jeudi 29 décembre 2016

LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET, de Fritz Lang (1955)


LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET (Moonfleet) est un film réalisé par Fritz Lang.
Le scénario est écrit par Jan Lustig et Margaret Fills, d'après le roman de John Meade Faulkner. La photographie est signée Robert Flanck. La musique est composée par Miklos Rozsa.

Dans les rôles principaux, on trouve : Jon Whiteley (John Mohune), Stewart Granger (Jeremy Fox), George Sanders (Lord Ashwood), Joan Greenwood (Lady Ashwood), Viveca Lindfors (Anne Minton).
Bienvenue à Moonfleet !

1757. Angleterre. Jeune orphelin, John Mohune arrive à Moonfleet, dans la région du Dorset, à la recherche de Jeremy Fox. Il échoue dans une taverne fréquenté par une bande de brigands aux trognes patibulaires, avant que n'apparaisse le nommé Fox à qui le garçon remet une lettre écrite par sa défunte mère, Olivia, qui l'a bien connu autrefois. Elle lui demande de devenir son protecteur en souvenir de leur relation passée.
John Mohune
(Jon Whiteley)

Mais Jeremy Fox ne sait pas quoi faire de ce gamin : lui est un aventurier hédoniste, entouré de ses sbires et recevant dans son manoir des nobles décadents pour des fêtes bien arrosées. 
Jeremy Fox
(Stewart Granger)

Mais le petit Mohune ne se résigne pas et obtient finalement que son hôte le garde auprès de lui, malgré la méfiance de ses hommes et de sa compagne, Anne Minton. En se promenant au clair de lune dans le cimetière voisin du manoir, le garçon tombe accidentellement dans une crypte abandonnée. En entendant des visiteurs arriver, il se cache et découvre alors que Jeremy Fox est en vérité le chef d'une bande de naufrageurs. Ceux-ci contestent son autorité mais il leur rappelle qu'il a doublé leurs profits depuis qu'il les dirige, ce qui suffit à calmer tout le monde.  
Jeremy Fox et Anne Minton
(Stewart Granger et Viveca Lindfors)

John Mohune découvre ensuite dans le boîtier de la montre qu'il tient de sa mère un étrange message : des extraits de versets de la Bible, qu'un des compagnons de Fox va deviner qu'il s'agit d'un code permettant de localiser la cachette d'un trésor. 
John Mohune et Jeremy Fox

Avisé, Jeremy Fox, passe un marché avec un couple de nobles sans foi ni loi, Lord et Lady Ashwood, pour partager le fruit de la vente du trésor en échange de leur aide pour lui faire quitter Moonfleet.  
Lord et Lady Ashwood
(George Sanders et Joan Greenwood)

Avant cela, Fox doit une fois encore rappeler à l'ordre ses complices désireux d'éliminer John Mohune dont ils craignent qu'il les dénonce à la maréchaussée. Ayant compris que son amant compte se retirer sans elle, Anne Minton le trahit en le signalant aux autorités. Mais Fox et Mohune se sont déjà introduits dans la caserne où est caché le trésor. Il s'agit, comme l'a décrypté le contrebandier, d'un diamant dissimulé dans un puits à l'intérieur d'une tour.  
Le diamant est dans le puits !

Le caillou récupéré, Fox emmène Mohune dans une cabane près de la plage où il pourra se reposer. L'enfant endormi, il s'éclipse avec le diamant pour rejoindre les Ashwood. La cupidité de ces derniers et le remords d'avoir abandonné John convainquent Fox de leur fausser compagnie. Mais il reçoit une balle dans le dos en fuyant. Mortellement blessé, Fox parvient quand même à rejoindre Mohune à qui il rend le brillant grâce auquel il pourra assurer son avenir tandis que le malfrat prend le large à bord du barque.  

Quel curieux destin que celui de Moonfleet, aujourd'hui reconnu comme un grand classique, mais dont la réalisation puis la sortie en salles sanctionnée par un échec commercial cinglant faillirent le condamner aux oubliettes. Le public français ne le découvrit d'ailleurs qu'en 1960 !

Avant cela, Les Contrebandiers de Moonfleet fut conçu par une équipe dont aucun des membres n'estimait les qualités. Les techniciens le considéraient comme une petite production sans envergure. Le réalisateur Fritz Lang redoutait de filmer pour la première fois de sa carrière en couleurs et s'acquitta de sa tâche sans enthousiasme pour une intrigue qu'il trouvait inintéressante. Dore Schary, le patron de la MGM, et John Houseman, le producteur qui initia le projet, l'accompagnèrent mollement. Quant aux acteurs, ni George Sanders, ni Viveca Lindfors ne le mentionnèrent dans leurs autobiographies !

Fidèle à lui-même, Stewart Granger se brouilla dès le début des prises de vue avec Lang et se comporta exécrablement avec ses partenaires. Cela rend sa composition de Jeremy Fox, héros ambigu de ce conte mêlant épouvante et codes du film de cape et d'épée, encore plus trouble puisque le personnage est finalement aussi peu aimable (hormis à la fin) que son interprète.

On le comprend, tout le monde se débrouillait comme il le pouvait. Mais, ignorant ces vilaines affaires de coulisses, l'Hexagone fut le seul pays à apprécier le résultat, "par amour ou par perversion"  se demanda ensuite Lang...

Quelle mouche avait donc piqué tout ce beau monde pour ne pas voir la merveille qu'il était en train de fabriquer ? On peut y lire un snobisme certain : à l'époque, malgré de grandes réussites, le film d'aventures souffrait d'un manque de reconnaissance, il s'agissait pour beaucoup (de ceux qui y participaient et l'analysaient) de séries B colorées mises en images par d'habiles faiseurs dont le talent, le sens esthétique, l'efficacité narrative ne seront que tardivement réévalués.

Comparé donc à Scaramouche (George Sidney, 1952) ou Le Prisonnier de Zenda (Richard Thorpe, 1952), l'intrigue des Contrebandiers de Moonfleet est effectivement plus étrange, notamment parce que le récit repose sur un jeune garçon, John Mohune, entre les mains d'un adulte peu recommandable, Jeremy Fox. Leur relation produit un climat déconcertant et des péripéties étonnamment peu spectaculaires - pas de grands duels à l'épée ici ni de cascades bondissantes. L'action se déroule majoritairement de nuit, dans des lieux de débauche (le manoir de Fox, la taverne, la crypte), et la découverte du diamant a lieu dans un puits, sans coup d'éclat (même si la descente, inquiétante, de John Mohune dans le seau évoque immanquablement Alice chutant dans le terrier du lapin jusqu'aux pays des merveilles de Lewis Carroll). Pas d'humour non plus dans ce récit lugubre, angoissant, dès la première scène où le gamin découvre un brigand récemment pendu : bienvenue à Moonfleet !

En refusant tout ce qui l'inscrirait dans un divertissement ordinaire, le film n'est donc pas simple à apprécier mais en même temps devient justement mémorable à cause de cette espèce d'austérité, de noirceur fascinante. Il plane au-dessus des protagonistes une incertitude intense, on ne sait jamais qui en sortira indemne - pas même le jeune Mohune.

Fritz Lang prétendit que John Houseman fit procéder à des retakes et modifia son montage, notamment la fin - allégations démenties ensuite par des documents de tournage. Mais on n'était plus à ça près : le scénario de Jan Lustig et Margaret Fills prenaient déjà beaucoup de libertés avec le roman de John Meade Faulkner. Et le sentiment qui domine reste celui d'un film à la fois fluide et dense pour les 85 minutes qu'il dure. Par ailleurs, le design - décors, costumes - est superbe : il a été supervisé par Cedric Gibbons, crédité sur plus de mille (!) longs métrages de la MGM. Et les acteurs, malgré leurs comportements peu professionnels alors, sont tous excellents : Stewart Granger bien sûr, mais également George Sanders et Joan Greenwood onctueuses fripouilles, ou le jeune Jon Whiteley, épatant et inoubliable John Mohune à des lieues de tant de mini-stars têtes à claques. Sans oublier Viveca Lindfors, suédoise moins connue que Garbo ou Ingrid Bergman, mais au regard magnifique.    

Pour le pessimiste Fritz Lang, cette commande ne méritait donc sans doute pas qu'on s'y attarde (bien que l'histoire se termine sur une fausse happy end), et les spectateurs américains furent certainement déconcertés par un film qui n'avait ni la vivacité qu'aurait pu lui injecter Raoul Walsh, le clinquant d'un Richard Thorpe ou la légèreté d'un George Sidney. Mal aimée (par ceux qui la firent et la virent), cette oeuvre a été justement réhabilitée en devenant le vrai diamant convoité par Jeremy Fox.  

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