dimanche 30 avril 2017

L'ANNEE PROCHAINE, de Vania Leturcq (2015)


L'ANNEE PROCHAINE est un film réalisé par Vania Leturcq.
Le scénario est écrit par Vania Leturcq avec la collaboration de Christophe Morand. La photographie est signée Virginie Surdej. La musique est composée par Manuel Roland.


Dans les rôles principaux, on trouve : Constance Rousseau (Clotilde), Jenna Thiam (Aude), Julien Boisselier (Sébastien), Frédéric Pierrot (Bertrand, le père de Clotilde), Anne Coesens (Ariane, la mère de Aude), Kevin Azaïs (Stéphane), Aylin Yay (Mme Ferreira, la professeur de philosophie).
 Clotilde et Aude
(Constance Rousseau et Jenna Thiam)

A 18 ans, depuis la mort de sa mère, Clotilde ne rêve que de quitter sa province natale pour poursuivre des études de philosophie à la Sorbonne. Mais elle veut que sa meilleure amie, Aude, la suive, bien qu'elle ait entamé une liaison avec Stéphane. 
Stéphane et Aude
(Kevin Azaïs et Jenna Thiam)

Pour l'obliger à la suivre à Paris, Clotilde envoie un dossier d'inscription en classe préparatoire aux Beaux-Arts et Aude, en recevant une réponse favorable, comprend que sa meilleure amie l'a mise ainsi au pied du mur. Même sa mère l'encourage à s'engager dans cette voie.
Clotilde
(Constance Rousseau)

Une fois en cours pourtant, c'est la désillusion pour les deux filles : Aude comprend vite que son talent ne convainc pas ses professeurs et camarades, Clotilde se voit reprocher par une enseignante de ne faire preuve d'aucune personnalité dans ses copies.
Aude
(Jenna Thiam)

A ces déconvenues s'ajoutent d'autres problèmes : le manque d'intimité dans l'appartement qu'elles partagent (héritée de sa mère par Clotilde), frais exorbitants pour des travaux divers. Pour obtenir un prêt étudiant, il faudrait que le père de Clotilde se porte garant mais elle se refuse à lui demander de l'aide car il a désapprouvé son départ pour Paris. 
Clotilde et Aude

Lors d'un week-end, les deux filles retrouvent leurs familles : Clotilde fleurit la tombe de sa mère puis demande à Aude si elle peut lui verser un loyer alors que la mère de celle-ci craque, en pleine crise sentimentale, et regrettant de n'avoir pu suivre de meilleures études (qui lui aurait donné une meilleure situation professionnelle).
Stéphane, Aude et Clotilde

De retour à la capitale, Clotilde devient l'assistante et la maîtresse d'un maître de conférences, Sébastien. Aude le découvre et se sent de plus en plus délaissée et déprimée car ses notes ne s'améliorent pas. La tension monte d'un cran quand Stéphane resurgit, de passage à Paris pour un stage d'hôtellerie : Clotilde ne cache pas sa contrariété mais ne peut empêcher que Aude et lui reprennent leur liaison. Comme prévu, Aude est recalée à l'examen d'entrée des Beaux-Arts mais, au lieu de la réconforter, Clotilde lui reproche d'avoir tout gâché en se dispersant. Peu après, Sébastien rompt avec Clotilde, estimant leur relation sans avenir et lassée de l'égocentrisme de la jeune femme. 
Clotilde et Aude

Aude et Clotilde se croiseront une dernière fois plusieurs mois après : la première, s'étant remise en question, poursuit de brillantes études, sur le point d'être publiée ; la seconde vit en couple avec Stéphane avec qui elle a eu un bébé. Elles s'échangent un sourire de loin mais sans s'adresser la parole.

Loin d'être un film girly, L'Année Prochaine, remarqué et primé dans plusieurs festivals, montre les premiers pas très prometteurs d'une jeune cinéaste qui porte un regard sensible et cruel sur l'amitié de deux jeunes filles dont les ambitions de l'une auront raison de l'affection et la confiance que lui portait l'autre.

Clotilde et Aude sont deux bachelières de 18 ans, amies depuis l'enfance, mais la première ne veut/peut plus vivre dans cette province étriquée depuis la mort de sa mère, nourrissant de grands projets pour elle et sa complice. Elle la piège afin de la contraindre à la suivre à Paris en s'inscrivant dans des classes préparatoires à de grandes écoles (la Sorbonne et les Beaux-Arts). Elles entament cette aventure avec l'insouciance de leur jeune âge, mais l'expérience va se retourner méchamment contre elle et avoir raison de leur belle complicité. 

De ce postulat, Vania Leturcq tire une réflexion lucide sur les limites de l'amitié et ce qui définit ce sentiment - l'usure du temps, l'éloignement de ses bases, le fait d'imposer à l'autre son désir, la priorité accordée aux sentiments ou au travail. La chronique est développée de manière riche et subtile, suivant un crescendo très fluide, avec des ellipses bien placées. 

Surtout le scénario ne fait preuve d'aucune complaisance : si le personnage de Clotilde apparaît a priori comme la responsable du délitement de cette amitié, celui de Aude n'est pas sans défaut non plus. La cinéaste donne des personnalités distinctes et ciselées à ses héroïnes et expose clairement le malentendu qui, grandissant, sera fatal à leur relation.

Clotilde est réfléchie et ambitieuse, voire arrogante et manipulatrice, autant que Aude est délurée et fragile derrière une façade enjouée et suffisante, qui cache mal son manque de confiance (en elle, en son talent). Tous deux sont comme des pôles contraires qui s'attirent puis se repoussent : leur affection nous attendrit sans que l'on en soit dupe, cela dissimule mal le malaise persistant qui plane sur leur histoire, le gouffre qui va, croissant, les séparer. Au fond, l'une a envie d'une chose qui n'attire pas l'autre (une soif éperdue de reconnaissance, voire de revanche sociale).

C'est donc un récit initiatique qui se révèle avec ses épreuves pénibles : Clotilde devra apprendre l'humilité mais en tirera un surcroît de motivation, Aude à reconnaître qu'elle n'est pas suffisamment talentueuse et motivée et préférera tout lâcher pour un bonheur plus ordinaire mais aussi plus paisible. Quand éclatera la rupture, en vérité consommée depuis longtemps, entre elles, les mots et les gestes seront conséquemment violents, amers, déchirants - à la mesure des déceptions et des manipulations. Soulignée aussi par leurs histoires amoureuses (Clotilde s'éprend d'un maître de conférence cynique, Aude ne peut se passer de son copain que méprise/jalouse Aude). Hier dansant collées l'une contre l'autre dans une boîte de nuit, elles se fâcheront définitivement dans les murs blancs d'un appartement parisien chic à la fois trop petit et trop grand pour elles : une idée de mise en scène simple mais redoutablement efficace.

Porté par deux magnifiques (dans tous les sens du terme) actrices (la gracile et blonde Constance Rousseau et la sensuelle brune Jenna Thiam), L'Année prochaine s'achève sur une note à la mélancolie poignante et révèle une réalisatrice dotée d'un solide potentiel.
*
J'ajouterai que ce film m'a également troublé pour des raisons personnelles car son intrigue trouve des échos dans mon propre parcours à l'âge de ses héroïnes : je me destinais à des études aux Beaux-Arts auxquelles j'ai renoncé pour tranquilliser ma mère en m'inscrivant en faculté pour y étudier la philosophie. Malgré mes efforts, j'ai constaté l'insuffisance de mes compétences dans cette discipline, tout en persévérant jusqu'à l'année de Licence. Démotivé, m'estimant trop âgé, je n'ai jamais eu le coeur à tenter ma chance aux Beaux-Arts. J'ai continué à produire des bandes dessinées dans mon coin, essayant d'être publié, sans succès. 
Aujourd'hui, j'ai totalement abandonné cette activité et seules ont subsisté de ces années d'apprentissage la rédaction d'analyses de bandes dessinées d'abord, puis maintenant de films. Mais l'histoire de Clotilde et Aude m'a rappelé la mienne, jusque dans des détails amusants (la lecture de "Télérama", découvert quand j'avais 18 ans) ou plus tristes (la perte d'un parent, l'envie de fuir en croyant échapper au passé).
Il ne suffit donc pas de croire en son talent (ou celui qu'on vous prête) pour arriver, encore moins penser que suivre un ami pour être motivé : son chemin, on le fait, je crois, seul, en acceptant de laisser pas mal de choses en arrière (parfois même un peu d'intégrité). Mais il n'est pas honteux de revenir d'où on vient si c'est là qu'on est le mieux et qu'on y trouve de quoi vivre sinon accompli, du moins apaisé.

vendredi 28 avril 2017

UN BEAU DIMANCHE, de Nicole Garcia (2013)


UN BEAU DIMANCHE est un film réalisé par Nicole Garcia.
Le scénario est écrit par Nicole Garcia et Jacques Fieschi. La photographie est signée Pierre Milon. La musique est composée par Eric Neveux.


Dans les rôles principaux, on trouve : Pierre Rochefort (Baptiste Cambière), Louise Bourgoin (Sandra), Mathias Brézot (Mathias), Dominique Sanda (Liliane Cambière), Déborah François (Emmanuelle Cambière), Eric Ruf (Gilles Cambière), Benjamin Laverhne (Thomas Cambière), Jean-Pierre Martins (Balou).
 Baptiste Cambière
(Pierre Rochefort)

Jeune instituteur suppléant dans le Sud de la France, Baptiste Cambière refuse l'offre du directeur de l'école où il travaillait de revenir exercer à la rentrée. Il ramène un de ses élèves, Mathias, chez son père, qui le néglige, et dont la mère devait passer le prendre pour le week-end où elle en a la garde. 
Sandra
(Louise Bourgoin)

Pour ne pas laisser le garçon seul, Baptiste dit à son père, ayant promis à sa nouvelle compagne un dîner romantique, qu'il accepte de le garder chez lui pour la nuit. Le lendemain, Samedi, l'instituteur décide pourtant de conduire Mathias jusqu'à sa mère, Sandra, qui travaille comme serveuse saisonnière dans un restaurant près d'une plage. Contrariée, elle les loge dans son bungalow et les invite à profiter du cadre.
Baptiste et Sandra

Le soir venu, Baptiste découvre que Sandra a de gros ennuis financiers : deux hommes lui réclament 50 000 Euros qu'ils lui avaient prêtée pour l'ouverture d'un resto avant que l'affaire ne capote. Refusant que les ennuis de la jeune femme ne troublent son commerce, Balou, le boss de la jeune femme, la congédie. 
Sandra et Baptiste

Baptiste offre alors à Sandra de l'aider mais pour cela, ils doivent gagner une propriété dans les environs de Béziers : il s'agit de la maison de la famille Cambière, de grands bourgeois avec lesquels Baptiste a coupé les ponts depuis plusieurs années au point de n'avoir pas assisté aux obsèques de son père, qui l'avait cherché avec sa plus jeune soeur, Emmanuelle. L'ambiance est donc tendue lorsque Gilles et Thomas, ses frères, et Liliane le voient resurgir subitement en compagnie de Sandra. 
Sandra et son fils Mathias
(Louise Bourgoin et Mathias Brézot)

Tandis que Gilles avise Baptiste que, grâce à la santé florissante des affaires familiales, il a hérité d'une fortune, Liliane échange avec Sandra en lui conseillant d'être une mère attentive pour Mathias car l'éloignement de Baptiste a été pour elle semblable à la perte d'un enfant. 
 Baptiste

Lors du repas de famille, Baptiste révèle la raison pour laquelle il a quitté les siens : étudiant brillant en astrophysique, promis à un bel avenir, il n'était pourtant pas heureux de son existence toute tracée. Ses parents l'ont alors fait interner en hôpital psychiatrique, espérant qu'il se raviserait. Mais, à sa sortie, il a fui. Malgré les suppliques de d'Emmanuelle et de Liliane, il ne souhaite toujours pas réintégrer le giron familial et repart avec les 50 000 Euros que lui avance son frère aîné, Gilles.
Sandra

Sandra décide de reprendre sa place de serveuse jusqu'à la fin du mois d'Août, prête à attendre ses créanciers pour les rembourser, pour reprendre ensuite sa vie en main.

Précédant son excellent Mal de pierres (2016), Un Beau Dimanche prouve encore une fois le talent de Nicole Garcia pour brosser le portrait de personnages rattrapés par leur passé. En peu de plans et de mots, elle nous fait entrer dans cette histoire dont le héros, solitaire et taiseux, cache à l'évidence de lourds et douloureux secrets, et esquive le présent en ne restant jamais longtemps au même endroit (il suppléé des instituteurs le temps de quelques semaines ou mois).

Qui est Baptiste Cambière ? D'où provient cette violence qui semble bouillonner en lui, derrière son apparence si douce ? Et surtout qu'est-ce qui le motive à aider un de ses élèves et sa mère, une paumée qui doit beaucoup d'argent à deux voyous ?

Nicole Garcia nous entraîne sur une fausse piste avec cet intrigant protagoniste. Il faudra attendre le dernier tiers du récit pour avoir des réponses à ces questions qui sont, en vérité, moins importantes (même si elles ne sont pas négligeables) que le bout de chemin que vont faire ensemble cet instituteur, cette serveuse et son fils. La réalisatrice sait jouer de manière experte avec les mystères, le doute, l'incertitude, et utilise, à ces fins, le Dimanche du titre pour nous rappeler à quel point ce jour représente à la fois la fin d'une semaine et le début de la suivante, et par extension le dénouement d'une aventure, d'une période et le commencement d'une autre.

Ainsi la narration va et vient entre le présent (montré) et le passé (évoqué, discrètement), la précarité du personnage de Sandra - auquel Louise Bourgoin, tatouée mais sans maquillage, donne un caractère fébrile, frondeur, revêche et sensuel - et la bourgeoisie dont est issu celui de Baptiste - incarné avec maestria par Pierre Rochefort (le propre fils de Nicole Garcia), mélange de douceur et de colère, de douleur et d'abandon.

L'action se déroule sur trois jours, depuis le moment où Baptiste héberge Mathias jusqu'à ce qu'avec ce dernier et Sandra il retourne auprès de sa famille. On bascule alors dans un milieu de nantis, intransigeants, où l'argent et les convenances ont remplacé l'affection des parents, des frères et soeur au point de creuser un fossé qui ne sera jamais plus comblé avec le fils prodigue. La révélation sur les origines de cette rupture est superbement amenée, avec subtilité et force.

Le film permet aussi d'apprécier un casting de premier ordre où figure Dominique Sanda, après une longue éclipse de celle qui fut une des égéries du cinéma des années 70, aux côtés d'Eric Ruf (actuel patron de la Comédie-Française) et de Déborah François (toujours remarquable et jolie comme un coeur). Ils interprètent avec brio cette famille réprimant sa joie de retrouver un des leurs, mais rattrapée par le regret (de lui avoir fait subir un traitement indigne et irréparable).

La justesse avec laquelle Nicole Garcia raconte ces trois jours, romanesque en diable, n'a d'égale que sa formidable concision et son exemplaire simplicité. Son film a l'intensité d'une nouvelle dont le thème serait la délivrance : celle d'un homme qui, en se détachant des siens, s'est reconstruit, a retrouvé les goût des autres, au point d'aider quelqu'un en souffrance comme il l'a été.  

jeudi 27 avril 2017

CIGARETTES ET CHOCOLAT CHAUD, de Sophie Reine (2016)


CIGARETTES ET CHOCOLAT CHAUD est un film réalisé par Sophie Reine.
Le scénario est écrit par Sophie Reine et Gladys Marciano. La photographie est signée Renaud Chassaing. La musique est composée par Sébastien Souchois.


Dans les rôles principaux, on trouve : Gustave Kerven (Denis Patar), Camille Cottin (Séverine Greliot), Héloïse Douglas (Janine Patar), Fanie Zanini (Mercredi Patar), Frank Gastambide (Pierrot), Thomas Guy (Robert).
 Mercredi, Denis et Janine Patar
(Fanie Zanini, Gustave Kerven et Héloïse Douglas)

Veuf depuis peu, Denis Patar élève ses deux filles, Janine et Mercredi, et, pour subvenir à leurs besoins, travaille la journée à "Jardibonheur" (une grande surface d'articles de jardinage) et la nuit au "Soyeux Mignon" (un sex-shop). Mais la situation bascule lorsque, à cause de leurs comportements rebelles à l'école, ses deux filles sont conduites à la gendarmerie qui a alerté les services sociaux.
Séverine Greliot
(Camille Cottin)

Une assistante sociale, Séverine Greliot, prévient Denis qu'il va devoir suivre un stage de parentalité s'il veut conserver la garde de ses deux filles. Dans ce cadre, il doit convaincre qu'il va changer de façon de vivre en s'entretenant avec un psy, en participant à des réunions avec d'autres parents en difficulté, en encourageant ses filles à se sociabiliser grâce à des activités extra-scolaires (de la danse pour Janine, du sport pour Mercredi). 
Denis Patar

Denis s'exécute à contrecoeur car il explique à Séverine qu'il élève ses filles ainsi pour les protéger d'un monde brutal et injuste contre lequel il a toujours protesté avec sa femme, Caroline, depuis leur rencontre en 1986 (lors des manifestations lycéennes contre la Loi Devaquet) ou en 2002 (quand Jean-Marie Le Pen avait accédé au second tour des élections présidentielles). Mais en consacrant du temps au stage, il est souvent absent à son poste à "Jardibonheur" et son ami et supérieur hiérarchique, Pierrot, est contraint de le remplacer.  
Janine et Mercredi

Pour ne rien arranger, l'angoisse d'être séparée de son père accentue les troubles comportementaux de Janine chez qui le psy, que fréquente Denis, diagnostique des symptômes voisins de ceux du syndrome de Gilles de la Tourette. Elle doit suivre un traitement médical lourd et coûteux qui la déprime au point qu'elle tente de se suicider.
Séverine et Denis

Pour Denis, ce drame évité de justesse provoque un déclic : il refuse de suivre plus longtemps le stage, résolu si nécessaire à emprunter de l'argent pour recruter un avocat qui plaidera sa cause auprès des services sociaux. Séverine déplore doublement cette décision : parce qu'elle s'est attachée à Denis et parce qu'elle sait que son dossier risque de connaître une issue défavorable. Mais elle choisit de l'aider. 
Denis et Janine

Ainsi entraîne-t-elle son boss au spectacle de l'école de Janine qui, exclus par sa maîtresse, improvise un numéro en coulisses qui épate les spectateurs et prouve aux assistants sociaux à quel point les Patar forme une famille soudée et solidaire malgré son excentricité. Denis gagne le droit de garder ses filles. Quant à Séverine, si elle n'est pas pas prête à s'engager dans une relation amoureuse avec lui, elle ne refuse pas qu'ils se revoient à l'avenir...

Monteuse expérimentée (pour Rémi Bezançon sur Le Premier Jour du reste de ta vie ou Régis Roinsard sur Populaire), Sophie Reine signe avec son premier film comme réalisatrice une oeuvre autobiographique, dédiée à ses parents comme il est indiqué lors du générique de fin. Mais c'est aussi une comédie tendre et réjouissante, à la mise en scène inspirée et à l'écriture poétique.

Articulée autour de la figure de Denis, qui vient de perdre sa femme, et doit faire face à des responsabilités auxquelles il n'est pas préparé, l'histoire présente une famille fantasque, immédiatement attachante, avec un background contestataire (les manifs contre la loi Devaquet en 86, celles contre le Pen en 2002). D'abord léger, le récit se fait plus grave lorsque la menace de voir ses filles lui être retiré s'abat sur Denis, obligé dès lors de suivre un stage de parentalité par les services sociaux. S'engage alors un face-à-face, tantôt résigné, tantôt discuté, avec Séverine, chargée de suivre les progrès de ce papa immature mais aimant et protecteur.

La cinéaste brosse un portrait très juste de cet homme sans céder à la facilité : elle ne l'exonère pas de certains travers et ne fait pas non plus de l'assistante sociale une méchante. Cette subtilité bienveillante fait plaisir à voir, de même que l'arrière-plan social (où le héros a du mal à joindre les deux bouts) et psychologique (le trouble psychomoteur dont souffre Janine) est traité sans pathos. Comme Denis, Sophie Reine préfère opposer aux rouages des institutions, assurant agir d'abord pour le bien des enfants, la difficulté d'un père célibataire qui veut épargner à ses filles la brutalité du monde à tout prix (ainsi remplace-t-il le cochon-dinde mort par un autre dont il teint le pelage à l'identique).

Le scénario n'est pas parfait : en privilégiant nettement la fille aînée, Janine (dont le prénom est un clin d'oeil à la chanson de David Bowie, l'idole de la famille Patar), sa cadette, Mercredi, au caractère bien trempé et roublard à souhait, est sacrifiée. Denis bien seul dans les épreuves qui l'assaillent, il aurait été bienvenu que le personnage de Pierrot, son collègue, soit également un peu plus développé.

Mais ces bémols mis à part, on fond, comme Séverine, pour ce gros nounours qui s'arrange comme il peut avec les ennuis du quotidien sans jamais se décourager, tiraillé entre l'envie de bien faire et celle de poursuivre son existence et sa manière d'élever ses filles comme bon lui semble. L'assistante sociale ne peut que s'attendrir, au point d'oublier son devoir de neutralité, et d'éprouver plus que de la sympathie pour Denis... Pourtant, la réalisatrice ne cède pas à la tentation d'ajouter une romance convenue à son récit : si la famille Patar est finalement épargnée, l'avenir commun de Denis et Séverine est laissée en suspens.

Gustave Kerven est formidable en baba-cool lunaire et farouchement attaché à sa progéniture, merveilleusement incarnée par deux jeunes actrices épatantes (impossible de départager Héloïse Douglas de Fanie Zanini). Et Camille Cottin est également excellente en fonctionnaire incapable d'être trop sévère, taraudée par le désir mais apeurée à l'idée de débuter une relation amoureuse.

En somme, cette jolie fable sur le coeur et la raison est un véritable "feel-good movie", qui donne envie de découvrir très vite un nouvel opus de son auteur.

mercredi 26 avril 2017

LA PRUNELLE DE MES YEUX, d'Axelle Ropert (2016)


LA PRUNELLE DE MES YEUX est un film écrit et réalisé par Axelle Ropert.
La photographie est signée Sébastien Buchmann. La musique est composée par Benjamin Esdraffo.


Dans les rôles principaux, on trouve : Mélanie Bernier (Elise), Bastien Bouillon (Théo), Chloé Astor (Marina), Antonin Fresson (Léandro), Swann Arnaud (Nicolaï), Laurent Mothe (M. Dimitrios), Thierry Gibault (le conseiller Pôle Emploi). 
 Théo
(Bastien Bouillon)

Théo et Léandro sont deux frères, d'origine grecque, chômeurs en fin de droits, qui jouent de la musique traditionnelle dans des mariages grâce à l'entremise de M. Dimitrios. Pour gagner leur vie, ils acceptent des jobs de serveurs dans des restaurants bien que leur conseiller Pôle Emploi rêverait qu'ils enregistrent une reprise de "Ne me quitte pas" de Jacques Brel avec arrangements traditionnels grecs.
Elise
(Mélanie Bernier)

Par ailleurs, Théo se dispute fréquemment avec Elise, sa voisine, une accordeuse de piano aveugle qui ne cesse de déprécier son talent de musicien (car elle l'écoute répéter chez lui). Pour se venger, il se fait alors passer lui-même comme non-voyant afin qu'elle s'excuse. Mais aucun des deux ne fait d'effort en ce sens. 
Elise, Théo, Léandro et Marina
(Mélanie Bernier, Bastien Bouillon, Antonin Fresson et Chloé Astor)

Toutefois, encouragée par Marina, sa soeur aînée, qui souffre de toxicomanie (et fréquente une addictologue revêche), et qui n'est pas insensible au charme de Léandro, Elise consent à enterrer la hache de guerre avec Theo. Mais cette résolution n'est pas pour plaire à Nicolaï, le patron (lui aussi frappé de cécité) de la jeune femme, dont il est depuis toujours secrètement épris, et à Gianini, un musicien de rock bohème qui dénigre la musique de Théo. 
Elise et Théo

Malgré tout, Théo ne peut se cacher les sentiments qu'il éprouve pour Elise et l'invite à un mariage où il se produit avec Léandro. Bien qu'elle ne cesse de l'interrompre pendant sa prestation pour qu'il améliore son jeu, il lui déclare quand même sa flamme et l'embrasse. 
Théo et Elise

Comme le lui fait remarquer Léandro, Théo doit maintenant avouer à Elise qu'il lui a menti sur sa cécité. Mais la jeune femme découvre son imposture par l'intermédiaire de Nicolaï qui, en accordant le piano de M. Dimitrios, a appris la vérité au sujet du musicien. Pour l'obliger à se démasquer, la jeune femme feint de se jeter sous les roues d'une voiture en traversant une rue : en la sauvant, il se trahit et elle rompt aussitôt.
Théo et Léandro

Marina, qui fréquente désormais Léandro, invite, tout comme Nicolaï, Elise à pardonner Théo de lui avoir certes menti mais par amour. Elle se rend donc dans le restaurant où il a repris son job de serveur après avoir abandonné la musique et elle le défie de tout plaquer pour qu'ils refassent leur ve ensemble.   
"On ne voit bien qu'avec le coeur." (Antoine de St-Exupéry)

Théo et Elise se marient, avec Léandro et Marina comme témoins, en se promettant désormais de ne plus rien se cacher ni d'agir par orgueil.

Pour son troisième film (après La Famille Wolberg, en 2009, et Tirez la langue, Mademoiselle, en 2012), Axelle Ropert, ancienne journaliste aux "Inrocks", s'essaie au périlleux exercice de la comédie sentimentale. Mais elle s'y aventure avec un humour lunaire et décalé qui donne à son projet un charme fou, un esprit joueur et une grande musicalité (J.S. Bach y dialogue avec le Rebetiko).

Le point de départ s'inspire de la "screwball comedy" classique avec deux tourtereaux qui ne se supportent pas, puis la situation prend un tour malicieux à la faveur d'une manoeuvre un brin perverse du héros qui se prétend non-voyant alors que l'héroïne est, elle, vraiment aveugle pour se venger de la manière dont elle le bat froid à chaque fois qu'ils se croisent dans l'ascenseur de l'immeuble où ils habitent.

La mise en scène dans cette narration s'appuie sur ce quiproquo richement et habilement développé, ne cherchant pas tant à provoquer le rire qu'à susciter la complicité avec le spectateur, à la fois amusé de la vengeance de Théo mais aussi attendant le moment (inévitable) où sa supercherie sera découverte pas sa victime et la revanche de cette dernière. Les vrais gags se situent en fait à la périphérie de l'intrigue grâce aux seconds rôles (le conseiller Pôle Emploi qui apprécie les deux frères et rêve de leur faire enregistrer une reprise à la grecque de Jacques Brel, l'addictologue de Marina plus névrosée qu'elle, les graffitis qui changent à chaque scène dans l'ascenseur et illustrent l'évolution de la relation de Théo et Elise).

Par ailleurs, Axelle Ropert emballe son affaire sur un rythme vif (90 minutes à peine) et des dialogues piquants. On est d'ailleurs surpris par ces échanges presque agressifs entre les deux protagonistes, la tension entre eux, mais c'est grâce à cela que la magie opère : cette ambiance électrique donne le sentiment que tout peut arriver, le meilleur comme le pire, que la romance n'est pas gagnée.

Bastien Bouillon interprète cet amoureux en colère, rancunier, en ébullition permanente, qui rend son imposture à la fois touchante et ingrate. Mélanie Bernier, toujours brillante mais trop souvent cantonnée dans des seconds rôles, a enfin un personnage original à défendre et elle le fait de manière formidablement tonique, avec sa séduction naturelle et une fantaisie pleine de répondant.

C'est grâce à cette combinaison de classicisme et de modernité, d'absurde et de romantisme, que La Prunelle de mes yeux est un pur régal : on en sort euphorique, pas seulement parce que c'est divertissant, mais parce que c'est aussi original.

mardi 25 avril 2017

SOUPCONS, d'Alfred Hitchcock (1941)


SOUPCONS (Suspicions) est un film réalisé par Alfred Hitchcock.
Le scénario est écrit par Samson Raphaelson, Joan Harrison, Alma Reville et Nathanael West, d'après le roman Before The Fact de Francis Iles. La photographie est signée Harry Stradling. La musique est composée par Franz Waxman. 


Dans les rôles principaux, on trouve : Joan Fontaine (Lina McLaidlan), Cary Grant (Johnnie Aysgarth), Sir Cedric Hardwicke (général McLaidlan), Dame May Whitty (Mrs. McLaidlan), Nigel Bruce (Beaky Thwaite).
 Lina McLaidlan et Johnnie Aysgarth
(Joan Fontaine et Cary Grant)

Lina McLaidlan fait la rencontre du séduisant Johnnie Aysgarth dans un train et tombe aussitôt sous son charme. Elle revoit ensuite lors d'une partie de chasse mais apprend par des relations communes qu'il a mauvaise réputation. Bien que ses parents désapprouvent leur union, elle accepte de l'épouser après avoir quitté le giron familial. Ils partent passer leur lune de miel entre Monte-Carlo, Venise, Rome et Paris.
Lina peut-elle faire confiance à ce bel inconnu ?

De retour en Angleterre, Johnnie loue une superbe maison mais avoue à Lina qu'il est endetté et sans travail. Il accepte l'aide de son cousin, le capitaine Melbeck, pour calmer l'inquiétude du père de Lina, le général McLaidlan. Mais, en vérité, il continue de mener grand train, dépensant sans compter en s'adonnant au jeu et se faisant renvoyer de la société de son cousin après y avoir détourné de l'argent.
Johnnie et Lina

Lina découvre le vice de Johnnie et songe alors à le quitter mais la mort subite de son père la fait renoncer à ce projet. Johnnie, lui, espère bien qu'elle va hériter de la fortune du général mais il n'en est rien. Il cherche alors à monter avec son ami Beaky Thwaite une opération immobilière spéculative tandis que Lina pense qu'il va tuer son partenaire pour s'accaparer sa fortune... Avant d'apprendre, au contraire, qu'il lui a sauvé la vie autrefois. 
Un verre de lait avant de s'endormir...


Pourtant, peu après, Beaky meurt dans des circonstances troubles lors d'un déplacement professionnel à Paris. Lina suspecte aussitôt Johnnie. Celui-ci, un soir, en lui apportant un verre de lait, tenterait-il en fait de l'empoisonner ?
 ... Ou pas !

La jeune femme décide d'aller retrouver sa mère mais, durant le trajet, elle croit alors que Johnnie cherche à la tuer en voiture. C'est encore une fois l'inverse qui se produit quand il lui évite une chute dans le vide !
Un ballade en voiture...

Johnnie explique alors à Lina n'être jamais allé à Paris avec Beaky Thwaite et donc n'être pour rien dans son décès. Les soupçons de son épouse étaient donc sans fondement : elle lui demande pardon et choisit de rester à ses côtés.

(Une autre fin était initialement prévue : Persuadée qu'il va l'empoisonner avec le verre de lait, Lina éveille les soupçons de Johnnie. Il la quitte juste avant que la guerre éclate. Lina recherche Johnnie jusqu'à ce qu'elle le reconnaisse sur une photo en uniforme de la R.A.F. dans un journal. Elle se rend à sa base et découvre qu'il est considéré comme un vrai héros. Il part en mission à Berlin à bord d'un avion, le "Monkey Face" - comme le surnom qu'elle lui avait donné.)

Alfred Hitchcock avait raconté dans un livre d'entretiens à Peter Bogdanovich qu'il souhaitait conclure différemment le film en montrant Lina écrire une lettre à sa mère, lui disant qu'elle aimait Johnnie mais qu'elle avait la conviction qu'il était un meurtrier. Elle ne souhaitait plus vivre mais désirait qu'il soit puni. Johnnie arrivait alors avec le verre de lait, vraiment empoisonné, et Lina le buvait. Puis il sortait poster la lettre sans savoir qu'elle allait causer sa perte.

Si le cinéaste renonça à ce dénouement, qui donnait un tout sens à l'intrigue, c'est parce que, comme il le comprit, on ne pouvait pas faire jouer un criminel à une vedette du calibre de Cary Grant. Pourtant, on peut estimer que cette modification améliora le film en transformant ce qui aurait été l'histoire d'un séduisant criminel dont l'épouse découvre le comportement en récit plus trouble sur les fantasmes morbides d'une femme au sujet de son mari dont le seul tort était d'être endetté.

Au début, Lina est montrée comme sexuellement frustrée et son apparence physique traduit cela : elle a le cheveux impeccablement coiffés, des lunettes, bref une allure guindée, et des parents déplorant son célibat. En rencontrant Johnnie, elle se libère, s'émancipe, et se met à rêver, mais de manière tordue, à qui pourrait être son mari. A la fin, telle une catharsis, débarrassée de ses soupçons, elle a trouvé un équilibre en acceptant d'aimer un homme qui ne lui a en vérité jamais voulu de mal, mais souffrait de sa condition sociale plus modeste et de son addiction au jeu.

En un sens, Suspicion préfigure Fenêtre sur Cour (1954) où Jeffries espère un drame pour ne plus s'ennuyer jusqu'à ce que le pire arrive. Ici, Lina se persuade de la culpabilité de Johnnie en interprétant mal son attitude ambiguë alors qu'il est innocent. Les indices qu'elle croit collecter sont fragiles mais le spectateur, orienté par le point de vue de l'héroïne, croit, lui aussi, que le mari est malfaisant. Une géniale manipulation, une leçon de narration.

Hitchcock passe, lui, de la comédie romantique au thriller avec une redoutable fluidité : on se rend compte que Lina n'aime pas assez Johnnie pour lui faire confiance, ce qui explique ses doutes incessants. Elle s'est mariée d'abord pour échapper à sa famille et plus particulièrement à l'autorité écrasante du père. Une fois devenue femme au foyer, avec un époux charmeur et cachottier, elle commence à délirer - elle se fait un film.

Pour la première fois, Cary Grant est dirigé par Hitchcock et il interprète à merveille cette partition trouble, s'éloignant du registre comique qui l'a rendu célèbre. Joan Fontaine est aussi remarquable que dans Rebecca (1940) où elle incarnait déjà une jeune femme angoissée (mais avec des raisons de l'être vraiment) avec sensibilité et expressivité.

Abondant en idées visuelles magistrales (une ampoule éclairait le verre de lait qui se détachait dans un décor sombre ; Cary Grant s'adresse brièvement au spectateur quand on livre deux fauteuils dans la maison qu'il a louée), Soupçons est un chef d'oeuvre - et vaudra d'ailleurs un Oscar (mérité) de la meilleure actrice à Joan Fontaine.

lundi 24 avril 2017

COOL CATS & HIP CHICKS

Pour fêter le franchissement du cap des
300 critiques, une sélection de photos
des acteurs/trices que j'ai le plus appréciés ces derniers temps
- suivie d'une annonce sur l'évolution du blog...
 Amy Adams
 Anne Hathaway
 Annette Bening
Bérénice Bejo et Jean Dujardin
 Brit Marling
 Casey Affleck
 Chris Pratt et Jennifer Lawrence
 Elle Fanning
 Hugh Jackman 
 Kristen Stewart
 Michelle Williams
 Naomi Watts
 Reda Kateb
 Ruth Negga
 Ryan Gosling et Emma Stone
Ryan Reynolds
*
Un blog doit évoluer pour que son rédacteur ne se lasse pas de l'alimenter et ses lecteurs de le fréquenter : c'est en tout cas ainsi que je vois les choses. Cinémagic a pour objectif de parler de cinéma après que j'ai consacré mille articles, essentiellement dédiés à la bande dessinée, sur un autre blog (Mystery Comics).

Quel que soit le média auquel je consacre du temps, j'ai le souci de bien faire les choses, d'écrire avec passion et honnêteté. Mais c'est une activité qui exige alors du temps - trouver des photos, des infos sur le tournage, les principaux intervenants de chaque long métrage, et rédiger des résumés que j'ai toujours voulus complets. Ce dernier point est le plus délicat car je n'ai jamais eu l'esprit de synthèse. Divulguer la fin des films m'a toujours préoccupé : c'est un spoiler, mais le dénouement peut être discuté dans la partie critique de chaque article.

L'illustration photographique est aussi parfois difficile, même si plusieurs sites procurent des images (Imdb, Allociné, Listal...). Toutefois, sans image, un article serait trop austère à lire.

Donc je pense parfois désormais rédiger juste un aperçu de l'intrigue, sans en dévoiler la fin, et privilégier l'aspect critique en la développant davantage.

Une période d'essai va donc s'ouvrir, dont je tirerai rapidement les conclusions et qui constitueront l'éventuelle nouvelle formule de Cinémagic.

Quoiqu'il en soit, merci pour votre intérêt et votre fidélité : sans vous, visiteurs de passage ou fidèles au poste, la fête serait moins folle.