mercredi 31 août 2016

WHITE BIRD, de Gregg Araki (2014)


WHITE BIRD (White Bird in a Blizzard) est un film écrit et réalisé par Gregg Araki, adapté du roman Un Oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasischke.
La photographie est signée Sandra Valde-Hansen. La musique est composée par Robin Guthrie.

Dans les rôles principaux, on trouve : Shailene Woodley (Katrina "Kat" Connors), Eva Green (Eve Connors), Christopher Meloni (Brock Connors), Shiloh Fernandez (Phil Hillman), Dale Dickey (Mrs. Hillman), Thomas Jane (détective Theo Scieziesciez), Angela Bassett (Dr. Thaler), Gabourey Sidibé (Beth), Mark Indelicato (Mickey), Sheryl Lee (May).

Automne-Hiver 1988. Eve Connors disparaît subitement et sans explications un jour de la maison où elle vit avec son mari, Brock, et sa fille, Katrina ("Kat").
 Eve Connors
(Eva Green)

Incrédules, le père et la fille avertissent la police, qui accorde apparemment peu d'importance à l'affaire, même si le détective Theo Scieziesciez promet de suivre le dossier.
 Kat et Brock Connors
(Shailene Woodley et Christopher Meloni)

Pour l'adolescente, cet événement suit la perte de sa virginité dans les bras de son petit ami et voisin, Phil Hillman, jeune homme séduisant mais vrai cancre au lycée, qu'elle fréquente davantage pour le sexe que par amour, même s'il diffère désormais fréquemment leurs étreintes.
 Kat Connors et Phil Hillman
(Shiloh Fernandez et Shailene Woodley)

Kat est en vérité presque soulagée de la disparition de sa mère comme elle le confie à sa psychothérapeute, le Dr Thaler, et ses deux meilleurs amis, Beth et Mickey, car Eve Connors, après ses premières années comme épouse et mère, était devenue une femme perturbée, agressive, méprisant ouvertement son mari, et oppressant sa fille.
 Kat, Beth et Mickey
(Shailene Woodley, Gabourey Sidibé et Mark Indelicato)

Parce qu'elle a besoin de réponses mais aussi parce qu'elle est physiquement attirée par lui, Kat se rend chez Theo et couche avec lui. Le détective a l'intime conviction que Eve Connors est morte, probablement assassinée, même si aucune preuve contre Brock, qu'il suspectait, n'a permis de le confondre. 
 Theo Scieziesciez et Kat Connors
(Thomas Jane et Shailene Woodley)

Printemps-Eté 1991. Kat suit désormais des études universitaires à Berkeley et profite d'une semaine de vacances pour rentrer voir son père. Il lui annonce fréquenter une nouvelle femme, May, et elle lui donne sa bénédiction puisque Eve n'a pas reparu.
En revoyant Theo, la jeune femme apprend que, contrairement à ce qu'elle pensait, la police a continué à enquêter sur la disparition de sa mère. Mais en remarquant que Phil l'évite et en essayant d'interpréter les rêves récurrents qu'elle fait au sujet de Eve, Kat s'interroge sur l'éventualité d'une liaison entre son ex-boyfriend et sa mère et si son père s'en doutait également.
La vérité sera sensiblement différente mais finira par éclater peu après le retour de Kat en fac...

J'avoue ne m'être jamais vraiment penché sur la filmographie de Gregg Araki, même si je connaissais le cinéaste de nom et de réputation : distingué comme un des enfants terribles du cinéma indépendant américain, il avait sensation avec Kaboom, un long métrage explosif sur la sexualité de la "doom generation" des années 90.

En adaptant un roman de Laura Kasischke, consacrée depuis avec la parution de son chef d'oeuvre Les Revenants, on pouvait donc estimer que Araki s'assagissait. Et cette impression semble se confirmer dès les premières scènes de White Bird à l'esthétique à la fois sobre et élégante, loin des extravagances colorées de ses précédents efforts.

Pourtant, en s'intéressant à nouveau à une adolescente, le cinéaste continue d'explorer cet âge de la vie qui a inspiré ses oeuvres antérieures : en lieu et place d'une recherche de sensations fortes via des stupéfiants, c'est la quête d'une mère subitement disparue qui est au coeur de cette histoire. Et, contre toute attente, cette disparition ne provoque pas de grand bouleversement chez Kat et son père, même si elle survient au moment où la jeune fille s'éveille sexuellement. 

Les lecteurs de Laura Kasischke ne seront pas dépaysés par la transposition sur grand écran de Gregg Araki : il restitue parfaitement les décors familiers de la romancière, cette banlieue pavillonnaire de la middle-class américaine, située dans une ville si banale qu'elle n'est jamais nommée. Ce cadre tranquille est d'abord, dans le premier acte de l'intrigue, moins celui d'une investigation classique (la présence policière y étant résumée à un seul détective, très moyennement motivé) qu'à un champ d'expérimentations diverses pour l'héroïne. Entre ses cours au lycée, ses soirées à refaire le monde avec ses deux meilleurs amis, son flirt avec son voisin, Kat s'ennuie et la disparition de sa mère intervient comme l'élément déclencheur pour s'émanciper. Libérée de cette présence qui n'avait rien de la figure maternelle rassurante, elle aspire à des sensations fortes et, sous le prétexte d'indiquer une piste au policier chargé de l'affaire, se donne à lui après s'être présentée chez lui dans une tenue sans équivoque.

Araki pose cette première partie à la fin des années 80 qu'il reconstitue à l'économie (budget modeste oblige) mais de manière habile, au moyen d'une bande-son datée (Cure, Depeche Mode).

Le deuxième acte débute après une ellipse de presque trois ans et va insister sur l'influence intacte de la disparue, sorte de fantôme hantant encore son mari et sa fille. Araki ponctue ce retour épéhémère au bercail de scènes oniriques en laissant le spectateur spéculer, comme Kat, sur leur signification.

L'histoire a changé de décennie et les couleurs traduisent aussi bien ce saut dans le temps que l'exacerbation des sentiments vis-à-vis de ce mystère irrésolue. Kat a besoin désormais de réponses pour avancer dans la vie, et le film va et vient, de flash-backs trompeurs sur la glissade psychologique de Eve, à la fois frustrée et aguicheuse, et la maturité acquise par sa fille, prête à affronter la vérité. Le procédé permet de souligner la mécanique interne de l'intrigue reposant sur la question de la transition et du conflit : même dérangée et dérangeante, cette mère est, à l'image du titre du film, encore invisible comme un oiseau blanc dans le blizzard mais interpelle sa fille en rêve en lui indiquant qu'elle est là, devant elle.

En étant décidée à déchirer le voile, à découvrir pourquoi et dans quelles circonstances Eve est partie, Kat sonde une liste de suspects potentiels : son ex-petit ami était-il aussi l'amant de sa mère ? Son père l'a-t-il appris et s'est-il vengé (confirmant le récit du détective au sujet de menaces mises à exécution contre de précédents voisins) ? Tout cela se résumait-il à une lutte entre une mère souffrant de ne plus être désirée et jalouse de sa fille devenue plus attirante qu'elle, à une compétition de séductions. En creusant ces pistes, Araki donne à la fois une substance étonnante à la disparue en même temps qu'il définit Kat par le biais de cette douloureuse introspection.

De spectatrice, Kat devient force motrice, et l'interprétation qu'en donne Shailene Woodley est remarquable, aussi convaincante dans l'expression du charme physique, troublante combinaison d'un corps sensuelle et d'un visage encore adolescent, que dans la détermination affichée de la jeune femme avide de réponses.

Son face-à-face atypique avec Eva Green, lors de scènes brèves et intenses, offre à cette dernière l'occasion d'une composition à la fois vertigineuse, où elle réussit à être parfaitement crédible en quadragénaire à la dérive (alors qu'elle n'avait que 34 ans lors du tournage, soit à peine onze de plus que Woodley), et teintée d'auto-dérision (le rôle joue à la fois sur sa présence érotique et ses précédentes prestations dans des rôles habitées).

Pour son formidable duo d'actrices, son dénouement imprévisible et remuant, son ambiance subtilement malsaine et sensuelle à la fois, sa puissance symbolique, ce récit initiatique en forme de polar mérite vraiment qu'on s'y arrête : un film envoûtant, métaphorique et troublant.

mardi 30 août 2016

MAGIC IN THE MOONLIGHT, de Woody Allen (2014)


MAGIC IN THE MOONLIGHT est le 44ème film écrit et réalisé par Woody Allen.
La photographie est signée Darius Khondji.
Dans les rôles principaux, on trouve : Colin Firth (Stanley Crawford), Emma Stone (Sophie Baker).
Stanley Crawford (Colin Firth
et Sophie Baker (Emma Stone)

1928. Stanley Crawford, un célèbre illusionniste britannique, se produit à Berlin sous l'accoutrement de Wei Ling Soo. Un de ses vieux amis et collègues, Howard Burkan, vient faire appel à lui pour démasquer une jeune femme, Sophie Baker, qui se prétend spirite et entreprendrait, avec sa mère, qui lui sert d'impresario, de dépouiller une riche famille établie sur la Côte d'Azur (le fils unique est d'ailleurs prêt à l'épouser).
Crawford, prétentieux, rigide et misanthrope, qui emploie son temps hors de la scène à chasser tous les médiums, qu'il considère comme des charlatans, relève le défi, en sacrifiant un voyage avec sa fiancée aux îles Galapagos. 
Une fois sur place, il ne tarde pas à s'attirer l'inimitié de tous ses hôtes et de celle qu'il affronte. Mais Sophie est une adversaire coriace et désarmante, qui le perce vite à jour. Quand Crawford lui présente sa vieille tante Vanessa, qui l'a élevé, et vit près de chez les Catledge, la jeune femme révèle des détails que personne ne connait et qui bouleverse l'illusionniste, alors convaincu qu'elle a réellement un don surnaturel.

Reconnaissant sa défaite auprès de Burkan, il la présente à la presse. Troublé aussi par le charme de Sophie, il refuse toutefois de déclarer ses sentiments quand elle, le fait de manière suggestive lors d'une réception fastueuse donnée par l'héritier des Catledge pour annoncer leurs fiançailles.
La situation prend toutefois un tour nouveau lorsque la tante Vanessa a un accident de la route et se trouve entre la vie et la mort. Crawford va jusqu'à prier pour qu'elle s'en remette avant de comprendre comment on s'est joué de lui et pourquoi. Malgré cela, admettra-t-il son amour pour Sophie en lui pardonnant ? 

La régularité métronomique avec laquelle Woody Allen filme est impressionnante et la qualité de son oeuvre tout autant : il peut parfois mieux réussir son coup mais jamais il ne produit quelque chose de mauvais ; il y a toujours, même dans dans un de ses opus ratés, quelque chose qui vous reste en mémoire et qui, à défaut de sauver le long métrage, vous y fait repenser avec le sourire ou peut nourrir une conversation avec un autre amateur.

La décennie passée a aussi prouvée que Woody Allen avait su trouver un nouveau souffle en osant quitter son giron new-yorkais : certes, ses voyages ont été aussi motivés par l'obtention de financements étrangers, mais il a puisé dans ses déplacements une vigueur qui a profité à son écriture. La découverte de nouveaux décors, le recrutement de nouveaux (et souvent plus jeunes) acteurs, a redonné à son cinéma des couleurs, une audace. 

Quand on se rappelle de Match point, Scoop, Vicky Cristina Barcelona (fameux triptyque avec sa muse Scarlett Johansson), Le Rêve de Cassandre, Midnight in Paris, ou de Blue Jasmine, on mesure tout cela (et on relativise les titres plus mineurs comme To Rome with love et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu - des films choraux auxquels ils manquaient justement un argument assez fort et aux castings surpeuplés).
Et quand il a reposé sa caméra à Manhattan, c'est pour y raconter une fable jubilatoire (l'excellent Whatever works).

Magic in the moonlight fait partie des très bons crus "Alleniens" de ces dernières années (on attendra encore un peu pour les comparer à d'autres, plus anciens et passés à la postérité). 

Il se trouve que  le sujet m'attirait spécialement car je m'intéresse à l'histoire des prestidigitateurs du début du XXème siècle (j'avais même eu le projet d'écrire un scénario à ce propos, mais sans parvenir à trouver une intrigue et un angle qui me satisfassent). 

Ainsi, j'ai pu apprécier, en premier lieu, la qualité de la documentation du cinéaste sur la guerre entre illusionnistes (il est impropre de parler de magiciens car les illusionnistes détestaient ce terme) et les spirites, magnétiseurs et autres filous : le célèbre Harry Houdini, "roi de l'évasion", fut un contempteur acharné de ces escrocs (quand bien même il souscrit au "pacte de mort des magiciens", un rituel d'invocation des disparus par leurs proches survivants).

Le personnage de Wei Ling Soo s'inspire aussi de figures de l'époque à laquelle se déroule l'histoire du film :il n'était en effet pas rare que des occidentaux se griment en orientaux pour rendre leurs spectacles plus exotiques et leurs numéros plus impressionnants aux yeux d'un public fasciné par tout ce qui venait du bout du monde..
  
Mais Woody Allen et la magie, c'est une vieille histoire : déjà dans Stardust memories, puis plus tard dans Le Sortilège du scorpion de Jade et Alice, on y trouvait des personnages et des éléments du folklore. Encore plus récemment, dans Scoop, il incarnait un prestidigitateur raté. 

Quoi de plus naturel en somme pour un auteur dont le discours, tour à tour mélancolique et léger, dramatique et comique, sur les sentiments et leurs révélations alimente l'oeuvre que d'invoquer la magie, ses artifices, pour souligner le dérisoire ou l'essentiel dans les relations entre hommes et femmes.

Magic in the moonlight procède de la même manière et, comme toute fable, elle délivre une morale simple mais  typique de la philosophie de la vie selon Woody Allen : il n'y a pas d'amour sans qu'un tour soit joué.

En insistant sur la possibilité d'un merveilleux irrationnel opérant dans la rencontre entre un illusionniste désabusé et grincheux et une séduisante pseudo-spirite faussement ingénue, l'auteur, pourtant au sommet de son pessimisme sur la condition humaine, comme en témoignent des dialogues de plus en plus féroces (à la fois drolatiques et sinistres - drolatiques car sinistres même), semble pourtant confier à ses spectateurs qu'il est finalement peut-être préférable d'être heureux malgré une supercherie que d'être malheureux dans le vrai - ou, à tout le moins, en acceptant quelques compromis avec la vérité.

Après l'exploration cruelle et vertigineuse de la déchéance sociale, sentimentale et mentale d'une grande bourgeoise trompée dans Blue Jasmine, Magic in the moonlight s'apprécie aussi pour sa délicatesse et son absence de drame. Comme d'autres cinéastes très productifs, le cinéma de Woody Allen possède cette vertu, qui exercer une séduction durable sur ses fans, de se décliner de façon réactive : après un opus grave, le suivant sera plus léger, cette alternance permet ainsi d'apprécier chacun car leurs attraits sont distincts.

Pourtant, malgré ce soin à démarquer chaque oeuvre de la précédente, on peut s'amuser à noter que Allen aime à mixer de plus en plus régulièrement une certaine mélancolie, toujours élégante (une sorte de "désespoir gai") et d'exotisme, comme c'était déjà le cas avec Vicky Cristina Barcelona ou Midnight in Paris : ici, encore, on retrouve un cadre inattendu pour le cinéaste (la "french riviera"), capté à une époque emblématique (la fin des "années folles"), avec donc tout l'aspect esthétique qui leur est liés (costumes, décors, véhicules, musique, ambiance), et une histoire d'amour contrariée, improbable, pleine d'embûches,  mélange de joutes oratoires piquantes et de moments suspendus où les protagonistes sont face à eux-mêmes sans savoir comment réagir, désarçonnés par ce qu'ils éprouvent, et l'exprimant ensuite maladroitement (de manière à la fois touchante et humoristique).

Libéré de New York, ville dont il connaît tout comme il l'a abondamment filmée, Woody Allen retrouve ailleurs le charme de l'illusion dans ses cartes postales où il situe désormais ses histoires, empruntant à divers genres, sans restriction, comme le polar, la comédie, la romance, le fantastique. 

Qu'importe alors, en définitive, s'il s'agit d'un grand ou même d'un de ses meilleurs films, récents ou plus globalement, Magic in the moonlight s'apprécie plutôt dans ce que son auteur nous glisse : le discours d'un artiste qui ne croit plus en rien mais qui raconte pourtant encore des histoires de gens qui font "comme si".

La mise en scène est au diapason : discrète mais juste. Allen n'est pas un réalisateur adepte de mouvements d'appareils ostentatoires, sa caméra est au service de son récit et de ses acteurs. Tant pis pour le spectacle ?

Pas si vite, car le cinéaste s'entoure de techniciens d'un calibre fabuleux, comme cette fois-ci avec le chef opérateur Darius Khondji, qui a produit une photographie somptueuse pour le film (guère étonnant de la part du responsable des images de Seven de David Fincher comme de Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet). 

Et tout le "production design" est à l'avenant, avec des costumes, des décors vraiment superbes - étonnamment "riche" pour un long métrage qui ne doit pourtant pas disposer d'un budget important. 

Et les acteurs ? 

Il semble que Woody se soit trouvé une nouvelle muse avec la ravissante et excellente Emma Stone puisqu'on sait déjà qu'elle est la vedette de son prochain film (The Irrational Man, aux côtés de Joaquin Phoenix). Elle incarne à la perfection et avec un charme désarmant Sophie Baker, parée de toilettes qui lui vont à merveille, imposant sa candeur irrésistiblement : on est conquis dès le premier regard par cette spirite à laquelle on pardonnera tout et qu'on aime aussi pour son sens de la répartie assénée avec un sourire fondant.

Face à elle, Colin Firth : je connaissais très mal cet acteur, l'ayant remarqué dans les deux Bridget Jones (où il jouait Marc Darcy, le rôle le plus ingrat). Récompensé d'un Oscar (mérité selon l'avis général) pour Le Discours d'un roi (pas vu), il mène une carrière sans grand éclat et j'étais curieux de voir ce qu'il donnerait chez Woody Allen (quand bien même celui-ci nie toujours farouchement diriger spécialement ses acteurs, se contentant comme il le dit d'essayer de bien les choisir). Et Firth est formidable, évitant ce que beaucoup d'autres avant lui ont fait, imiter le phrasé et les postures de son metteur en scène quand il joue, composant sobrement mais efficacement un personnage désenchanté mais piégé.

Un très bon couple (assurément là un des meilleurs chez Allen depuis celui formé par Larry David et Evan Rachel Wood dans Whatever works, dans un registre d'âge et de rapports similaires).

Magic in the moonlight ? Magique ! 

A LA POURSUITE DE DEMAIN, de Brad Bird (2015)


A LA POURSUITE DE DEMAIN (Tomorrowland) est un film réalisé par Brad Bird.
Le scénario est écrit par Brad Bird, Damon Lindelof et Jeff Jensen, adapté librement des attractions Carousel of Progress et It's a small world du parc de loisirs DisneyLand. La photographie est signée Claudio Miranda. La musique est composée par Michael Giacchino.
Dans les rôles principaux, on trouve : Britt Robertson (Casey Newton), George Clooney (Frank Walker), Hugh Laurie (David Nix), Raffey Cassidy (Athena), Tim McGraw (Eddie Newton), Judy Greer (Jenny Newton).

1964 : la Foire Universelle de New York.

Casey Newton est une jeune fille, douée en sciences. Elle ne se résigne pas à la fermeture annoncée du site de Cap Canaveral où travaille son père ingénieur et pour retarder l'arrêt du centre, elle en sabote les installations jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée en flagrant délit.
Au poste de police, Casey est libérée après le versement d'une caution et en récupérant ses affaires, elle y trouve un étrange pin's qui ne lui appartient pas mais qui, lorsqu'elle le touche, lui fait apparaître un monde futuriste qu'elle est seule à voir.
En renouvelant l'expérience, elle peut visiter Tomorrowland jusqu'à ce que la batterie du pin's soit déchargé. Elle cherche alors de informations sur le Net concernant la provenance de cet objet et fugue pour gagner la boutique de vendeurs de gadgets de collection. 
Les commerçants sont en fait des robots qui veulent s'approprier le pin's, quitte à tuer Casey quand elle leur jure ne pas savoir comment on le lui a transmis. L'intervention d'une fillette, Athéna, aux capacités physiques sur-développées, la sauve in extremis.
Ensemble, elles rejoignent le domicile du seul homme en mesure de renseigner Casey : Frank Walker. Athéna l'a connu autrefois, lors de la Foire Universelle à New York en 1964-1965, où, encore adolescent, il y avait présenté, sans succès, un jet-pack à David Nix, mais où il avait eu accès, sans autorisation, à Tomorrowland.
Seule avec Walker, qui vit en ermite, et ignorant qu'une brigade d'androïdes est à ses trousses, Casey apprend qu'il en a été banni mais aussi qu'elle brouille les probabilités que Tomorrowland soit détruit comme son hôte le lui assure.
En compagnie d'Athéna, Casey et Walker retournent donc sur place et y affrontent Nix qui refuse de croire que son monde puisse être sauvé, au prétexte que la civilisation provoquera toujours, quelle que soit la situation, sa propre perte en épuisant les ressources de la Terre et en se battant pour les exploiter abusivement... 
Tomorrowland

J'ai été voir A la poursuite de demain parce que je suis d'abord un grand fan de Brad Bird depuis Les Indestructibles. Il a confirmé tout le bien que je pensais de lui ensuite avec Ratatouille, autre film d'animation (qu'il a grandement participé à sauver d'un scénario original mal écrit). Puis il a accompli avec brio sa transition vers le cinéma live en réalisant le quatrième volet de la franchise Mission : Impossible, Protocole Fantôme (assurément le meilleur depuis le premier épisode de Brian De Palma).

Quand il a refusé le 7ème chapitre de Star Wars, son nouveau projet a fait frissonner de nombreux cinéphiles : quelle production pouvait être plus attractive pour un cinéaste qu'un gros succès programmé (même si, personnellement, je n'ai jamais été un fan du feuilleton sur grand écran initié par George Lucas) ?

La réponse s'intitule Tomorrowland (en v.o.) et si ce n'est pas le meilleur opus de son réalisateur, c'est tout de même un divertissement très plaisant, un beau film d’aventure, hommage aux inventeurs et aux rêveurs. Un authentique feel-good movie, de la science-fiction optimiste, généreuse. L'archétype d'un certain état d'esprit tel que celui qu'incarne les productions Disney.

Oh, j'en vois bien déjà certains qui froncent les sourcils à l'évocation de Disney : il est de bon ton de grimacer quand on entend ce nom car on assimile cela à des dessins animés souvent mièvres, mielleux, des films familiaux pour ne pas dire sirupeux. Les fans de comics sont encore plus acides depuis que ce géant du divertissement a absorbé Marvel, même si en vérité il est, dans les faits, plus difficile de pointer en quoi Disney influence les bandes dessinées ou en quoi leurs adaptations sur grand écran seraient corrompus par l'esprit du père de Mickey. Ce n'est pas si simple car, justement, Disney et tout ce qui en sort est, comme pour n'importe quel grand studio (n'importe quelle grande entreprise du spectacle), multiple, varié. Voyez Pixar : leurs créateurs n'ont pas été pervertis ou soumis à je-ne-sais-quel diktat depuis qu'ils sont dans le giron de cet empire.

Evidemment, le fait que A la poursuite de demain tire son origine de deux attractions de DisneyLand inspire une méfiance légitime : est-ce bien le terreau du cinéma que de pousser dans les parcs de loisirs ? Mais Pirates des Caraïbes a été développé de la même manière : même si la franchise a abouti à des films de moins en moins bons, le premier de la série reste un blockbuster qui a de l'allure.

Brad Bird ne cherche pas à dissimuler la provenance de son film et c'est quand il la souligne qu'il est d'ailleurs moins bon : le spectateur a alors plus le sentiment de visiter un dispositif bien balisé que de regarder un long métrage de fiction (voir les séquences où Frank Walker adolescent puis Casey Newton découvrent "Tomorrowland" comme n'importe quel touriste à Orlando).

Mais le cinéaste a un vrai regard, une vraie esthétique, une thématique bien à lui : les films de Brad Bird ont cette vision enchantée du monde où les utopistes combattent les cyniques, les pessimistes, les manipulateurs. On retrouve tout cela dans l'opposition entre Frank Walker et David Nix, la figure du successeur incarnée par Casey, le personnage de passeur-renfort d'Athéna.

En outre, le réalisateur est lettré et il convoque Jules Verne (l'auteur emblématique du roman d'aventure scientifique), Gustave Eiffel (le concepteur visionnaire, dont la Tour connaît là un usage inédit mais très ludique et spectaculaire), Thomas Edison et Nikola Tesla (les inventeurs géniaux et rivaux - on a attribué bien des trouvailles du second au premier dans les découvertes sur l'électricité) : cet aréopage est une équipe fondatrice de l'esprit du récit, dans ses dimensions fantaisiste et réaliste. Le film interroge le choix qui s'offre à l'humanité de suivre ceux qui imaginent un monde meilleur selon la liberté de leur esprit créatif ou ceux qui préfèrent s'en remettre à la seule raison sans compter avec les possibles de l'intuition.

L'ambiance et le design du film sont tout entier baignés dans une sorte de rétro-futurisme fantastique exaltant le génie technologique responsable et inspire confiance, même si le discours du "méchant" désigné de l'histoire ne manque pas de justesse quant à cause du malheur que l'humanité subit et dont elle est souvent responsable. "Tomorrowland", c'est aussi une question de foi, de conviction - ce qui a fait dire que la scientologie inspirerait Brad Bird (propos tenus, dans "Charlie Hebdo" du 3 Juin 2015, par Christophe Gans, mais sans qu'il argumente).
Frank Walker (George Clooney), Casey Newton (Britt Roberston)
et Athéna (Raffey Cassidy).

A la poursuite de demain tente donc beaucoup, mais ne réussit pas tous ses coups. La faiblesse principale et majeure du film tient dans la progression de sa narration. Déjà, l'exposition est trop longue, malgré une introduction savoureuse (les versions que donnent du futur Walker et Casey, dont on découvrira à la toute fin à qui ils s'adressent), mais les seconds rôles du père et du petit frère sont ennuyeux, clichés (le film aurait même pu facilement passer du petit frère).

Si la rencontre entre l'adolescente et le savant reclus se fait attendre, une fois celle-ci accomplie l'histoire décolle et aligne une série de scènes très dynamiques, avec une pointe d'humour et quelques clins d'oeil savoureux (la boutique des geeks requiert toute la vigilance du spectateur qui y reconnaîtra des reliques fameuses). Le détour par Paris offre aussi un moment d'anthologie, qui atteste du savoir-faire de Brad Bird.

L'arrivée à "Tomorrowland", la réapparition du méchant, la révélation des enjeux contribuent aussi au plaisir intelligent fourni par le film : on n'a pas souvent l'occasion d'avoir une problématique inspirée de la fin du monde avec autant de richesse. Les arguments écologistes, la critique des excès de la civilisation occidentale moderne, le spectre des guerres de religion, l'évocation des manipulations politiques, le tout concentré dans une tirade pleine de panache et qui ne sombre pas dans une explication de texte moralisatrice ou trop complexe, voilà un vrai tour de force.

Par contre, la dernière partie du film pique un peu du nez et joue l'ellipse de façon un peu complaisante, comme si soudain le réalisateur et son monteur s'étaient rendus compte qu'il fallait bien finir au risque de s'embarquer dans un format nettement plus long. D'une certaine manière, l'intrigue reste assez ouverte, même si une suite est improbable (le film a un beau succès, mais sans plus, et des personnages essentiels disparaissent, parfois sacrifiés comme certains subplots).

A la poursuite de demain a donc à la fois une réelle ambition en termes de divertissement ludique, intelligent, esthétiquement ouvragé avec une mise en scène très élégante, une direction artistique magnifique (la photo, les costumes et les décors en attestent), un foisonnement certain et rare. Mais le début est un peu laborieux et le dénouement trop expéditif. 
David Nix
(Hugh Laurie)

Brad Bird signe tout de même un bel hommage, au charme presque désuet (avec les allusions à la Foire Universelle de New York en 1964, les flash-backs insistants sur l'enfance de Walker, le parallèle entre la jeunesse de Casey et les désenchantements de Walker et Nix, la condition spéciale d'Athéna - dont le look ne peut que rappeler celui d'une Audrey Hepburn fillette) mais avec les moyens d'une superproduction moderne, aux explorateurs, ceux qui veulent changer le monde (pour l'améliorer ou le dominer).

Le film possède même par moments une ambiguïté bienvenue avec certains de ses protagonistes, qui lui donne un relief atypique, audacieux  : l'amour d'enfance qui impacte la relation au présent de Walker, désormais quinquagénaire, et Athéna, restée fillette ; ou le caractère de Nix, qui n'est pas tant mauvais que résigné et préfère donc laisser son monde périr que compter sur une chance improbable d'être sauvé. 

L'interprétation procure également d'épatantes surprises. On peut s'amuser ainsi de voir s'affronter George Clooney et Hugh Laurie, dont les carrières présentent bien des similitudes (acteurs dans la force de l'âge - l'âge mûr - , étant tous deux connus la célébrité en incarnant à la télé un docteur - Ross dans Urgences pour Clooney et Dr House pour Laurie). Ils campent leurs rôles avec sobriété, déjouant toutes les appréhensions (Clooney n'évoluant pas dans un registre glamour dont il est devenu un symbole, Laurie ne surjouant jamais le méchant).

Mais il faut bien admettre que les deux stars se font voler la vedette par les deux jeunes filles qui les entourent : Britt Robertson, révélée dans une médiocre sequel de Scream, interprète avec beaucoup d'énergie et de fraîcheur une partition très casse-gueule où elle doit être en permanence dans un mélange d'émerveillement et de rébellion.

Mieux encore, il y a Raffey Cassidy, qui illumine le film avec son minois délicat et mélancolique. Son rôle est une merveille d'écriture, surprenant, et elle le joue avec nuance. Sa dernière scène avec Clooney dégage une émotion vibrante, sur des ressorts à la fois équivoques mais jamais malsains.

Alors, bien sûr, malgré de belles et bonnes idées, une mise en scène de grande classe, A la poursuite de demain n’est pas aussi magistral que ce qu'on pouvait espérer de la part d'un cinéaste du calibre de Brad Bird. En voulant en donner autant aux enfants qu'aux adultes, il peine à démarrer et finit un peu trop vite. Mais entre ces deux bords du cadre, on restera reconnaissant au réalisateur et sa production de nous avoir livré une histoire fantastique intelligente et soignée portée par un évident et sincère enthousiasme pour le genre.

lundi 29 août 2016

INSIDE LLEWYN DAVIS, de Joel et Ethan Coen (2013)


INSIDE LLEWYN DAVIS est un film écrit et réalisé par Joel et Ethan Coen.
La photographie est signée Bruno Delbonnel. La musique est produite par T-Bone Burnett et Marcus Memford.

Dans les rôles principaux, on trouve : Oscar Isaac (Llewyn Davis), Carey Mulligan (Jean Berkley), Justin Timberlake (Jim Berkley), Adam Driver (Al Cody), Garrett Hedlund (Johnny Five), John Goodman (Roland Turner), F. Murray Abraham (Bud Grossman), Stark Sands (Troy Nelson).

New York, 1961. Llewyn Davis se produit pour la dernière fois sur la scène du "Gaslight Cafe" cet hiver-là. Il a décidé de raccrocher sa guitare car sa carrière musicale ne décolle pas et parce qu'il vient de vivre les quatre jours les plus déprimants de son existence...
 Llewyn Davis
(Oscar Isaac)

4 jours avant donc, Llewyn se réveille chez les Gorfein, qui se sont absentés. En quittant leur appartement, il laisse malencontreusement sortir leur chat, qu'il va être obligé de traîner avec lui en attendant de pouvoir le rendre à ses propriétaires.
Il se rend ensuite chez les Berkley où il est accueilli froidement par Jean, avec laquelle il a eu une brève liaison, mais suffisante pour qu'elle soit enceinte, et qui héberge déjà Troy Nelson, musicien de folk comme lui mais en permission militaire. Llewyn obtient malgré tout de dormir là pour la nuit qui vient.
Jean et Jim Berkley
(Carey Mulligan et Justin Timberlake)

Llewyn assiste à la prestation sur la scène du "Gaslight Cafe" de Troy, rejoints par Jean et Jim Berkley, le mari de celle-ci.
Le lendemain, il va voir sa soeur pour lui demander un peu d'argent, sans succès. Puis il passe au siège de Columbia Records où il décroche opportunément un cachet en enregistrant avec Jim Berkley et Al Cody une chanson. Ce dernier accepte ensuite que Llewyn couche chez lui cette nuit-là.
Llewyn Davis et Jim Berkley 

Llewyn se dispute avec son impresario, Mel, incapable de lui trouver un engagement, mais qui lui rappelle le succès d'estime obtenu quand il chantait en duo avec Mike Tamin (qui s'est ensuite suicidé). Il retrouve ensuite Jean avec laquelle il évoque son avortement imminent.
Ayant eu vent d'auditions organisées par le manager Bud Grossman à Chicago, Llewyn s'y fait conduire en étant pris en stop par deux curieux personnages : le taciturne Johnny Five et son partenaire, Roland Turner, qui exprime franchement son mépris pour les chanteurs de folk.
 Johnny Five et Roland Turner
(Garrett Hedlund et John Goodman)

Lorsque, en route, lors d'un banal contrôle de police, Johnny Five est embarqué, Llewyn abandonne Roland, encore inconscient après avoir survécu miraculeusement à une overdose dans les toilettes d'un diner, et poursuit son périple jusqu'à Chicago.
Il est auditionné par Grossman mais, malgré une interprétation bouleversante, se voit expliquer qu'il n'a aucune chance de succès avec ses chansons.
 Llewyn Davis

De retour à New York, Llewyn rend visite à son père dans une maison de retraite, tente de trouver une place de matelot sur un bateau, et revoit Jean qui a convaincu le patron du "Gaslight Cafe", l'odieux Pappi Corsicato, de le laisser chanter. Il retrouve alors le chat des Gorfein et le leur ramène.
Après avoir interprété deux titres, Llewyn quitte donc la scène où un jeune inconnu prend place : un certain Bob Dylan...

Récompensé, à juste titre, par le grand prix du jury au festival de cannes 2013, l'opus 16 des frères Coen est une de leurs productions les plus abouties, confirmant la bonne santé de leur filmographie récente, avec ce conte moins grinçant et ironique que d'habitude. 

Inside Llewyn Davis n'est effectivement pas le portrait d'un de ces idiots qu'affectionnent les frangins : c'est certes un loser, parfois antipathique (qui ne fait en tout cas pas d'efforts pour se rendre sympathique), mais finalement plus touchant que grotesque. Le ton dépressif mais pourtant étonnamment drôle parfois de son aventure donne au film une étrange beauté morose au destin contrarié de ce musicien qui joue de malchance quand il ne la provoque pas. 

Le prodigieux Oscar Isaac, grande révélation de l'affaire, campe donc un folk singer errant dans le Greenwich Village de 1961, tapant l'incruste chez le premier qui accepte de lui prêter un canapé pour dormir, sans réussir à s'imposer sur la scène musicale. Il traîne derrière lui le succès d'estime obtenu avec un partenaire brillant mais qui s'est suicidé et doit composer avec une cascade de catastrophes intimes - la grossesse de Jean (Carey Mulligan, épatante dans un rôle dominé par la colère et la rancoeur), avec qui il a eue une brève aventure, dont le mari (Justin Timberlake, excellent en bon pote) ignore tout ; ses rapports tendus avec sa soeur, son impresario, et un chat !

Ce qui intéresse les frères Coen, ce ne sont pas les causes de la déchéance de Llewyn, mais de montrer à quel point son existence est totalement à la dérive, dénuée de tout le romantisme attaché à la vie de bohème. Esthétiquement sublime, le film est photographié par le français Bruno Delbonnel (Roger Deakins, le chef op' habituel des frères ayant été retenu sur une autre production) dans des tons grisâtres, cireux, qui correspondent bien à la saison hivernale mais aussi au marasme mental du héros.  

Ainsi, c'est encore une fois, après le jubilatoire O'Brother (2000), une nouvelle version de L'Odyssée que content Joel et Ethan Coen, mais point cette fois-ci de créatures loufoques pour égayer le voyage du personnage central : en lieu et place, une galerie de bonhommes souvent inquiétants, déjantés, aussi perdus que Llewyn Davis lui-mêmeLe film est ainsi parcouru de figures spectrales dont tout le poids pèse sur les épaules d’un Llewyn Davis. Pour les incarner, les deux auteurs ont convié des familiers (John Goodman, ogresque en junkie) et des nouveaux venus dans leur galaxie (Garrett Hedlund, incroyable dans un rôle quasi-muet et mystérieux ; Adam Driver, irrésistible en cowboy lunaire). La manière arbitraire, hasardeuse, absurde, de ces rencontres ajoute encore au climat à la fois fascinant et improbable du film. 

La bande son est exceptionnelle et le CD peut s'apprécier comme un album à part entière, supervisé par T-Bone Burnett et Marcus Memford : tous les acteurs y chantent eux-mêmes, filmés avec une ou deux caméras, en direct et en une prise (seuls quelques arrangements ont été ajoutés en post-production). Les Coen voulaient des performances live, comme des mini-concerts intégrés à l'histoire. Le résultat est stupéfiant, bluffant. 

En comparaison avec de précédents titres de leur filmographie, où on a pu leur reprocher de s'amuser à bon compte avec des crétins, cette ode à la musique folk, mélancolique par définition, exprime une douleur poignante et transforme le portrait de Llewyn Davis en tragédie sensible et délicate sur un personnage rongé par le défaitisme, ayant tout perdu en route sans savoir exactement quand, comment, pourquoi, et surtout quoi. Sans être déprimant, les Coen ont réussi un film superbement touchant, triste mais pas plombant : sans doute le plus émouvant de leur carrière.

CAROL, de Todd Haynes (2015)


CAROL est un film réalisé par Todd Haynes.
Le scénario est écrit par Phyllis Nagy, d'après The Price of Salt de Patricia Highsmith. La photographie est signée Edward Lachman. La musique est composée par Carter Burwell.
Dans les rôles principaux, on trouve : Cate Blanchett (Carol Aird), Rooney Mara (Therese Belivet), Kyle Chandler (Harge Aird), Sarah Paulson (Abby Gerhard), Jake Lacy (Richard Semco).

New York. Années 50. Deux femmes sont attablées dans le restaurant du "Ritz" à New York lorsqu'un jeune homme, Jack, reconnait la plus jeune d'entre elles, Therese Belivet, et lui parle de la fête donnée le soir même chez leur ami commun, Phil. L'autre femme, Carol Aird, prend alors congé.
 Carol Aird
(Cate Blanchett)

Quelques semaines auparavant. Noël approche et Carol Aird, grande bourgeoise distinguée, aborde dans un grand magasin Therese Belivet, jeune et belle vendeuse au sujet d'un cadeau pour sa fille et s'il est possible de le lui faire livrer. En repartant, elle oublie sa paire de gants sur le comptoir.
 Therese Belivet
(Rooney Mara)

Therese prend un verre avec son petit ami, Richard, et récupère son appareil photo réparé par Phil, journaliste au "New York Times", où il l'encourage à présenter un portfolio pour être engagée comme assistante.
Après que Therese lui ait renvoyée ses gants en même temps qu'elle a fait livrer le cadeau pour sa fille, Carol lui téléphone pour la voir en tête-à-tête dans un restaurant. Elle lui explique vivre séparée de son mari, Harge, avec qui elle se bat pour obtenir la garde de leur fille, et invite la jeune femme à passer un week-end toutes les deux. Therese accepte, laissant Richard derrière elle.
 Carol et Therese

Mais le week-end est gâché par Harge et Therese rentre à New York. Carol apprend par son avocat que son mari réclame désormais la garde exclusive de leur fille en s'appuyant sur la moralité douteuse de son épouse. Therese décline l'invitation de Richard à passer les fêtes avec sa famille pui sa demande en mariage, accompagnée de leur départ en France.
Carol expose sa situation à son amie (et ex-amante) Abby Gerahrd, puis revoit Therese auprès de laquelle elle s'excuse pour la dernière fois en lui offrant un appareil photo neuf. Les deux femmes décident de partir quelques jours ensemble.
Elles se dirigent vers Chicago et s'arrêtent avant, pour une nuit dans un motel. Therese découvre un pistolet dans la valise de Carol. Elles font l'amour pour la première fois. Le lendemain matin, Carol reçoit un télégramme lui apprenant que Harge a engagé un détective privé pour confirmer sa liaison avec Therese.
 Harge Haird
(Kyle Chandler)

Les deux femmes rentrent à New York, bouleversées. Elles font une dernière fois l'amour. Au matin, Carol est partie, seule, et c'est Abby qui est au chevet de Therese pour lui remettre une lettre d'adieu et la ramener en ville.
.
Abby Gerhard
(Sarah Paulson)

Therese oublie Carol, est embauchée au "New York Times", tandis que Carol, après avoir consulté un psy, négocie directement avec Harge et son avocat un droit de visite pour voir sa fille. Elle obtient gain de cause car son mari ne veut pas infliger de peine à l'enfant.
Therese reçoit une lettre de Carol, qui vit désormais seule et travaille, et lui propose de vivre ensemble. Mais la jeune femme acceptera-t-elle ?

En 2002, Todd Haynes surprenait tout le monde, quatre ans après avoir réalisé Velvet goldmine, film sur l'épopée du glam-rock, en signant un pur mélodrame, Loin du Paradis, à la manière du maître du genre, Douglas Sirk. Encore quatre ans plus tard, il investissait le biopic d'une manière très originale avec I'm not there, dans lequel une pléiade d'acteurs haut de gamme incarnait Bob Dylan à différentes époques de sa carrière. Parmi cette distribution : Cate Blanchett !

Huit ans après, qu'allait donner les retrouvailles entre la star australienne et le réalisateur californien, à nouveau dans un mélo, mais dans un registre beaucoup moins lyrique que son précédent essai avec Julianne Moore ? Le résultat est une oeuvre bouleversante et toute en retenue dans l’Amérique moralement corsetée des années 50, qui doit beaucoup au téléfilm de prestige Mildred Pierce, que Haynes a mis en scène entretemps (en 2011) pour HBO. 

Il ne faut cependant pas considérer l'intérêt du réalisateur pour le passé et une forme si spéciale du cinéma comme le regard d'un nostalgique ni d'un critique : l'époque lui sert d'abord de cadre pour souligner le drame qu'il raconte. Ce n'est pas non plus une expérimentation un peu précieuse visant à reconstituer un esprit aujourd'hui disparu ou à copier les films de maîtres. Il s'agit de sonder le passé pour exprimer les maux du présent, trouver hier ce qui va encore mal aujourd'hui.

C'est néanmoins dans sa modestie, sa simplicité que Carol séduit et impressionne le plus : à cet égard, c'est l'opposé du fièvreux La Vie d'Adèle (chapitres 1 & 2) d'Abdelatif Kechiche, car Todd Haynes cherche d'abord à évoquer un coup de foudre entre deux femmes avec le maximum de sobriété, ces coeurs battant qui n'en feront qu'un le temps d'une (ou plutôt deux) étreintes, filmé avec une extrême pudeur.

Cette histoire, le réalisateur est allé la chercher dans un scénario longuement peaufiné par Phyllis Nagy qui a adapté un livre méconnu de la romancière à succès Patricia Highsmith. Le script n'en retient que l'essentiel, la passion interdite et donc clandestine entre deux femmes de conditions et d'âges différents, narrée comme un polar du point de vue d'une seule des "coupables". Le point de vue retenue est donc celui de la plus jeune des deux, Therese Belivet, fille d'émigrés de l'Europe de l'Est, modeste vendeuse dans un grand magasin et photographe amateur de grand talent mais doutant de ses capacités artistiques, qui raconte sa romance avec Carol Aird, grande bourgeoise malheureuse en couple et mère contestée, qui la révélera à sa sensibilité sexuelle, la poussera à s'affranchir socialement en étant plus sûre d'elle, mais qui sera aussi la source d'une grande souffrance, femme fatale et fuyante, prise entre deux feux - une liaison homosexuelle et le rôle d'épouse-mère de famille.

A la subjectivité du jugement de Therese sur Carol correspond son regard de photographe : elle se verra offrir un appareil neuf et maniable pour encourager sa vocation et fixer leur relation sur pellicule, comme si elle en pressentait le caractère éphémère, condamné. C'est effectivement de cette manière dont Therese en use d'abord, puis les clichés deviennent autant de preuves, de souvenirs d'une intimité fugace, fulgurante, qui ne s'effacent pas - et permettront même la réconciliation, les retrouvailles : l'avenir.

Avant cela, l'intrigue basculera quand Carol, sommée de choisir entre celle qu'elle aime et son enfant, choisira de quitter brutalement Therese. Haynes montre alors la jeune femme bouleversée, déchirée par le chagrin, la perte, puis rongée par la colère, la rancoeur, la déception, alors que Carol paraît se résigner à l'étouffement de la bourgeoisie et des convenances, acceptant même une psychanalyse comme si son homosexualité était une maladie à soigner. 

Loin du paradis respectait scrupuleusement les codes du mélodrame, son emphase, avec ses violons accompagnant l'humiliation de Juilanne Moore dont le mari couchait avec un homme. Carol s'en abstient et devient le récit d'une émancipation, douloureuse mais décisive, celle de Therese, devenant photographe professionnelle pour un grand journal, quittant son petit ami si traditionnaliste. Même Carol profitera de cet électrochoc en préférant négocier un droit de visite avec son mari plutôt que de continuer à vivre dans le déni de sa nature profonde, trouvant elle aussi un job, et implorant le pardon de Therese une fois devenue aussi indépendante qu'elle - son égale en quelque sorte, de la souffrance à l'acceptation. 

La grisante libération de ces deux femmes n'aura pas été obtenue, comme elles le pensaient romantiquement, au cours de leur escapade sur la route de New York à Chicago, ponctuée par deux nuits d'amour dans des motels, mais une fois revenues à elles-même, rattrapées par leur entourage et l'ayant vaincu. Un long chemin enténébré jusqu'à une lueur d'espoir et le gain de la dignité.

Visuellement, sans être flamboyant comme Loin du Paradis, le film est magnifique, avec une reconstitution subtile mais saisissante du New York de 1952, captée par la photo désaturée, granuleuse d'Edward Lachman. Les scènes d'amour sont d'une sensualité délicate mais intense, avec une caméra au plus près des visages, du grain de la peau, presque comme un rêve. Seul le tout dernier plan dégage une lumière bouleversante et plus claire lors d'une scène muette mais qui dit tout de l'élan amoureux et de l'harmonie enfin gagnée des sentiments.

Pour interpréter cette partition, il fallait deux solistes d'exception : avec son regard pénétrant, son visage anguleux, sa silhouette gracile, et une coupe de cheveux qui ne peut que rappeler Audrey Hepburn, Rooney Mara n'a pas volé son prix d'interprétation féminine au festival de Cannes 2015 (incompréhensiblement partagé par le jury avec Emmanuelle Bercot pour Mon Roi de Maïwen).

Autant face à elle qu'à ses côtés, Cate Blanchett incarne Carol avec un magnétisme incomparable, frissonnante, débordée par la passion. Leur rencontre, surtout composée de frôlements, de regards intenses, de tensions non dites, est exprimée avec une sensibilité admirable par ces deux Stradivarius, et on se souviendra longtemps de ces deux amantes après le générique de fin.

Avec un tact et une puissance rares, Todd Haynes n'a pas seulement réussi à invoquer le grand classicisme : il a signé un classique.

dimanche 28 août 2016

CAPTAIN AMERICA 3 : CIVIL WAR, de Anthony et Joe Russo (2016)

 Ci-dessus : l'affiche du film.
 Ci-dessus : le poster peint par Paolo Rivera
(dommage que le studio ne l'ait pas retenu comme affiche...)

CAPTAIN AMERICA : CIVIL WAR est un film réalisé par Anthony et Joe Russo, sorti en salles le 27 Avril 2016. Il s'agit du treizième film produit par les Studios Marvel et du premier film de la Phase 3 du Marvel Cinematic Universe.
Le scénario est écrit par Christopher Markus et Stephen McFeely, d'après la mini-série événement écrite par Mark Millar, inspirés par les personnages créés par Stan Lee et Jack Kirby. La photographie est signée Trent Opaloch. La musique est composée par Henry Jackman.

Dans les rôles principaux, on trouve : Chris Evans (Steve Rogers / Captain America), Robert Downey Jr (Tony Stark / Iron Man), Sebastian Stan (Bucky Barnes / Winter Soldier), Scarlett Johansson (Natasha Romanoff / Black Widow), Anthony Mackie (Sam Wilson / Falcon), Elizabeth Olsen (Wanda Maximoff / Scarlet Witch), Don Cheadle (James Rhodes /War Machine), Paul Bettany (Vision), Jeremy Renner (Clint Barton / Hawkeye), Paul Rudd (Scott Lang / Ant-Man), Tom Holland (Peter Parker / Spider-Man), Chadwick Boseman (T'Challa / Black Panther), Emily VanCamp (Sharon Carter), William Hurt (Général Ross), Martin Freeman (Everett Ross), Daniel Brühl (Helmut Zemo), Marisa Tomei (May Parker).

1991. Bucky Barnes alias Winter Soldier est encore sous l'emprise des russes qui le réactive et le conditionne pour une mission. Il se lance à la poursuite d'une voiture sur laquelle il tire avant de descendre de sa moto pour achever les passagers.

De nos jours, à Lagos (Nigéria), Captain America dirige un groupe d'Avengers (Falcon, Scarlet Witch, Black Widow) pour arrêter Crossbones et son commando, sur le point de voler une arme chimique dans un laboratoire. L'opération dégénère quand Scarlet Witch, en voulant éloigner le malfrat qui veut se faire exploser, provoque la destruction d'un étage d'un immeuble, causant plusieurs morts de civils à l'intérieur. Parmi les victimes se trouvent des ressortissants du Wakanda voisin.
Le Général Ross
(William Hurt)

De retour aux Etats-Unis, les Avengers actifs (donc avec Tony Stark/Iron Man, James Rhodes/War Machine et Vision) au complet écoutent le Général Ross, missionné par les Nations Unies, leur expliquer que leurs dernières interventions ont décidé les autorités à légiférer. En effet, les super-héros agissent en territoire étranger sans permission mais surtout infligent des dégâts matériels considérables et des morts parmi les populations - images à l'appui, ils revoient New York attaqué par Loki et les Chitauris (voir Avengers), la chute de l'héliporteur du SHIELD (voir Captain America : Winter Soldier) et les ravages subis par la Sokovie contre Ultron (voir Avengers : L'ère d'Ultron). 
De gauche à droite : Tony Stark/Iron Man, James Rhodes/War Machine,
Natasha Romanoff/Black Widow, Steve Rogers/Captain America, 
Sam Wilson/Falcon, Vision et Wanda Maximoff/Scarlet Witch
(Robert Downey Jr, Don Cheadle, Scarlett Johansson,
Chris Evans, Anthony Mackie, Paul Bettany et Elizabeth Olsen). 

L'ONU soumet donc un cahier des charges aux Avengers, encadrant leurs actions : ils ne pourront plus intervenir que sur ordre et en étant évalués en fonction de la dangerosité de leurs pouvoirs. Le débat fait rage au sein de l'équipe après le départ de Ross : certains (Iron Man, War Machine, Vision, Black Widow) acceptent ces conditions pour pouvoir continuer à protéger le monde, d'autres (Falcon, Captain America, Scarlet Witch) refusent de dépendre des intérêts politiques. Ceux qui ne voudront pas obéir aux Nations Unies savent néanmoins qu'ils seront soit hors-la-loi, soit forcés de se retirer.
Captain America et Iron Man
(Chris Evans et Robert Downey Jr)

A Vienne, les chefs d'Etat ou leurs représentants sont réunis pour voter la loi encadrant les super-héros. Parmi eux, Black Widow fait la connaissance du roi du Wakanda, T'Chaka, et son fils, T'Challa. Celui-ci remarque des mouvements suspects dans la rue et, peu après, une camionnette explose, soufflant le bâtiment et tuant plusieurs personnes - dont T'Chaka.
Rapidement, l'enregistrement d'une caméra de vidéo-surveillance de la rue où a eu lieu l'attentat circule et permet d'identifier le terroriste : il s'agit de Bucky Barnes alias Winter Soldier ! T'Challa jure de le tuer, même si Black Widow tente de le raisonner tout comme elle essaie de dissuader Captain America de vouloir appréhender son ami avant les force spéciales lancées à ses trousses. 
Mais Steve Rogers bénéficie d'informations, transmises par l'agent Sharon Carter, et localise Bucky dans une de ses planques à Bucarest.
Black Panther
(Chadwick Boseman)

A Bucarest, avec Falcon, Captain America essaie de stopper Bucky tout en affrontant Black Panther. Mais finalement tous se font arrêter par les forces spéciales. Black Panther se démasque alors et se révèle être le prince T'Challa.
Bucky est incarcéré et mis à la disposition d'un psychologue, le Dr Broussard, qui l'interroge : ce dernier est en réalité Helmut Zemo, ressortissant de la Sokovie, en possession d'un carnet contenant des codes stimulant le conditionnement mental du Winter Soldier. Celui-ci réussit à se libérer et prend la fuite. Il affronte et écarte ceux (Tony Stark, Sharon Carter, Natasha Romanoff et T'Challa) qui s'interposent jusqu'à atteindre un hélicoptère. Mais Steve Rogers provoque le crash de l'appareil et en profite pour exfiltrer Bucky, k.o..

L'évasion du Winter Soldier et la disparition de Captain America et Falcon tend encore plus les relations entre le Général Ross et Tony Stark : le premier veut lancer ses troupes aux trousses des fugitifs avec la permission de les tuer, le second obtient un délai de 36 heures pour raisonner Rogers, Barnes et Wilson.
Iron Man et Black Widow convoquent des renforts en appelant Vision, en recrutant Spider-Man et  en invitant Black Panther.
De son côté, Captain America obtient de Hawkeye qu'il sorte de sa retraite, que Scarlet Witch quitte Vision et que Ant-Man les rejoigne. Ils gagnent un aérodrome pour partir en Russie où Bucky pense que Helmut Zemo va aller pour réanimer d'autres super-soldats formés comme lui au sein de la "Red Room". 
L'équipe de Captain America avec, de gauche à droite :
Falcon, Ant-Man, Hawkeye, Scarlet Witch, Captain America, Winter Soldier
(Anthony Mackie, Paul Rudd, Jeremy Renner, Elizabeth Olsen
Chris Evans, Sebastian Stan).

Mais, à l'aéroport, les Avengers dissidents sont attendus par ceux rassemblés par Iron Man. 
L'équipe d'Iron Man avec, de gauche à droite :
Black Panther, Vision, Iron Man, Black Widow, War Machine
(Chadwick Boseman, Paul Bettany, Robert Downey Jr
Scarlett Johansson, Don Cheadle).

Stark surprend Rogers lorsque Spider-Man intervient en lui subtilisant son bouclier. Ce geste déclenche les hostilités. 
Spider-Man
(Tom Holland)

Un affrontement spectaculaire s'ensuit entre les deux formations et personne ne retient ses coups.

In fine, pourtant, Bucky et Captain America réussissent à monter dans le quinjet des Avengers et à quitter le champ de bataille grâce à Black Widow qui empêche Black Panther de tuer le Winter Soldier.
Iron Man et War Machine les prennent en chassent mais Vision, en voulant neutraliser Falcon dans le sillage du quinjet, blesse gravement James Rhodes. Stark laisse filer Captain America et Bucky pour sauver son ami, mais sans compter en rester là.
Iron Man et War Machine

Tandis que Rogers et Barnes retrouvent la base de la "Red Room", Stark se rend dans la prison pour super-humains du RAFT, où l'accueille le Général Ross. Ici ont été placés en détention Hawkeye, Scarlet Witch, Ant-Man et Falcon. A ce dernier, en brouillant les micros du complexe pénitentiaire, Stark demande de lui communiquer la destination de Captain America et Bucky, qu promet d'aider sans violence ni prévenir les forces spéciales car il a compris que Helmut Zemo les avait tous mystifiés en usurpant l'indentité du Dr Broussard et en manipulant l'image et la personnalité du Winter Soldier.
Iron Man s'envole pour la Russi après avoir juré à Ross que Sam Wilson ne lui avait rien avoué. Mais il ne s'est pas rendu compte que Black Panther l'a pris en filature.
Captain America et Bucky

En Russie, dans la base abandonnée, Captain America, Bucky et Iron Man retrouvent les super-soldats tués par Zemo. Celui-ci a gardé sa dernière manoeuvre pour la fin : il dévoile l'identité des deux personnes tuées par le Winter Soldier en 1991, une révélation bouleversante pour Iron Man.
Le malfrat prend la fuite en laissant ses trois adversaires s'entretuer. Sur le point de se suicider maintenant qu'il a vengé sa famille, il est stoppé par Black Panther. 
Mais Zemo a réussi à briser les Avengers de l'intérieur : Captain America, laissant son bouclier à Iron Man, et Bucky s'échappent. Black Widow prend le maquis. Rhodes suit une rééducation. Les Avengers détenus au RAFT s'évadent avec l'aide de Rogers. Stark reçoit une lettre de ce dernier, lui assurant qu'il répondra toujours présent si le monde est en danger.

Deux scènes supplémentaires sont présentes durant le générique de fin :

- Bucky accepte d'être à nouveau endormi pour ne plus être manipulé mentalement. Steve Rogers a confié cette opération à T'Challa, revenu au Wakanda.

- Peter Parker, rentré à New York, auprès de sa tante May, découvre que Tony Stark a intégré à ses lance-toile un signal lumineux à l'effigie de Spider-Man et de quoi lui permettre de joindre (et d'être joint par) les Avengers. ("Spider-Man reviendra", peut-on ensuite lire.)

On pourrait facilement écrire une très longue critique après ces 2h 30 de grand spectacle au scénario exemplaire, qui font de Captain America 3 une des productions les plus abouties des studios Marvel. Revenir en détail sur les principaux "morceaux de bravoure" du film suffirait à produire un article fourni en compliments concernant l'écriture, la réalisation, l'interprétation : oui, tout cela prouve que Anthony et Joe Russo, qui avait déjà marqué les esprits avec le précédent opus consacré au Vengeur étoilé, ont brillamment pris la place laissée vacante sur le haut du podium par Joss Whedon (malgré l'inégal Avengers : L'ére d'Ultron) dans le "Marvel Cinematic Universe". Kevin Feige, le big boss des films de la firme, ne s'y est pas trompé en leur confiant les prochains longs métrages Avengers (qui formeront un diptyque).

Pourtant, la réussite de ce premier film ouvrant la 3ème Phase du "MCU" tient d'abord à sa simple maîtrise et son sens de la synthèse. Civil War s'inspire de la célèbre saga en sept épisodes écrite par Mark Millar  en 2006-2007, mais a été adapté intelligemment par le duo Christopher Markus-Stephen McFeely, déjà aux commandes du script de Winter Soldier (le précédent Captain America) : ils ont su en tirer la substantifique moelle en exploitant aussi les événements survenus dans Avengers 1-2.

L'argument de départ est une habile conjugaison des dommages collatéraux causés antérieurement par les super-héros, non seulement sur un plan matériel mais aussi humain, et de l'issue de la mission qui ouvre l'histoire actuelle. C'est aussi efficace même si complètement différent de ce qui se passait dans la mini-série en comics il y a neuf ans. Dans les deux cas, la situation des Avengers est sérieusement et légitimement remise en question et la crise qui en découle est logique, admirablement exposée et développée. On retrouve les deux camps fédérés par Iron Man et Captain America, avec certes deux formations bien moins nombreuses que dans la saga de Mark Millar mais aussi spectaculairement et profondément agitées.

Entretemps, les studios Marvel ont commencé à initier les carrières d'autres personnages, dont il n'est pas impensable d'imaginer qu'à terme ils remplaceront les vedettes déjà au centre des films produits (soient Iron Man, Thor, Captain America). Avant de découvrir cet automne la première aventure de Dr Strange et ensuite de Black Panther, voire Black Widow et Captain Marvel, ou de retrouver Thor et les Gardiens de la Galaxie, on a fait ainsi connaissance l'an dernier avec Ant-Man et Spider-Man aura droit à un nouveau reboot (grâce à un accord enfin conclu entre Marvel et Sony, qui en détenait les droits cinématographiques exclusifs).

Civil War introduit donc Black Panther mais aussi la nouvelle version de Spider-Man. Le premier s'intègre très bien dans l'intrigue, même si ses origines seront sans doute plus complètement développées dans son propre film : avec le prince héritier du Wakanda, les scénaristes évoquent directement la provenance du métal dont est fait le bouclier de Captain America (et que Howard Stark, le père de Tony, a forgé), agrandissent la cartographie du monde selon Marvel, et offrent même un substitut très efficace à Wolverine (qui, comme tous les mutants de l'éditeur, appartient pour le cinéma à la compagnie Fox). Porté par l'interprétation charismatique et subtile de Chadwick Boseman, la Panthère Noire a fière allure.

Pour ce qui est de Spider-Man, la greffe est plus délicate : les studios Marvel ont voulu à l'évidence fêter au plus vite le retour au bercail d'un de leurs héros les plus emblématiques, mais il entre dans l'histoire avec moins de fluidité. Là, l'origine de ses pouvoirs et de la vocation secrète de justicier de Peter Parker, qui est désormais un adolescent beaucoup plus jeune que chez Sam Raimi (joué alors par l'horripilant Tobey Maguire) et Marc Webb (joué par le plus talentueux Andrew Garfield), sont mentionnées de façon très allusive. Mais une fois le tisseur en action, le plaisir est indéniable, le personnage ayant l'humour, la tchatche et l'ingéniosité de son modèle de papier, et Tom Holland l'incarne à la perfection.

Le scénario est donc, comme j'ai essayé d'en rendre compte le plus fidèlement possible dans le résumé, très riche en rebondissements, déployant un récit dense, complexe, mais impeccablement clair, dynamique. Pour les deux tiers de l'histoire, on a en vérité davantage l'impression d'assister à un film Avengers 2-bis tant les péripéties en découlent organiquement et parce que l'équipe de héros est présente. Pourtant il est indiscutable qu'il s'agit bien du troisième chapitre des aventures de Captain America car il est le personnage conducteur et Bucky Barnes/le Soldat de l'Hiver son pivot narratif. Dans le troisième et dernier acte du film, une fois les Vengeurs écartés et malgré les présences encore décisives d'Iron Man (Robert Downey Jr, plus sobre, et c'est bienvenu, que d'habitude) et (dans une moindre mesure) de Black Panther, les deux survivants de la 2nde guerre mondiale sont au premier plan.

Comme tout bon action movie qui se respecte, il faut un bon méchant : Helmut Zemo, interprété avec une rage contenue très inspirée par Daniel Brühl, est mieux que ça - c'est un vilain intéressant, dont le mobile, classique au demeurant (la vengeance), est exploité de manière très raffinée (il cause une fracture nette et durable au sein des Avengers, fragilisés dès le début par le fait que l'ONU veut désormais les encadrer). C'est plus diabolique que la tentative de conquête par Loki et les Chitauris ou le plan d'épuration de Ultron. La façon dont le script amène la révélation des victimes tués lors d'une mission en 1991 par le Winter Soldier est franchement excellente et choquante, justifiant la réaction d'Iron Man et obligeant le spectateur plutôt acquis à Captain America à réévaluer son indéfectible soutien à Bucky (et donc son refus d'être soumis à une loi sur les actions des justiciers).

A l'intérieur de cette intrigue passionnante, Markus et McFeely ont aussi réussi là où Whedon s'était pris les pieds dans Avengers 2 en parvenant à animer un casting pléthorique sans oublier personne en route, et même en précisant quelques relations, comme celle entre Vision (Paul Bettany, épatant parce qu'il semble vraiment sortir des pages de la BD) et Scarlet Witch (Elizabeth Olsen, dosant mieux ses effets pour traduire le désarroi de son personnage), ou entre Steve Rogers (Chris Evans, franchement parfait en boy-scout fidèle en toutes occasions à ses convictions, ses amis) et Sharon Carter : deux romances à la fois assez naturelles et contrariées par les circonstances. Tout en devant composer avec les présences du Faucon (irréprochable Anthony Mackie) et Black Widow (à laquelle Scarlett Johansson prête hélas ! peu de relief, mais dont les rapports avec le reste des héros s'enrichit très habilement - pour Natasha, sa position finale devient même idéale pour qu'elle ait enfin droit à son propre film maintenant), on assiste aux retours de Hawkeye (auquel Jeremy Renner donne enfin sa pleine mesure d'emmerdeur attachant) et de Ant-Man (Paul Rudd n'a besoin que d'une scène pour conserver son capital sympathie - et ce, sans compter la surprise jubilatoire que réserve Scott Lang aux fans des comics...).

Trois séquences, en plus du prologue déjà musclé, offrent de grands moments de baston aux spectateurs : entre un assaut incroyable façon close-combat dans un escalier à Bucarest (avec Captain America et Bucky) et le "triel" à la fin (entre Capt, Bucky et Iron Man), on a droit à une bataille ahurissante lors du face à face des deux factions d'Avengers à l'aéroport. Les frères Russo la mettent en scène avec maestria, les pouvoirs de chacun sont fabuleusement bien utilisés et représentés, le montage est à la fois nerveux et lisible, et les oppositions entre Spidey et Cap et Black Panther et Bucky sont simplement jouissives. On oublie complètement que durant ce long fight Black Widow ou Vision sont finalement bien discrets. Mais c'est incontestablement la meilleure séquence de ce genre depuis le règlement de comptes entre les Avengers et les Chitauris dans le premier film de Whedon (même si ce dernier osait des plans sans coupures encore plus impressionnants).

Tout n'est pas accompli dans ce film : ainsi, le personnage du Général Ross (William Hurt, qui se contente du minimum) est interchangeable (lié à Hulk, qui n'apparaît pas dans l'histoire, il n'a pas le charisme d'un Nick Fury, également absent - une première depuis le début du "MCU" !) et celui d'Everett Ross (Martin Freeman, transparent) est inutile. Sharon Carter demande, elle aussi, à être plus fortement définie dans l'avenir (Emily Van Camp est ravissante, mais moyennement crédible en agent de terrain). Quant au sort infligé à War Machine (que Don Cheadle joue à l'économie), il laisse au goût mitigé : il est sacrifié sans provoquer une grande émotion.

Mais ces faiblesses et réserves n'entament pas la qualité globale du film, qui bouscule vraiment le statu quo et promet beaucoup pour la suite (à laquelle se mêleront en prime de nouveaux personnages et autant d'éléments originaux accrocheurs). Encore une fois, Marvel nous en donne pour notre argent, comblant le fan, épatant l'amateur, et imposant les frères Russo comme une paire d'as : Kevin Feige peut être tranquille, sa (plus du tout) petite entreprise n'est pas prêt de connaître la crise en s'appliquant aussi bien dans ses productions.