vendredi 23 décembre 2016

THE GRAND BUDAPEST HOTEL, de Wes Anderson (2014)


THE GRAND BUDAPEST HOTEL est un film écrit et réalisé par Wes Anderson, d'après une histoire originale de Wes Anderson et Hugo Guinness.
La photographie est signée Robert Yeoman. La musique est composée par Alexandre Desplat.

Dans les rôles principaux, on trouve : Tony Revolori et F. Murray Abraham (Zero Moustafa jeune et vieux), Jude Law et Tom Wilkinson (l'Auteur jeune et vieux), Ralph Fiennes (M. Gustave H.), Tilda Swinton (Mme D. - Desgoffe und Taxis), Adrien Brody (Dmitri Desgoffe und Taxis), Willem Dafoe (JG Jopling), Edward Norton (inspecteur Albert Henckels), Jeff Goldblum (avocat Vilmos Kovacs), Mathieu Amalric (Serge X.), Léa Seydoux (Clotilde), Harvey Keitel (Ludwig), Jason Schwartzman (M. Jean), Bill Murray (M. Ivan), Owen Wilson (M. Chuck).
 La statue de l'Auteur

De nos jours. Une adolescente vient se recueillir devant la statue érigée à la mémoire de l'Auteur.
La jeune lectrice

Elle commence à lire son ouvrage le plus célèbre, The Grand Budapest Hotel.
The Grand Budapest Hotel

Le livre a été rédigé en Amérique du Sud en 1985 et évoque le séjour de l'Auteur au Grand Budapest, un hôtel situé à Nebelsbad, dans l'ex-République de Zubrowska, en 1968.
L'Auteur en 1985
(Tom Wilkinson)
  
L'Auteur y fit la connaissance, grâce au concierge M. Jean, du célèbre propriétaire des lieux, Zero Moustafa, lui-même féru de l'oeuvre de l'Auteur qu'il invita à dîner.
M. Jean et l'Auteur en 1968
(Jason Schwartzman et Jude Law)

Zero Moustafa accepta de raconter à son invité dans quelles circonstances extraordinaires il acquit cet hôtel au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Zero Moustafa et l'Auteur en 1968
(F. Murray Abraham et Jude Law)

Tout commença en 1932, l'âge d'or du Grand Budapest Hotel...
Le Grand Budapest Hôtel en 1932

L'établissement, mondialement réputé, hébergeait une clientèle cosmopolite et richissime dans des conditions luxueuses. Parmi les habituées, depuis presque vingt ans, se trouvait Céline Villeneuve Desgoffe und Taxis.
Mme D. et M. Gustave H.
(Tilda Swinton et Ralph Fiennes)

Cette vieille bourgeoise n'était pas seulement une résidente saisonnière de l'hôtel mais également une amie intime de M. Gustave H., le concierge de l'endroit, à qui elle fit part, avant son départ, du pressentiment de sa fin prochaine et violente.
Zero Moustafa et M. Gustave
(Tony Revolori et Ralph Fiennes)

Malgré ses maigres références, le jeune Zero Moustafa, alors lobby boy, s'attira la sympathie de M. Gustave grâce à sa discrétion et son zèle. Au point que, lorsque le décès de Madame D. dans presse fut publié, le concierge emmena le garçon assister à la lecture du testament dans son château de Lutz. 
Zero et Clotilde
(Tony Revolori et Léa Seydoux)

Sur place, le majordome des Desgoffe un Taxis, Serge X., tenta - en vain - de prévenir M. Gustave d'un imprévu tandis que Clotilde, la jeune servante du château, escortait Zero.  
J.G. Jopling et Dmitri Desgoffe und Taxis
(Willem Dafoe et Adrien Brody)

L'héritage colossal de Madame D. attira les membres les plus lointains de sa famille, mais au premier rang se tenait son fils, Dmitri, et son homme de main, Jopling, tous deux ennemis déclarés de M. Gustave, dont ils savaient la relation intime avec la défunte. 
Vilmos Kovacs
(Jeff Goldblum)

La tension était à son comble quand l'avocat Vilmos Kovacs se présenta avec l'impressionnante masse notes rédigées par Madame D. pour son legs, auquel elle venait, avant sa mort, d'ajouter un chapitre. Celui-ci stipulait qu'elle offrait à M. Gustave un tableau d'une valeur inestimable, Le Garçon à la pomme, peint par Johannes Van Hoytl Le Jeune. A cette annonce, Dmitri entra dans une colère folle, inspirant à Zero et M. Gustave l'idée de repartir presto avec ledit tableau.
Zero et Agatha
(Tony Revolori et Saoirse Ronan)

De retour à l'hôtel, Zero, épris depuis son arrivée de la belle pâtissière Agatha, lui déclare ses sentiments en lui offrant un recueil de poèmes recommandé par M. Gustave. Ce présent la touche tant qu'elle répond favorablement à l'amour du lobby boy. Mais pendant ce temps, l'inspecteur Albert Henckels débarque à l'hôtel pour procéder à l'arrestation de M. Gustave, accusé du meurtre de Madame D. par le majordome de celle-ci, Serge X. 
Ludwig, M. Gustave et Zero
(Harvey Keitel, Ralph Fiennes et Tony Revolori)

Jeté en prison au Check-Point 19, M. Gustave est entouré de criminels endurcis dont il gagne le respect en se battant avec l'un d'eux, qui avait remis en cause sa virilité. Zero rend visite au concierge incarcéré qui lui affirme avoir un alibi pour la nuit du meurtre mais se refuse à s'en servir car il compromettrait une cliente avec qui il couchait. Le groom avec le concours d'Agatha fait alors discrètement passer des outils à M. Gustave pour qu'il s'évade en compagnie de ses co-détenus, mené par leur chef, Ludwig, qui sait parfaitement comment sortir de la prison. 
Dmitri, M. Gustave, l'inspecteur Albert Henckels, Zero et Agatha
(Adrien Brody, Ralph Fiennes, Edward Norton, Tony Revolori et Saoirse Ronan)

Aussitôt dehors, M. Gustave retrouve Zero et prend la fuite avec lui, poursuivis rapidement par la police dirigé par l'inspecteur Henckels mais aussi par Jopling à qui Dmitri a ordonné de pister le concierge qui veut retrouver le majordome Serge X. pour l'innocenter. Grâce à la Société des Clés Croisées, formée de concierges de divers palaces, M. Gustave et Zero gagnent le monastère au sommet du pic de Galmeister où s'est caché Serge X. Celui-ci a juste le temps, avant d'être tué par Jopling, de révéler que Madame X. avait rédigé un second testament qu'il avait recopié avant de le cacher au dos du tableau de Van Hoytl. 
Le mariage de Zero et Agatha par M. Gustave
en présence de concierges de la Société des Clés Croisées

M. Gustave et Zero tout comme Jopling cherchent alors à regagner le Grand Budapest Hôtel pour récupérer le tableau avant que Dmitri ne le prenne à Agatha, à qui l'avait confié Zero. Mais entretemps la guerre est déclarée et l'armée réquisitionne l'établissement pour le transformer en caserne. Heureusement, grâce à Agatha, en possession de la toile, et à l'inspecteur Henckels, arrêtant une fusillade dans l'hôtel entre Dmitri et M. Gustave, la preuve de l'innocence du concierge peut être sauvée et lue. Disculpé, M. Gustave peut célébrer le mariage de Zero et Agatha avant d'hériter de toute la fortune de Madame D..  
Zero, Agatha et M. Gustave

Comme M. Gustave le lui avait promis durant leur cavale, après sa mort (exécuté par des militaires lors d'un contrôle d'identité qui a dégénéré en train parce qu'il a défendu son groom apatride au titre de séjour provisoire), Zero hérita à son tour de tout l'argent de Madame D. Mais deux ans après leur union, il perdit Agatha, fauchée par la grippe prussienne.
Retour en 1968 : Zero avoue à l'Auteur que s'il a racheté, en y laissant toute sa fortune, le Grand Budapest Hotel, c'est parce que c'est ici qu'il rencontra Agatha et vécut ses jours les plus heureux. Le tableau de Van Hoytl a été, lui, accroché derrière le comptoir du concierge.
De nos jours, au pied de la statue de l'Auteur, l'adolescente poursuit la lecture de son roman.

Avec près de 175 millions de $ de recettes au box office américain, The Grand Budapest est le plus gros succès commercial de Wes Anderson. Il a été également récompensé par les Oscar de la meilleure musique (composée par Alexandre Desplat, c'est effectivement une bande-son formidable), des meilleurs décors, costumes et maquillages.

Cette réussite est justifiée quand on regarde et revoit le résultat. Même le fan habitué et idolâtre de la filmographie de Anderson ne peut qu'admettre qu'il s'agit de son chef d'oeuvre, et il rend impatient de découvrir son prochain opus (un nouveau film d'animation, comme Fantastic Mr. Fox, prévu pour 2017, inspiré de L'Or de Naples de Vittorio de Sica, avec un chien pour héros, qui aura la voix de l'irremplaçable Bill Murray).

Wes Anderson a assumé seul l'écriture de son 8ème opus, même si l'histoire a été conçue avec Hugo Guinness. Le cinéaste a reconnu aussi avoir puisé dans l'oeuvre du romancier autrichien Stefan Zweig (en particulier 24 Heures dans la vie d'une femme, 1927 ; Méfiez-vous de la pitié, 1939 ; et son autobiographie, Le Monde d'hier, 1934-1942) et le film The Shop around the corner d'Ernst Lubistsch.

Toutes ces références sont brillamment digérées dans le scénario qui constitue une petite révolution chez Anderson qui se frotte pour la première fois à une période historique précise (l'entre deux guerres des années 30) après une série de films fantaisistes et mélancoliques à la fois mais souvent hors des grands événements. La narration est sophistiquée et fluide à la fois puisqu'elle jongle avec quatre époques - de nos jours, 1985, 1968, et 1932. Cette construction évoque bien entendu celle d'un récit façon poupées russes, qui, elle, ne déroutera pas les familiers du cinéaste, n'aimant rien tant que les histoires et les personnages dont le caractère sont définis par l'accumulation de strates.

Ce qui impressionne aussi, c'est l'emballement frénétique avec lequel se déploie l'intrigue : en 100 minutes, au rythme infernal, Anderson orchestre sa partition à la manière d'un cartoon, glissant ici un hommage purement burlesque (la folle descente à ski et en traîneau, depuis le pic de Galmeister, de Jopling poursuivi par Zero et M. Gustave), là un clin d'oeil au cinéma muet (avec la séquence en noir et blanc où le contrôle d'identité de Zero dégénère à cause de M. Gustave).

Si le film est très drôle, émaillé de répliques hilarantes (des insanités proférées flegmatiquement par M. Gustave aux remarques candides de Zero en passant par les jurons de Dmitri), la tragédie n'est jamais loin puisque l'époque est troublée. Ce contraste conduit à des moments lunaires (comme lorsque Zero apporte, alarmé, le journal à M. Gustave, au lit avec une de ses vieilles clientes - mais, comme il l'avouera à Dmitri, "je couche avec tous mes clients." - et dont la "une" interroge : "Bientôt la guerre ?" avant que plus bas ne soit publiée l'annonce du décès de Madame D., bien plus triste pour le concierge).

Cette densification extrême engendrée par l'abondance de rebondissements, de mouvements, aboutit invariablement à l'espièglerie des réactions des personnages (traqué par le tueur de Dmitri et toute la police locale, M. Gustave, avec son détachement imparable, fait le point en ces termes : "the plot thickens" - "Le mystère s'épaissit"). Cela témoigne de la volonté du cinéaste de toujours réorganiser le monde à sa manière en disposant les faits de manière inattendue (gravement léger, légèrement grave) et donc comique.

Toutefois, bien que le formalisme toujours très appuyé de son cinéma frise la maniaquerie, Anderson ne sombre jamais dans l'hystérie : en en soulignant le dispositif artificiel, il nous montre ce que le théâtre de l'action a d'absurde, d'insouciant, et que, lorsque les choses se calment (apparemment) enfin, le pire approche. Au monde soigneusement étiqueté (des hommes aux objets en passant par les lieux) va succéder un autre dévasté par la guerre et le temps qui passe : hier, l'harmonie de l'hôtel passait par l'agitation bien régie qui y régnait ; aujourd'hui l'endroit ressemble à un mausolée dont Zero ne veut pas se séparer, quitte à se ruiner, parce que ses murs lui rappellent moins une époque révolue que le lieu où il rencontra son unique et éphémère amour. Cette tradition qui veut qu'un espace serve à se recueillir est aussi signifié dans l'intriguant prologue où l'adolescente lit l'ouvrage mémoriel de l'Auteur au pied de la statue érigée en sa mémoire.

La morale de tout cela, c'est que les histoires nous sont inspirées par les gens mais que l'existence de ces gens hante les lieux où ils ont vécu : y rester ou s'y rendre, c'est espérer les y rencontrer, physiquement ou spirituellement, comme on effectue un pèlerinage. Mine de rien, donc, le film invoque le devoir de mémoire à travers la conservation des endroits ayant hébergés des personnes et des événements importants.

Pour incarner ces aventures, Anderson a disposé de son plus incroyable casting, distribuant même le plus petit rôle à un comédien de premier plan (Bill Murray, Owen Wilson, Jason Schwartzman, Tilda Swinton sont donc là, mais aussi Léa Seydoux ou Mathieu Amalric). Il a attribué, selon les époques, à deux interprètes le même personnage (Jude Law et Tom Wilkinson pour l'Auteur, Tony Revolori et F. Murray Abraham pour Zero). Et Ralph Fiennes (grandiose dans son meilleur rôle), Edward Norton, Adrien Brody, Willem Dafoe ou Saoirse Ronan sont tous fabuleux, totalement investis dans cet univers si élaboré. C'est un régal absolu de voir une telle réunion de talents, si bien dirigée et photographiée (par le fidèle et génial chef op' Robert Yeoman - tout le design du film est effectivement extraordinaire, dans le moindre détail, à tel point qu'on se croirait dans une super-production au budget bien supérieur à ses modestes 23 M $).

The Grand Budapest Hotel est un film-somme : il prolonge et intensifie tout ce qui était déjà là dans les précédents opus de Wes Anderson tout en prouvant que le réalisateur n'a pas peur de se surpasser. C'est un sentiment extatique à la fin de la projection et une promesse galvanisante pour la suite.  
   

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