dimanche 15 janvier 2017

LA HUITIEME FEMME DE BARBE-BLEUE, d'Ernst Lubitsch (1938)

 

LA HUITIEME FEMME DE BARBE-BLEUE (Bluebeard's Eighth Wife) est un film réalisé par Ernst Lubitsch.
Le scénario est écrit par Billy Wilder et Charles Brackett, d'après la pièce de théâtre d'Alfred Savoir. La photographie est signée Leo Tover. La musique est composée par Frederick Hollander et Werner Heyman.


Dans les rôles principaux, on trouve : Gary Cooper (Michael Brandon), Claudette Colbert (Nicole de Loiselle), David Niven (Albert de Reigner), Edward Everett Horton (le Marquis de Loiselle), Elizabeth Patterson (Tante Hedwige).
 Michael Brandon et Nicole de Loiselle
(Gary Cooper et Claudette Colbert)

Nicole de Loiselle rencontre Michael Brandon dans un magasin de vêtements où il est venu s'acheter un pyjama. Mais il ne veut acquérir que la chemise tandis qu'elle n'a besoin que du pantalon. Devant les vendeurs médusés, l'affaire est conclue. Sous le charme de cette jeune femme déterminée, le millionnaire bougon la suit, peu discrètement, jusqu'à l'hôtel où elle passe ses vacances mais, quand il frappe à la porte de la suite qu'elle occupe, il tombe sur un monsieur âgé qu'il prend pour son amant.
Nicole et Michael

Mais il s'agit en fait du père de Nicole, le Marquis de Loiselle. Rassuré et surtout désireux de revoir la jeune femme, Michael accepte même d'acheter la baignoire que veut vendre son interlocuteur en lui expliquant qu'elle a appartenu à Louis XIV. Puis il obtient de Nicole qu'elle dîne avec lui le soir même. A table, il lui fait une cour assidue à laquelle elle ne résiste pas. 
Albert de Reigner et Nicole
(David Niven et Claudette Colbert)

Toutefois, le jour des noces, une surprise de taille attend la jeune femme qui apprend par son soupirant qu'il a déjà été marié sept fois ! Il tente ensuite de la rassurer en lui expliquant qu'à chaque fois il a négocié des contrats de mariage très avantageux pour ses épouses. Malgré les protestations véhémentes de sa tante Hedwige, Nicole accepte de se laisser passer la bague au doigt en échange d'une exorbitante indemnisation si leur bonheur échoue.
Michael et Nicole

Le couple passe sa lune de miel en Tchécoslovaquie (un clin d'oeil à une astuce soufflée au millionnaire par sa dulcinée pour trouver le sommeil au début de leur relation) mais le séjour se passe très mal à cause des insatisfactions permanentes de l'un et des caprices de l'autre. Il est surtout évident désormais que Nicole n'a accepté d'épouser Michael que pour l'escroquer : elle doit donc à présent provoquer leur rupture à son avantage. Son attitude déroutante motive le millionnaire à engager un détective privé pour enquêter sur elle, qui mène l'enquêteur sur une fausse piste en lui faisant croire qu'elle a un amant.
Albert, Michael et Nicole

Michael, feignant de s'absenter pour ses affaires, revient surprendre sa femme avec son galant et s'en prend du coup à son secrétaire, certes amoureux de Nicole en secret mais passé la voir par hasard ce soir-là. Le divorce est cependant prononcé et la jeune femme touche sa pension alors que Brandon, déprimé par ce nouvel échec amoureux, est admis dans la clinique du peu conventionnel psychothérapeute Dr. Urganzeff. Nicole, prise de remords et toujours amoureuse, rend visite à son ex-mari après avoir soudoyé les infirmiers pour qu'ils lui passent une camisole de force. Savourant sa domination, elle gagne son pardon puisque, même après s'être libéré, il l'enlace pour l'embrasser.

La pièce originale d'Alfred Savoir, traduit en anglais par Charles Andrews pour être jouée à Broadway, avait fait l'objet d'une première adaptation au cinéma en 1923 par Sam Wood et Sada Cowan avec Gloria Swanson. Ernst Lubitsch accepte d'en tourner un remake pour son dernier film produit par le studio Paramount et se voit imposer deux scénaristes débutants sous contrat : Charles Brackett et Billy Wilder. Malgré la méfiance du cinéaste, leur collaboration se passera à merveille - Wilder conservera toute sa vie une admiration sans bornes pour Lubitsch et sa manière de concevoir la comédie.

Pourtant le résultat porte indéniablement plus la griffe de Wilder que la fameuse "Lubitsch's touch", le premier ayant attribué au personnage de Michael Brandon ses propres manies comme de dormir sans pantalon de pyjama, ce qui a donné le célèbre - et meilleur - gag du film (une succession de coups de fil provoquée par le refus du millionnaire d'acheter l'intégralité du vêtement et celui du patron de la boutique, réveillé seulement vêtu d'une chemise de pyjama).

Le film sera pourtant un échec, critique mais surtout commercial, dû, selon Wilder (à qui je donne raison), principalement au casting peu inspiré : Gary Cooper est maladroit dans ce registre loufoque et Claudette Colbert, si elle est convaincante en chipie, manque cruellement de sensualité. Leur façon de jouer ne colle pas avec la férocité du trait et leur romance tordue manque de mordant à cause d'une interprétation précieuse, trop affectée, qui a considérablement mal vieilli. Imaginez la même affaire avec Cary Grant et Katharine Hepburn, réunis la même année dans L'impossible Monsieur Bébé (chef d'oeuvre absolu de la "screwball comedy"), et le plat aurait été fabuleusement plus relevé. David Niven est plus expressif mais ses apparitions sont trop secondaires et son rôle trop peu exploité - le film souffre d'ailleurs d'un vrai manque au niveau du supporting cast.

Tout n'est pas raté, loin s'en faut, dans Bluebeard's Eighth wife : le début de l'histoire est drôle, mené sur un rythme enlevé, avec des éléments miniatures (Niven tapant à la machine en rayant de son manuscrit une lettre après l'autre), d'autres absurdes (prononcer "Czechoslovakia" à l'envers pour s'endormir, et suivre les mariés en lune de miel en Tchécoslovaquie, où un "carton" prévient que continuer à ne pas trouver le sommeil avec cette méthode n'augure rien de bon). Le second acte avec l'échec du mariage, sa non-consommation (suggérée mais évidente), la duplicité cupide de Nicole, la cure de Michael et la réconciliation est inégale mais aboutit à un dénouement étonnamment audacieux (auquel la censure ne trouva rien à redire !) puisqu'il révèle la nature sado-masochiste de la relation entre les deux amants (elle savoure de pouvoir le dominer, il y trouve son plaisir aussi). Voilà, en fin de compte, une romance peu conventionnelle.

Comparé à des chefs d'oeuvre comme Haute Pègre, Sérénade à trois et Ninotchka, c'est donc une oeuvre mineure, mais instructive aussi bien pour qui veut situer les limites du génie de Lubitsch que pour localiser la genèse de l'inspiration de Wilder.

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