vendredi 13 janvier 2017

L'HOMME DE RIO, de Philippe de Broca (1964)

L'HOMME DE RIO est un film réalisé par Philippe de Broca.
Le scénario est écrit par Philippe de Broca, Jean-Paul Rappeneau, Ariane Mnouchkine et Daniel Boulanger (également auteur des dialogues). La photographie est signée Edmond Séchan. La musique est composée par Georges Delerue.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jean-Paul Belmondo (Adrien Dufourquet), Françoise Dorléac (Agnès Villermosa), Jean Servais (Pr. Norbert Catalan), Adolfo Celi (Mario de Castro), Simone Renant (Lola), Ubracy de Oliveira (Winston), Daniel Ceccaldi (l'inspecteur de police), Roger Dumas (Lebel).
 L'inspecteur de police et Adrien Dufourquet
(Daniel Ceccaldi et Jean-Paul Belmondo)

Le soldat de 2ème classe Adrien Dufourquet arrive de Besançon à la gare de Lyon à Paris pour une permission d'une semaine. Au même moment une statuette brésilienne de la civilisation maltèque est volée au Musée de l'Homme : elle faisait partie d'un triptyque découvert par trois explorateurs - le Pr. Nobert Catalan, l'homme d'affaires Mario de Castro et le Pr. Villermosa. Catalan et kidnappé devant le musée après avoir été interrogé par la police.
Agnès Villermosa
(Françoise Dorléac)

Adrien retrouve sa fiancée Agnès Villermosa chez elle où un inspecteur la questionne à son tour, en qualité d'assistante de Catalan. Mais elle est également enlevée peu après. Adrien vole une moto pour se lancer à sa poursuite jusqu'à l'aéroport d'Orly. Elle embarque dans un avion entourée par deux hommes mais, visiblement droguée, elle ne reconnaît pas Adrien quand, une fois à bord, il prévient le personnel de bord de sa situation.
Bienvenue à Rio, Adrien !

Pour éviter la police locale une fois arrivé à Rio de Janeiro, Adrien prend la fuite en ville où il se lie d'amitié avec Winston, un garçon qui cire les chaussures des touristes. Ensemble, ils remarquent et suivent un des ravisseurs d'Agnès qui les entraîne jusqu'au Mirante de Dona Marta. Adrien échappe de peu à une tentative d'assassinat mais localise l'hôtel où est retenue Agnès. 
Adrien 

Après plusieurs acrobaties et ruses, Adrien délivre Agnès et l'emmène jusqu'à la plage pour lu faire reprendre ses esprits. Le résultat est mitigé car si elle reprend connaissance, elle n'identifie toujours pas son fiancé ni n'apprécie la situation. Finalement, le couple passe la nuit dans la cabane habitée par Winston au sommet de la colline surplombant la plage.
Adrien et Agnès

Le lendemain, dégrisée, Agnès entraîne Adrien jusqu'à la maison de feu son père où elle a grandie et où a été cachée la deuxième statuette dans le jardin désormais en friche. Mais les ravisseurs resurgissent et la leur volent. 
Agnès et Adrien

Pour la récupérer, Adrien suit Agnès chez Mario de Castro afin de le prévenir des derniers événements. Ils gagnent Brasilia sur la route de laquelle ils retrouvent Catalan et le libèrent de ses geôliers dont la voiture est rangée sur le bas-côté à cause d'un pneu crevé. De Castro les reçoit et donne une grande fête en leur honneur. 
Le Pr. Norbert Catalan, Adrien et Agnès
(Jean Servais, Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac)

Mais, pendant que tout le monde s'amuse, Catalan tue de Castro dans la chambre forte où il garde la troisième statuette. Le professeur force ensuite Agnès à partir avec lui, profitant qu'Adrien soit allé chercher de Castro. Pourchassé par les sbires de Catalan en ville, le jeune homme réussit, au prix de nouveaux risques énormes, à les semer - juste à temps pour apercevoir Agnès embarquant dans un hydravion avec Catalan. 
Le Pr. Catalan et Mario de Castro
(Jean Servais et Adolfo Celi)

Il vole un petit avion de tourisme pour les poursuivre et saute en parachute au-dessus de la jungle. Sauvé d'un crocodile par un chasseur français naviguant dans les parages, Adrien le suit jusqu'à un port où, dans le tripot tenu par Lola, Catalan, en possession des trois statuettes, explique comment grâce à elles il va pouvoir mettre la main sur le mythique trésor maltèque. Profitant d'une bagarre générale dans le saloon, Adrien grimpe à bord du bateau-vapeur qui transporte Catalan, ses hommes et Agnès jusqu'à la grotte où sont cachés les diamants. 
Agnès et Adrien

Adrien libère Agnès pendant que Catalan, ayant disposé les statuettes, découvre le trésor mais provoque aussi l'éboulement de la grotte où il périt. Rejoignant une route en construction, Adrien et Agnès retrouvent la civilisation. Le jeune homme rentre juste à temps à Paris pour retourner à Besançon en compagnie de son ami Lebel arrivant essoufflé à cause des embouteillages qu'il a dû traverser dans la capitale pour atteindre la gare.

Philippe de Broca rêvait d'adapter les aventures de Tintin au cinéma et avait d'ailleurs été approché pour réaliser Tintin et le mystère de la Toison d'Or (Jean-Pierre Vierne, 1961). Mais grâce au succès de Cartouche (1962), il peut broder une histoire originale en s'inspirant du héros de Hergé et en partant d'une image représentant un jeune homme vêtu d'un smoking qui débarque à Rio pour y vivre mille aventures avant de retrouver la fille qu'il aime.

D'autres références sont manifestes (La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock, 1958 ;le roman Au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad ; La série des Bob Morane de Henri Vernes) mais sont admirablement digérées pour un résultat qui dépasse le simple catalogue. Le tournage a lieu sur les lieux de l'action, à Paris puis au Brésil (à Rio et Brasilia), avec un budget relativement confortable par rapport à l'ambition du projet.

Le résultat traduit bien ce mélange de spontanéité, de débrouillardise, et de parti-pris bien définis par de Broca et son équipe. Le rythme de l'histoire est tellement soutenu que le film contient même de nombreuses séquences quasiment sans dialogue ni musique, reposant uniquement sur des poursuites - à pied, en voiture, en bateau, en avion - évoquant l'énergie du cinéma muet. Le propos est si limpide et efficacement traité qu'il se passe de mots.

Mais ce mouvement continu, effréné, enivrant traduit surtout le pari fou et naïf du cinéaste de défier constamment la mort, l'ennui, tout ce qui est figé, prolongeant le dynamisme de ses premiers longs métrages (la tétralogie avec Jean-Pierre Cassel, Les Jeux de l'amour/L'Amant de cinq jours/Le Farceur/Un Monsieur de compagnie). L'agitation permanente ne sombre jamais dans l'hystérie, c'est davantage une course contre la montre et pour l'amour - course qui compte plus en définitive que la découverte et l'acquisition du trésor fonctionnant ici comme un "Mac Guffin" à la Hitchcock, un prétexte enfantin.

A la différence de Tintin, Adrien est un héros sexué puisqu'il risque tout non pour le plaisir de l'aventure (où il manque à plusieurs reprises de perdre la vie) mais pour les beaux yeux de sa belle - même si celle-ci lui reproche, quand il est légitimement fatigué, de ne penser qu'à lui !

L'Homme de Rio opère aussi la synthèse entre les libertés esthétiques prises par "la Nouvelle Vague" et les codes stricts des productions à grand spectacle de Hollywood, dont il emprunte les décors exotiques, les clichés narratifs (voir la bagarre dans le tripot tout droit sortie d'un western). La géographie du film est aussi importante que la manière de raconter puisque le cadre de l'action est exploité en fonction de sa puissance visuelle, de son potentiel de dangerosité et de son aspect invraisemblable (des architectures d'Oscar Nimeyer à la jungle en passant par la forêt et sa grotte cachée). Le film est, rappelons-le, sorti après James Bond contre Dr. No (Terence Young, 1962) et de Broca avec ses scénaristes ont pris la mesure des changements que ce long métrage a apportés au divertissement  : ils s'autorisent donc toutes les excentricités en y insufflant un second degré ironique (Belomondo en smoking, c'est un double plus fantaisiste du héros de Ian Fleming).

Cette accumulation de clins d'oeil n'est pas pour le réalisateur un moyen de recycler facilement des éléments historiques et esthétiques mais plutôt une occasion d'affirmer sa différence par rapport aux standards plus sérieux en provenance d'Amérique et au naturalisme européen. Il investit ainsi un domaine négligé, voire oublié, en tout cas souvent méprisé, tout en lui injectant une fraîcheur revigorante et un goût de l'absurde aussi assumé qu'audacieux : le film est coloré, pétillant, foutraque, insouciant.

Très élégant formellement, L'Homme de Rio se situe dans une zone indéfinie, baroque, en marge, où de Broca exprime ses fantasmes librement. Cette liberté de ton et dans l'image explique en partie qu'un tel miracle n'a jamais été répété : plus de cinquante après, aucun réalisateur français n'a su reproduire sa formule magique - magie que les effets spéciaux actuels sont incapables de restituer parce que l'oeuvre originale est finalement très artisanale. Parce que rien n'y est rajouté, tout y paraît vrai, donc procure plus de plaisir : aujourd'hui, la technologie permet tout et décrédibilise tout (on frissonne devant les cascades de Belmondo parce que c'est lui qui les accomplit, sans filet). 

Les comédiens sont formidables : Jean-Paul Belmondo est aérien, insensé, d'une modernité toujours stupéfiante, et Françoise Dorléac est adorable, exubérante, d'un charme inaltérable. Leur couple est à la fois beau, drôle, simplement inoubliable. Avec eux, grâce à eux, souffle un vent nouveau, débridé, et transforme cette entreprise en révolution : pour lui trouver une descendance, il faudra attendre plus de quinze ans et re-traverser l'Atlantique quand Steven Spielberg, avec George Lucas, avouera s'être inspiré de L'Homme de Rio pour concevoir Indiana Jones, autre variation de Tintin.

En (re)voyant ce film, on assiste, sidéré et réjoui, à une légende en train de se faire : c'est l'acte de naissance de "Bébel", c'est le magnétisme espiègle immortalisé de Dorléac, c'est le souffle de l'aventure allié à la légèreté pétillante de la comédie, c'est de la BD en mouvement, la confusion de l'impulsivité et de la spontanéité, l'absence du temps mort, l'abolition du réalisme, le règne du divertissement chic et cool - un plaisir total. Avec un zeste de mélancolie car, à la fin, Adrien retourne à Besançon en compatissant pour son ami Lebel qui a dû endurer les embouteillages parisiens : "Quelle aventure !"

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