lundi 16 janvier 2017

LES BICHES, de Claude Chabrol (1968)


LES BICHES est un film réalisé par Claude Chabrol.
Le scénario est écrit par Claude Chabrol et Paul Gégauff. La photographie est signée Jean Rabier. La musique est composée par Pierre Jansen.


Dans les rôles principaux, on trouve : Stéphane Audran (Frédérique), Jacqueline Sassard (Why), Jean-Louis Trintignant (Paul Thomas), Henri Attal (Robéque), Dominique Zardi (Riais), Nane Germon (Violetta).
 Frédérique
(Stéphane Audran)

Frédérique, belle bourgeoise oisive, rencontre à Paris Why, jeune et séduisante artiste qui dessine des biches sur le sol d'un pont. Elle dépose un billet pour la récompenser. Pour la remercier, la jeune femme accepte d'aller boire un café chez Frédérique si elle accepte aussi de lui laisser prendre un bain.
Why
(Jacqueline Sassard)

En sortant de l'eau, Why, d'abord réticente à l'idée de s'exhiber devant son hôtesse, lui permet de l'étreindre. Frédérique emmène sa protégée dans sa villa sur les hauteurs de Saint-Tropez où les vacanciers sont absents en ce mois de Décembre. Les deux amantes cohabitent avec Robéque et Riais, deux pique-assiette entretenus par Frédérique auprès de laquelle ils font office de bouffons et de partenaires lors des fêtes qu'elle donne. 
Frédérique et Why

Un soir, lors d'une partie de poker qu'elle dispute avec Robéque, Riais et un invité, Paul Thomas, Frédérique remarque, jalouse, la fascination de ce dernier pour Why. Il gagne une forte somme au terme de la partie et se retire avec les autres invités.  
Paul Thomas
(Jean-Louis Trintignant)

Dehors, Why le rejoint et Frédérique envoie Robéque et Riais les suivre discrètement. La jeune femme et Paul passent la nuit ensemble et lorsqu'elle l'apprend, Frédérique accueille la nouvelle avec un mélange d'amusement et de fatalisme.
Frédérique, Why et Paul

Pourtant, le lendemain, quand Frédérique rend visite à Paul sur un chantier immobilier dont il est l'architecte, ce dernier oublie volontairement son rendez-vous avec Why. Quand ils rentrent ensemble à la villa, Frédérique annonce à Why que Paul est désormais avec elle et qu'il va s'installer ici. La jeune artiste accuse le coup en tâchant de le dissimuler.
Robéque, Why et Riais
(Henri Attal, Jacqueline Sassard et Dominique Zardi)

Lors d'un dîner, Frédérique congédie Robéque et Riais qu'elle accuse, sans preuves, d'un mauvais canular culinaire. Dans le dos ou en l'absence de Frédérique, Why prend l'habitude, comme le remarque par hasard Paul, de s'habiller et se maquiller comme son ex-maîtresse, réussissant même à imiter parfaitement sa voix. Cependant, elle ne manifeste aucune jalousie et jure aimer le couple tout comme elle apprécie de partager leur compagnie, même si, une nuit, elle les écoute faire l'amour en souffrant silencieusement devant la porte de leur chambre.
Why

Un matin, Why découvre par une lettre que lui a laissée Frédérique que celle-ci a suivi Paul jusqu'à Paris où une affaire urgente l'appelait. La jeune femme décide de les y rejoindre. Surprise, Frédérique lui demande de sortir de sa vie mais elle est poignardée par Why qui répond ensuite au téléphone à Paul en prenant la voix de son amante. Il rentre dans la soirée sans savoir ce qui l'attend.

Durant toute sa carrière, s'étalant sur plus d'un demi-siècle et comptant une soixantaine de films, Claude Chabrol a donc beaucoup produit en constatant lucidement qu'il avait signé quelques (très) bons opus et aussi beaucoup d'autres plus dispensables (quand il n'avouait pas franchement quelques authentiques navets).

En 1968, le cinéaste, un des chefs de file de "la Nouvelle Vague", a subi plusieurs revers commerciaux cinglants et doit donc réagir. Connaisseur et admirateur du cinéma japonais, comme celui d'Ozu et Mizoguchi, il va s'essayer à un exercice de style en compagnie de son scénariste fétiche, Paul Gégauff, en réalisant Les Biches, peut-être son oeuvre la plus troublante, en tout cas assurément la plus érotique et énigmatique.

L'histoire est découpée en quatre chapitres ("Prologue", "Frédérique", "Why", "Epilogue") et distille d'entrée de jeu une atmosphère à l'étrangeté fascinante, faisant régner un malaise diffus mais intense, en étant axé sur les rapports de force entre deux femmes puis un homme qui s'immisce entre elles. Tout est parfaitement chorégraphié et maîtrisé mais demeure dans le non-dit, navigue en eaux troubles : les motivations des personnages restent nébuleuses, tout est affaire d'attirance, de résistance, d'abandon, de soumission, d'humiliation, de sournoiserie, de décadence - sans retour par la suite.

Ce rapport de force est fondé sur le désir sexuel : Frédérique paraît d'abord en attente malgré son attitude froide et détachée, Why semble plus désinvolte mais aussi plus lunatique et insondable - elle profite de la situation, comme si elle se laissait porter par les événements, mais domine grâce à sa jeunesse et sa beauté cette bourgeoise à la perversité lascive et désabusée. 

Les règles du jeu changent avec l'irruption de Paul qui préférera la riche oisive à la bohème, la fête est terminée et la partie devient plus cruelle, même si l'humour s'y glisse sur un mode grotesque avec les personnages de bouffons de Robéque et Riais (campés par Henri Attal et Dominique Zardi, complices de longue date de Chabrol). L'ambiance est viciée entre ces rapaces sans qu'on sache qui dévore l'autre. En ayant trompé Why, Paul a cependant brisé ce qui lui restait d'innocence et d'espoir, en l'humiliant il va précipiter sa perte et celle de Frédérique.

La charge érotique du film est remarquablement puissante parce que la réalisation ne montre finalement pas grand-chose : Chabrol suggère magistralement les sentiments qui rongent le trio - jalousie, frustration, domination/soumission - tout en filmant des comédiens sublimés par la photo de Jean Rabier. Il est notablement évident que le cinéaste et son chef opérateur sont comme particulièrement ensorcelés par le visage impassible de Jacqueline Sassard, dont ce fut le dernier rôle à 28 ans (elle se retira du milieu du cinéma ensuite sans que nul ne sut ce qu'elle devint).

On devine que Why espérait un ménage à trois - elle avoue d'ailleurs à la fin à Frédérique qu'elle l'aime toujours comme elle aime Paul, leur couple, et eux trois tous ensemble. Frédérique, jouée fabuleusement par Stéphane Audran affolante de langueur et de classe, en rejetant cette option et son amante, provoque son geste meurtrier, qu'on pouvait deviner par le comportement subtilement perturbé de la jeune femme auparavant (quand elle s'habillait et de maquillait comme elle ou imitait parfaitement sa voix en secret). Le dénouement, ouvert, est terrible : Paul, magistralement incarné par un Jean-Louis Trintignant fourbe et carnassier rentre chez lui sans que ni lui ni le spectateur ne sachent ce qui va suivre. (Il faudrait aussi évoquer la musicalité des voix des trois acteurs qui participe au sortilège de l'intrigue : traînante chez Audran, nasale chez Trintignant, atone chez Sassard.)

Oeuvre hypnotique, Les Biches est certes une rareté sexy et arty, mais aussi, peut-être, un malicieux pastiche du genre comme le titre même peut le faire croire (Les Biches évoque Lesbiche, soit étymologiquement lesbienne et biche, mais dont la sonorité renvoie aussi à bitch, c'est-à-dire chienne, salope, garce en anglais). Cette double lecture confère au film une ironie aussi savoureuse et maline que son aguichante sensualité. 

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