le titre Pierre qui brûle, de génial auteur Donald Westlake, dont l'oeuvre pléthorique compte notamment plusieurs titres consacrés à deux personnages de voleurs totalement opposés : d'un côté, sous le nom de plume de Richard Stark, il y a les aventures de Parker (immortalisé sur grand écran, notamment, par Lee Marvin dans Le Point de non-retour, en 1968 ; et en bande dessinée dans quatre fabuleux albums du regretté Darwyn Cooke), un criminel aussi efficace que violent ; de l'autre, il y a John Dortmunder, un monte-en-l'air aussi inventif que malchanceux (héros de quatre longs métrages en dehors de celui-ci : Blank Shot, de Gower Shampion, avec George C. Scott, en 1974 ; Jimmy le kid, de Gary Nelson, avec Paul Le Mat, en 82 ; Why me ?, de Gene Quintano, avec Christophe Lambert, en 90 ; et Escrocs, de Sam Wiesman, avec Martin Lawrence, en 2001). Mais The Hot Rock demeure la meilleure de ces adaptations.

La réussite doit beaucoup au scénariste William Goldman, qui écrivit déjà le script du mythique Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1968) avec Redford : il a parfaitement compris et su transposé le style de Westlake dans cette aventure rocambolesque, où le suspense et la drôlerie se marient impeccablement. Il glisse même dans la première scène une référence au western de Hill dans le dialogue entre Dortmunder et le directeur de la prison basé sur un échange entre Cassidy et le gouverneur du Wyoming quand le bandit fut libéré !

Puis il a su respecter et animer les personnages : Dortmunder et son trac consécutif à sa déveine persistante (Redford est épatant en planificateur aussi doué que guignard), Kelp et sa susceptibilité (George Segal savoureux en filou insatiable), Greenberg et ses gaffes à répétition (Paul Sand lunaire en fils à papa stupide), et la vantardise de Merch (Ron Liebman - qui jouera plus tard le père de Rachel/Jennifer Aniston dans la série Friends - irrésistible en crâneur crétin). Sans oublier le numéro d'anthologie de Zero Mostel en avocat encore plus crapuleux que les quatre voleurs !

Ensuite, l'intrigue est à la fois solide et loufoque : le diamant ne cesse d'être volé puis perdu puis récupéré, conduisant les malfrats dans des endroits qu'ils fuient d'habitude (une prison, un commissariat). Le crescendo des rebondissements est irrésistible et la malchance qui poursuit les quatre braqueurs nous les rend sympathiques au point qu'on espère qu'ils finiront à la fois par retrouver le caillou et par ne pas être arrêtés par la police. Il faut signaler qu'en Angleterre, le film fut sous-titré Comment voler un diamant (en quatre leçons simples) et, effectivement, il y a quatre actes distincts (le musée, la prison, le poste de police, la banque).

Peter Yates, qui était devenu un cinéaste demandé depuis le succès de Bullitt (1968), met tout cela en scène avec la bonne distance ironique mais jamais condescendante et signe même quelques séquences mémorables (le vol de New York en hélico, où on peut voir le World Trade Center encore en construction). 

Malgré une bande originale décevante composée par Quincy Jones (hormis le thème d'ouverture), il est vraiment difficile de ne pas être diverti par ce polar aussi farfelu que trépidant : peut-être que Robert Redford devrait le re-visionner pour admettre qu'il a été trop sévère...

BULLITT, de Peter Yates (1968)


BULLITT est un film réalisé par Peter Yates.
Le scénario est écrit par Alan Trustman et Harry Kleiner, d'après Mute Witness de Robert Pike. La photographie est signée William Fraker. La musique est composée par Lalo Schiffrin.


Dans les rôles principaux, on trouve : Steve McQueen (Frank Bullitt), Jacqueline Bisset (Cathy), Robert Vaughn (Walter Chalmers), Don Gordon (Delgetti).

Le lieutenant de police Frank Bullitt reçoit d'un ambitieux procureur, prétendant à une carrière politique, la mission de protéger le mafieux repenti Johnny Ross jusqu'à son témoignage à un procès.
Frank Bullitt
(Steve McQueen)

Bien qu'il ait veillé à sécuriser l'homme, deux tueurs professionnels parviennent à le localiser et à l'abattre ainsi qu'à blesser gravement le policier qui le surveillait. 
Frank Bullitt et Walter Chalmers
(Steve McQueen et Robert Vaughn)

Pourtant, pour identifier les coupables et comprendre le fin mot de cette intrigue, Bullitt décide de subtiliser le cadavre et refuse de dire à Chalmers et ses propres supérieurs où il le cache.
Cathy et Frank Bullitt
(Jacqueline Bisset et Steve McQueen)

Cette stratégie ne met pas seulement en danger sa carrière de flic mais impacte aussi le couple qu'il forme avec Cathy, une jeune femme qu'il fréquente depuis peu et qu'il essaie de préserver de la violence de son métier et du monde en général.
La Ford Mustang Fastback 68 de Bullitt

En reconstituant le passé de Ross et ses derniers jours avant qu'il ne se livre, Bullitt comprend que le gangster a mystifié tout le monde : il est toujours en vie, en fuite, et l'homme mort à sa place était un prête-nom...

Revoir Bullitt, c'est faire l'expérience de comparer le souvenir flatteur d'un film découvert dans sa jeunesse, plusieurs fois diffusé à la télé, constitutif du mythe de son acteur-vedette, et la réalité d'un polar en vérité mineur mais diablement efficace.

Aujourd'hui, Steve McQueen, tel l'icone qui nous toise sur l'affiche rétro de ce long métrage sorti en 1968, année ô combien chargée de symboles sociétaux, est lui-même devenu une star décalée, dont le nom ne dit sûrement plus grand-chose, voire rien, aux générations suivant la mienne : tout au plus s'agit-il pour de nombreux jeunes que le mec qui figure sur les publicités pour une marque de montres de luxe.

Pourtant, même accompagné de cette nostalgie, le film demeure magique parce qu'il est justement devenu un objet mythologique, une oeuvre de mémoire, le témoignage d'une époque, d'un certain style. McQueen incarne tout cela et Bullitt en est l'écrin.

Même si on n'est pas un macho, ce film déborde d'une virilité étonnante, qui est presque comique. C'est un film de mecs, un film pour les garçons, avec de grosses bagnoles, des fusillades, des jolies filles, d'affreux malfrats, des politiciens magouilleurs.

Bullitt est un un lieutenant de police, mais son grade n'a finalement que peu d'importance : c'est d'abord, surtout un flic. Il est taciturne, incorruptible, entêté. Il sort avec une superbe fille, moins âgée que lui, et qui est l'archétype de la fiancée du héros, une potiche aussi sexy que fragile : on se dit qu'il a de la chance d'avoir une girlfriend aussi jolie, aussi éprise, et on sourit ironiquement en pensant qu'il avait un bien dur métier, McQueen, en tournant la même année avec Faye Dunaway (dans L'Affaire Thomas Crown) et Jacqueline Bisset (tout juste âgée de 25 ans alors).

Le romantisme avec lequel Peter Yates, jeune cinéaste anglais imposé par McQueen après qu'il ait vu son précédent opus (Trois milliards d'un coup, sorti en 1967), met en scène le couple a quelque chose de ridicule tellement il est cliché, avec des filtres, dans l'appartement de Bullitt ou lors d'un dîner au restaurant avec des amis snobs de la jeune femme. Quand la cruauté brutale du monde du héros atteint celui de sa compagne, lorsqu'elle voit le cadavre d'une femme dans une chambre d'hôtel, la suite est rapidement expédiée à cause du peu de consistance du personnage féminin (elle pique une crise mais retombe dans les bras de son amoureux).

Ce traitement est symptomatique : tout, dans Bullitt, est en fait survolé, effleuré, peu exploité. L'intrigue traîne souvent puis accélère brutalement pour aboutir à un dénouement frustrant. Mais tous ces défauts ont un charme pourtant irrésistible.   
Cathy
(Jacqueline Bisset)

Car Yates a su imposer des choix esthétiques très forts pour l'époque, qui conservent à son film une vraie modernité. Les personnages ont tous une allure fantastique et sobre à la fois, comme Bullitt et imperméable beige, son col roulé et son pantalon cigarette ; Cathy avec sa mini-jupe et ses bottes de cuir droites ; Chalmers et ses complets sur mesure. Tout a une classe folle dans la fin de ces années 60, où le lustre des 50's n'a pas encore cédé au naturalisme des 70's.

Même constat pour le scénario : ce qui compte n'est pas tellement donc ce qui nous est raconté, mais la manière dont c'est fait, avec un indéniable style. L'ambiance prime sur l'intrigue, dont les points forts résident plus dans l'opposition entre l'intègre Bullitt et l'ambitieux Chalmers que dans la révélation du dossier Johnny Ross. Revoir ainsi deux des anciens Sept Mercenaires, Steve McQueen et Robert Vaughn, face à face est un régal, chacun plus que parfaits dans leurs interprétations.

Il y a un climat cotonneux, quasi-contemplatif dans ce film, où les motifs esthétiques prévalent sur les figures narratives. La fameuse course-poursuite, le "morceau de bravoure", résume cela : tourné, comme toute l'histoire en décors naturels, se déroulant sur presque onze minutes, elle valut un Oscar du meilleur montage à Frank Keller et inspira une multitudes de scènes par la suite. Le spectacle de la Ford Mustang Fastback 68 est encore un sommet du genre, traquant, percutant, la Dodge Charger des tueurs dans les rues de San Francisco et hors de la ville est aussi saisissant au niveau sonore avec le vrombissement des moteurs, les crissements des pneus, les changements des boîtes de vitesse, le fracas des tôles, qui composent à la fois une symphonie baroque et un film dans le film.
"VRRAAAOOUMM !"

Il y a, en définitive, quelque chose de sommaire, de basique, de primaire dans ce polar. Regardez McQueen : il a rarement aussi peu paru jouer. Il est pratiquement muet pendant la majeure partie du film, mais quelle présence ! Ce superbe fauve vous fixe d'un regard perçant, l'économie de ses gestes, l'intensité de son charisme naturel suffit à meubler son personnage grossièrement taillé. Robert Vaughn incarne lui aussi l'arriviste absolu, odieux et onctueux à la fois, sans avoir besoin d'en faire trop : sa gueule même définit le district attorney parvenu qu'il campe. Et Jacqueline Bisset, bien que dirigée avec toute la misogynie typique de l'époque, est d'une telle beauté qu'elle magnétiserait n'importe qui. On remarquera même Robert Duvall, avec encore quelques cheveux sur le crâne, dans la peau d'un chauffeur de taxi dans une séquence cruciale (juste avant la course-poursuite, et déterminante dans la reconstitution du passé récent de Johnny Ross).

La nonchalance de la production aboutit donc à ce sentiment étrange que, malgré d'évidentes lacunes, le film est tout de même fascinant. Porté par une musique extraordinaire composée par Lalo Schiffrin (dont le thème est une vraie "scie", latino-jazz), Bullitt possède une aura paradoxale : franchement moyen et pourtant inusable, paresseux mais brut, il est pareil à une relique au charme improbable mais délicieux.

Souhaitons juste que jamais, comme il en est question depuis des années, un remake (prévu pour Brad Pitt) ne voit le jour...

lundi 26 septembre 2016

VOLVER, de Pedro Almodovar (2006)


VOLVER est un film écrit et réalisé par Pedro Almodovar.
La photographie est signée José Luis Alcaires. La musique est composée par Alberto Iglesias


Dans les rôles principaux, on trouve : Penélope Cruz (Raimunda), Yohana Cobo (Paula), Lola Dueñas (Sole), Carmen Maura (Irene), Blanca Portillo (Agustina), Chus Lampreave (tante Claudia), Maria Isabel Diaz (Regina). 
Raimunda
(Penélope Cruz)

De nos jours, à Alcantor de Infantas en Galice. Raimunda, sa fille Paula, et sa soeur cadette Sole nettoient la tombe de leurs parents et croisent dans le cimetière leur amie Agustina qui s'y est achetée une concession. Les femmes vont ensuite rendre visite à la tante Claudia qui, comme d'habitude, malgré sa vue basse et sa santé fragile, leur a préparé de bons petits plats à emporter.
Raimunda et Paula
(Penélope Cruz et Yohana Cobo)

De retour à Madrid, Raimunda apprend que son mari, Paco, vient d'être licencié. Elle travaille à l'aéroport où elle assume plusieurs postes ingrats (serveuse, blanchisseuse, femme de ménage). Lorsqu'elle rentre à son domicile ce soir-là, elle trouve sa fille dehors en larmes : Paco a tenté de la violer et, pour se défendre, elle l'a tué avec un couteau de cuisine.
Tandis que Raimunda s'occupe du corps, plusieurs éléments la dérangent : Emilio, le propriétaire du restaurant voisin, lui remet les clés de son établissement qu'il a décidé de vendre pour s'installer à Barcelone ; puis Sole lui téléphone pour lui annoncer que tante Claudia est morte. 
Enfin seules, Raimunda et Paula transportent le cadavre de Paco dans le resto d'Emilio et le cache dans le congélateur.
Sole, Paula et Raimunda
(Lola Dueñas, Yohana Cobo et Penélope Cruz)

Le lendemain, lé régisseur d'une équipe de cinéma sollicite Raimunda pour que le resto serve de cantine à l'équipe de tournage. Elle accepte de les accueillir, comptant avec l'argent qu'elle gagnera racheter l'établissement, puis demande de l'aide à ses amies Regina, une prostituée, et Ines.
Cependant, Sole assiste aux funérailles de Claudia où, en marge, elle revoit, sidérée, sa mère, Irene, supposément morte depuis quatre ans. Elle rentre à Madrid avec elle et la cache dans son appartement en la faisant passer pour une employée russe auprès des clientes qu'elle coiffe "au noir".
Raimunda, avec l'aide de Regina, se débarrasse du congélateur en le transportant dans une fourgonnette louée et en l'enterrant à mi-chemin de Madrid et Alcantor, près d'un lac. Rendant visite à Sole, elle se fâche avec elle quand elle découvre une valise de tante Claudia avec ses bijoux. Puis Raimunda explique à Paula avoir fait disparaître le corps de Paco en lui avouant qu'il n'était pas son père biologique (celui-ci est mort il y a longtemps).
Le tournage s'achève et un buffet est dressé au resto pour une fête à cette occasion. Sole s'y rend et se réconcilie avec sa soeur qui chante avec les musiciens de l'équipe, sans savoir que sa mère l'écoute émue (elle lui avait apprise la chanson, Volver) non loin de là, dans la voiture de Sole. 
Irene et Raimunda
(Carmen Maura et Penélope Cruz)

Agustina débarque à Madrid pour y être opérée d'une tumeur et Raimunda va lui rendre visite : elle reçoit une étrange requête quand son amie lui demande d'interroger Irene pour savoir si elle sait où est passée sa propre mère, disparue elle aussi quatre ans auparavant. Pendant de temps, Paula a rencontré sa grand-mère chez Sole où Raimunda la découvre ensuite.
La nuit venue, elle écoute sa mère lui expliquer pourquoi elle a dû se cacher depuis toutes ces années : elle a tué son mari et sa maîtresse, la mère d'Agustina, autant par jalousie que parce qu'il avait violé Raimunda - Paula est donc né de cet inceste.
Paula, Sole, Irene et Raimunda

Raimunda, Paula, Sole et Irene repartent à Alcantor et s'installent dans la maison de la défunte tante Claudia. Agustina les y rejoint. Irene la veillera et lui promet de lui expliquer ce qui est arrivé à sa mère.
Raimunda, elle, est heureuse d'avoir pu retrouver la sienne et espère qu'elles reformeront une vraie famille maintenant.

Favori de la compétition cette année-là, Volver, unanimement considéré alors comme l'oeuvre la plus accomplie de Pedro Almodovar, ne reçut pas la Palme d'or (le cinéaste ibère n'a toujours pas été couronné, ce qui est aussi incompréhensible qu'injuste), mais le jury honora le film en lui attribuant un prix d'interprétation collectif exceptionnelle pour ses quatre actrices principales, Penélope Cruz, Lola Dueñas, Blanca Portillo et Carmen Maura (oubliant dans le lot la jeune et tout aussi méritante Yohana Cobo...). Si la récompense n'est pas volée, elle ne saurait suffire à souligner la qualité magistrale de l'ensemble de cette énième pépite dans une filmographie fabuleuse.

Pour Almodovar, il s'agissait néanmoins surtout d'un rebond : deux ans après La Mauvaise Éducation, oeuvre autobiographique sombre et douloureuse, Volver affiche une sérénité retrouvée, même s'il s'agit d'un somptueux et délirant mélodrame comme le seul l'auteur de Talons aiguilles sait les écrire et filmer. Un opus à la fois dramatique et léger, rouge et noir, comme une synthèse. 

On a beaucoup glosé sur le sens même du titre :  "Volver", c'est à la fois "revenir", "se tourner" mais aussi "changer". Ces différentes significations sont toutes explorées au fil d'un récit dont les rebondissements extravagants sont déroulés comme s'il coulait de source : on y assiste à un meurtre (quand on n'en évoque pas d'autres, commis dans le passé), on s'y débarrasse de cadavres (physiques et symboliques), tout le monde ment (mais pour mieux protéger ses proches), les morts resurgissent (en n'ayant jamais vraiment disparu), des secrets bouleversants sont dévoilés (donnant une perspective étonnante aux événements et induisant une part de déterminisme évident si on considère la répétition des actes de mère en fille). 

Pourtant, malgré l'abondance d'éléments tragiques, le miracle est que le film échappe à toute pesanteur, et il semble que cette grâce ait été inspirée à Almodovar par la volonté de faire de cette histoire celle d'une bande de femmes (alors que Parle avec elle, en 2002, et La mauvaise éducation se distinguaient d'abord par la présence des hommes au premier plan). Tous les mâles ici connaissent un sort funeste, ou sont écartés du récit (comme Emilio qui vend son restaurant), tandis que les femmes constituent un corps solidaire, solaire, sensuel, sensible. Les héroïnes ont toutes souffert des hommes et doivent se reconstruire à la fois en s'en éloignant mais aussi en se serrant les coudes. Cette entraide dépasse les secrets, les trahisons, les fâcheries : tout sera oublié, pardonné comme on revient à la source, en s'arrêtant sur le chemin du retour près d'un lac fréquenté enfant (et à proximité duquel repose maintenant un mari incestueux...) - ou dans le souvenir d'un incendie (qui emporta un époux infidèle et pervers)... A moins qu'elles ne soient toutes folles, à cause du vent qui balaie la Galice. 

Film rouge vif (comme les liens du sang - de la famille, de l'amour interdit, d'une blessure mortelle) et noir (comme la couleur du deuil, de l'oubli, de la nuit), Volver profite à plein de son gang de filles digne effectivement de tous les compliments : dans une composition qui doit autant au Roman de Mildred Pierce (Michael Curtiz, 1945) qu'aux héroïnes du cinéma italien (Sophia Loren, et surtout Anna Magnani, citée via un extrait de film à la fin, avec la même coiffure de jais et la mêm nuisette noire épousant ses formes plantureuses), Penélope Cruz se distingue particulièrement dans le rôle d'une vie, figure charismatique, d'une volupté folle, à la tête de cette odyssée intimiste et débridée. Seule sa famille compte, et cette foi fait loi, au point que la police est exclue de l'intrigue : elle est prête à se sacrifier pour sa fille, accepte le geste vengeur de sa propre mère, pardonne à sa meilleure amie, soutient sa soeur. Comme le fait remarquer la cousine Agustina (jouée par Blanca Portillo), elle-même en quête de réponses liées au passé de la mère de Raimunda, le linge sale doit se laver entre elles.

Almodovar s'affranchit des règles des genres qu'il explore, fuyant le naturalisme pour lui préférer un lyrisme toujours coloré mais plus retenu qu'autrefois, l'exubérance maintenant fortement teinté de mélancolie. Le résultat produit des émotions détonantes, à la fois euphorisantes (c'est du pur cinéma, de la fiction échevelée et très maîtrisée à la fois) et poignantes (les personnages se construisent sur des ruines, des blessures, des failles).

Volver peut être vu comme la conclusion d'une période, comme on la considérerait chez un peintre (et Almodovar étant un cinéaste très graphique, la comparaison se tient), mais la suite de sa production (hormis l'épouvantable Les amants passagers, en 2013) a plutôt indiqué que la maturité acquise s'était confirmée dans des oeuvres de plus en plus fines, ouvragées, où la femme reste au centre de ses motifs narratifs.