dimanche 4 décembre 2016

VIVRE SA VIE : FILM EN DOUZE TABLEAUX, de Jean-Luc Godard (1962)


VIVRE SA VIE : FILM EN DOUZE TABLEAUX est un film écrit et réalisé par Jean-Luc Godard.
La photographie est signée Raoul Coutard. La musique est composée par Michel Legrand.

Dans les rôles principaux, on trouve : Anna Karina (Nana Kleinfrankenheim), Sady Rebbot (Raoul), André Labarthe (Paul), Guylaine Schlumberger (Yvette), Peter Kassovitz (le jeune homme), Brice Parain (le philosophe).
 Nana et Raoul
(Anna Karina et Sady Rebbot)

1/ Nana se dispute avec Paul au comptoir d'un bar, puis joue au flipper avec lui. - 2/ Nana quitte - ou perd ? - son travail de vendeuse de disques.
Nana

3/ Nana ne peut pas récupérer les clés de son appartement auprès de sa concierge après plusieurs loyers impayés. - 4/ Nana répond aux questions d'un agent de police qui l'a arrêtée parce qu'elle a récupéré 1 000 Francs tombés du sac d'une dame qui a porté plainte pour vol contre elle.
Nana

5/ Nana commence à se prostituer pour gagner sa vie. - 6/ Nana retrouve son amie Yvette, mère de deux enfants dont le mari l'a quittée, qui se prostitue elle aussi, et dont le souteneur s'appelle Raoul. Jean Ferrat joue au flipper dans le bar où elles discutent tandis que passe à la radio sa chanson Ma Môme.
Nana et le philosophe
(Anna Karina et Brice Parain)

7/ Nana accepte d'être une des "filles" de Raoul qui l'instruit très précisèment au sujet des conditions dans lesquelles elle peut se prostituer légalement. - 8/ Nana vend ses charmes en assurant des "passes" (le jour) et des "couchers" (la nuit).
Nana et le jeune homme
(Anna Karina et Peter Kassovitz)

9/ Nana est distraite par Luigi avec lequel Raoul fait affaire dans une salle de billard où elle remarque et aguiche un jeune homme. - 10/ Nana raconte à un client qu'avant de se prostituer elle a tourné dans un film (Y a pas de pitié) avec Eddie Constantine puis demande à une autre fille de se joindre à eux.
Nana Kleinfrankenheim

11/ Nana philosophe avec un vieil homme érudit dans un restaurant chic sur le sens de la vie, le langage et la pensée. - 12/ Nana est devenue l'amante du jeune homme de la salle de billard qui lui lit Le Portrait Ovale d'Edgar Allan Poe traduit par Charles Baudelaire. Raoul revend Nana à un autre proxénète mais elle se fait tuer durant la transaction qui tourne mal.

Le quatrième film de Jean-Luc Godard s'ouvre sur une citation de Montaigne qui résume le credo de son héroïne :

"Il faut se prêter aux autres mais se donner à soi-même."

C'est une parfaite synthèse de la manière de vivre sa vie pour Nana Kleinfrankenheim, jeune femme qui se résout à la prostitution en veillant à garder sa dignité.

Godard voulait avec ce long métrage rendre hommage au maître du cinéma néo-réaliste italien, Roberto Rosselini, et en particulier à son Onze Fioretti de Saint-François d'Assise. On retrouve dans Vivre sa vie le même noir et blanc dépouillé (superbement éclairé par Raoul Coutard, le grand chef opérateur de "la Nouvelle Vague"), un scénario simple sans progression dramatique mais où domine la volonté de suivre un personnage à diverses étapes de son existence (les Douze Tableaux du sous-titre) plutôt qu'en en dressant un portrait psychologique.

Le récit manie l'ellipse avec génie, nous laissant déduire ce qui se joue entre chaque épisode, pour ne s'attacher qu'à des moments décisifs même s'ils peuvent a priori paraître anecdotiques, et la mise en scène, malgré son ascétisme, n'est jamais ni aride ni froide. Comme chez Truffaut, elle a été inspirée au cinéaste en réaction à son précédent film, la fantaisie colorée et musicale d'Une Femme est une femme.

Surtout le projet a été pensé pour Anna Karina : souffrant de dépression à l'époque, l'actrice irradie pourtant pendant tout le film qui est une véritable déclaration d'amour adressée par Godard à son épouse et muse. Il la fétichise en la coiffant comme Louise Brooks et l'immortalise de façon touchante en sublimant sa cinégénie naturelle, souvent en plans séquences, parfois face caméra - elle regarde alors autant l'homme de sa vie, son réalisateur, que le spectateur : l'effet est très troublant et émouvant.

Contrairement à l'héroïne du même nom du roman d'Emile Zola, la Nana de Godard n'est pas une manipulatrice : c'est une jeune femme désemparée, fragile, éprise d'absolu et de liberté. Mais elle assume aussi complètement ses actes, avec une honnêteté désarmante, faite de grâce et de sérénité.

Primé par le jury de la Mostra de Venise en 62, Vivre sa vie apparaît aussi aujourd'hui comme un témoignage de son époque et atteint même une dimension documentaire étonnante lorsque le personnage de Raoul, joué par Sady Rebbot, récite à Nana le dossier-enquête, paru en 1959, du juge Marcel Sacotte sur les règles tolérées de la prostitution.

On remarquera aussi la présence de Peter Kassovitz (le père du réalisateur-acteur Matthieu K.) dans le rôle du jeune homme, le seul à aimer Nana comme une femme et non comme une pute. Mais c'est Godard qui lui donne sa voix quand elle l'entend lire la nouvelle Le Portrait ovale de Poe, dans laquelle un peintre devient fou en peignant à la perfection le visage de la femme qu'il aime - une manière encore plus directe d'avouer ses propres sentiments à Anna Karina.

"Nana donne son corps, mais jamais son âme." résumera Godard (de fait il ne la filme jamais dans ses situations sexuelles) : c'est vrai et c'est ce qui fait de cet ode singulier à la femme un objet aussi fascinant que bouleversant.

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