jeudi 13 octobre 2016

LETTRE D'UNE INCONNUE, de Max Ophüls (1948)


LETTRE D'UNE INCONNUE (Letter from an Unknown Woman) est un film réalisé par Max Ophüls (crédité comme Max Opuls).
Le scénario est écrit par Howard Koch, d'après le roman de Stefan Zweig. La photographie est signée Frank Planer. La musique est composée par Daniele Amfitheatrof.


Dans les rôles principaux, on trouve : Joan Fontaine (Lisa Berndle), Louis Jourdan (Stefan Brand), Marcel Journet (Johann Stauffer), Leo B. Pessin (Stefan Jr.), Art Smith (John), John Good (lieutenant Leopold Von Kaltnegger), Mady Christians (Mme Berndle), Howard Freeman (Kastner), Sonja Bryden (Mme Spitzer).

Vienne, Autriche. 1900. L'ex-pianiste Stefan Brand rentre chez lui au coeur de la nuit et a rendez-vous à cinq heures du matin pour un duel contre un mari jaloux. Il commande à son majordome, John, de boucler ses valises et de commander un fiacre pour quitter la ville. Le valet lui remet une lettre qu'il va lire dans son bureau. Elle lui est adressée par une femme qui, le prévient-elle, sera sûrement morte quand il l'ouvrira.
 Lisa Berndle et Stefan Brand
(Joan Fontaine et Louis Jourdan)

Des années auparavant, la jeune Lisa Berndle assiste à l'aménagement dans l'immeuble où elle habite avec sa mère du pianiste Stefan Brand. Eprise de son talent avant de tomber amoureuse en le voyant, elle apprend, pour lui plaire, la danse, les bonnes manières, étudie les grands compositeurs. Bien qu'il fréquente des femmes, il n'a aucune liaison régulière. 
Mme Berndle et sa fille Lisa
(Mady Christians et Joan Fontaine)

Un jour qu'il est absent, elle s'introduit dans son appartement avant d'en sortir, surprise par le majordome, John. Sur le palier, elle surprend sa mère avec Kastner : ce tailleur veut épouser Mme Berndle et partir avec Lisa vivre à Linz où il réside. Le soir de leur départ, Lisa attend Stefan mais s'éclipse quand elle le voit rentrer avec une femme. 
Lisa et le lieutenant Leopold Von Kaltnegger
(Joan Fontaine et John Good)

A Linz, la mère de Lisa essaie d'arranger le mariage de sa fille avec un officier militaire, le lieutenant Leopold Von Kaltnegger, mais elle refuse ses avances en racontant être déjà engagée. Elle repart pour Vienne, résolue à retrouver Stefan. Pour être indépendante financièrement, elle se fait embaucher comme mannequin chez Mme Spitzer. Un soir, elle croise Stefan alors qu'il rentre chez lui. Il l'aborde et l'invite à passer la soirée ensemble. 
Lisa et Stefan

Charmés l'un par l'autre, ils dînent dans un restaurant, parlent dans une attraction de fête foraine, dansent jusqu'à ce que l'orchestre les laisse seuls. Stefan joue du piano juste pour Lisa.  
Lisa et Stefan

Ils finissent la nuit chez lui. Mais le lendemain, la rejoignant chez Mme Spitzer, il lui annonce devoir s'absenter deux semaines pour jouer à la Scala de Milan. Pris par d'autres engagements, il ne rentre pas au terme de ces quinze jours.
Enceinte, Lisa met au monde leur fils, qu'elle prénomme Stefan Jr.
Stefan Jr., Lisa et Johann Stauffer
(Leo B. Pessin, Joan Fontaine et Marcel Journet)

Neuf ans passent. Lisa a épousé Johann Stauffer, un bourgeois plus âgé qu'elle, qu'il a adopté son fils. Un soir, ils se rendent à l'opéra et elle remarque Stefan, dont la carrière a décliné, dans le public. Prétextant une migraine, elle quitte sa loge et sort appeler un fiacre. Stefan la rejoint, sans la reconnaître, mais en demandant à la revoir. Elle préfère se retirer en grimpant dans la voiture où l'attend son mari, qui la met en garde : il ne la laissera pas le quitter malgré les sentiments qu'elle éprouve toujours pour le pianiste.
Après avoir revu une ultime fois Stefan, qui ne se rappelle toujours pas dans quelles circonstances ils ont pu déjà se rencontrer, et la mort de son fils, victime du typhus lors d'un voyage en train, Lisa rédige sa missive. Stefan se rappelle alors d'elle en voyant sa signature. Accablé, il se rend finalement au duel, ignorant qu'il va affronter Johann Stauffer.

Exilé et sans travail, Max Ophuls végète à Hollywood depuis qu'il a fui l'Allemagne en 1933. Ses projets, jugés trop coûteux et maniérés, ne trouvent pas de financement jusqu'à sa rencontre avec le producteur John Houseman qui lui confie cette adaptation du roman de Stefan Zweig. Il y trouve tout ce qu'il aime : une intrigue solide, sensible, l'Europe centrale du début du XXième siècle, une femme victime d'un bel indifférent.

Le film, finalement, contient déjà tout ce que le cinéaste développera dans ses oeuvres françaises ultérieures, dont son chef d'oeuvre, Madame de... : l'examen d'une passion amoureuse, le sacrifice d'une vie, la vérité révélée douloureusement, la mort. Le mélodrame est aussi élégant que cruel, et c'est cette combinaison entre une forme somptueuse et un fond délicat qui fait toute la singularité et la qualité de l'oeuvre.
  
En effet, Ophuls réussit à donner au cadre toute l'opulence requise, avec des décors superbes, des costumes magnifiques, une lumière splendide (un noir et blanc cotonneux comme un rêve signé Frank Planer), sans jamais sombrer dans un baroque rococo, surchargé. Mais le soin apporté au contenu de l'image ne sert qu'à souligner la solitude des personnages et les errements de leurs amours. Au fil de nombreuses scènes majoritairement nocturnes, dans la ville de Vienne embrumée, ni Lisa ni Stefan ne se rendent compte de l'effilochage de leurs existences. La vérité leur apparaîtra dans l'intimité de leurs bureaux respectifs, elle rédigeant cette fameuse lettre-confession, lui la lisant et comprenant alors tout ce qu'il manqué.

Construit en flash-backs, le film permet d'apprécier l'évolution de Lisa, d'abord jeune femme naïvement mais absolument éprise, puis amante d'un soir, puis épouse dont le visage évoque un souvenir vague chez l'homme qu'elle a toujours aimé sans qu'il se rappelle qui elle est. On passe de l'amour inconditionnel à la désillusion pour elle, de l'indifférence à l'accablement pour lui. 

Ophuls souligne l'ironie de la situation avec le personnage du majordome de Stefan, John, qui est muet, mais qui, lui, se souvient de tout et assiste, impuissant, désolé, à l'épilogue de cette romance jamais concrétisée. Il a vu en Lisa cette créature débordée par ses sentiments et affligée par Stefan, maître qui ne vit que pour sa satisfaction égoïste, incapable de saisir l'amour qui s'offrait à lui, préférant la gloire et les aventures sans lendemain.

Pour incarner Lisa, Ophuls a eu la chance de diriger Joan Fontaine, qui a su éviter toute mièvrerie pour rendre cette héroïne si touchante : impossible de ne pas être bouleversé par son destin, de ne pas ressentir son désarroi quand elle n'est pas reconnue par cet homme qui ne voit pas celle qui n'a jamais vu que lui. Louis Jourdan interprète ce séducteur sans forcer le trait, comme un homme qui ne se rend pas compte du mal qu'il inflige, insouciant, frivole, jusqu'à ce que sa carrière ne décline, qu'il n'ait plus goût à jouer, et que le passé lui éclate au visage.  

Le studio Universal refusera de sortir Letter from an Unknown Woman en 48, estimant que le film était trop "européen". Il faut certainement interpréter cela comme une incompréhension de la nature trouble du traitement de l'histoire, proche du fantasme (Lisa n'a-t-elle pas toujours rêvé que Stefan pouvait l'aimer ?). Une sanction navrante pour ce mélodrame bouleversant signé par un cinéaste qui était aussi un peintre délicat des sentiments et dont la carrière française saurait restaurer le génie. 

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