samedi 1 octobre 2016

AMERICAN BLUFF, de David O. Russell (2013)


AMERICAN BLUFF (American Hustle) est un film réalisé par David O. Russell.
Le scénario est écrit par David O. Russell et Eric Warren Singer. La photographie est signée Linus Sandgren. La musique est composée par Danny Elfman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Amy Adams (Sydney Prosser), Christian Bale (Irving Rosenfeld), Bradley Cooper (Richie DiMaso), Jennifer Lawrence (Rosalyn Rosenfeld), Jeremy Renner (Carmine Polito), Louis C.K. (Stoddard Thorsen), Jack Huston (Pete Munsane), Elizabeth Rohm (Dolly Polito), Robert de Niro (Victor Tellegio), Alessandro Nivola (Anthony Amado), Michael Peña (cheikh Abdullah/Paco Hernandez).

1978, Atlantic City (New Jersey). Irving Rosenfeld, escroc et usurier,  fait la connaissance à une fête de Sydney Prosser, une ancienne strip-teaseuse ambitieuse et reconvertie dans le secrétariat d'un magazine de mode. Ils deviennent rapidement amants et partenaires en arnaquant des clients d'abord modestes puis plus riches dans des montages financiers, lui se faisant passer pour un conseiller financier et elle pour une aristocrate anglaise. Bien qu'ils forment un couple, Irving est déjà marié à Rosalyn, jeune femme instable et alcoolique, dont il a accepté d'adopter le fils, Danny.  
Sydney Prosser, Richie DiMaso et Irving Rosenfeld
(Amy Adams, Bradley Cooper et Christian Bale)

Mais la chance tourne quand ils sont piégés par l'agent du FBI Richie DiMaso. Ce dernier leur fait alors une offre : si Irving et Sydney les aident, lui et le service dont il dépend, à procéder à au moins quatre arrestations contre des fraudeurs en col blanc, ils seront relâchés et impunis. Dans la ligne de mire de Di Maso se trouve le jeune et populaire de Camden, Carmine Polito, qui veut profiter de la nouvelle légalisation du jeu dans les casinos voisins d'Atlantic City pour endiguer le chômage dans la région.  
Carmine Polito
(Jeremy Renner)

Bien que réticents à s'engager avec les autorités et sur une si grosse affaire, Irving et Sydney acceptent quand même et commence à élaborer un plan impliquant un faux cheikh arabe, Abdullah, que jouera un agent mexicain du Bureau, Paco Hernandez, prêt à investir une fortune sur le territoire américain. Il est ainsi présenté à Polito qui est d'abord méfiant mais que Irving convainc d'accepter l'argent directement en liquide. Cette façon de faire déplaît aussi au supérieur de DiMaso, Stoddard Thorsen, mais le directeur du FBI, Anthony Amado, accepte de débloquer les fonds pour cette opération si cela permet de confondre des congressistes et sénateurs corrompus ainsi que des mafieux encore liés aux casinos.
Carmine Polito, Richie DiMaso, Sydney Prosser et Irving Rosenfeld

Si Polito accorde sa confiance à Irving, il n'aime cependant pas DiMaso, qui se fait passer pour le conseiller du Cheikh, et pour raisonner l'agent du FBI, Sydney accepte de le séduire. Polito invite Irving et Rosalyn, Sydney et le cheikh à une réception donnée en compagnie de ses associés : c'est ainsi qu'ils rencontrent Victor Tellegio, bras-droit du boss de la pègre Meyer Lansky, chargé de s'assurer du sérieux du montage financier. Pour que les autorités ne suspectent rien, il faut donc que le cheikh obtienne la nationalité américaine au plus vite et verse dix millions de dollars. DiMaso est d'accord pour la somme tandis que Polito promet d'accélérer la procédure pour que Abdullah soit naturalisé, quitte à corrompre de hauts fonctionnaires. 
Victor Tellegio
(Robert de Niro)

L'enthousiasme général n'est cependant pas partagé par Irving car Sydney l'a prévenu que Rosalyn a séduit Pete Munsane, un mafieux, et ensuite parce que Richie, sous l'influence d'une consommation excessive de drogue et trop pressé de réaliser un coup de filet, menace toute l'opération. Rosenfeld et Prosser tentent de calmer DiMaso en le prévenant que, s'ils sont démasqués, Tellegio se vengera sur eux tous, mais l'agent du FBI, confus et énervé, se retire pour réfléchir. 
Rosalyn Rosenfeld et Sydney Prosser
(Jennifer Lawrence et Amy Adams)

La situation dégénère quand Rosalyn, ayant découvert la liaison d'Irving avec Sidney et leur collaboration avec ce qu'elle pense être le fisc (qu'elle confond avec le FBI), vend la mèche à Pete Musane. Ce dernier menace Irving qui réussit à le convaincre que l'investissement du cheikh est réel et sérieux. Ensuite, les époux Rosenfeld ont une discussion animée au terme de laquelle la jeune femme accepte désormais de se taire contre la promesse de son mari d'obtenir le divorce au terme de l'opération. 
Sydney Prosser, Richie DiMaso, Carmine Polito, Irving et Rosalyn Rosenfeld

Richie assiste avec Sydney, Irving et Polito aux rendez-vous avec les congressistes et sénateurs durant lesquels ils acceptent des pots-de-vin, filmés à leur insu par le FBI. Il reste à piéger Tellegio mais la direction du Bureau n'avance que deux millions de dollars à DiMaso pour boucler l'affaire. Avec Rosenfeld et Prosser, il se rend donc chez l'avocat du mafieux, Alfonse Simone. Sydney convainc Richie de conclure le deal avec le fondé de pouvoir en lui expliquant que cela suffira à confondre son boss.
Irving Rosenfeld, Sydney Prosser et Richie DiMaso

Irving se rend alors chez Polito pour lui avouer ce que les fédéraux l'ont obligé à faire mais en lui assurant qu'il a les moyens de lui éviter une lourde peine de prison.  Leur amitié est brisée, mais Rosenfeld n'a pas menti au maire car, quand, avec Sydney, il rejoint Richie dans le bureau du directeur Amado, il n'a aucun mal à accabler l'agent : en effet, les deux millions de dollars confiés par lui à l'avocat de Tellegio ont disparu et DiMaso est le seul susceptible d'avoir pu les détourner à son profit ou de des les avoir perdu parce qu'il est incompétent. Dans les deux cas, il n'a jamais transigé avec Tellegio lui-même ni même son avocat car c'était un comédien qui jouait ce rôle. 
Sydney Prosser et Irving Rosenfeld

Libérés par le FBI, Irving divorce comme promis de Rosalyn, qui refait sa vie avec Pete Musane, qui le remercie de ne pas avoir balancé Tellegio, et ouvre une galerie d'art avec Sydney. Richie est lui disgracié. Comme l'avait prévenu Rosenfeld devant un faux saisissant de ressemblance de Rembrandt : "qui est le maître ? Le peintre ou le faussaire ?" 

Il existe à Hollywood une "blacklist" de scénarios jugés par beaucoup de décideurs comme excellents mais jamais tournés : ces scripts passent ainsi de mains en mains, de studios en studios, attendant d'attirer l'attention d'un producteur, d'un cinéaste, d'acteurs en vue pour être tournés.

L'affaire "Abscam" a intéressé la capitale du cinéma dès sa révélation publique à la fin des années 70 et, peu après, Louis Malle commença à développer un long métrage intitulé Moon Over Miami à partir de cette histoire avec le tandem Dan Aykroyd-John Belushi (les interprètes des Blues Brothers de John Landis). Mais le décès de ce dernier annulera le projet en 1982. 

Il faut attendre près de 30 ans pour que le sujet resurgisse lorsque Eric Warren Singer en tire une nouvelle version baptisée American Bullshit. Ben Affleck est approché pour le réaliser mais décline l'offre. David O. Russell, auréolé du succès critique et public de Happiness Therapy, s'en empare alors et procède à une réécriture, délaissant l'aspect dossier historique pour se concentrer sur les personnages (qu'ils renomment) et ambitionnant une fresque à la fois lyrique et loufoque. 

Il se trouve que American Hustle, après avoir raflé un paquet de récompenses dans divers festivals et aux Golden Globes (la cérémonie précédant les Oscar), a affronté aux Academy Awards 2014 un autre film sur une escroquerie financière, Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese (qui repartira également bredouille). Mais ce qui est amusant dans ce concours de circonstances (et de statuettes dorées), c'est qu'on peut y lire une métaphore du film même et de la carrière de son réalisateur.

Russell est un électron libre dans le paysage hollywoodien actuel : il est reconnu pour sa versatilité mais celle-ci lui est aussi reproché car elle empêche de lui coller une étiquette. Faute de mieux, on le considère comme un directeur d'acteur émérite (seul George Clooney n'a pas apprécié ses méthodes, même s'il a admis son talent) et un metteur en scène assez souple pour aborder tous les genres (le film de guerre avec Les rois du désert, la "romcom" avec Happiness therapy, le drame avec Fighter, le biopic avec Joy). Et son influence la plus manifeste, sinon la plus assumée et revendiquée, est justement celle de Martin Scorsese, son challenger aux Oscar 2014 donc, et American Bluff est véritablement son opus le plus "scorsesien", en quelque sorte sa version des Affranchis ou de Casino.

Ce récit était le véhicule idéal donc pour Russell : un sujet lui fournissant la possibilité d'une reconstitution des années 70 (qui virent l'éclosion de Scorsese), un scénario sur des losers que la nécessité va transcender (au point de doubler le FBI et la mafia), parfaitement calibré pour obtenir des performances d'acteurs.

Mais David O. Russell n'est pas Scorsese - et c'est tant mieux. Car là où l'ancien enfant chéri du "New Hollywood" se complaît désormais dans des (très - trop !) longs métrages opératiques, écrasés par ses motifs religieux, et incarnés par un Leonardo di Caprio en surchauffe permanente grotesque pour décrocher un Oscar (qu'il a fini par obtenir cette année, ce qui va peut-être lui inspirer un jeu plus nuancé), Russell préfère déclarer son affection pour les débrouillards et les donner à jouer à des stars trop heureuses du cadeau (car ces personnages suscitent toujours la sympathie), et privilégie le portrait intime aux envolées lyriques, compensant ses mouvements de caméra virevoltants par une écriture compatissante. A Scorsese donc l'examen fiévreux des tourments de l'âme humaine, la grandiloquence exaltée. A Russell la bienveillance envers les héros dépassés par les événements, la folie douce.  

Comme Irving Rosenfled qui interroge Richie DiMaso devant un saisissant faux de Rembrandt : "Qui est le meilleur ? Le maître ou le faussaire ?", j'avoue ma préférence devant ce joyeux faussaire qu'est David O. Russell par rapport au maestro Scorsese, dont le cinéma me fatigue, trop ivre de ses propres effets, trop répétitif avec ses remords catholiques. Russell ne se prend par non plus comme un styliste dévot (à la de Palma) ou un expérimentateur mégalo (à la Coppola) : son cinéma est sympathique, foutraque (avec parfois une pointe d'hystérie), hédoniste, mais on sort de ses films revigorés, le sourire aux lèvres.

American Bluff délivre son lot de grands numéros d'acteurs donc, et parfois même de "gros" numéros : le pic étant atteint avec une scène où Robert de Niro donne la réplique à Christian Bale sans qu'on sache exactement lequel imite l'autre, le premier cabotinant pour rendre son petit rôle mémorable ou le second pour s'afficher comme un performer digne de son partenaire jadis (Bale a pris une bonne vingtaine de kilos pour camper Rosenfeld et porte un postiche sur son crâne dégarni pour l'occasion - une vraie caricature de l'actor's studio mais qui a au moins le mérite d'être amusante alors que ce comédien se prend d'ordinaire bien trop au sérieux dans ses autres films).

On peut donc préférer la prestation de Bradley Cooper, désopilant avec ses cheveux bouclés et agité comme le loup de Tex Avery : excitation compréhensible car il a en face de lui une Amy Adams transfigurée en bombe sexuelle - elle est vraiment irrésistible tout en ne jouant jamais de manière too much (citée à l'Oscar 2014, elle a perdu, mais contre l'exceptionnelle Cate Blanchett dans Blue Jasmine de Woody Allen). Jennifer Lawrence fait le show dans un second rôle, à la limite de l'hystérie, mais éclatante de sensualité elle aussi. Et Jeremy Renner est fabuleux en brave type prêt à toutes les compromissions pour le bien commun.

American Bluff est trop long (140 minutes), inégal, mais il est aussi jubilatoire, tonique, drôle, entraînant. Ses défauts, qui pourraient le plomber, n'en faire qu'un ersatz du cinéma auquel il se réfère, lui donnent au contraire sa qualité : un panache certain et un sens épatant de l'entertainment.

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