mardi 31 janvier 2017

GALIA, de George Lautner (1966)


GALIA est un film réalisé par Georges Lautner.
Le scénario est écrit par Georges Lautner et Vahé Katcha, d'après son roman. La photographie est signée Maurice Fellous. La musique est composée par Michel Magne et Jean-Sébastien Bach.


Dans les rôles principaux, on trouve : Mireille Darc (Galia), Françoise Prévost (Nicole), Venantino Venantini (Greg), Jacques Riberolles (Matik), François Chaumette (Wespyr).
Galia
(Mireille Darc)

Galia, 25 ans, native d'Etretat, vit et travaille à Paris comme décoratrice étalagiste, ce qui lui assure un train de vie confortable. Célibataire, elle accumule les aventures sans lendemain avec les hommes, son seul ami fidèle est Matik, originaire de la même ville qu'elle, qui tente de percer comme comédien dans une troupe de théâtre. 
Galia

Un soir qu'elle se promène sur les quais de Seine, Galia sauve de la noyade Nicole qui voulait tenter de se suicider. Elle la ramène chez elle où elle l'interroge sur les raisons de son geste : c'est une femme mariée à un riche bijoutier infidèle et souvent absent, prénommé Greg. De dix ans plus âgée que Galia, Nicole est encore très belle et la joie de vivre de son hôtesse la réconforte même si elle se demande quelle est la réaction de son époux depuis sa disparition.
Nicole et Galia
(Françoise Prévost et Mireille Darc)

Galia prend Greg en filature et constate qu'il ne semble pas du tout affecté par l'absence de Nicole, restée chez la jeune femme. Ensuite, elle l'aborde et l'homme, charmé, lui propose de se revoir. Galia accepte puis rapporte à Nicole la situation qui l'autorise à aller plus loin pour éprouver les sentiments de son mari tout en mettant en garde son amie.
Greg
(Venantino Venantini)

Elle accepte de l'accompagner à une réception donnée par un client de Greg et fait la connaissance de Wespyr, qui lui fait une cour assidue mais qu'elle n'apprécie pas. Greg invite ensuite Galia à passer un week-end en amoureux à Venise et elle accepte malgré la désapprobation de Nicole.
Greg et Galia

Durant cette escapade, Galia couche avec Greg et en tombe amoureuse. Elle l'interroge sur son couple et il lui répond que sa femme est partie mais qu'elle reviendra "comme d'habitude". De retour à Paris, l'ambiance devient orageuse entre Nicole, s'estimant trahie par la jeune femme et (une nouvelle fois) par son époux, et Galia - même si elle persiste à fréquenter Greg. 
Galia et Greg

Toutefois ce dernier a repris ses aventures et elle le surprend chez lui en compagnie de Wespyr et d'autres filles. Cependant, Nicole rencontre Matik, passé voir Galia pour tenter de la raisonner. La situation bascule lorsque Greg entraîne Galia à la morgue où la police l'a convoqué pour identifier le corps d'une femme qui pourrait être celui de Nicole : il le confirme, alors que Galia sait qu'il ment. Désorientée et soucieuse, elle passe une nuit blanche, retourne sur les quais où Nicole la suit. Le lendemain, se promenant dans un jardin public avec Matik, Galia aperçoit Nicole et Greg ensemble et comprend qu'elle a été trompée depuis longtemps par le couple.
Wespyr
(François Chaumette)

A nouveau seul avec elle, Greg évoque le projet de partir s'installer à New York pour ses affaires avec Wespyr - un bon moyen en vérité pour écarter Galia. Lorsqu'elle rentre à son appartement, Nicole n'y est plus : elle téléphone chez Greg où elle lui répond après l'avoir froidement abattue et alors que la police vient l'arrêter. Traumatisée, Galia part se ressourcer à Etretat.
Retour à Etretat

Que vaut vraiment Georges Lautner ? Avec Galia, la réponse la plus évidente (c'était un faiseur au service de stars pour des comédies policières aujourd'hui multi-rediffusées à la télé) se trouble car ce film est une oeuvre résolument à part dans son oeuvre, assurément son opus le plus original et abouti mais, hélas ! aussi un de ses moins connus (même si, à sa sortie en 1966, il provoqua un scandale à cause des réactions indignées de l'église catholique - serait-ce si différent maintenant où des groupes intégristes comme "Promouvoir" n'hésite pas à réclamer, et à obtenir, devant la justice la déclassification de longs métrages susceptibles selon eux de "pervertir la jeunesse" ?).

Mais, en vérité, plus que cette réputation de film sulfureux et pro-féministe, Lautner a réussi à produire un drame psychologique tirant vers le thriller vers la fin narrativement et esthétiquement remarquable, qui n'a pas pris une ride plus de cinquante ans après. Ce portrait d'une jeune femme aussi intelligente que séduisante mais qui va se brûler les ailes au contact d'un couple décadent a conservé intact son pouvoir de fascination. 

Au coeur de cette oeuvre, il y a d'abord (surtout) Mireille Darc : à cette époque, elle a déjà une dizaine de rôles à son actif mais elle n'a pas encore décroché celui qui la fera passer d'actrice remarquée à authentique vedette. Elle n'a pas fait partie du casting des Tontons Flingueurs (même si on le croit souvent) mais Lautner l'a engagé dans Les Barbouzes et Des Pissenlits par la racine, ainsi que dans un segment du film à sketches Les Bons Vivants. Jacques Audiard l'apprécie, ce qui l'aidera bien par la suite.

Lorsqu'il décide d'adapter avec son auteur le roman de Vahé Katcha, le cinéaste pense immédiatement et logiquement à elle pour incarner Galia mais il devra batailler avec les producteurs pour imposer cette quasi-inconnue de 27 ans. Elle est remarquablement entourée par l'italien Venantino Venantini, excellent dans la peau de ce séducteur insatiable et menteur, et Françoise Prévost, exceptionnelle en épouse désespérée mais manipulatrice qui glisse dans la folie en entraînant Galia avec elle dans la tragédie. On notera aussi la présence de François Chaumette, inquiétant à souhait en affairiste libidineux et débauché.

Lautner, même s'il n'a jamais imposer une personnalité franchement singulière à ses efforts, sait s'entourer d'une équipe technique expérimentée, ce qui lui permet de donner un cachet indéniable au film : la photo de Maurice Fellous est superbe, traversée de fulgurances stylistiques détonantes (la scène du cauchemar de Galia, avec de forts contrastes, évoque les longs métrages d'épouvante) et la musique de Michel Magne agrémentée de pièces de Jean-Sébastien Bach chantées par un choeur féminin ajoute à l'ambiance mélancolique de l'histoire.

Avec sa voix-off détachée, Mireille Darc illumine littéralement cette intrigue : elle y fait preuve d'une fraîcheur et d'une liberté dans le jeu encore très moderne. C'est une jeune femme libre, libérée, qui offre son corps à la caméra, même si en définitive la représentation de la nudité reste très pudique. Plus que cela, c'est sans doute le comportement de Galia qui a dû défriser tant de bigots à l'époque puisqu'elle avoue coucher avec des hommes différents fréquemment et que l'attirance homosexuelle entre elle et Nicole est évident (mais traitée là encore avec beaucoup de subtilité, sans complaisance).

Tour à tour pétillante, joyeuse, sensuelle, puis grave, inquiète, perdue, l'actrice fait preuve d'une expressivité sensationnelle. Elle ne retrouvera jamais de rôle aussi complet et riche par la suite, les cinéastes échouant à la diriger autrement que comme une femme ravissante tantôt mystérieuse, tantôt légère, et son image publique étant parasitée par sa romance très médiatique avec Alain Delon puis ses graves problèmes de santé (auxquels elle a miraculeusement survécus).

Film étrange, trouble et troublant, mais sublimé par sa comédienne, aussi solaire qu'émouvante, Galia est une merveilleuse rareté. 

lundi 30 janvier 2017

ADORABLE MENTEUSE, de Michel Deville (1962)


ADORABLE MENTEUSE est un film réalisé par Michel Deville.
Le scénario est écrit par Michel Deville et Nina Companeez (également dialoguiste et monteuse). La photographie est signée Claude Lecomte. La musique est composée par Jean Dalvé (alias Jean-Jacques Grünenwald).
Dans les rôles principaux,on trouve : Marina Vlady (Juliette), Macha Méril (Sophie), Michel Vitold (Antoine), Jean-Marc Vitold (Antoine), Claude Nicot (Sébastien), Jean-François Calvé (Simon), Ginette Letondal.
 Juliette et Sophie
(Marina Vlady et Macha Méril)

Soit deux soeurs : l'aînée s'appelle Juliette et est aussi belle et blonde que menteuse, la cadette se prénomme Sophie et mignonne et brune mais d'une franchise totale. Elles s'entendent pourtant parfaitement et partagent le même appartement à Paris après avoir quitté leur ville natale de Tours.
Juliette

Rédactrice dans un magazine, Juliette accepte d'aider Sébastien, responsable de la rubrique du "courrier du coeur", d'avoir moins de succès avec les femmes comme il s'en plaint - alors qu'il n'est pas très beau, zozote, et précieux.
Sébastien 
(Claude Nicot)

Comme Juliette n'aime rien tant qu'inventer des histoires, volontiers embarrassantes pour ses proches, c'est un défi facile à relever pour la jeune femme. 
Sophie

Vendeuse dans une boutique de vêtements, Sophie est beaucoup plus sage et fréquente Martin, un jeune homme charmant et sympathique, qui souhaite l'épouser pour lui prouver à quel point il tient à elle.
Martin
(Jean-Marc Bory)

Martin est de bonne composition également car Sophie hésite à s'engager, s'estimant trop jeune pour cela, et subissant les tours que lui joue sa soeur aînée, qui l'encourage à profiter de la vie. 
Simon
(Jean-François Calvé)

Les deux soeurs, accompagnés de deux amis farfelus et de Sébastien, entraînent Simon, le patron de Sophie, à un pique-nique un après-midi au milieu de la semaine. Il les suit car il est tombé sous le charme de Juliette qui s'en est aperçue et s'en amuse en flirtant avec lui. Sophie demande à Juliette ce qu'elle compte inventer ensuite tout en la mettant en garde contre ses mensonges qui pourraient bien un jour lui causer de sérieux ennuis. La jeune femme décide de jeter son dévolu sur un de leurs voisins.
Antoine
(Michel Vitold)

Elle se met à le suivre, visite son appartement en son absence, reprend sa filature jusque dans le quartier chaud de Pigalle la nuit suivante. Là, elle est sauvée d'une agression par une bande de voyous par le dît voisin qui s'appelle Antoine. Il a remarqué son manège depuis le début et révèle qu'il est avocat, s'occupant de jeunes délinquants. Elle lui raconte l'avoir suivi par amour, ce qu'il ne croit pas mais qui l'amuse.  
Vicky
(Ginette Letondal)

Refusant qu'un homme, même plus âgé et sans charme particulier, lui résiste ainsi, Juliette le harcèle jusqu'à l'importuner alors qu'il dîne avec son amie Vicky. Elle obtient qu'il pique-nique avec elle et semble enfin réussir à le séduire quand il l'embrasse, mais il lui annonce ensuite qu'il va bientôt se marier.
Sincèrement éprise maintenant, Juliette décide de ne plus mentir tandis qu'Antoine ne peut la chasser de son esprit - au point que Vicky préfère le quitter. Juliette rejoint une nuit Antoine et il se réveille le lendemain ravie de l'avoir à ses côtés. Mais c'est à présent Sophie qui ment à Martin pour le récupérer après l'avoir repoussé, à regret, une fois de trop...

Michel Deville a trente ans quand il réalise Adorable Menteuse, son deuxième film, après avoir été assistant d'Henri Decoin depuis dix ans. Pour garder son indépendance, il fonde sa propre société de production, Eléfilm, et co-écrit avec Nina Companeez, qui est aussi monteuse. Ensemble, pendant une dizaine d'années, ils vont enchaîner les longs métrages, jusqu'à L'Ours et la poupée (1970), avant qu'elle ne passe à son tour derrière la caméra.

Le film assume à la fois l'influence de "la Nouvelle Vague" (prises de vue en extérieur, équipe technique légère, budget modeste, jeunes acteurs) mais aussi des comédies américaines de l'âge d'or (Deville cite George Cukor comme une de ses références). De fait, le résultat possède à la fois une légèreté dans le fond (il s'agit d'une "romcom" fantasque) et une sophistication dans la forme (la photo de Claude Lecomte est superbe, la caméra d'une fabuleuse mobilité, le rythme très soutenu avec des effets de montage très élaborés )assez détonantes.

La critique a reproché à cette Adorable Menteuse sa construction bancale, or je trouve que c'est justement ce qui participe à sa singularité. L'histoire est nettement découpée en deux actes : on assiste d'abord à une comédie frivole et tourbillonnante conforme au titre où Juliette, menteuse invétérée mais à la beauté renversante, fait tourner en bourrique sa soeur cadette, aussi jolie que franche, et tous les hommes dans leur sillage. L'une ne songe qu'à papillonner sans se soucier des conséquences mais l'autre commet également des gaffes en ne disant que la vérité - mais Juliette se défend en expliquant que "mentir, c'est comme un roman, mais au lieu de l'écrire, on le vit".

Puis le récit bascule lorsque Juliette décide de s'"occuper" d'Antoine, un voisin au comportement intrigant, plus âgé qu'elle et loin des canons de séduction de ses soupirants habituels. Elle veut le conquérir par défi mais il la perce rapidement à jour et surtout lui résiste : le rapport de force qu'elle a elle-même créé est renversé. Démasquée, elle est prise à son propre jeu. Opposez un indifférent à une menteuse aguicheuse et c'est la "tendre guerre" (dixit Jacques Brel), le trouble finit par gagner, inéluctablement, les deux parties. Par amour, Juliette renonce à (se) raconter des histoires... Mais c'est alors Sophie, qui comme contaminée par un virus dont s'est débarrassée son aînée, se met à mentir !

Si ces retournements de situations peuvent désarçonner, la fluidité avec laquelle Deville les met en scène est épatante : quoique surprenantes, les deux parties du film sont également excellentes, ostensiblement sur-écrites mais rusant avec l'apparente mièvrerie des héroïnes, inconséquentes, capricieuses avant d'être rattrapées par la réalité et les sentiments.

Outre ses qualités narratives et esthétiques, l'autre atout majeur du film tient à ses deux actrices principales : Macha Méril est un délicieuse souris, d'un charme irrésistible, débitant ses dialogues comme une mitraillette, avec cet air constamment étonné. Mais c'est Marina Vlady qui s'impose comme la reine des abeilles : elle exhale un érotisme à la fois lumineux et sensuel incroyable et son visage vous subjugue littéralement par sa beauté - le cinéaste la filme avec une évidente fascination (la signature de Deville, qui sait mettre en valeur la féminité de ses actrices comme peu de ses pairs) - tout en passant de l'espièglerie insolente à la mélancolie sentimentale avec un sens exceptionnel de la nuance - elle pousse même la chansonnette dans une séquence absolument magique, magnifiquement réalisée et montée (presque comme un clip).

Rien que pour elle(s), mais pas seulement quand même, laissez-vous prendre dans les filets de cette Adorable Menteuse.

dimanche 29 janvier 2017

MAIS QUI A TUE HARRY ?, d'Alfred Hitchcock (1955)


MAIS QUI A TUE HARRY ? (The Trouble with Harry) est un film réalisé par Alfred Hitchcock.
Le scénario est écrit par John Michael Hayes, d'après le roman de John Trevor Story. La photographie est signé Robert Burks. La musique est composée par Bernard Hermann.


Dans les rôles principaux, on trouve : Shirley MacLaine (Jennifer Rogers), Jerry Mathers (Arnie Rogers), John Forsythe (Sam Marlowe), Mildred Natwick (Ms. Ivy Gravely), Edmund Gwenn (le capitaine Albert Wiles), Dwight Marfield (Dr. Greenbow), Royal Dano (Calvin Wiggs).
 Arnie Rogers et Harry
(Jerry Mathers)

Par un beau matin d'automne, dans les collines du Vermont, , un petit garçon, Arnie Rogers, entend trois détonations et découvre peu après le cadavre d'un homme. Il part avertir sa mère, Jennifer.
Ms. Ivy Gravely et le capitaine Albert Wiles
(Mildred Natwick et Edmund Gwenn)

Peu après, le capitaine Albert Wiles, qui chasse le lapin et qui vient justement de tirer trois coups de feu, découvre le corps à son tour et croit être l'assassin. Ms. Ivy Gravely, une vieille fille du village voisin, arrive sur les lieux et aide le capitaine à cacher le cadavre puis l'invite à prendre le thé chez elle. Jennifer se présente à son tour, entraînée par son fils, et identifie, sans déplaisir, le mort comme étant son second mari, Harry Worp, qu'elle avait frappé avec une bouteille de lait alors qu'il l'avait molestée. 
Sam Marlowe et Jennifer Rogers
(John Forsythe et Shirley MacLaine)

Le Dr. Greenbow, distrait, trébuche sur le corps sans y prêter attention. Puis un vagabond lui vole ses chaussures. C'est Sam Marlowe qui va ensuite dessiner le cadavre. Wiles le surprend et lui affirme être le meurtrier. Les deux hommes enterrent Harry puis le déterrent pour l'examiner : il s'avère qu'il n'est pas mort par balles - ce qui innocente le capitaine. 
Jennifer, Sam, le capitaine Wiles et Ms. Gravely

A l'heure du thé, Ms. Gravely confesse à Wiles que c'est elle qui a tué Harry en le frappant à la tête parce qu'il s'était montré trop entreprenant avec elle. Cependant elle n'en éprouve aucune honte mais préfère déterrer le corps (remis en terre par Sam et le capitaine). Mais Marlowe craint que cela ne nuise à Jennifer (dont il est amoureux). 
Sam, Jennifer, Ms. Gravely et le capitaine Wiles

Harry est donc une nouvelle fois déterré ! Sam apprend, de retour au village, qu'un millionnaire est prêt à acheter toutes ses toiles au prix fort. Il peut donc demander sa main à Jennifer et gâter ses amis. Mais avant d'épouser la jeune femme, il faut que Harry soit découvert pour qu'elle ne soit pas accusée de bigamie. 
Sam et Calvin Wiggs
(John Forsythe et Royal Dano)

L'arrestation du vagabond conduit la police, représenté par Calvin Wiggs, à rechercher le corps. Le Dr. Greenbow l'examine et conclut à une mort naturelle d'une attaque cardiaque. Il suffit alors qu'Arnie redécouvre Harry afin que Wiggs puisse clore le dossier.

Doté d'un mauvais esprit réjouissant, le film présente d'abord une galerie de personnages qui, tout comme Alfred Hitchcock, n'éprouve aucune commisération pour le fameux Harry (dont il importe moins de savoir qui l'a tué, comme le demande le titre français, que de considérer le problème - "the trouble" - qu'il pose pour ceux qui le découvrent). En effet, le malheureux est enterré et déterré comme s'il n'était plus qu'un accessoire encombrant et pas un seul des protagonistes n'a l'idée de se confier à la police car chacun se croit (in)directement coupable de sa mort.

Ainsi cette minuscule communauté est complice d'actes macabres mais irrésistibles. En adaptant le roman de John Trevor Story, Hitchcock voulait prouver aux spectateurs américains qu'ils pouvaient apprécier l'humour britannique : il déplaça l'action dans le Vermont mais cela ne suffit pas à attirer le public dans les salles.

Le cinéaste collaborait pour la quatrième fois avec son scénariste John Michael Hayes mais surtout inaugurait un fructueux partenariat avec le compositeur Bernard Hermann, avec lequel il entretint une relation passionnante sur plusieurs de ses chefs d'oeuvre (Vertigo et Psychose pour ne citer que les deux plus spectaculaires).

Au début, Hitchcock souhaitait tourner sur les lieux même de l'action, intégralement en extérieurs, mais une tempête l'obligea à se retrancher en studio à Hollywood : ce fut un mal pour un bien car le chef opérateur Robert Burks put y composer de magnifiques plans dans une ambiance automnale dont la mélancolie artificiellement soulignée contraste avec la loufoquerie du propos.

L'histoire joue, elle, sur les ambiguïtés du langage (les dialogues pleins de sous-entendus entre le capitaine Wiles et Ms. Gravely), des situations (la relation amoureuse qui se noue entre Marlowe et Jennifer, le premier étant soucieux que celle qu'il convoite ne soit d'abord pas suspectée de bigamie), des comportements (le jeune Arnie découvrant deux fois le corps de Harry, sans paraître traumatisé, et plongeant surtout la police locale dans la plus grande confusion). C'est affreux, mais c'est aussi surtout très drôle.

Alors que souvent ses acteurs se sont plaints du peu d'indications qu'il leur donnait pour jouer, Hitchcock choisissant d'abord ses interprètes pour leur capacité à s'assumer, Shirley MacLaine, dont c'était le tout premier rôle et qui est absolument (déjà) divine, expliqua que le réalisateur la dirigea effectivement de manière allusive en lui disant : "Be real and act !" (soit : "Sois vraie et joue !"), ce qu'elle comprit d'abord comme : "Be relax !" (soit : "Sois détendue !"). De fait toute la troupe ici s'amuse visiblement beaucoup malgré la noirceur du sujet et l'immoralité de leurs personnages.

Tourné entre Fenêtre sur cour et La Main au collet, The Trouble with Harry apparaît comme une parenthèse dans la filmographie de "Hitch", une pause mal perçue par la critique et le public et qui l'incitera donc à retourner vers des histoires plus conventionnelles (mais transcendées par son génie esthétique). Pourtant, comme l'affirmait Bernard Hermann, "c'est à plusieurs titres l'oeuvre la plus personnelle et la plus drôle d'Hitchcock. C'est gai, tendre, macabre, et on y trouve en abondance son humour sardonique." 

vendredi 27 janvier 2017

LES CAPRICES DE MARIE, de Philippe de Broca (1970)


LES CAPRICES DE MARIE est un film réalisé par Philippe de Broca.
Le scénario est écrit par Philippe de Broca et Daniel Boulanger (également auteur des dialogues). La photographie est signée Jean Penzer. La musique est composée par Georges Delerue.
Dans les rôles principaux, on trouve : Marthe Keller (Marie Panneton), Philippe Noiret (Gabriel), Bert Convy (Broderick McPower), Jean-Pierre Marielle (Léopold Panneton), Didi Perego (Aurore Panneton), Fernand Gravey (le capitaine Ragot), François Périer (Jean-Jules de Lépine), Valentina Cortese (Madeleine de Lépine - avec la voix de Nadine Alarie), Dorothy Marchini (Dorothy Golden).
Aurore Panneton, le capitaine Ragot et Léopold Panneton
(Didi Perego, Fernand Gravey et Jean-Pierre Marielle)

Angevine est un petit village paisible de Normandie dont le maire et bistrotier, Léopold Panneton, protège l'insouciance dans laquelle vivent ses administrés en censurant les mauvaises nouvelles publiées dans les journaux et en autorisant le facteur à lire et détruire les courriers fâcheux.
Léopold Panneton et sa fille Marie
(Jean-Pierre Marielle et Marthe Keller)

Sa fille, la belle Marie, fait tourner la tête à tous les hommes du bourg mais elle n'aime vraiment que Gabriel, le timide instituteur, un vieux garçon bourru qui joue du violoncelle dans l'orchestre municipal que dirige Jean-Jules de Lépine, dont l'épouse Madeleine conseille la jeune femme. Celle-ci désire découvrir le monde et s'inscrit pour cela à un concours de beauté, "Miss Flots Bleus", organisé dans une localité voisine des Côtes de la Manche. 
Marie et Gabriel
(Marthe Keller et Philippe Noiret)

Au même moment, un milliardaire américain, Broderick McPower, en croisière sur son yacht, apprend que sa quatrième épouse demande le divorce. Humilié dans la presse, il décide de se remarier rapidement et jette son dévolu sur la gagnante du concours de beauté que lui montre sa secrétaire, Dorothy Golden : Marie !
Madeleine de Lépine et Marie
(Valentina Cortese et Marthe Keller)

McPower débarque en grandes pompes à Angevine et séduit la population en offrant de somptueux cadeaux à tout le monde. Marie, d'abord amusée, hésite quand même à quitter son petit village pour vivre à New York, craignant surtout que Gabriel ne l'oublie. 
Jean-Jules de Lépine et Gabriel
(François Périer et Philippe Noiret)

Qu'à cela ne tienne ! L'excentrique américain fait transporter tout Angevine en Amérique pour rassurer sa fiancée. Le bourg devient une attraction touristique très courue, "la réserve française", mais les habitants déplorent la situation, regrettant leur tranquillité. Quant à Marie, elle pense toujours à Gabriel, seul à être resté en France, avec nostalgie.
Dorothy Golden, Gabriel et Marie
(Dorothy Marchini, Philippe Noiret et Marthe Keller)

Le capitaine Ragot, de Lépine et Panneton conspirent alors pour que Gabriel les rejoigne afin de raisonner Marie : ils lui demandent opportunément d'apporter une pièce de rechange pour le moulin à café de Léopold, tandis que Marie repousse sans cesse Broderick, de toute façon accaparé par ses affaires, car elle lui réclame des noces spectaculaires.
Gabriel, Marie et Broderick McPower
(Philippe Noiret, Marthe Keller et Bert Convy)

Gabriel surgit le matin même du mariage et Broderick rend sa liberté à Marie, conscient de l'absurdité de leur union. Il renvoie tout le village et ses résidents en Normandie où l'instituteur pourra épouser sa belle à qui il a enfin osé faire sa déclaration.

En dix ans, depuis son premier opus (Les Jeux de l'amour, 1960), Philippe de Broca aura réalisé dix films (et participé à deux longs métrages à sketches : un segment dans Les Sept péchés capitaux en 1962, un autre dans Les Veinards en 1963). Une décennie prodigieuse qui en fait un cinéaste populaire et original, riche d'énormes succès et d'un échec cuisant.

Durant ces dix années, il aura développé un univers riche et fantaisiste grâce au scénariste et dialoguiste Daniel Boulanger. Pourtant, en 1970, les deux partenaires se séparent après l'écriture des Caprices de Marie. Pourquoi ? Mystère. Peut-être de Broca a-t-il voulu se diversifier et a-t-il pensé que cela passait par un changement de collaborateur ? Toutefois est-il que même si dans les années 70 il signera encore de belles réussites artistiques et commerciales, son cinéma perdra quand même beaucoup de la grâce qu'il savait produire avec Boulanger. Par la suite, dans les années 80-90 jusqu'à la fin de sa carrière et de sa vie en 2004, le déclin sera encore plus prononcé.

Philippe de Broca portera un regard sévère sur Les Caprices de Marie dont le premier tour de manivelle a lieu le 20 Juillet 1969, soit le jour même où on marcha sur la Lune. Pour le cinéaste, réaliser un film devient alors une entreprise dérisoire. Pire encore : il estime s'être engagé dans une histoire trop déconnectée de la réalité (un comble pour un auteur qui a construit son oeuvre en réaction au naturalisme) alors qu'il ambitionnait d'explorer la comédie comme celles produites en Italie, dans une veine plus sociale.

Il faut pourtant corriger le jugement si dur de l'artiste en réévaluant son effort car c'est un film enchanteur encore une fois. Après le succès du Diable par la queue, de Broca dirige à nouveau la femme qu'il aime, Marthe Keller (effectivement aussi désirable que virevoltante), dans un cadre provincial. Mais pour la première fois, c'est une héroïne qui incarne son double fantasmé, une fille fantasque, capricieuse mais irrésistible, dont les rêves vont provoquer une succession de péripéties farfelues.

Angevine fournit au cinéaste et son scénariste un décor qu'ils se plaisent à représenter de manière idyllique, avec ses habitants pittoresques, dont l'existence est rythmée par les apparitions de la fille du maire dont tous les hommes sont amoureux sans que les femmes ne la jalousent. La truculence des comédiens (Jean-Pierre Marielle en tête, tonitruant de drôlerie en élu anti-capitaliste et anti-morosité forcené) rend ces personnages attachants, plus naïfs que libidineux. Seul l'instituteur Gabriel (campé par Philippe Noiret, formidable de tendresse) semble résister au charme solaire de Marie, même si en vérité il n'arrive pas à lui exprimer ses sentiments et son désir (pour lui laisser sa liberté), alors qu'il est le seul à compter pour elle.

La photo chaleureuse de Jean Penzer rend justice à la fois à la beauté de l'actrice, piquante et sensuelle, et au cadre de l'action. De Broca, malgré ses doutes, est très inspiré, avec des fulgurances poétiques (superbe scène où l'orchestre jouant dans le kiosque un soir dans lequel Marie finit par ne plus voir que Gabriel). En cela, le film s'inscrit dans la veine d'oeuvres comme La Vie de château (Jean-Paul Rappeneau, 1965) et Alexandre le bienheureux (Yves Robert, 1967), tous deux avec Noiret d'ailleurs. Mais le réalisateur raconte cette romance contrariée avec une douceur, presque désinvolte, que vient balayer le tourbillon incarné par le milliardaire McPower (tout un programme dans ce nom !) : comme toujours, c'est à l'homme, puissant ou rêveur, de faire le chemin vers celle qu'il aime - quand il ne préfère pas rester seul.

Le film brocarde gentiment le choc des cultures, opposant la quiétude du village à l'agitation des métropoles, le débonnaire Gabriel à l'intenable Broderick, sous le regard à la fois amusé et mélancolique de Marie, qui assiste et provoque les rebondissements. Bien entendu, ce sont le doux rêveurs qui ont les faveurs du cinéaste et du spectateur, mais l'américain pressé s'éclipse finalement avec dignité quand il comprend l'absurdité de ses efforts et surtout qu'on n'est pas aimé d'une femme en essayant de l'acheter.

Opus méconnu et mésestimé, Les Caprices de Marie clôt en beauté une décennie jubilatoire pour Philippe de Broca, auteur dont le style, l'élégance et la vivacité méritent d'être salués. 

jeudi 26 janvier 2017

LE DIABLE PAR LA QUEUE, de Philippe de Broca (1969)


LE DIABLE PAR LA QUEUE est un film réalisé par Philippe de Broca.
Le scénario est écrit et dialogué par Daniel Boulanger, découpé par Claude Sautet. La photographie est signée Jean Penzer. La musique est composée par Georges Delerue.


Dans les rôles principaux, on trouve : Yves Montand (le baron César Anselme de Maricorne), Madeleine Renaud (la marquise), Marthe Keller (la baronne Amélie de Coustine), Jean Rochefort (le comte Georges de Coustine), Maria Schell (la comtesse Diane de Coustine), Clotilde Joano (la comtesse Jeanne de Coustine), Jean-Pierre Marielle (Jean-Jacques Leroy-Martin), Tanya Lopert (Cookie), Claude Piéplu (Patin), Xavier Gélin (Charlie).
 La comtesse Jeanne, la marquise, la comtesse Diane et la baronne Amélie
(Clotilde Joano, Madeleine Renaud, Maria Schell et Marthe Keller)

Propriétaire d'un château vétuste du XVIIIème siècle, la famille d'aristocrates de Coustine n'est pas à l'abri de l'indigence malgré ses lettres de noblesse et a dû transformer sa demeure en hôtel. Mais situé trop loin des axes routiers, la clientèle est rare. Amélie, la petite-fille de la marquise, convainc Charlie, le garagiste qui est amoureux d'elle, de saboter les véhicules des touristes de passage pour ensuite les emmener passer la nuit au château.
Le baron César Anselme de Maricorne
(Yves Montand)

Par un samedi soir pluvieux, l'établissement fait ainsi le plein mais attire, dans le lot, un prétendu baron, César Anselme de Maricorne, flanqué de ses deux hommes de main patibulaires. Le personnage est aussi élégant que beau parleur mais sent le soufre. 
La comtesse Diane et le comte Georges de Coustine
(Maria Schell et Jean Rochefort)

En vérité, César vient, avec ses complices, de commettre un audacieux hold-up à Mâcon et toutes les polices sont à ses trousses. Séducteur, il ensorcelle toutes les femmes du château par son bagout mais la marquise, méfiante, exige de Charlie qu'il répare sa voiture en urgence de peur que sa fille Diane ne succombe au charme du baron.
La marquise et le baron César

Le lendemain matin, la météo est plus clémente et le trio de malfrats peut donc repartir, mais découvre que les autorités ont dressé des barrages dans tout le secteur. Accidentellement (et définitivement) séparés de ses sbires, César n'a d'autre issue que de revenir au château pour téléphoner à un ami de venir le récupérer en avion la nuit venue. Amélie découvre, pendant qu'il passe son coup de fil, que l'attaché-caisse dont de Maricorne ne se sépare jamais contient effectivement l'argent dérobé à la banque de Mâcon.  
La baronne Amélie

Avertie, la famille, sous le commandement de la marquise, s'emploie alors à mettre la main sur ce butin et à se débarrasser du baron. Mais malgré l'énergie déployée par Georges et sa femme Diane, César échappe avec une chance insolente à tous les pièges qu'on lui tend.
Patin et la marquise
(Claude Piéplu et Madeleine Renaud)

A Jeanne, la seule des filles de la marquise encore célibataire, qui a fait échouer son évacuation par les airs, César finit par avouer sa lassitude de toujours devoir fuir mais aussi l'amour qu'il éprouve pour elle, si pure. Il se résigne donc à rester au château et à confier son magot à la marquise. 
La comtesse Jeanne

Trois mois plus tard, la demeure rénovée est devenue une auberge étoilée et florissante dont César est devenu le cuistot, suscitant toujours l'admiration par son dynamisme de la gente féminine.

Après le douloureux échec du Roi de Coeur (1966), Philippe de Broca a songé à abandonner sa carrière de cinéaste et il faudra tout le soutien de sa famille et de ses amis (dont François Truffaut) pour qu'il ne s'exécute pas.

Après une interruption de trois ans, il rebondit en signant un chef d'oeuvre vraiment endiablé, témoignant de son inspiration intacte - mieux même : de son regain de forme. Tournée en pleine floraison post-Mai 68, cette comédie farfelue est écrite par son fidèle partenaire, Daniel Boulanger, et bénéficie d'un découpage de Claude Sautet (qui officiait comme script-doctor en parallèle de son activité de réalisateur, comme Jean-Paul Rappeneau).

L'intrigue se déploie dans un décor qui peut être lu comme un prolongement de celui du Farceur (1960) avec sa maison sur plusieurs niveaux bourdonnant comme une vraie ruche : dans ce château décrépit règne une ambiance joyeusement amorale mais aussi marinent d'innombrables frustrations sexuelles exacerbées par le fait que des personnages très divers mais libertins ("Je suis un libéral et un libertin. Le libéral tolère l'église. Le Libertin fait son lit." déclarera le personnage du playboy Jean-Jacques Leroy-Martin, incarné par l'hilarant Jean-Pierre Marielle) s'y trouvent coincés.

Toute l'histoire et ses péripéties sont prétexte à des allusions, des double-sens grivois mais qui ne sombrent jamais dans la vulgarité, grâce aux dialogues spirituels de Boulanger et la légèreté formelle de de Broca. Le film baigne dans une volupté décomplexée et gaie à laquelle il est impossible de résister, depuis la (très) mini-jupe de Marthe Keller (tout à fait superbe en fausse ingénue et filmée avec un amour évident par le réalisateur qui est tombé sous son charme durant le tournage) jusqu'aux étreintes troubles et répétées qu'offre Maria Schell (exquise en épouse insouciante) aux clients et au baron César en particulier.

Dans ce festival d'érotisme plus coquin que salace, les hommes apparaissent comme des jouets pour les femmes : le cadre bucolique, les couleurs chatoyantes de la nature environnante, la lumière estivale, la musique enchanteresse de Georges Delerue, sont autant d'invitations à savourer l'instant présent. De Broca emballe son affaire en 90 minutes exaltées mais nuancées par une discrète mélancolie, exprimée par la fatigue de César, les soupirs de Patin, la résignation de Georges, l'assurance ébranlée du playboy. Les filles sont futées, peu farouches, la grand-mère fomente des homicides, beaucoup de mouvements comme pour avoir à l'usure tous les mâles de la demeure.  
(debout :)Charlie, Jean-Jacques Leroy-Martin, Diane, la Marquise, Georges, Jeanne,
(assis :)Amélie, César, Cookie
(debout : Xavier Gélin, Jean-Pierre Marielle, Maria Schell, Madeleine Renaud, Jean Rochefort, Clotilde Joano ; assis : Marthe Keller, Yves Montand, Tanya Lopert)

Le bal est mené par Yves Montand, sorte de double mûr des personnages tourbillonnants et "intranquilles" jadis campés par Jean-Pierre Cassel, mais tout aussi déchaîné, sec avec ses sbires mais fanfaron avec les dames, cabotinant volontiers en reprenant son accent méridional. Il est merveilleusement entouré par Madeleine Renaud, exceptionnelle en mémé conspiratrice, et Jean Rochefort, flegmatiquement désopilant.

Jusqu'au dénouement, où Clotilde Joano piège de façon désarmant César, Le Diable par la queue nous embobine. Mais on abdique avec plaisir devant une si belle démonstration. 

mercredi 25 janvier 2017

VICTORIA, de Justine Triet (2016)


VICTORIA est un film réalisé par Justine Triet.
Le scénario est écrit par Justine Triet avec la collaboration de Thomas Lévy-Lasne. La photographie est signée Samuel Beaufils.


Dans les rôles principaux, on trouve : Virginie Efira (Victoria Spick), Vincent Lacoste (Samuel Mallet), Melvil Poupaud (Vincent Kossarski), Laurent Poitreneaux (David), Laure Calamy (Christelle), Alice Daquet (Eve), Julie Mouliet (la juge), Elsa Wolliaston (la voyante).
 Victoria Spick
(Virgine Efira)

Victoria Spick est avocate et mère célibataire de deux petites filles mais sa vie part à vau-l'eau  : son baby-sitter l'abandonne subitement, son ex-mari David rédige sur un blog une auto-fiction où il l'accable, les dossiers qu'elle plaide ne lui rapportent pas assez d'argent.
Samuel Mallet, Vincent Kossarski et Victoria
(Vincent Lacoste, Melvil Poupaud et Virginie Efira)

C'est dans ces conditions qu'elle est invitée au mariage d'un couple d'amis où elle retrouve Vincent Kossarski mais aussi Samuel Mallet, un petit dealer qu'elle a fait acquitter. Mais durant la fête, Eve, la femme de Vincent, est blessée par arme blanche !
Vincent et Victoria

Vincent, accusé de cette agression par son épouse, supplie Victoria de le défendre pour son procès. Elle accepte à contrecoeur, sachant que cette affaire va la desservir. En même temps, elle engage Samuel comme assistant et baby-sitter et l'héberge chez elle. Mais l'affaire va tourner au fiasco : dénoncée pour avoir parlé avec la plaignante, elle est jugée par le Conseil de l'Ordre et suspendue pour six mois. 
Victoria et Samuel

Cette nouvelle déconvenue l'oblige à congédier Samuel, qu'elle n'a plus les moyens de payer, et elle sombre lentement mais sûrement dans une profonde dépression, après des humiliations répétées : elle accumule les aventures sexuelles foireuses, sa voyante ne lui prédit que le pire, son ancien mari lui annonce qu'il va être publier. Pourtant, c'est cette dernière nouvelle qui va provoquer un sursaut chez Victoria. 
Victoria et Vincent

Elle rappelle Samuel, qui, entretemps, a entamé une formation de juriste, et devient son amant. Vincent refait appel à ses services car une de ses maîtresses, soutenue par Eve avec laquelle il s'était pourtant réconcilié, le traîne en justice. 
Un dalmatien très possessif

Soutenue par Samuel, Victoria mène alors deux combats simultanés : elle attaque David en se faisant représenter par sa collègue Christelle et plaide pour Vincent en élaborant une stratégie improbable, n'hésitant pas à faire témoigner le dalmatien jaloux de Eve ou le singe d'un animateur employé lors de la fête du mariage où il a pris des photos compromettantes pour les plaigantes. 
Un singe photographe

Victoria réussit à obtenir la relaxe pour Vincent mais doit se contenter d'une sanction a minima contre David. Lassé d'être négligé, Samuel a cependant choisi de la quitter et elle rechute dans la déprime. 
Victoria

Lorsqu'elle rentre enfin chez elle, Victoria croise Samuel, venu récupérer ses affaires : elle lui avoue qu'elle a besoin de lui mais surtout qu'elle l'aime et regrette de l'avoir délaissé. Il lui pardonne et accepte de rester. Enfin une victoire pour Victoria !

Victoria est le deuxième film de Justine Triet après La Bataille de Solférino (2013), réalisé sans moyens. Et ce qui saute aux yeux, c'est la sidérante progression entre ces deux oeuvres où la jeune cinéaste assume à la fois l'influence de "la Nouvelle Vague" de ses débuts et les références à la comédie américaine.

Les citations sont évidentes : Billy Wilder, Blake Edwards, Howard Hawks sont invoqués, mais Justine Triet ne copie pas paresseusement ces maîtres, elle en revisite les codes pour un résultat très drôle et inattendu. Cette maturité s'exprime dans des dialogues très écrits et accrocheurs, des situations loufoques, un ton à la fois dépressif et pince-sans-rire, un rythme bien dosé comme l'exige le genre, et une mise en scène plus posée à l'esthétique soignée (la photo est très chaleureuse).

Le film ne quitte jamais son héroïne, avocate en pleine tempête, débordée de toute part,  dont la détresse est lisible jusque dans son corps. C'est une femme désirable mais fatiguée, qui n'arrive même plus à jouir, et collectionne les amants les plus calamiteux (l'un d'eux se jette sur elle avant de lui avouer qu'il cherche à noyer son mal de vivre dans le sexe, un autre se vante d'être irrésistible parce qu'il est désirable sans effort - une scène hilarante sans dialogue où tout passe par les voix-off), lâchée par son baby-sitter, recrutant en catastrophe un ancien client, défendant un ami pour violence conjugale, affrontant le récit de son mariage désastreux par son ex-mari qui publie leur histoire sur un blog...

On ne peut qu'éprouver de la sympathie pour Victoria, écrasée par l'existence, et faisant face tant bien que (surtout) mal. Justine Triet lui fait subir une avalanche d'humiliations jusqu'à ce que le scénario rebondisse heureusement. Vient alors se nicher au coeur du film une scène cruciale où Samuel et Victoria passent la nuit ensemble : il ne s'agit pas seulement d'un rebondissement romantique mais d'un moment pivotal où l'héroïne est enfin considérée par un homme comme une belle femme, qui mérite d'être aimée, estimée. La réalisatrice saisit cet événement avec beaucoup de sensualité et de tendresse tout en parvenant à faire comprendre au spectateur que Victoria renaît littéralement alors.

La suite n'est cependant pas un long fleuve tranquille et l'acte II regorge encore de surprises savoureuses, avec le second procès de Vincent totalement délirant (avec un dalmatien jaloux et un singe facétieux mais au rôle décisif appelés à la barre, devant une juge dépassée - désopilante Julie Mouliet). La réussite du film tient alors à cet équilibre périlleux entre le burlesque et l'émotion, où se joue le rapport de l'héroïne à son travail, ses amis, ses amours. Victoria ne cesse jamais de demander conseil, de s'expliquer, se justifier, de négocier ; elle vit à contretemps mais finit par en faire une arme en en assumant l'aspect le plus absurde. Elle s'abandonne enfin complètement dans des espaces qui sont tous des arènes pour elle - prétoire, cabinet de son psy, de sa voyante, chambre à coucher - , où elle affronte ses peurs, ses contradictions.

Dans ces montagnes russes, Virginie Efira est magistrale : elle traverse l'histoire avec un mélange d'érotisme maladroit et de drôlerie déprimée absolument imparables, animant un personnage pathétique avec une franchise rare et une justesse épatante (la voilà désormais citée aux "César" où, malgré de sérieuses concurrentes - Marion Cotillard et Isabelle Huppert en tête - elle mériterait de décrocher la statuette). A ses côtés, Vincent Lacoste est également formidable, avec sa dégaine nonchalante et lunaire, comme l'est le trop rare et mésestimé Melvil Poupaud, fabuleux en séducteur inconséquent.

Victoria mérite sa bonne réputation et son succès critique et public : une surprise réjouissante.