mardi 28 février 2017

SERENA, de Susanne Bier (2014)


SERENA est un film réalisé par Susanna Bier.
Le scénario est écrit par Christopher Kyle, d'après le roman de Ron Rash. La photographie est signée Morten Soborg. La musique est composée par Johan Söderqvist.


Dans les rôles principaux, on trouve : Bradley Cooper (George Pemberton), Jennifer Lawrence (Serena Shaw), Rhys Efans (Galloway), Toby Jones (shérif McDowell), Sean Harris (Campbell), Ana Ularu (Rachel Harmon), David Dencik (Buchanan).
 George Pemberton
(Bradley Cooper)

1929. Caroline du Nord. Ambitieux exploitant forestier, George Pemberton épouse Serena Shaw à qui sa soeur l'a présentée et avec il forme autant un couple ordinaire qu'une paire d'associés. Rapidement, pourtant, la jeune femme, dont le père était aussi un baron du bois, s'attire l'inimitié de Buchanan, le partenaire et plus vieil ami de son mari.
Serena Shaw
(Jennifer Lawrence)

La raison de cet antagonisme se trouve dans l'accord que veut passer Buchanan avec le shérif McDowell, représentant un groupe d'acheteurs désireux de transformer la forêt en parc national protégé. Mais la somme offerte pour acquérir les terrains de Pemberton est en deçà des attentes de ce dernier, bien qu'il ait déjà dû hypothéquer des biens fonciers au Brésil pour rembourser ses banquiers.
Serena et George Pemberton

Influencé par Serena, George s'estime trahi par Buchanan et profite d'une partie de chasse pour le tuer en faisant passer son meurtre pour un accident. Campbell, un employé de Pemberton, seul témoin de la scène, couvre son patron pour ne pas perdre sa place et le shérif doit, à contrecoeur, classer l'affaire. 
George

Peu après, Serena annonce à George qu'elle est enceinte, mais il lui a cachée être déjà le père du fils d'une de ses ouvrières, Rachel Harmon, à qui il verse régulièrement et discrètement de l'argent pour qu'elle et l'enfant ne soient pas démunis.
George et Serena

Alors qu'elle rend visite à cheval aux bûcherons, Serena distrait Galloway, un pisteur embauché par George pour trouver un puma qu'il rêve d'accrocher à son tableau de chasse. Gravement blessé, il ne doit la vie qu'à l'intervention de la jeune femme qui le fait conduire à l'hôpital. 
Calloway et Serena
(Rhys Efans et Jennifer Lawrence)

Mais elle l'y rejoint à la suite d'une fausse couche la nuit suivante. Les médecins annoncent à George que sa femme ne pourra plus jamais porte d'enfant. En l'absence de son patron, Campbell met la main sur les livres de comptes de Buchanan et, découvrant des escroqueries (pots-de-vin versés à des politiciens, détournement de fonds...), les livre au shérif, quitte à être poursuivi lui aussi en justice. Lorsque George découvre ce qu'a fait Campbell, Serena demande à Galloway, rétabli et qui est redevable, d'éliminer le traître et de récupérer les documents comptables qu'il a dérobés.
George et Serena

Ceci fait, maladivement jalouse de la présence de Rachel et de son fils, elle convainc Galloway de les supprimer. George devine le danger et part à la rescousse de la mère et de l'enfant, tuant Galloway. Une fois Rachel partie en train, il rentre en s'enfonçant dans la forêt pour traquer le puma mais la bête et lui s'entretuent.
Serena et George

Refusant d'identifier le corps de George quand le shérif le lui amène, Serena se suicide en provoquant l'incendie de leur maison.

Les succès de Happiness Therapy et American Bluff (David O. Russell, 2012 et 2013) ont évidemment motivé les producteurs de Serena à capitaliser sur le couple (de fiction) formé par Jennifer Lawrence et Bradley Cooper, devenus à la fois des acteurs acclamés par la critique et "bankables", pour cette adaptation du roman de Ron Rash. Mais ce calcul opportuniste n'a pas suffi.

Avec ce mélodrame qui met en scène un séduisant entrepreneur américain, qui a fait fortune dans l'industrie du bois, et son épouse, dont la famille a péri dans un mystérieux incendie, la réalisatrice Susanne Bier disposait pourtant d'une histoire prometteuse. An brassant des thèmes comme l'amour, l'argent, la jalousie, la corruption, dans le cadre des grands espaces, cet univers éminemment romanesque invoquait les grands classiques de l'âge d'or hollywoodien avec une plus-value glamour représentée par ses deux stars.

Mais la cinéaste danoise expatriée raconte tout cela en ayant visiblement la tête ailleurs, en rêvant d'autre chose qu'un beau véhicule pour ses vedettes. Si elle tire le meilleur de ses décors et d'une ambiance hantée, avec ces forêts sombres et inquiétantes où les hommes travaillent dur, elle peine davantage à exprimer les passions qui animent ses héros et leurs ennemis. La faute à un scénario trop elliptique, qui échoue à traduire la progression de la folie grandissante de Serena (et les répercussions sur son couple), passe trop vite sur les péripéties, glisse sur des personnages caractérisés superficiellement.

Tout paraît ici réduit à des clichés, des conventions, des artifices, et le mélodrame attendu ne décolle jamais, faute de souffle et, plus encore, d'intensité. Les producteurs s'en sont aperçus vite, mais trop tard, une fois le film en boîte : Susanne Bier a été écarté du montage final qui aurait duré 18 (!) mois à cause de screen-tests désastreux. La noirceur de l'intrigue, son dénouement tragique, même rafistolés, ne laissaient de toute façon guère de chance au projet de rencontrer le public et les critiques, sans indulgence, n'ont fait que précéder l'échec commercial de Serena.

Les deux vedettes s'en sortent pourtant honorablement, même si on devine que leurs prestations ont souffert de coupes drastiques : Jennifer Lawrence prouve qu'elle peut composer un personnage trouble et troublant avec ce rôle d'épouse semblant précipiter le malheur, tandis que Bradley Cooper en impose par un jeu intériorisé, très "Eastwoodien", tout en tension et en densité physique. Les seconds rôles sont intéressants mais souvent trop esquissés (Rhys Efans en pisteur mystique, Toby Jones en shérif intègre).

Mais les qualités de l'ouvrage restent trop rares et épisodiques pour sauver l'ensemble : Serena reste davantage une curiosité qu'une oeuvre maudite, une occasion manquée qu'un grand film malade. N'y a-t-il donc que David O. Russell pour bien diriger Jennifer Lawrence et Bradley Cooper ensemble ?  

lundi 27 février 2017

HIPPOCRATE, de Thomas Lilti (2014)


HIPPOCRATE est un film réalisé par Thomas Lilti.
Le scénario est écrit par Baya Kasmi, Pierre Chosson, Julien et Thomas Lilti. La photographie est signée Nicolas Gaurin. La musique est composée par Alexandre Lier, Sylvain Ohrel et Nicolas Weil.


Dans les rôles principaux, on trouve : Vincent Lacoste (Benjamin Barois), Reda Kateb (Abdel Rezakk), Jacques Gamblin (le professeur Barois), Marianne Denicourt (le docteur Denormandy), Félix Moati (Stéphane), Carole Frank (Myriam).
 Benjamin Barois
(Vincent Lacoste)

Benjamin Barois, tout jeune diplômé, intègre le service de médecine générale d'un hôpital parisien dont le chef de service est son père. Il y fait la connaissance d'un collègue, Abdel Rezakk, venu d'Algérie, qui accumule les stages pour décrocher un poste de titulaire, grâce auquel il pourra faire venir en France sa femme et sa famille. 
Abdel Rezakk
(Reda Kateb)

Piètre praticien, Benjamin considère rapidement Abdel, plus à l'écoute des patients, comme un rival. Deux cas médicaux vont permettre aux deux internes de confronter leurs méthodes et d'apprendre à se connaître. D'abord pris en charge par Benjamin, un SDF, M. Lemoine, meurt des suites d'un pancréatite, faute d'avoir pu bénéficier d'un ECG (Electro-Cardio-Gramme) car l'appareil était en panne. 
Abdel et le Pr. Barois
(Reda Kateb et Jacques Gamblin)

Mais son père le couvre devant la veuve du patient, perplexe sur sa prise en charge. Lorsqu'Abdel est interrogé par Mme Lemoine, il lui confirme les causes du décès mais découvre, en consultant le dossier du malade qu'il n'a pas subi l'examen qui aurait pu permettre de mieux juger la dégradation de son état. 
Le Dr. Denormandy
(Marianne Denicourt)

Par la suite, Abdel s'oppose au traitement infligé à Mme Richard, une octogénaire atteinte d'un cancer en phase terminale et à laquelle le Dr. Denormandy a retirée une pompe à morphine qu'il avait prescrit pour soulager ses souffrances. La vieille dame exprime également son désir de ne pas subir d'acharnement thérapeutique. Mais, suite à un malaise en pleine nuit, l'équipe de réanimation ignore ce souhait, ayant négligé de lire son dossier. 
Benjamin

De garde à ce moment, Benjamin avise Abdel, qui loge à l'internat, de la situation tandis que la famille de Mme Richard a été prévenue par une infirmière. L'interne obtient que sa patiente ne soit pas artificiellement maintenue en vie avec l'accord de ses proches - une décision qui va être lourde conséquences pour Abdel et Benjamin.  
Benjamin et Abdel

En effet, le chef de service  de l'équipe de réanimation convoque un conseil disciplinaire contre les deux internes. Mais seul Abdel est sanctionné : le blâme dont il écope et qui sera mentionné sur son dossier condamne la suite de sa carrière, ce qui révolte Benjamin, qui a deviné que son père l'a encore protégé. Indigné mais ivre, il retourne alors voir la veuve de Lemoine et lui révèle ce qu'on lui a caché concernant la mort de son mari : elle va alors poursuivre l'hôpital en justice pour négligence.  
Abdel

En la quittant, et après avoir fait du tapage à l'hôpital, Benjamin est renversé par une voiture et admis dans un état critique. La situation pousse le personnel soignant, lassé du manque de moyens et des cadences infernales, à faire grève en exigeant que la sanction d'Abdel soit levée. 
Benjamin se rétablit et décide de changer se service pour rejoindre celui de neurologie tandis que le cas d'Abdel sera reconsidéré.

La rigueur documentaire de Hippocrate ne saurait résumer sa grande qualité, même si la justesse du regard que porte Thomas Lilti sur son sujet est évidente, immédiate, indéniable. Et pour cause : il a été lui-même médecin avant de passer derrière la caméra (menant même de front les deux activités quand il a signé son premier long métrage, Les Yeux bandés, en 2007, et co-écrit le scénario de Télé Gaucho, de Michel Leclerc, en 2012). Il parle donc, et très bien, de ce qu'il connait.

Toute l'action du film se déroule dans les murs de l'hôpital et se concentre sur les deux jeunes héros : l'un est le fils du chef de service, piètre médecin, désinvolte et suffisant ; l'autre est un nouveau venu, originaire d'Algérie (ce qui aura son importance par la suite), perfectionniste mais attentif à la douleur des patients. Vincent Lacoste joue le premier de manière formidable, sortant pour la première fois du registre comique dans lequel il s'est illustré avec talent : il est d'abord peu sympathique, veule, puis révolté et solidaire. Reda Kateb (récompensé par le César du meilleur second rôle masculin - pourquoi seulement second, alors qu'il est aussi présent à l'écran que son partenaire ?) est remarquable dans sa partie, campant un médecin exigeant, presque hautain, mais en vérité humaniste, auquel il donne beaucoup d'intensité.

Lilti s'est inspiré de sa propre expérience comme généraliste mais a aussi alimenté son récit à partir d'anecdotes de collègues et de témoignages de terrain : le résultat est captivant, pointant les dysfonctionnements divers de l'hôpital public à l'heure où les autorités demandent aux directeurs de les gérer de manière rentable en opérant des coupes budgétaires dramatiques - manque de personnel, défaillances techniques, crises morales, gardes à rallonge, esprit de caste. A l'heure où certains candidats à la présidentielle sont prêts à encore plus saigner l'institution hospitalière, Hippocrate incite à réfléchir sur une médecine à deux vitesses.

Tout cela est écrit, décrit, de manière exemplaire, sans manichéisme, à défaut d'être filmé aussi remarquablement (une photo et une mise en scène assez quelconques). Mais l'énergie avec laquelle le réalisateur a su exprimer cet état des lieux fait mouche : l'épuisement physique et mental des soignants, les conditions souvent limites des soins, le recours à une main d'oeuvre étrangère peu considérée (un point peu connu mais révélateur du malaise et d'un certain paternalisme).

Mais Lilti dépasse ce constat déprimant en évitant tous les clichés (un "happy end" facile, des solutions toutes trouvées), en caractérisant précisément ses personnages (y compris les seconds rôles, comme Myrima l'infirmière ou Stéphane, l'interne de réa), se permettant même quelques traits ironiques (en profitant du fait que des séries télé, comme Dr. House, cité dans quelques scènes, ont rendu familier l'hôpital).

Au final, Hippocrate dresse un tableau inspiré, tonique et ambivalent, où le romanesque côtoie le banal, sans se résumer à un film-dossier : en somme, tout ce qui signe le cinéma populaire de qualité.

dimanche 26 février 2017

SOMEWHERE, de Sofia Coppola (2010)


SOMEWHERE est un film écrit et réalisé par Sofia Coppola.
La photographie est signée Harris Savides. La musique est composée par Phoenix.


Dans les rôles principaux, on trouve : Stephen Dorff (Johnny Marco), Elle Fanning (Cleo), Chris Pontius (Sammy), Lala Sloatman (Layla), Michelle Monaghan (Rebecca).
 Johnny Marco
(Stephen Dorff)

Star de cinéma, Johnny Marco vit mal sa gloire récente en se morfondant à l'hôtel Château-Marmont. Dans le cadre de la promotion de son dernier film, il assure cependant ses obligations contractuelles : une séance de photos avec sa partenaire à l'écran, Rebecca, qui le méprise ; conférence de presse, etc.
Rebecca et Johnny
(Michelle Monaghan et Stephen Dorff)

Johnny traîne également dans plusieurs soirées en compagnie de son meilleur ami et confident, Sammy, lui-même acteur, et en profite pour y séduire quelques starlettes ou groupies, plus attirées par une occasion de coucher avec une vedette comme lui que par une volonté d'engager une relation sérieuse. Johnny oublie lui-même son divorce dans ces aventures sans lendemain, même s'il reçoit régulièrement des messages injurieux sur son téléphone portable sans en identifier l'expéditeur. 
Johnny et Cleo
(Stephen Dorff et Elle Fanning)

Mais son existence reprend des couleurs lorsqu'il retrouve sa fille, Cleo, âgée de onze ans, à laquelle il consacre tout son temps de libre. L'adolescente semble s'accommoder du mode de vie de son père, sans lui poser des questions sur les filles qu'elle croise le matin au petit-déjeuner. Ensemble, Johnny et Cleo jouent, se promènent, profitent du room-service du palace.
Johnny et Cleo

Alors que Cleo doit rejoindre un camp d'été pour les vacances, Johnny l'emmène en Italie où il doit assister à une remise de prix en son honneur. Mais, vite lassé des mondanités, ils écourtent leur séjour pour rentrer à Los Angeles et reprendre leur train-train oisif. Il veut surtout passer le plus de temps avec sa fille dont il a deviné que la perspective d'aller en colonie de vacances n'enchante guère.
Johnny et Cleo

Il en aura la confirmation le jour de son départ quand elle fond en larmes sur le trajet et avoue à Johnny qu'elle est triste de ne pas le voir plus souvent et qu'elle a peur de la passe difficile traversée par sa mère, Layla, qui l'a inscrite à ce camp d'été pour pouvoir "faire le point". 
Johnny et Cleo

Après le départ de Cleo, Johnny craque à son tour et appelle Layla. Elle ne lui est d'aucun réconfort toutefois. Le lendemain matin, il annonce à la réception de l'hôtel qu'il s'en va. Au volant de sa Ferrari, il quitte Los Angeles et roule sans but précis. Il finit par s'arrêter sur le bas-côté de la route, en rase campagne, et continue à pied, un sourire apaisé aux lèvres.

Depuis son premier film (Virgin Suicides, 1999) et ses deux opus suivants, couronnés de succès (Lost in Translation, 2003, et Marie-Antoinette, 2006), le "cas" Sofia Coppola ne cesse de diviser : cinéaste sans substance ? Ou auteur au charme raffiné ? Ce n'est pas avec Somewhere, Lion d'Or à la Mostra de Venise, que le débat sera tranché.

Encore une fois, il ne se passe pas grand-chose durant ces 95 minutes, et pourtant le résultat ne laisse pas insensible car la réalisatrice explore son thème favori : le mal-être derrière le vernis des apparences.

Ainsi, tout son cinéma est comme résumé ici : le vertige qui étreint Johnny Marco, incarné par Stephen Dorff, qui fut lui-même un acteur prometteur avant de sombrer, ne devra son salut qu'à sa fille, un elfe de onze ans, petite blonde au nez retroussé, au sourire désarmant et à la blondeur angélique, en quête comme lui d'affection et d'attention.

On peut interpréter ce récit, quasi-muet, tant les dialogues sont minimalistes et souvent banals, comme une histoire fade, anecdotique, superficielle, dont il serait facile de se moquer. Mais on peut aussi se laisser glisser dans cette rêverie cotonneuse et émouvante, sans grand effet. Cleo, jouée par l'adorable Elle Fanning, est le double évident de Sofia Coppola, qui a également grandi dans l'ombre d'un père au firmament du 7ème Art, et qui a dû ruser pour profiter de sa présence. Exister face à une star, telle est l'autre argument de ce film, taiseux, secret, qui invite le spectateur à réfléchir sur sa nature autobiographique.

La cinéaste excelle à saisir ces moments suspendus où rien ne se passe mais où tout se joue, quand les larmes ne peuvent plus être contenues. Une scène bouleversante et simplissime illustre cela quand Johnny conduit Cleo à son camp de vacances et qu'elle se met à sangloter, avouant sa détresse d'être ainsi ballottée entre une mère fuyante et un père absent. Il la réconforte avant d'être plus tard, une fois seul, il est rattrapé par la vanité de son existence, le manque de sa fille et fond à son tour en larmes, dans cette chambre d'hôtel trop grande car vide.

Cet art de filmer les petits riens (une séance à la patinoire, la préparation de pancakes, la dégustation de glaces au milieu d'une nuit d'insomnie, des jeux dans la piscine) prouve indéniablement, pour moi, un vrai talent de mise en scène, une faculté à capter ces épisodes miniatures, a priori insignifiants, mais précieux, délicats, volatiles.

Ainsi, derrière son vernis chic, Sofia Coppola nous emmène bien, comme le dit le titre, "Quelque part", mais plus qu'un lieu, il s'agit d'un état : celui où le coeur bat pour quelqu'un qu'on aime plus que soi.  

vendredi 24 février 2017

PREMIER CONTACT, de Denis Villeneuve (2016)


PREMIER CONTACT (Arrival) est un film réalisé par Denis Villeneuve.
Le scénario est écrit par Eric Heisserer, d'après la nouvelle L'Histoire de ta vie de Ted Chiang. La photographie est signée Bradford Young. La musique est composée par Johann Johansson.


Dans les rôle principaux, on trouve : Amy Adams (Dr. Louise Banks), Jeremy Renner (Pr. Ian Donnelly), Forest Whitaker (colonel Weber), Michael Stuhlbarg (agent Halpern), Tzi Ma (général Shang).
 Le vaisseau alien au-dessus du Montana

En douze points du globe, des extraterrestres débarquent sur Terre sans quitter leurs vaisseaux ovoïdes noirs suspendus au-dessus du sol. Cet événement mobilise aussitôt les forces armées des pays concernés. Aux Etats-Unis, le colonel Weber sollicite l'aide du Dr. Louise Banks, linguiste bénéficiant d'une accréditation secret défense, pour tenter de comprendre les raisons de la présence des visiteurs et leurs intentions (pacifiques ou belliqueuses) puis tenter d'établir un moyen de communiquer avec eux.
Le colonel Weber, Louise Banks et Ian Donnelly
(Forest Whitaker, Amy Adams et Jeremy Renner)

Elle part donc pour le Montana où a été établi un camp militaire entourant un des vaisseaux, en compagnie de l'astro-physicien Ian Donnelly. Pour entrer à bord de cette immense coque les militaires passent par une trappe qui s'ouvre toutes les 18 heures et aboutit à une sorte de large baie vitrée derrière laquelle deux extra-terrestres ressemblant à des heptapodes (à cause de leur sept membres flexibles) les attendent. Donnelly les surnomme "Abbott" et "Costello", en référence au célèbre duo d'humoristes américains. 
Louise Banks

Les aliens tracent sur la baie des glyphes en projetant des jets d'encre et Louise les interprète comme un langage très synthétique où chaque signe peut exprimer aussi bien un mot qu'une phrase complète. Mais pendant ce temps la situation internationale se tend lorsque les experts chinois pensent avoir traduit un de ces logogrammes par le terme "arme". 
Un des étranges logogrammes des aliens

Deux soldats américains de la base du Montana, qui escortent Louise et Ian à chacune de leur visite dans le vaisseau, déposent, sans en aviser Weber, une charge explosive. "Abbott" sauve de la déflagration les deux scientifiques in extremis. Puis leur vaisseau change de position, s'élevant plus haut dans le ciel et devenant inaccessible. Les onze autres coques imitent cette manoeuvre partout dans le monde. 
Ian Donnelly

Ordre est donnée d'évacuer la zone. Les chinois décident, eux, avec leurs alliés, de détruire les vaisseaux situés dans leur espace aérien. Louise, qui a compris que les appareils aliens forment une unité de la même façon que leur langage, quitte le campement pour se placer sous la coque dans laquelle elle est réintroduite via une capsule envoyée pour elle. 
Louise Banks

"Costello" communique alors avec la linguiste, lui apprenant que "Abbott" est mort après l'explosion, puis qu'elle peut lire le futur - c'est là en vérité le sens des flashes qui l'assaillaient depuis son arrivée sur le site et dans lesquels elle se voyait mariée, mère d'une petite fille et divorcée suite à la mort prématurée de celle-ci, des suites d'une longue maladie.
Le colonel Weber

Rendue aux siens, Louise parvient, en dérobant le téléphone-satellite d'un agent de la CIA, à contacter le général Shang, à la tête de l'armée chinoise, pour le convaincre de ne pas ouvrir les hostilités contre les extraterrestres. Progressivement, les alliés de la Chine stoppent leurs manoeuvres. Les vaisseaux disparaissent ensuite aussi subitement qu'ils sont arrivés.
Louise et Ian

Comme "Costello" l'avait dit à Louise, dans un lointain futur, comme ils ont permis à l'humanité de s'unifier, les humains aideront à leur tour les aliens le moment venu. Quant à la jeune femme, elle va vivre avec Ian, avec lequel elle aura une fille à qui, peut-être, ils épargneront une mort prématurée.

Présenté à la 73ème Mostra de Venise l'an dernier, Arrival de Denis Villeneuve a créé la sensation en se démarquant du tout-venant des films de science-fiction. Précédé de ce buzz flatteur, le film a ensuite divisé la critique mais a été boudé par le grand public, désarçonné par son style.

Premier Contact s'inscrit dans une double lignée : c'est à la fois un prolongement narratif et esthétique de ce que Villeneuve a produit dans son précédent opus (l'excellent Sicario), avec une héroïne progressant à tâtons dans une (en)quête dont le sens ne se révèle vraiment qu'à la toute fin, et c'est aussi une nouvelle exploration cinématographique d'une tradition fantastique où les humains cherchent à communiquer avec des extraterrestres.

Le résultat est à la fois captivant et nébuleux. Les thèmes creusés ici, comme le langage, le temps, la mémoire, sont ambitieux et le scénario choisit, comme la nouvelle dont il s'inspire, de les traiter sans verser dans le grand spectacle, avec une certaine austérité. La majorité des scènes se déroule dans des tentes où militaires et savants débattent du déchiffrage de symboles, hypothèquent sur leur signification, ou dans la coque caverneuse d'un astronef avec deux créatures, à la physionomie à la fois inquiétante et gracieuse et au comportement énigmatique, ne s'expriment que par des logogrammes aléatoirement traduits).

Ce parti pris peut dérouter, voire décourager, mais si on l'accepte, le jeu en vaut vraiment la chandelle : il s'agit bien de faire ressentir la nécessité de prendre du temps pour comprendre l'Autre. Eric Heisserer nous dispense de bavardages techniques assommants et pseudo-réalistes au profit de scènes silencieuses, de creux dramatiques, correspondant aux recherches hésitantes de la linguiste. Villeneuve met cela en scène en soignant l'ambiance à la fois tendue et suspendue, le rythme volontiers flottant, et c'est souvent envoûtant. On pardonne du coup quelques clichés (comme le personnage du colonel joué par Forest Whitaker avec son air de Droopy massif, ou ces enfilades d'ordinateurs devant lesquels s'affairent des experts dont la contribution semble bien discrète comparée aux efforts déployés par l'héroïne). Mais au moins échappe-t-on à des vues sur des salles de réunion avec des présidents, entourés de généraux va-t-en-guerre opposés à de plus raisonnables scientifiques, ou à des scènes de combat entre des extraterrestres et l'aviation militaire.

La partie plus "cosmique" du film est aussi plus inégale : Premier Contact arrive après des longs métrages écrasants sur le sujet (parmi lesquels Rencontres du 3ème type de Steven Spielberg, Abyss de James Cameron, ou le chef d'oeuvre indépassable que reste 2001 : L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick). La comparaison est inévitable. Mais Villeneuve s'en sort avec les honneurs, grâce au soin qu'il a apporté aux designs (qu'il s'agisse de ceux des vaisseaux ou des extraterrestres et de leur langage) et par sa volonté de coller à son héroïne hantée non pas, comme on le pense au début, par des flash-backs traumatisants par des flash-forwards anxiogènes, ce qui donne une perspective étonnante à l'ensemble, une dimension contemplative, méditative et troublante. Le twist final est habile dans l'opposition qu'il établit entre l'innocence de ce premier contact et l'expérience existentielle (naissance, vie, mort) qu'il provoque.

Amy Adams s'aligne sur la tonalité feutrée du récit et livre une interprétation dense et émouvante, d'une sobriété intense, qui éclipse ses partenaires. Un jeu intériorisé remarquable.

Premier contact à l'image de son sujet ne se livre pas facilement, et peut même frustrer, mais c'est aussi une apologie vertigineuse de l'inconnu et une métaphore brillante sur le destin - qui inspire confiance pour la suite attendue et redoutable que Denis Villeneuve va donner au "cultissime" Blade Runner.  

jeudi 23 février 2017

LA LA LAND, de Damien Chazelle (2016)


LA LA LAND est un film écrit et réalisé par Damien Chazelle.
La photographie est signée Linus Sandgren. La musique est composée par Justin Hurwitz.


Dans les rôles principaux, on trouve : Emma Stone (Mia Dolan), Ryan Gosling (Sebastian Wilder), John Legend (Keith), Rosemarie DeWitt (Laura Wilder), JK Simmons (Bill), Tom Everett Scott (David).
 Sebastian Wilder
(Ryan Gosling)

Los Angeles. Coincée dans un embouteillage, Mia Dolan, serveuse dans un café attenant aux studios de Hollywood et aspirante actrice, insulte Sebastian Wilder, pianiste de jazz, qui vient de la klaxonner. Peu après, elle arrive à une audition où elle essuie un nouvel échec.
Mia Dolan
(Emma Stone)

Le soir, pour se détendre, elle suit ses trois co-locataires à une fête donnée sur les hauteurs de la ville mais elle s'en va avant la fin. Mia a alors la désagréable surprise de constater que sa voiture a été embarquée par la fourrière et doit rentrer chez elle à pied. En passant devant un restaurant, elle est attirée à l'intérieur par la musique qui en provient et découvre au piano Sebastian se livrant à une superbe improvisation jazz - qui provoque immédiatement après son renvoi par Bill, le patron de l'établissement. Furieux, il quitte l'endroit en bousculant Mia venue à sa rencontre pour le féliciter. 
Mia et Sebastian sur Ferndell Trail

Les semaines suivantes, Mia et Sebastian ont à nouveau l'occasion de se croiser comme cette fois où elle le remarque jouant du clavier avec un groupe ringard dans une réception et se moque de lui. Il ironise quant à lui sur le fait que sa carrière de comédienne n'est pas plus brillante. Quittant la fête ensemble, ils échangent quelques mots, troublés par la ressemblance de leur situation et leur attirance évidente.  
Sebastian et Mia dans les studios de Hollywood

Sebastian retrouve Mia et ils sympathisent en se faisant découvrir leurs passions respectives : elle le guide dans une visite des studios de cinéma en évoquant son plaisir de jouer la comédie ; il l'entraîne dans un club de jazz (musique qu'elle avoue ne pas aimer) pour lui faire comprendre à quel point lui est ému par ceux qui l'interprètent en rêvant d'ouvrir sa propre boîte. 
Mia et Sebastian au "Lighthouse Cafe"

Ils conviennent d'aller au cinéma ensemble, voir La Fureur de vivre, et Mia plaque son fiancé pour rejoindre Sebastian. La projection est abrégée suite à un pépin technique mais ils finissent la soirée à l'Observatoire Griffith (un des décors emblématiques du long métrage) où ils s'embrassent pour la première fois.
Keith
(John Legend)

Encouragée par Sebastian, Mia entreprend d'écrire un one-woman show tandis qu'il décroche une place de pianiste au "Lighthouse Cafe". C'est là qu'il croise une vieille connaissance en la personne de Keith, chanteur et musicien à succès, avec qui il accepte, pour l'argent, de partir en tournée. Les absences prolongées de Sebastian minent Mia jusqu'à ce qu'une dispute éclate entre eux lors d'un dîner où il lui reproche de l'avoir aimé quand il galérait parce que cela la rassurait. Leur rupture est consommée quelques jours plus tard où, retenu pour une séance photo avec le groupe de Keith, Sebastian arrive après la fin de la première sur scène de Mia, qui s'est produite devant une salle quasiment vide.  
Et si ça s'était passé autrement...

La jeune femme, écoeurée, rentre chez elle, auprès de ses parents, à Boulder City, mais Sebastian part l'y rechercher après avoir reçu un appel d'une directrice de casting. Elle se laisse convaincre de saisir cette audition de la dernière chance où elle donne tout ce qu'elle a... 
Chacun de son côté...

Cinq ans passent : Mia est devenue une actrice célèbre, mariée et mère de famille ; Sebastian a ouvert son club. Un soir qu'elle sort avec son époux, David, Mia entre avec lui dans le restaurant tenu par Sebastian : en la remarquant dans la salle, alors qu'il s'installe au piano, il imagine quelle aurait été leur vie commune. Puis elle repart après avoir échangé un dernier regard et un ultime sourire avec son ancien amant.

Je ne vais pas faire durer le suspense : La La Land est bien, pour moi aussi, le chef d'oeuvre encensé par la majorité de la presse et un large public déjà conquis des deux côtés de l'Atlantique.

A présent, pourquoi est-ce si bon ?

Damien Chazelle l'a expliqué dans une interview récemment (publiée dans "Paris Match") : "on ne peut pas faire un film sur Los Angeles sans avoir en tête que c'est la cité des rêves, mais où beaucoup ne se réalisent pas. L'air y est empli de tous ces livres jamais écrits, de ces chansons qui n'ont pas vu le jour, de films jamais tournés." Et donc : "mes héros ne pouvaient pas tout gagner !"

Mais le jeune cinéaste (rappelons quand même que ce prodige n'a que 32 ans !) a par contre remarquablement réussi son film en forme de défi - face au refus des studios, face au "déclinisme" ambiant - et ce, quel que soit le nombre d'Oscar qu'il remportera le 26 Février (il est en lice dans 14 catégories).

Cette réflexion, aussi belle et amère que l'amour peut l'être, sur le succès est explorée dans plusieurs scènes de La La Land à travers des moments aussi humiliants pour Mia et Sebastian que ceux traversés par le héros de son précédent opus, le batteur de Whiplash : des castings cruels pour elle, des prestations minables dans des restos ou des réceptions pour lui. Ce sont donc d'abord leurs échecs qui provoquent la rencontre et la passion amoureuse entre ces deux jeunes rêveurs, qui vont ensuite s'encourager mutuellement - lui pour qu'elle s'écrive un rôle au lieu d'en attendre un à sa hauteur, elle pour qu'il croit en son projet d'ouvrir un club de jazz où il jouera cette musique qu'il adore.

Mais la solidarité qu'ils partagent pour leurs désirs professionnels va aussi révéler et précipiter ce qu'ils exigent de sacrifices sur le plan sentimental. Lorsque Sebastian accepte de jouer dans un groupe de soul-pop (mené par John Legend, évidemment parfait dans son propre personnage) pour l'argent (même s'il doit lui servir justement à financer son futur club), Mia déplorera qu'il brade ainsi son talent et son exigence. Sebastian lui rétorquera cruellement qu'elle l'aimait davantage quand il galérait comme elle, oubliant ensuite d'assister à la première du spectacle de la jeune femme, qui s'est produite devant une salle presque vide. Aussi blessée que vaincue, elle quittera L.A. pour rentrer chez elle, son vrai "chez moi", dans son patelin de Boulder City, auprès de ses parents, loin des désillusions de Hollywood et de son couple. 

En allant la rechercher, Sebastian cherche évidemment autant à se racheter qu'à l'empêcher de passer à côté d'une miraculeuse opportunité professionnelle avec une audition déterminante. Mais, déjà, le sort en est jeté : il restera absent, sur les routes pour une tournée ; elle partira en France pour plusieurs mois répéter et jouer dans un film.

Lorsqu'ils se recroiseront cinq ans plus tard, Mia comme Sebastian ont accompli leurs rêves professionnels, mais au prix de leur amour. Cela en valait-il la peine ? A son piano pour lui, dans la salle du club pour elle, ils imaginent leur vie commune si les choses avaient tourné différemment et cette existence parallèle, fantasmée, inspire au spectateur comme aux héros le même regret tout en permettant de ne pas les quitter, en sortant de la salle (de cette bulle renvoyant à l'expression "to live in La La Land"), sur une note trop triste.

Et on en revient au rêve car fantasmer suffit finalement à les (et à nous) rendre heureux : c'est ainsi qu'ils ont été les plus gais, amoureux, au temps où tout était possible, et c'est en se souvenant de ces moments passés qu'ils le resteront, malgré les regrets.

Chazelle réussit à émouvoir ainsi parce qu'il ancre son récit, ponctué de superbes numéros musicaux dansés et chantés sans jamais verser dans la performance mais en privilégiant le naturel, dans des décors réels (à l'exception, logique, de la séquence onirique finale). Tout en nous entraînant dans la fantaisie colorée et les artifices du pur musical, nous restons comme Mia et Sebastian dans un monde où lieux et sentiments existent, avec vérité.

Entre les références assumées par le cinéaste lui-même (Jacques Demy au premier rang) et celles citées par les critiques et les spectateurs les plus cinéphiles (Vincente Minnelli, Stanley Donen et Gene Kelly), La La Land évoque, je trouve, surtout, par la fluidité virtuose de ses mouvements de caméra et ses plans -séquences magnifiques (où on peut suivre les héros quitter une fête, dialoguer, chanter, danser et se quitter, sans coupure, comme dans cette scène fantastique sur Ferndell Trail, tournée durant "l'heure magique", dans un crépuscule au ciel rosé), à Max Ophüls. Avec ce maître, Chazelle partage une philosophie - "le bonheur n'est pas gai", dixit Maupassant dans Le Plaisir - et un sens du mouvement qui traduit les élans et les tourments de ses personnages. 

Cette alternance entre glamour (les couleurs éclatantes saisies par la photo de Linus Sandgren, le format Scope) et émotion (captée en se concentrant sur le couple), entre beauté et sensibilité, est formidablement exprimée par les deux comédiens principaux, dont la complémentarité et la complicité fait des étincelles (comme si Crazy, Stupid Love et Gangster Squad n'avaient été qu'un échauffement) : Emma Stone rayonne et prouve qu'elle possède une expressivité renversante en plus d'avoir un charme à la fois mutin et bouleversant, tandis que Ryan Gosling révèle derrière une apparente impassibilité et une classe incomparable des nuances incroyables. La sincérité de leur prestation permet sans peine de croire à leur amour digne des grands couples romantiques.

La La Land dépasse l'hommage rétro car Damien Chazelle remixe la romance et le musical en réécrivant les règles de ces deux genres, capable aussi bien d'enchaîner des morceaux de bravoure que de s'en priver pendant toute la dernière partie avant de dégainer une "Audition" magique puis une rêverie enchanteresse et poignante.

C'est avec ce plaisir rare et donc précieux d'avoir assisté à un spectacle aussi euphorisant que mélancolique, également ressentis, qu'on salue les artistes : cette réussite, c'est la signature des chefs d'oeuvre. 

mardi 21 février 2017

L'ODEUR DE LA MANDARINE, de Gilles Legrand (2015)


L'ODEUR DE LA MANDARINE est un film réalisé par Gilles Legrand.
Le scénario est écrit par Gilles Legrand et Guillaume Laurant. La photographie est signée Yves Angelo. La musique est composée par Armand Amar.


Dans les rôles principaux, on trouve : Georgia Scalliet (Angèle), Olivier Gourmet (Charles de Rocheline), Dimitri Storoge (Léonard), Hélène Vincent (Emilie), Marine Vallée (Louise), Fred Ulysse (Firmin), Romain Bouteille (le notaire), Michel Robin (le curé), Hubert Cancelier (le sergent Borel).
 Angèle
(Georgia Scalliet)

Eté 1918. Picardie. Fille-mère de la petite Louise, Angèle, originaire du Béarn, entre au service de Charles de Rocheline, châtelain et mutilé de guerre, comme infirmière à domicile. Rapidement, l'ancien officier ne cache pas ses sentiments pour cette jeune femme attirante et gouailleuse, même si elle lui explique n'avoir pas fait le deuil du père de sa fille qu'elle n'a pu épouser à cause du refus de sa famille.
Charles
(Olivier Gourmet)

Encouragée par la gouvernante Emilie, Angèle accepte pourtant finalement d'épouser Charles y posant quelques conditions strictes (elle ne veut pas d'autre enfant, ne lui ouvrira son lit qu'une fois par semaine, veut conserver son statut de salariée). 
Emilie et Angèle
(Hélène Vincent et Georgia Scalliet)

Il accepte toutes ses exigences en faisant établir un contrat de mariage par un notaire avant que leurs noces ne soient célébrées religieusement par un curé dans la chapelle de la propriété en petit comité.
Charles et Angèle

La situation va connaître une évolution sensible lorsque, une nuit, un "poilu" demande l'hospitalité pour lui et son cheval, Oslo, un superbe étalon noir qu'il a pour mission de ramener au Cadre Noir de Saumur. Charles accepte de l'héberger bien qu'il soit convaincu que Léonard est un déserteur, mais il veut surtout offrir le cheval à Angèle pour, espère-t-il, qu'elle l'aime vraiment. 
 Léonard et Angèle
(Dimitri Storoge et Georgia Scalliet)

Des soldats se présentent au manoir pour réquisitionner les chevaux. Oslo est caché et Charles refuse catégoriquement de céder sa jument, Mandarine. Il chasse les troufions en les menaçant avec un pistolet et en les prévenant que s'ils reviennent, il les dénoncera pour avoir commercer de la viande de cheval au marché noir.
Léonard et Charles

Léonard raconte à Angèle qu'il a connu un jockey béarnais au front, suggérant qu'il s'agit de l'ancien amant de la jeune femme, mais elle ne le croit pas. Charles accepte une saillie d'Oslo sur Mandarine puis qu'Angèle, mal à l'aise à cause de Léonard, dorme avec lui. Mais ce rapprochement se passe mal car il est frustré de ne pas être aimé par son épouse.
Angèle

Lors de son anniversaire, Angèle offre une prothèse, ouvragée par un ébéniste, à Charles mais il la refuse car il ne veut pas dissimuler son infirmité ni susciter la pitié. Il s'éclipse une journée entière et rentre avec une prostituée. Humiliée, Angèle se donne à Léonard qui la prend brutalement. 
Charles et Angèle

Charles congédie le soldat en gardant Oslo sinon il le dénoncera comme déserteur. Ce dernier parti durant la nuit suivante, Charles introuvable au matin, Angèle, apeurée, le retrouve dans la forêt voisine. Elle se donne enfin à lui par amour après avoir eu peur de le perdre et il savoure ce bonheur partagé après l'avoir longtemps attendu.

Traiter de l'animalité du désir et des pulsions sexuelles entre deux blessés de guerre - lui dans sa chair, elle dans son coeur - est au centre du quatrième film de Gilles Legrand (après Malabar Princess en 2003, La jeune fille et les loups en 2007, Tu seras mon fils en 2010). Et il parvient en s'attachant à ce couple dont le mariage de raison n'a rien de raisonnable, dans une nature sublimée aussi paisible que leur romance est tumultueuse.

Mandarine est le nom d'une jument que monte Angèle dans le domaine de Charles, tous deux admirent la vigueur de l'animal alors que le tonnerre des canons gronde encore tout près, précarisant tout projet d'avenir après avoir déjà ravagé leur passé. Il a laissé une jambe sur le champ de bataille, elle ne sait pas ce qu'est devenu le père de sa fille. Progressivement, ils s'apprivoisent, deviennent complices, puis amants et enfin époux. Ils ne sortent jamais de ce manoir retiré de tout, si ce n'est pour quelques chevauchées en forêt pour elle.

Mais Charles a envie d'une épouse plus que d'une infirmière tandis qu'Angèle veut d'abord assurer l'avenir pour sa fille : l'attirance sensuelle le dispute alors à une tension croissante entre les deux époux. L'intrigue interroge le désir d'une femme pour un homme qu'elle n'aime pas et le désir d'un homme qui souhaite d'abord être aimé de sa femme. Après une relation au début joueuse, la suite devient plus orageuse, gagnant en intensité et en émotion.

Le résultat doit énormément à ses interprètes : Olivier Gourmet impose naturellement sa puissance physique conjuguée à une vraie noblesse dans l'expression des sentiments qui l'agitent. Face à lui, Georgia Scalliet, venue de la Comédie-Française, a été, justement, saluée comme la révélation du film, alliant une séduction impertinente et une distinction épatante. Entre eux, Dimitri Storoge imprime sa présence menaçante et sournoise.

Si le scénario n'est pas toujours très subtil dans ses métaphores (les saillies des chevaux en écho à celles de Charles et Angèle), le classicisme assumé du projet a quelque chose de culotté qui l'emporte sur ces facilités, et les dialogues de Guillaume Laurant sont décapants.

C'est cette électricité ambiante, visuellement superbe (grâce à la photo d'Yves Angelo), qui donne à cette histoire de (re)conquête son meilleur atout : un vrai souffle romanesque.