vendredi 31 mars 2017

20TH CENTURY WOMEN, de Mike Mills (2017)


2OTH CENTURY WOMEN est un film écrit et réalisé par Mike Mills.
La photographie est signée Sean Porter. La musique est composée par Roger Neill.


Dans les rôles principaux, on trouve : Annette Bening (Dorothea Fields), Lucas Jade Zumann (Jamie Fields), Elle Fanning (Julie Hamlin), Greta Gerwig (Abbie Porter), Billy Crudup (William).
 Dorothea et Jamie Fields
(Annette Bening et Lucas Jade Zumann)

1979. Santa Barbara, Californie. Dorothea Fileds, la cinquantaine, habite avec son fils Jamie, 15 ans, une grande maison dont elle loue des chambres à deux occupants : Abbie Porter, une jeune photographe qui se remet d'un cancer du col de l'utérus, et William, un mécanicien hippie qui collectionne les aventures sans lendemain depuis que sa femme l'a quitté. A ce groupe s'ajoute régulièrement Julie Hamlin, adolescente du même âge que Jamie, qui en est épris, et qui vient de réfugier là pour fuir une mère psychologue pour jeunes en difficulté. 
Abbie Porter
(Greta Gerwig)

Soucieuse de faire de son fils un homme bien dans sa peau et dans le monde, Dorothea se sent toutefois impuissante à l'y préparer et sollicite l'aide d'Abbie et Julie pour l'accompagner. Avec Abbie, Jamie va ainsi assister à ses premiers concerts sur la scène punk-rock alors en pleine ébullition, tandis qu'il cherche à comprendre pourquoi Julie se donne à d'autres garçons, au risque comme c'est le cas alors, de tomber enceinte faute de prendre les précautions nécessaires. 
William
(Billy Crudup)

Il soutient Abbie lorsqu'elle se rend chez son oncologue et qu'il lui annonce que, suite à l'opération qu'elle a subie, elle ne pourra certainement jamais avoir d'enfant. En contrepartie, elle l'initie à la littérature féministe pour mieux saisir les comportements de Julie mais aussi de sa mère. Dorothea découvre, embarrassé, que son garçon grandit trop vite pour elle et cherche à le protéger de ce qu'il apprend, mais il se révolte en lui reprochant de se complaire dans son célibat alors qu'elle pourrait s'engager avec William, qui la respecte. 
Julie Hamlin
(Elle Fanning)

La crise entre la mère et son fils aboutit à une escapade le long de la côte californienne entre Julie et Jamie. Il lui avoue ses sentiments mais elle est trop désabusée pour y croire et le repousse en lui expliquant qu'elle l'idéalise. Déçu, il disparaît pendant la nuit. Ne le voyant pas revenir, elle appelle Dorothea à la rescousse. 
Jamie et Julie

Accompagnée par William et Abbie, Dorothea rejoint Julie au petit matin dans un motel alors que Jamie vient juste de rentrer. La mère et le fils ont une explication franche sur la situation : il n'apprécie pas qu'elle se décharge sur les autres de son devoir maternelle, considérant que lui ne l'a jamais abandonnée de la sorte. S'il doit faire de nouvelles expériences en revanche, elle doit lui faire confiance. Et elle doit cesser de se résoudre à la solitude pour se préparer au jour où il partira.
Jamie et Dorothea

Les années suivantes, la maison des Fields verra ses résidents partir vers d'autres aventures - Julie poursuivra ses études à New York puis suivra son mari à Paris, perdant Jamie et Dorothea de vue. Abbie deviendra photographe professionnelle et épousera un homme avec lequel elle aura deux enfants. William partagera la vie de Dorothea pendant un an avant de s'installer en Arizona comme potier et de convoler deux fois en justes noces.  
Jamie, Abbie, Dorothea, Julie et William

Dorothea mourra en vingt ans plus tard, après s'être remariée. Jamie deviendra père mais sans jamais réussir à expliquer vraiment à son fils quelle femme hors du commun était vraiment sa mère.

Après avoir, magnifiquement, évoqué la mémoire de son père dans son précédent long métrage (Beginners, 2011), Mike Mills rend hommage à sa mère - ou, devrait-on dire, à ses mères, dans ce superbe portrait pluriel des femmes qui l'ont accompagné durant son adolescence.

Le tête-à-tête entre Dorothea et Jamie (le double de Mills à 15 ans) est devenu compliqué lorsque l'histoire débute : femme émancipée, à la fois ouverte aux changements du monde et attachée à ses principes (elle a assumé l'éducation de son fils seule, après le départ de son mari, et acquis son indépendance financière dans un métier où elle était au début la seule femme), la mère craint de ne pas savoir comment préparer son fils à devenir un adulte et une bonne personne tandis que lui se désole de ne pas la voir refaire sa vie avec un homme (préférant prendre des amants occasionnels) et être gagnée par une certaine mélancolie.

Ce récit initiatique (autant pour Dorothea que pour Jamie en vérité) est symboliquement illustré par les travaux incessants que subit la maison où la mère et son fils co-habitent avec deux locataires, une photographe fantasque qui se remet d'un grave problème de santé, partagée entre l'envie de profiter d'une seconde chance et le fossé qui s'est creusé entre elle et sa mère (remplacée d'une certaine manière par Dorothea), et un hippie charmeur et nostalgique, noyant son chagrin d'amour en multipliant les conquêtes grâce aux dépannages qu'il offre à de jeunes et jolies voisines. A cette tribu improbable se greffe une voisine, délurée et désabusée, dont Jamie est amoureux, fuyant les séances de thérapie collective auxquelles sa mère psychologue l'oblige à participer et se donnant à d'autres garçons sans plaisir et mépris d'elle-même.

Mike Mills réussit à conjuguer l'intimisme de la chronique et la grande Histoire (cet aspect culminant avec le discours incroyable prononcé par Jimmy Carter en 1979 et dénonçant l'insatisfaction à laquelle nous condamne le consumérisme effréné - un président qui doute bientôt remplacé par Reagan et l'avènement du capitalisme libéral à outrance). Il ajoute aux scènes de nombreuses images (animées ou fixes) d'époque immortalisant l'émergence de la scène punk-rock, cette déflagration musicale et sociétale, et joue sur des effets visuels représentant les mouvements intérieurs de ses personnages - accélérations ou ralentis, filtres colorant le paysage qui défile, etc.

20th Century Women prend alors des airs de grand collage impressionniste, procédé déjà à l'oeuvre dans Beginners, aboutissant à une émotion poignante quand le destin des protagonistes est résumé à la fin. Auparavant, assimilant le rythme des séries télé (dont ce long métrage pourrait être le pilote), ont été évoqués, via une mosaïque de vignettes, tantôt drôles, tantôt graves, des réflexions délicates ou crues sur le désir, les femmes, l'amour, la maternité, conférant à l'ensemble une dimension romanesque.

Dominé par l'interprétation magistrale de la trop rare Annette Bening, le film peut aussi compter sur les prestations formidables de Greta Gerwig, toute en franchise fantaisiste, de Elle Fanning, toujours aussi radieuse et subtile, de Billy Crudup, décidément parfait pour ces rôles de types dépassés dans les 70's, et de la révélation Lucas Jade Zumann, épatant de sobriété.

Elégamment raconté et mise en scène, le destin de ces "femmes du XXème siècle" vu par un auteur qui se rappelle de son adolescence bohème en Californie a un charme fou et bouleversant.

jeudi 30 mars 2017

PERFECT MOTHERS, d'Anne Fontaine (2013)


PERFECT MOTHERS est un film réalisé par Anne Fontaine.
Le scénario est écrit par Anne Fontaine et Christopher Hampton, d'après le roman Les Grands-Mères de Doris Lessing. La photographie est signée Christophe Beaucarne. La musique est composée par Christopher Gordon.


Dans les rôles principaux, on trouve : Naomi Watts (Lil), Robin Wright (Roz), Xavier Samuel (Ian), James Frecheville (Tom), Ben Mendelsohn (Harold), Gary Sweet (Saul), Jessica Tovey (Marie), Sophie Lowe (Hannah).
 Roz et Lil
(Robin Wright et Naomi Watts)

Amies depuis l'enfance, désormais quadragénaires, Roz et Lil sont mères de deux garçons de dix-huit ans, Tom et Ian, qui s'entendent comme des frères. Lil est veuve,, Roz mariée à Harold, un enseignant qui se voit proposer un poste de maître conférencier à Sydney  - mais la perspective d'un déménagement déplaît à Roz. 
Ian et Tom
(Xavier Samuel et James Frecheville)

Un soir, en l'absence de Harold, après avoir dîné avec Lil et leurs garçons, Roz accepte que ces derniers dorment chez elle. Ne trouvant pas le sommeil, tout comme Ian, elle cède à ses avances et couche avec lui, sans qu'ils remarquent que Tom les a surpris. 
Roz, Lil, Tom et Ian

Confus et en colère, le lendemain, il va voir Lil et lui avoue tout. Ebranlée, elle succombe à son tour au charme de Tom et couche avec lui. Tous deux conscientes de leur erreur, elles décident que cela ne doit pas se répéter et rompent avec les garçons. Mais Ian réussit à convaincre Roz de poursuivre leur liaison, tout comme Tom reste l'amant de Lil.  
Ian et Roz

Admettant qu'ils sont heureux ainsi, ils veillent à rester discrets. Mais quand Harold rentre de Sydney, Roz lui fait comprendre qu'elle ne s'installera pas avec lui en Australie et que leur fils ne veut pas le suivre non plus. 
Lil et Tom

Deux ans passent. Ian travaille désormais dans la société de construction de yachts où officie sa mère tandis que Tom étudie l'art dramatique et a l'opportunité de mettre en scène une pièce de théâtre à Sydney, où son père a refait sa vie. Il y rencontre une jeune actrice, Marie, à qui il confie le rôle principale et dont il devient l'amant. Lil devine rapidement la situation et s'y résigne douloureusement. Roz appréhende à son tour le moment où Ian finira lui aussi par la quitter pour une fille plus jeune et, à l'occasion du retour de Tom, les deux femmes mettent un terme avec les garçons pour éviter à tout le monde de souffrir. 
Roz et Lil

Tom épouse Marie, Ian rencontre Hannah lors du mariage et bientôt s'installe avec elle. Les deux fils deviennent pères. Lil et Roz deviennent des grands-mères heureuses. Jusqu'à ce soir où, après avoir dîné tous ensemble, Lil rentre chez elle. Tom la rejoint discrètement et ils font l'amour. Surpris par Ian, celui-ci révèle la vérité à Roz, Marie et Hannah. Ces dernières s'en vont avec leurs enfants.  
Lil, Tom, Roz et Ian

Le temps passe. A nouveau près les uns et des autres, Ian et Roz et Lil et Tom redeviennent amants.

Anne Fontaine n'a pas froid aux yeux et a toujours aimé explorer des sujets où le désir provoque des drames, de la romance avec un serial killer (Entre ses mains, 2002) au retour de flamme d'un avocat protégé par un chauffeur jaloux (La Fille de Monaco, 2008) en passant par la passion suscitée par un jeune homme au sein d'un couple rangé (Nettoyage à sec, 1997) ou l'étrange marché passé entre une femme mariée et une prostituée (Nathalie, 2003). Une filmographie riche, servie par de grands acteurs, qui lui a permis d'acquérir une belle réputation internationale, suffisante pour convaincre deux actrices renommées pour cette adaptation d'une novella de Doris Lessing, Prix Nobel de Littérature en 2007.

Dès les premiers plans de cette histoire (aussi exploitée en salles sous le titre Adoration ou Adore), la réalisatrice filme une sorte d'Eden au coeur duquel le serpent est déjà là, prêt à tenter deux femmes, deux mères, observant leurs fils respectifs de manière étonnante, avec fierté et concupiscence : "on dirait deux jeunes dieux."

Dans le cadre paradisiaque de la Nouvelle-Galles du Sud, sous un ciel uniformément bleu et sur les plages de sable blanc caressées par les vagues de la mer de Tasman, c'est un huis-clos en plein air qui va se jouer entre les deux héroïnes qui y ont grandi, s'y sont mariées, y sont devenues mères. Ce sont deux femmes magnifiques, mais à la croisée des chemins - l'une d'elles a perdu son mari, l'autre est sur le point de le quitter. Lorsque le fils de l'une couche avec la mère de son meilleur ami, ce dernier l'imite d'abord pour se venger puis de troubles sentiments naissent entre ces deux couples contre nature, s'aimant en secret mais avec passion.

Anne Fontaine était toute indiquée pour filmer cette intrigue sensuelle et vénéneuse, dont on pressent les dangers, les douleurs à venir. Elle sait à merveille installer cette atmosphère à la fois dérangeante et étrangement euphorique qui unit ces deux mères choisissant de prendre leurs fils respectifs comme amants - à moins que ce ne soient eux qui les aient choisies. Quoiqu'il en soit, c'est presque comme un lien supplémentaire entre elles, même si elles n'ont jamais eu d'attirance sexuelle l'une pour l'autre (la question est abordée mais vite balayée, dans une scène d'ailleurs dispensable et mal amenée).

Le complexe d'Oedipe des deux garçons est aussi vite expédié, cela n'intéresse pas la cinéaste qui préfère plutôt exploiter un curieux suspense sur le moment où ces ménages amoureux vont basculer, où les acteurs de cette histoire seront dépassés par les événements. Plusieurs fois Lil et Roz, dans un accès de lucidité, de honte ou de remords, essaient de rompre, mais rien n'y fait, pas même lorsque les fils deviendront maris et pères. Toujours, comme les flux et reflux de la mer sur la plage, le désordre l'emporte sur l'ordre, la folie amoureuse et la fièvre sexuelle sur la raison. Et c'est en filmant cela avec douceur, avec une tranquillité perverse, qu'Anne Fontaine souligne l'amoralité des faits.

Pourtant aucun jugement dans la narration : le scénario co-écrit avec Christopher Hampton évite toute explication facile, déroulant le récit sur plusieurs années, lui conférant ainsi une profondeur encore plus vertigineuse. Une cruauté raffinée désigne comment les mères et leurs fils font progressivement le vide autour d'eux. Et quand une pause survient, comme lorsque Lil et Roz devenues grands-mères, accompagnent leurs fils, belles-filles et petites filles à la plage, derrière une félicité de façade sourd un malaise intense.

Robin Wright et Naomi Watts rivalisent de talent et de séduction pour interpréter cette partition subtile, la seconde bénéficiant tout de même du personnage le plus équivoque, le plus fragile, auquel elle sait donner un force frémissante remarquable. Qu'importe alors que les deux acteurs incarnant les fils ne soient pas très expressifs, leurs mères de cinéma emportent tout sur leur passage.

Dans cette histoire souvent fascinante, par sa beauté visuelle et son raffinement narratif, on a en définitive affaire à quatre êtres qui, même s'ils le voulaient vraiment, seraient incapables de se séparer : le dernier plan les montre d'ailleurs, en plongée, allongés les uns à côté des autres, comme épinglés sur un tableau, bercés par le roulis des vagues - ou le flot de la vie.

mercredi 29 mars 2017

LE RÔLE DE MA VIE, de Zach Braff (2014)


LE RÔLE DE MA VIE (Wish I Was Here) est un film réalisé par Zach Braff.
Le scénario est écrit par Zach et Adam Braff. La photographie est signée Lawrence Sher. La musique est composée par Rob Simonsen


Dans les rôles principaux, on trouve : Zach Braff (Aidan Bloom), Kate Hudson (Sarah Bloom), Mandy Patinkin (Gabe Bloom), Josh Gad (Noah Bloom), Joey King (Grace Bloom), Pierce Gagnon (Tucker Bloom), Ashley Greene (Janine), Donald Faison (le concessionnaire automobile).
 Aidan Bloom
(Zach Braff)

A 35 ans, Aidan Bloom court les castings à Los Angeles sans jamais avoir réussi à décrocher un rôle, même comme figurant. Père de deux enfants, il vit aux crochets de sa femme, Sarah, employée dans un bureau, et de son père, Gabe, un ancien professeur désormais à la retraite.
Sarah Bloom
(Kate Hudson)

La scolarisation de Grace et Tucker, les enfants du couple Bloom, dans une école privée juive, est financée par leur grand-père, qui a insisté pour qu'ils reçoivent une éducation orthodoxe, espérant ainsi qu'ils s'accompliront mieux dans leurs vies personnelle et professionnelle que leurs parents. 
Gabe et Aidan Bloom
(Mandy Patinkin et Zach Braff)

Mais la situation bascule lorsque Gabe annonce à Aidan que le cancer dont il a souffert est réapparu : il est en phase terminale et place tous ses derniers espoirs dans un traitement médical alternatif mais coûteux. Il ne peut plus payer les études de ses petits-enfants et somme Aidan de se trouver un emploi sérieux et rémunérateur pour eux et pour soulager Sarah. 
Tucker, Grace et Aidan Bloom
(Pierce Gagnon, Joey King et Zach Braff)

L'école refuse d'accorder la moindre aide à Aidan qui, sur la suggestion de Sarah, décide de donner lui-même des cours à ses enfants à domicile, sollicitant à l'occasion l'aide de son frère cadet, Noah, un génie de l'informatique, brouillé avec leur père qu'il croit avoir toujours déçu, mais davantage préoccupé par sa voisine, Janine. 
Aidan et Noah Bloom
(Zach Braff et Josh Gad)

La santé de Gabe se détériore et, après une ultime hospitalisation, il préfère rentrer chez lui pour y mourir entouré des siens. Aidan fait tout pour convaincre Noah de se réconcilier avec leur père avant qu'il ne soit trop tard et s'en prend à un collègue de Sarah, qui a tenu des propos déplacés envers elle. 
Sarah et Aidan

Durant ces moments délicats, Aidan reconquiert l'estime de sa femme, la fierté de son père, renoue avec son frère, et assume surtout son rôle de père, tout en acceptant de se reconvertir en professeur d'art dramatique au sein d'une petite troupe de théâtre.

Après être passé une première fois derrière la caméra (tout en restant devant) en 2004 avec le touchant Garden State, et quatre ans après la fin de la série télé Scrubs, qui l'a révélé (son compère Donald Faison fait d'ailleurs une apparition ici), Zach Braff revenait aux affaires avec ce nouvel opus financé grâce à une levée de fonds sur Internet.

Rien ne laisse deviner, visuellement, que le film a été produit d'une manière aussi artisanale, profitant d'une belle photographie et du cadre ensoleillé de la Californie, même si l'histoire s'inscrit dans une veine intimiste et autobiographique (que souligne le titre français). Il est ici question d'un acteur loser, déniant ses échecs comme mari, père, fils et frère, qu'un drame personnel va forcer à réagir.

La barque est un peu chargée - crise existentielle, deuil, problèmes conjugaux -  et manque cruellement de l'humour lunaire qui a fait le charme de Braff à la télé. Le cinéaste se dépatouille ainsi, avec une fortune aléatoire, des clichés de la comédie gentiment dépressive mais qui veut rester chaleureuse sans rééditer le miracle de son premier film. On y trouve pèle-mêle des gags décalés (les scènes oniriques pastichant Star Wars, le cosplay du frère génial pour séduire sa voisine), des moments sentimentaux mielleux (la lassitude de l'épouse qui, pourtant, pardonne tout à son mari) et des instants graves inégalement émouvants (l'agonie du père dignement écrite mais aboutissant une leçon de vie pataude).

L'ensemble ne manque pas pourtant pas d'un certain attrait ni de fantaisie, quand bien même Braff cède parfois à une affectation agaçante. Il touche surtout juste quand il pointe avec causticité l'hypocrisie de la solidarité de la communauté juive (le rabbin n'est guère miséricordieux) et avec lucidité que la vie passe très vite en vérité - trop vite pour s'entêter dans des ambitions égoïstes ou de vieilles rancoeurs bâties sur des malentendus.

En revanche, l'interprétation ne souffre d'aucun défaut : Zach Braff ne force pas son talent dans la peau de ce personnage immature mais bienveillant, Kate Hudson n'a jamais été aussi bien mise en valeur et donc juste (depuis sa révélation dans Presque Célèbre de Cameron Crowe), Mandy Patinkin est d'une sobriété exemplaire, et les gamins sont impeccables.

Même, donc, si ce n'est ni le rôle ni le film de sa vie, ce nouvel effort de Braff confirme qu'il a une voix bien à lui : espérons juste qu'il n'attendra pas à nouveau dix ans pour la faire entendre, en renouant avec le délicat dosage qui faisait la réussite de Garden State.

mardi 28 mars 2017

PERFECT SENSE, de David MacKenzie (2011)


PERFECT SENSE est un film réalisé par David MacKenzie.
Le scénario est écrit par Kim Fupz Aakeson. La photographie est signée Giles Nuttgens. La musique est composée par Max Richter.


Dans les rôles principaux, on trouve : Eva Green (Susan), Ewan McGregor (Michael), Connie Nielsen (Jenny, la soeur de Susan), Stephen Dillane (Samuel, le collègue de Susan), Ewen Bremner (James, le collègue de Michael).
Susan
(Eva Green)

Une épidémie d'origine inconnue se répand dans le monde entier, privant d'abord l'humanité de son odorat. Susan est une épidémiologiste qui fait partie d'une équipe anglaise chargée de découvrir les raisons de ce problème et de trouver des réponses et des solutions.
Michael
(Ewan McGregor)

Michael est un chef cuisinier dans un restaurant londonien, situé à côté de l'immeuble où habite Susan. Il se rend vite compte de l'impact de cette épidémie quand les clients commencent à déserter son établissement et que lui-même est affecté par cette privation sensorielle.
Susan et Michael

Susan et Michael ne tardent pas à faire connaissance. Ils couchent ensemble avec la volonté commune de ne pas s'engager dans une relation sérieuse. Mais ils se revoient fréquemment par la suite et deviennent amants et amoureux. 
Des souvenirs avant de tout perdre

L'épidémie progresse : après l'odorat, la population perd le goût. Une panique irrationnelle puis l'angoisse d'une nouvelle étape gagne la civilisation. Puis les gens se résignent et tentent de s'adapter à leur nouvel état. De plus en plus intimes, Michael et Susan partagent les secrets de leur passé : elle a souffert d'anorexie dans son adolescence et à cause de cela, elle est devenue infertile ; lui a eu une histoire d'amour avec une jeune femme tombée gravement malade qu'il a lâchement quitté car il ne se sentait pas assez fort pour la soutenir - elle est désormais morte et, bien qu'il regrette son attitude, il culpabilise moins. 
"Mr. and Mrs. Assholes"

La crise s'aggrave quand survient la perte d'audition : une recrudescence de colère extrême et de rage éclate. Michael exprime verbalement cette violence contre Susan qui prend peur et s'enfuit. En dépit de tout, le calme revient, les gens essaient de reprendre leurs habitudes, notamment en apprenant le langage des signes pour continuer à communiquer. Lentement, c'est même une euphorie inattendue qui s'impose, chacun ayant désormais la certitude qu'une nouvelle épreuve va se produire. 
Dernier baiser avant la fin du monde

Effectivement, la cécité frappe le monde. Avant de perdre la vue, Michael se précipite chez Susan qui, elle, part le chercher à son restaurant. Ils se retrouvent in extremis dans la rue derrière l'établissement, en bas de l'immeuble où elle réside. Ils s'enlacent et s'embrassent juste avant de devenir aveugles. Il ne leur reste plus qu'un seul sens désormais : le toucher.

Parfait contrepied de Contagion (Steven Soderbergh, 2011), avec son casting de stars et son spectaculaire suspense, le long métrage de David MacKenzie explore le même thème - une épidémie mondiale - mais en en retirant tous les motifs attendus dans un film-catastrophe - scènes de panique générale, violences de masse, représentation horrifique des effets de la maladie, etc.

Ici, effectivement, la maladie ne tue pas, elle est plus sournoise en privant progressivement l'humanité de ses perceptions sensorielles. Cette progression est d'autant plus angoissante qu'elle reste jusqu'au bout sans explication ni remède et s'illustre par un crescendo intense et tragique où l'homme est autant victime de ses peurs primitives que disposé à savourer de nouveau l'existence.

La métaphore est troublante, aussi déconcertante qu'envoûtante. En inscrivant son sujet dans le cadre d'une romance, le cinéaste en souligne la force mélancolique puisque le mal frappe au moment où ses deux héros trouvent enfin le bonheur après des épreuves traumatisantes dans leurs passés respectifs. D'ailleurs, ce qui les accable n'est pas létale : il n'y a donc pas de suspense conventionnel avec la recherche des causes de l'épidémie, celle d'un remède et le sauvetage de l'humanité.

Le film est découpé en quatre actes, correspondant aux quatre sens que perdent les humains, et chacune de ces pertes est habilement traduite par la mise en scène, de manière à la fois poétique, cruelle et percutante (mention spéciale à la perte de l'audition : pendant dix bonnes minutes, plus aucun son, pas davantage de musique pour illustrer la situation - effet garanti !). La tristesse, la colère, la frustration, la résignation se succèdent après chaque nouvelle crise, produisant des moments étonnants.

Le talent avec lequel MacKenzie réussit à immerger le spectateur dans cette expérience est d'autant plus remarquable qu'on devine que le film n'a pas disposé de gros moyens. Mais en préférant se concentrer sur son couple, il permet de mieux s'identifier, de partager leurs peurs, leurs doutes, leur soif de profiter de l'instant. Eva Green et Ewan McGregor interprètent cette partition avec une implication et une justesse égales, avec sobriété et force, l'alchimie de leur couple fonctionne puissamment, leur histoire d'amour est touchante, ponctuée de hauts de de bas crédibles.

Bien entendu, le piège du procédé narratif (on attend chaque nouvelle crise avec un mélange de curiosité et d'inquiétude) est inévitable, et le dénouement (avec la cécité) est illustré par un écran noir juste avant le générique. Mais il n'empêche que le récit, solide et originale, résolument à contre-courant du traitement réservé à ce genre d'intrigue, procure son lot d'émotions fortes et poignantes.  

dimanche 26 mars 2017

SULLY, de Clint Eastwood (2016)


SULLY est un film réalisé par Clint Eastwood.
Le scénario est écrit par Todd Komarnicki, d'après Highest Duty : My Search for what really matters de Chesley Sullenberger et Jeffrey Zaslow. La photographie est signée Tom Stern. La musique est composée par Christian Jacob & The Tierney Sutton Band.

Dans les rôles principaux, on trouve : Tom Hanks (capitaine Chesley "Sully" Sullenberger), Aaron Eckhart (Jeff Skiles), Laura Linney (Lauren Sullenberger), Mike O'Malley (Charles Porter), Jamey Sheridan (Ben Edwards), Anna Gunn (Elizabeth Edwards).
 Jeff Skiles et Chesley "Sully" Sullenberger
(Aaron Eckhart et Tom Hanks)

Le 15 Janvier 2009, le capitaine Chesley "Sully" Sullenberger et son co-pilote Jeff Skiles décollent de l'aéroport LaGuardia aux commandes de l'Airbus A320 de l'US Airways. Le vol 1549 transporte 155 passagers à son bord. Mais après trois minutes de vol à une altitude estimée de 2 800 pieds (environ 850 mètres), l'avion est percuté par un troupeau d'oiseaux qui endommage ses réacteurs. Privés de leurs moteurs et jugeant impossible d'atteindre les aéroports les plus proches, comme celui de Teterboro, Sully et Skiles décident de poser leur appareil sur l'Hudson River.    
Amerrissage sur l'Hudson River

L'équipage et les passagers en sortent tous indemnes. Mais malgré cet exploit, Sully est victime de stress post-traumatique tandis que les médias l'honorent comme un héros. Par ailleurs les données préliminaires  du bureau fédéral de l'aviation suggèrent que seulement un moteur était sérieusement atteint, ce qui signifie que le capitaine a accompli une manoeuvre inconsidérément dangereuse et qu'il aurait pu retourner atterrir à LaGuardia.
L'évacuation des 155 passagers du vol 1549

Plusieurs simulations de vol confirment ces conclusions et accablent Sully. Mais le capitaine ne se démonte pas face à ces accusations : il persiste à affirmer qu'il avait perdu ses deux réacteurs, ce qui le privait de temps, de vitesse et d'altitude pour regagner LaGuardia.
Sully

Si la commission d'enquête conclut qu'il s'agit d'une erreur humaine, la carrière de Sully est terminée, malgré ses états de service irréprochables et son expérience. Il obtient que de nouvelles simulations soient réalisées en direct et bien qu'elles le contredisent, il relève qu'elles ne sont pas crédibles car les pilotes ont été informés de la situation et de l'action d'urgence à effectuer, contrairement à Skiles et lui. 
Héros ou imposteur ?

Le conseil acceptent les arguments de Sully, confirmés in fine par l'analyse du moteur récupéré et effectivement désactivé par les impacts des oiseaux. Le capitaine et son co-pilote sont réhabilités car ils ont sélectionné la meilleure option pour sauver les passagers et l'équipage.
Sully et Skiles

Transformer un événement de quatre minutes en un film d'une heure et demi, tel est le pari que s'est lancé Clint Eastwood. Le résultat est si brillamment accompli qu'on ne ressent jamais un quelconque remplissage - au contraire : le cinéaste reste fidèle à son style sec et direct, au plus près des faits et des protagonistes, avec une rigueur exemplaire.

Sully est un long métrage captivant, qui peut se lire comme le double inversé de son précédent opus, American Sniper : ici, le héros ne tue pas mais il sauve 155 passagers d'un avion qu'il a choisi, avec une incroyable audace, mais aussi un formidable flair, de poser sur l'Hudson River après un incident de vol.

Pourtant Chesley Sullenberger n'est pas d'un seul bloc : son geste le hante au point de le rendre insomniaque et sujet à des visions cauchemardesques - il revoit sa manoeuvre et échoue cette fois-ci, en se crashant contre les tours de Manhattan (renvoyant évidemment aux attentats du 11 Septembre 2001). Il ne cesse de questionner son co-pilote, le pourtant solidaire et admiratif Jeff Skiles, sur la pertinence de son choix : dans les chambres d'hôtel où ils attendent d'être auditionnés par une commission d'enquête, où les assureurs veulent les accabler, les deux hommes tournent en rond, comme des ours en cage, dépassés par ce qu'ils ont accompli mais aussi par ce qui les attend. Sully a d'ailleurs bien du mal à rassurer sa femme, devant la maison de laquelle les journalistes font le pied de grue, et qui sait que s'il est reconnu coupable d'imprudence, sa carrière est terminée - et leur situation sociale compromise.

Eastwood traite ces appréhensions avec intensité avant d'entrer dans le troisième acte de son récit (suivant donc le sauvetage et l'attente des auditions). Le contraste est alors saisissant entre l'extérieur, où médias et anonymes considèrent Sully comme un authentique héros, et l'intérieur, où le capitaine et son co-pilote sont traités comme des têtes brûlées irresponsables. L'ambiguïté s'installe : et si les sauveurs du vol 1549 étaient des imposteurs (un commandant de bord trop vieux, son second incompétent), ayant miraculeusement réussi une manoeuvre périlleuse ? 

La mise en scène et le scénario réussissent à faire passer cette partie procédurière avec une fluidité magistrale, évitant que le spectateur ne soit noyé par des termes trop techniques ou des arguties juridiques. Au lieu de ça, Eastwood montre à plusieurs reprises l'amerrissage, à travers les yeux de Sully et Skiles, d'une famille de passagers, du contrôleur du ciel, des pilotes des simulations, et progressivement la vérité éclate. Le procédé est spectaculaire et intimiste à la fois, tendu, vibrant : une leçon de narration.

Tom Hanks, digne héritier moderne de "l'honnête homme" américain, dans la lignée d'un Spencer Tracy (auquel il fait ici penser avec ses cheveux blanchis, sa démarche lente, ses gestes mesurés), est l'interprète idéal pour incarner ce héros malgré lui, à la fois droit et modeste, ébranlé mais déterminé. Aux côtés de l'excellent Aaron Eckhart et d'une multitude de seconds rôles et figurants impeccables, l'aventure devient collective, impliquant l'esprit de corps formé par les sauveteurs, les policiers, les contrôleurs aériens, les passagers, les familles. Comme le dit Sully, cela n'a été possible que parce qu'ils l'ont fait ensemble - et comme l'ajoute, avec humour, Skiles, si c'était à refaire, il préférerait juste que ça soit en Juillet.

Exaltant le courage, l'entraide, le surpassement, mais avec humilité, Sully ressemble en fait terriblement à un plaidoyer pour une Amérique solidaire et refusant de se résigner, ce qui rend le film encore plus troublant de la part d'un supporter affiché de Trump, le grand diviseur de sa nation.

vendredi 24 mars 2017

ABOUT RAY, de Gaby Dellal (2015)


ABOUT RAY est un film réalisé par Gaby Dellal.
Le scénario est écrit par Gaby Dellal et Nikole Beckwith. La photographie est signée David Johnson. La musique est composée par Michael Brook.


Dans les rôles principaux, on trouve : Elle Fanning (Ramona/Ray Bennett), Naomi Watts (Maggie Bennett), Susan Sarandon (Dolly Bennett), Linda Emond (Frances), Tate Donovan (Craig Walker), Sam Trammell (Matthew Walker).
Ramona/Ray
(Elle Fanning)

Âgée de seize ans, Ramona Bennett s'est toujours sentie comme un garçon enfermé dans le corps d'une fille. Avec l'accord de sa mère, qui l'élève seule, et après mûre réflexion, elle veut changer de sexe et consulte un médecin pour entamer un traitement préalable à une opération.
Ramona/Ray, Maggie, Dolly et Frances
(Elle Fanning, Naomi Watts, Susan Sarandon et Linda Emond)

Dolly, la grand-mère de Ramona, exprime ses doutes sur cette démarche qu'elle estime radicale, suggérant que sa petite-fille est peut-être seulement lesbienne comme elle. Mais l'intéressée est résolue : nous sommes en Février et elle aura changé de genre pour son entrée dans un nouveau lycée dans trois mois. 
Dolly
(Susan Sarandon)

Maggie essaie de contacter Craig Walker, le père de Ramona, pour obtenir sa signature sur les papiers autorisant le traitement et l'opération. Il se montre perturbé par la situation, d'autant plus qu'il n'a pas vu sa fille depuis des années et qu'il a refait sa vie avec une autre femme, qui lui a donné deux enfants : peut-être est-ce sa faute si Ramona ne sait pas qui elle est vraiment... 
Maggie
(Naomi Watts)

Estimant préférable que Ramona vive auprès de gens qui ne l'auront jamais connue jamais connue comme fille, Dolly et Frances demandent à Maggie de trouver un nouvel appartement alors qu'elles ont toujours vécu ensemble dans le même immeuble. 
Craig et Maggie
(Tate Donovan et Naomi Watts)

Sur le conseil de Frances, qui est avocate, Maggie suggère à Ramona de demander son émancipation afin qu'elle puisse obtenir ce qu'elle souhaite sans attendre que Craig se décide à signer les papiers. Après s'être coupée les cheveux très courts, la jeune fille se rend chez son père, déterminée à avoir son autorisation écrite en le mettant face à ses responsabilités puisqu'il l'a abandonnée.
Craig et Ramona/Ray

Craig avertit Maggie qui rejoint sa fille. Une dispute éclate au cours de laquelle Ramona apprend, dévastée, que son vrai père biologique est en vérité son oncle Matthew, le frère de Craig avec qui Maggie a eu une liaison il y a seize ans.
Ramona/Ray et Dolly

Prévenu des événements, Matthew se rend chez Maggie avec la volonté d'aider Ramona. Dolly accepte enfin de soutenir sa petite-fille tandis que les formulaires sont enfin signés par les parties concernées. Heureuse, Ramona rebaptisée Ray commence enfin son traitement et accompagne sa mère à un dîner au restaurant organisé par Craig avec toute la famille. 
Ray

Aborder la question transgenre à travers le portrait d'une adolescente est un défi narratif, un tel sujet pouvant facilement verser dans le mélo larmoyant ou le film-dossier juste bon à à fournir matière à un débat en deuxième partie de soirée à la télé. About Ray (aussi exploité en Belgique sous le titre Three Generations) n'a pas manqué de susciter la controverse chez une partie de la communauté LGBT aux Etats-Unis qui a reproché à Gaby Dellal d'avoir donné le rôle principal à une actrice et non pas à un véritable interprète transgenre.

Il faut pourtant dépasser cette critique, aussi injuste que creuse, pour considérer la réussite du film  en tant que tel. Quitte à déplorer quelque chose, mieux vaudrait se demander pourquoi ce long métrage, pourtant porté par trois comédiennes reconnues et talentueuses, n'a pas eu la chance d'être exploité en salles en France, où il est seulement disponible en DVD et VOD.

Ce n'est pourtant pas une histoire difficile d'accès, encore moins bâclée, mais au contraire finement écrite et soigneusement mise en scène. Jamais ici on ne sombre dans le drame pesant, le propos s'autorisant même quelques respirations sinon humoristiques, du moins légères avec les réflexions du personnage de la grand-mère, une lesbienne assumée mais dubitative à laquelle la trop rare Susan Sarandon donne une bienveillance enthousiasmante sans être mièvre.

Les atermoiements de la mère, jouée avec subtilité par Naomi Watts, ou l'émotion du père, campé par Tate Donovan, permettent de saisir la complexité de la situation. En fait, About Ray adopte la forme d'une quête pour ces protagonistes : celle de Ramona/Ray pour persuader ses proches de son envie réfléchie de changer de sexe ; celle de Maggie de retrouver le père de sa fille pour qu'il l'accompagne dans sa démarche ; celle de Craig pour qu'il apprenne à connaître son enfant dans ce moment décisif. Tous sont caractérisés avec humanité et nuance.

Entre ce fils à la recherche de son corps et l'assentiment de ses parents se joue l'affirmation d'une identité sexuelle mais aussi la redéfinition d'une cellule familiale - qui est plus lisible, effectivement, dans le titre alternatif (ces Three Generations désignent celles des trois femmes au coeur du scénario - la grand-mère, la mère, la fille). Jusqu'au twist conduisant à la révélation, bien amenée, du véritable géniteur de Ramona/Ray,et qui explique peut-être une partie du malaise existentiel de l'héroïne. Ces péripéties, qui menacent de faire glisser la chronique dans le soap opera, sont gérées de manière épatante, par la grâce exceptionnelle d'Elle Fanning, qui exprime avec une justesse admirable non pas un caprice d'ado mais une conviction intime.

A l'image de sa jeune actrice, lumineuse et vibrante, About Ray s'impose comme un film remarquablement émouvant, lucide et touchant.

jeudi 23 mars 2017

MONEY MONSTER, de Jodie Foster (2016)


MONEY MONSTER est un film réalisé par Jodie Foster.
Le scénario est écrit par Jamie Linden, Jim Kouf et Alan DiFiore. La photographie est signée Matthew Libatique. La musique est composée par Dominic Lewis.


Dans les rôles principaux, on trouve : George Clooney (Lee Gates), Julia Roberts (Patty Fenn), Jack O'Connell (Kyle Budwell), Caitriona Balfe (Diane Lester), Dominic Cooper (Walt Camby), Giancarlo Esposito (capitaine Marcus Powell).
 Lee Gates
(George Clooney)

Lee Gates est le flamboyant animateur de "Money Monster", une émission d'expertise financière sur la chaîne FNN. Après avoir annoncé la perte de 800 millions de dollars subie par l'entreprise IBIS suite à un bug informatique, il promet aux téléspectateurs une interview exclusive en direct avec le PDG Walt Camby pour expliquer la situation aux investisseurs.
Kyle Budwell et Lee Gates
(Jack O'Connell et George Clooney)

C'est alors que surgit sur le plateau de l'émission Kyle Budwell, un jeune livreur, qui dégaine un pistolet automatique et oblige Lee à enfiler un gilet équipé d'une bombe artisanale dont il tient le détonateur dans son autre main. Il explique avoir perdu toutes ses économies - 60 000 $ - en suivant ses conseils et exige de parler à Walt Camby qu'il tient pour l'autre responsable de sa ruine. 
Patty Fenn
(Julia Roberts)

Avec l'aide de sa productrice, Patty Fenn, en régie, Lee tente de raisonner Kyle et joint la directrice de la communication d'IBIS, Diane Lester. Mais le baratin qu'elle leur sert ne fait qu'enerver davantage le jeune homme. Diane devine, elle aussi, que les pertes de la compagnie n'ont pas été causées par un banal problème technique et tente alors de trouver un programmeur pour lui expliquer ce qui s'est vraiment passé. 
Kyle Budwell

La police a investi le quartier et le studio pour évacuer les civils et le personnel de l'émission puis maîtriser le preneur d'otages tandis que Lee devient compatissant avec lui et cherche, lui aussi, à comprendre ce que cache visiblement IBIS. Grâce aux recherches effectuées par Patty et l'équipe en régie, dans les archives concernant les mouvements de capitaux et les déplacements professionnels de Walt Camby, il apprend que ce dernier a soudoyé des mineurs en Afrique du Sud pour provoquer une grève, qui a fait baisser le prix des actions, puis leur faire reprendre le travail.  
Walt Camby et Diane Lester
(Dominic Cooper et Caitriona Balfe)

Mais le leader des grévistes, Moshe Mambo, a refusé ce deal et continué à bloquer les mines, entraînant les pertes records d'IBIS - et la faillite de nombreux investisseurs, comme Kyle qui avait acheté des actions à bas prix au plus fort de la crise sud-africaine. Lee entraîne le jeune homme jusqu'au siège de la compagnie où se terre Camby. 
Lee Gates et Kyle Budwell

Sous la menace et confronté aux preuves de ses malversations, Camby est forcé de reconnaître ses torts. Kyle a obtenu les excuses qu'il voulait et baisse les armes. La police en profite alors pour l'abattre. Patty retrouve Lee, ébranlé par les événements et dans ses convictions, tandis que le JT annonce l'ouverture d'une enquête sur les activités d'IBIS.

Présenté (hors compétition) au festival de Cannes l'an passé, ce thriller malin et très efficace a surpris car il était emballé avec vigueur par Jodie Foster, qu'on n'attendait pas dans ce genre de film. La vérité est que cette géniale actrice se fait rare devant la caméra et a connu des difficultés à monter des projets plus personnels comme réalisatrice, tout en continuant à perfectionner sa mise en scène à la télé (elle a signé notamment des épisodes de la série Orange is the new black).

De cette commande, produite par Smokehouse, la société de George Clooney, elle s'est emparée pour livrer un divertissement très plaisant mais qui aborde, comme elle et son comédien l'apprécient, une réflexion engagée sur la société actuelle. L'histoire aborde les ravages de la spéculation financière avec un regard très critique que la réalisation simple et rythmée sert parfaitement. C'est une option payante pour ne pas noyer le spectateur sous un jargon trop technique et recentrer le sujet sur le drame humain vécu à la fois par le jeune preneur d'otages, qui a conscience de l'aspect suicidaire de son geste, mais aussi par le présentateur télé, qui est confronté au cynisme de son show

A cause d'un simple bug informatique, les actions d'une grande entreprise s'effondrent brutalement, mais pour Lee Gates, cette info n'est qu'une ligne supplémentaire sur son prompteur. En revanche, pour Kyle Budwell, et à travers lui tous ces américains moyens qui boursicotent pour espérer arrondir leurs fins de mois, c'est une tragédie. A l'heure où l'argent est dématérialisé, Money Monster rappelle avec à-propos que les magouilles financières enrichissent les puissants en dépouillant les quidams.

Le film respecte le cahier des charges d'une production bien calibrée, avec son casting mêlant stars reconnus - George Clooney est excellent en animateur arrogant qui se voit contraint de réviser son système de pensée, Julia Roberts est parfaite en productrice solidaire mais aussi ambivalente quand elle se rend compte du potentiel spectaculaire du drame qui se joue en direct - et révélation - Jack O'Connell électrise par sa présence ce rôle de chien fou dépassé par son action. Le récit progresse dans un crescendo intense, aux rebondissements bien dosés, avec une intrigue qui est racontée avec un souci permanent de clarté.

Mais Money Monster est surtout une réussite pour la qualité de sa parabole : Foster reste mesurée tout en refusant les concessions, en évitant tout manichéisme. Personne n'est tout blanc ni tout noir dans cette affaire, aucune réponse n'est facile, le dénouement laisse un goût amer. Et c'est parce que chacun joue sa partition avec un métier et un plaisir évidents, que la tension monte sans faillir, qu'on ne décroche jamais, qu'on vibre pour les protagonistes. 

Le film est un hommage au travail d'investigation mais aussi une fable cruelle sur la monstruosité cynique des médias et de ceux qui la regardent : la télé transforme tout en un show, le public est captivé dans un mélange équivoque de compassion et de gourmandise. A la fin, la vie reprend : dans un bar, des clients rivés à l'écran reprennent leur partie de baby-foot. Et déjà Kyle Budwell est oublié. Glaçant.