dimanche 2 octobre 2016

KLUTE, de Alan J. Pakula (1971)


KLUTE est un film réalisé par Alan J. Pakula.
Le scénario est écrit par Andy et Dave Lewis. La photographie est signée Gordon Willis. La musique est composée par Michael Small.


Dans les rôles principaux, on trouve : Jane Fonda (Bree Daniels), Donald Sutherland (John Klute), Roy Scheider (Frank Ligourin), Nathan George (Trask), Dorothy Tristan (Arlyn Page), Vivian Nathan (la psychanalyste de Bree), Robert Milli (Tom Gruneman).
 John Klute
(Donald Sutherland)

Son mari, Tom Gruneman, bon père de famille et homme d'affaires, disparu depuis six mois sans explication, sa femme demande à leur ami, un ancien flic, John Klute, de poursuivre l'enquête abandonnée par la police. Ses anciens collègues n'avaient qu'une piste remontant jusqu'à une certaine Bree Daniels, call-girl, à qui Tom aurait adressée des courriers obscènes mais la jeune femme jure ne pas l'avoir revu.
Bree Daniels
(Jane Fonda)

Klute quitte donc la Pennsylvanie pour gagner New York et suivre la prostituée qu'il a mise sur écoute. Il découvre qu'elle passe divers castings (pour des films publicitaires ou des pièces de théâtre) et consulte une psychanalyste (à qui elle avoue qu'en vendant ses charmes à de riches hommes elle a le sentiment de pouvoir les contrôler). Le détective l'aborde une première fois mais elle refuse de lui parler, estimant avoir déjà tout dit aux policiers, puis une deuxième fois pour lui montrer la chambre depuis laquelle il l'observe et l'écoute. Bree explique alors qu'elle ne se rappelle vraiment pas de Gruneman, et avoir été agressé deux ans auparavant par un client. Depuis, elle a le sentiment d'être épiée, subit un harcèlement téléphonique et a perdu ses plus riches habitués.  
Frank Ligourin
(Roy Scheider)

Bree présente Frank Ligourin, qui lui présente parfois des hommes, à Klute : il évoque Arlyn Page, un amie, toxicomane, elle aussi victime des violences du même client. Trina, une maquerelle, ne sait pas où se trouve Arlyn, suggérant qu'elle a pu être tuée ou avoir succombé à la drogue. Bree, oppressée, est hébergée par Klute et elle se donne à lui pour le remercier, mais sans sentiments ("jamais avec un client" lui dira-t-elle ensuite, bravache).
Trask
(Nathan George)

Klute et Bree retrouvent enfin Arlyn dans un taudis mais elle est incapable de certifier que Gruneman est l'homme qui les a brutalisées, elle puis son amie. Le détective fait son rapport à Trask, l'ancien associé du disparu, qui l'autorise à poursuivre ses investigations - mais qui, une fois seul, écoute des enregistrements de Jane, une autre prostituée. 
Bree

Bree confie à sa psy aspirer à une existence plus tranquille à défaut de trouver une meilleure situation ou l'amour, même si elle reconnaît être touchée par la bienveillance de Klute. Toutefois, le repos de la jeune femme n'est pas gagné car, peu après, elle apprend comme le détective que la police a repêché le cadavre de Arlyn dans l'Hudson river. 
Bree et Klute

Au retour d'un marché nocturne où ils ont fait les courses ensemble, Bree et Klute découvrent l'appartement de la jeune femme mis à sac. Elle veut alors se cacher chez une amie de Frank Ligourin mais Klute le met dehors. Bree blesse alors le détective qui se retire. 
Klute et Bree

Bree se rend chez sa psy mais elle est absente. Elle laisse un numéro où la joindre puis va chez Nathan Goldfarb, un de ses clients, propriétaire d'un atelier de confection. Celui-ci a dû partir mais lui a laissé de l'argent. Bree décide de l'attendre. Cependant, Klute cherche à savoir où elle se trouve et téléphone chez sa psy, demandant à la secrétaire de lui transmettre le numéro qu'elle laissée pour la joindre. 
Trask se présente à l'atelier et évoque avec Bree un carnet ayant appartenu à Jane qui le compromettrait : il avoue l'avoir accidentellement tué, ce dont aurait été témoin Gruneman, qu'il a ensuite supprimé de peur qu'il le dénonce. Il a ensuite éliminé Arlyn Page et veut désormais faire de même avec Bree. Klute arrive et assiste à la défenestration de Trask, repoussé par la jeune femme.
Bree quitte New York et Klute l'accompagne, peut-être pour vivre avec elle...

Après l'avoir vue dans le décevant Pieds nus dans le parc, il fallait que je retrouve Jane Fonda dans un meilleur film : quoi de mieux que celui pour lequel elle obtint son premier Oscar (avant son second, en 1978, dans Retour de Hal Ashby) ?

Klute ne vaut cependant pas seulement qu'on s'y arrête juste pour le sacre qu'il a offert à sa vedette : ce mémorable thriller, produit et réalisé par Alan J. Pakula, fait aussi partie de sa "trilogie paranoïaque" avec les noms moins excellents A Cause d'un assassinat (1974) et Les Hommes du Président (1976).

L'inspiration de ces trois opus était en prise directe avec la crise morale que traversait au début des années 70 l'Amérique, empêtrée dans la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate (1972) : le sentiment d'insécurité, la contestation sociale et la défiance de la population vis-à-vis de l'administration Nixon allaient nourrir des oeuvres de premier plan comme Conversation Secrète (Francis Ford Coppola, 1974) ou Les Trois jours du Condor (Sydney Pollack, 1975) comme autant de témoignages sur cette époque.

Pakula exploite cette ambiance délétère et oppressante dès le générique d'ouverture où on découvre que les conversations d'un dîner de famille sont enregistrées sur un magnétophone. Le spectateur est immédiatement placé dans une position de voyeur avec cette impression permanente que tout le monde est surveillé par des hommes dans l'ombre (saisie par la splendide photo de Gordon Willis, dont l'esthétique continue d'être copiée par tous les réalisateurs explorant ce genre).

En vérité, assez rapidement, l'identité du comploteur-assassin, qui tire les ficelles de la disparition de Tom Gruneman, ce notable a priori sans histoire mais pourtant client d'une prostituée et témoin d'un crime sordide, est révélée : il s'agit donc moins d'une intrigue construite sur la révélation du coupable mais sur le mobile de ce personnage.

La situation est d'autant plus dérangeante que le meurtrier a l'apparence d'un homme ordinaire et établi et qu'il met en danger les deux héros pour lesquels on éprouve alors naturellement de la sympathie même s'ils sortent de l'ordinaire : d'un côté il y a John Klute, ex-flic désormais détective privé, intègre et taiseux mais pugnace et bienveillant, et de l'autre il y a Bree Daniels, superbe call-girl, mais surtout jeune femme  angoissée, doutant d'elle-même (au point de suivre une analyse), de ses sentiments, tentant de cacher sa fragilité et sa fébrilité derrière un masque de cynisme.

Plus que l'enquêteur dont le film porte le nom, c'est bien cette femme dont l'histoire dresse un portrait exceptionnellement subtil et complexe. Pour ce rôle qu'elle joue avec une admirable sobriété, Jane Fonda a été justement sacrée car elle ne force jamais le trait de la dimension érotique et fantasmatique d'un tel personnage (les scènes d'amour y sont d'ailleurs aussi rares que brèves et dénuées de glamour). Elle évite les clichés, ni pute au grand coeur ni débauchée sexy, mais plutôt victime désemparée par une affaire qui la dépasse, méfiante mais craquant progressivement pour ce protecteur qui sait l'apaiser sans la courtiser. Donald Sutherland est également formidable, prêtant son allure unique, élancée plus que massive, fin et mystérieux plus que viril et imposant, à ce privé aussi inoubliable que son curieux patronyme.

Avec Bree Daniels est aussi suggérée une métaphore troublante du métier même de comédien : l'héroïne rêve de se produire au théâtre ou au cinéma, elle interprète d'ailleurs un rôle pour chacun de ses clients, correspondant à leurs désirs. Puis en cessant de se vendre pour être simplement elle-même, auprès du seul homme disposé à l'aimer avec ses failles, elle renonce à ses masques, à être la meilleure des actrices de composition afin d'être en paix. C'est aussi ce qu'a fini par accomplir Jane Fonda, fille d'une légende de Hollywood, jeune première mignonne, muse érotisée, puis enfin vedette et femme engagée qui, au sommet de sa gloire, n'a plus eu besoin de (se) prouver sa légitimité - et s'est logiquement éclipsée ensuite (mis à part quelques réapparitions tardives mais en deçà de son talent).

Ce film témoin de son époque et ce rôle emblématique de son actrice confèrent encore aujourd'hui à Klute une aura fascinante en plus de sa qualité de thriller si intense. 

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