jeudi 15 décembre 2016

LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE, de Robert Bresson (1944)


LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE est un film réalisé par Robert Bresson.
Le scénario est écrit par Robert Bresson et dialogué par Jean Cocteau, d'après l'histoire de Mme de Pommeraye extraite de Jacques le fataliste et son Maître de Denis Diderot. La photographie est signée Philippe Agostini. La musique est composée par Jean-Jacques Grunewald.

Dans les rôles principaux, on trouve : Maria Casarès (Hélène), Paul Bernard (Jean), Elina Labourdette (Agnès), Lucienne Bogaert (Madame D., la mère d'Agnès).
 Hélène
(Maria Casarès)

Hélène et Jean se sont engagés à s'aimer mais pas à se marier. Mais les sentiments de Jean se sont émoussés et il l'avoue à Hélène. Elle fait mine de l'accepter et le laisse libre de trouver une autre femme à aimer à condition qu'ils restent bons amis. Mais, une fois seule, Hélène, dévastée, jure de se venger.
Madame D. et sa fille Agnès
(Lucienne Bogaert et Elina Labourdette)

Hélène assiste au numéro de danse d'Agnès dans un cabaret : cette dernière ambitionnait de devenir ballerine à l'Opéra, mais, pour subvenir à leurs besoins, à sa mère et à elle, elle s'est résignée à se produire dans des boites de nuit et même à se prostituer. Dans un semblant de compassion, Hélène offre à Agnès et à sa mère, une vieille amie, de payer leurs dettes et à les loger dans un appartement afin qu'elles abandonnent cette existence dégradante. 
Hélène et Jean
(Maria Casarès et Paul Bernard)

Hélène s'arrange ensuite pour provoquer une rencontre entre Jean et Agnès lors d'une promenade au Bois de Boulogne. Jean tombe immédiatement sous le charme d'Agnès et Hélène, qui s'en rend compte, vante alors les mérites et la bonne réputation de la jeune femme. 
Agnès et Jean
(Elina Labourdette et Paul Bernard)

Agnès n'apprécie pourtant pas de dépendre ainsi financièrement de Hélène et la soupçonne de la manipuler. Elle repousse les avances de Jean, pourtant courtois et respectueux avec elle. La jeune femme réussit même à décrocher un nouvel emploi, tout à fait convenable, de vendeuse, même si son patron sait qu'elle a dansé auparavant dans des endroits louches. 
Agnès

A force de persévérance, Jean obtient la main d'Agnès. Celle-ci en avise Hélène qui lui conseille d'accepter mais de rien dire de son passé à Jean. Puis, en tête-à-tête avec Jean, Hélène s'engage à organiser le mariage en grandes pompes.
Jean et Hélène

Tout est en place pour la réalisation de la vengeance de Hélène : juste après la cérémonie, elle révèle à Jean qu'il a épousé une grue et que tous ses anciens clients  font partie des invités. Agnès s'évanouit, mortifiée. 
Agnès et Jean

Après avoir songé à fuir cette humiliation publique, Jean choisit d'assumer son amour et veille Agnès, victime de syncopes à répétition. Il lui intime de rester en vie pour lui. Elle s'accroche, revient à elle et enlace son époux.

Robert Bresson, au sujet duquel Jean-Luc Godard qu'il représentait le cinéma français au même titre que Mozart personnifiait la musique classique ou Dostoievski la littérature russe, s'inspira d'un conte extrait de Jacques le fataliste et son Maître de Denis Diderot pour adapter l'intrigue de son film. De l'histoire de Mme de Pommeraye, il tire un histoire dont la force tient à sa simplicité diabolique où une jeune oie (pas tout à fait) blanche est l'instrument de la vengeance d'une bourgeoise rancunière contre un homme qui a commis l'erreur de lui avouer ne plus l'aimer autant qu'ils s'y étaient engagés.

Pourtant, le dernier opus qu'il tourna avec des comédiens professionnels lui déplaisait tant qu'il le renia. Pourquoi ? Parce qu'il n'apprécia pas que ses interprètes justement ne respectent pas exactement ses indications de jeu, cette manière de n'exprimer aucune émotion par le ton de la voix. 

Un artiste, si génial soit-il, et Bresson était un grand artiste, n'est pas toujours son meilleur juge comme le prouve le rejet de ce chef d'oeuvre par son réalisateur : en effet, Les Dames du Bois de Boulogne contient déjà tout ce qui allait distinguer sa filmographie - une forme d'épure à la redoutable efficacité.

Maria Casarès avouera que Bresson était obsédé par le contrôle de ses acteurs et pour obtenir d'eux ce qu'il réclamait, il n'hésitait pas à les soûler avant les prises. Une autre fois, pour pleurer lors d'une scène, la comédienne recourut à du citron pour avoir les yeux qui piquent : découvrant le stratagème, le réalisateur se met en colère. Elle parvient à pleurer sur commande, sans artifices, mais Bresson lui fera rejouer la scène huit fois de suite avant d'être satisfait !

Quoique ce procédé soit douteux, il aboutira à la griserie fascinante qu'exerce encore le film 72 ans après. Les dialogues d'orfèvre de Jean Cocteau (qui s'attribua largement le mérite de toute la rédaction du script ensuite) contribuent aussi beaucoup à cette atmosphère viciée, la description de ce microcosme guindé mais peuplé d'êtres pervers : une mère y fait en effet sans état d'âme commerce de sa propre fille, la fille finit par se donner à un homme autant par attirance que par frustration vis-à-vis de son rang social, la "bienfaitrice" de la mère et de la fille les instrumentalise par dépit amoureux, et leur cible n'a eu que le défaut d'être sincère.

La magnifique photo de Philippe Agostini souligne à la fois la noirceur du complot ourdi par Hélène par de nombreuses scènes nocturnes et les visages blêmes de tous les protagonistes, et le trouble dans lequel baignent les acteurs avec une lumière vaporeuse, ouatée, qui transforme le récit en cauchemar éveillé. Cette dichotomie entre l'esthétique raffinée, éthérée, et le tranchant des mots, le mordant des situations, produit un mélange de sensualité et de froideur étonnant. Même si quelques éléments décoratifs datent le film, son intrigue conserve une intemporalité remarquable.

Maria Casarès, malgré les misères infligées par Bresson, est impressionnante, mais on se souvient aussi pour toujours d'Elina Labourdette (disparue il y a deux ans à l'âge de 95 ans) dont la carrière resta marquée par son rôle d'Agnès même si elle fut aussi dirigée par Jean Renoir, Jacques Becker, ou René Clément... Et qu'elle fut la voix française de Grace Kelly !

Acéré comme une lame, enivrant comme un poison, sexy et retors, ce classique est un des plus beaux films du cinéma français.   

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