mardi 20 décembre 2016

L'HOMME SANS ETOILE, de King Vidor (1955)


L'HOMME SANS ETOILE (Man Without A Star) est un film réalisé par King Vidor.
Le scénario est écrit par Borden Chase et D.D. Beauchamp, d'après le roman de Dee Linford. La photographie est signée Russell Metty. La musique est composée par Hans J. Salter, Herman Stein, Joseph Gershenson et Henry Mancini

Dans les rôles principaux, on trouve : Kirk Douglas (Dempsey Rae), Jeanne Crain (Reed Bowman), Claire Trevor (Idonee), William Campbell (Jeff "Texas" Jimson), Richard Boone (Steve Miles), Jay C. Flippen (Strap Davis).
 Dempsey Rae et Jeff "Texas" Jimson
(Kirk Douglas et William Campbell)

Dempsey Rae est un aventurier venu du Texas pour tenter sa chance au Wyoming. Au cours de son voyage en train, il rencontre un autre passager, clandestin comme lui, Jeff "Texas" Jimson, naïf et inexpérimenté mais au caractère impulsif. Il le sauve d'une arrestation (et de la pendaison) pour le meurtre du contrôleur ferroviaire, assassiné par un autre vagabond à bord. 
Reed Bowman
Idonee et Dempsey Rae
(Claire Trevor et Kirk Douglas)

Au saloon de la ville où ils s'arrêtent, après avoir retrouvé une vieille connaissance, la prostituée Idonee, Dempsey est remarqué par Strap Davis, le contremaître du "Triangle", le domaine du plus grand éleveur de la région, dont l'exploitation menace les autres propriétaires terriens. Entraînant Jeff avec lui, Dempsey soutient les efforts de Strap pour conserver de bonnes relations avec les voisins jusqu'à ce qu'il découvre qu'ils dressent des clôtures avec du fil de fer barbelé - une pratique qu'il déteste car elle a coûté la vie de son frère et lui a laissé d'impressionnantes cicatrices.
Reed Bowman
(Jeanne Crain)

Quand Reed Bowman, propriétaire du "Triangle", arrive enfin, tous ses employés, sauf Strap, sont surpris en découvrant qu'il s'agit d'une femme, aussi séduisante qu'ambitieuse et dure en affaires. Elle compte à terme investir dans 20 000 têtes de bétail et amasser une fortune en deux-trois ans avant de se retirer, quitte à saccager la prairie.
Dempsey Rae (au centre) et Jeff "Texas" Jimson (à gauche)

La situation se tend rapidement car le pâturage est menacé et Bowman recrute des hommes de main à qui elle autorise de tuer quiconque contrarierait ses projets. Elle tente aussi de persuader Dempsey de remplacer Strap comme contremaître en se donnant à lui puisque c'est à ce prix qu'il prétend accepter le poste. 
Dempsey Rae (de dos) et Reed Bowman

Mais heurté par les méthodes de sa patronne et prévenu par Idonee des risques d'un conflit entre les petits propriétaires et les hommes du "Triangle", Dempsey démissionne et se range du côté des plus faibles après avoir été rudoyé par Steve Miles, employé de Bowman et ennemi de longue date depuis son séjour au Texas.
Dempsey Rae

Dempsey organise alors la résistance et se prépare à affronter non seulement Miles et Bowman mais aussi Jeff, qui est resté auprès de sa patronne. Au terme d'une lutte épique dans la prairie, conclue par la défaite de la maîtresse du "Triangle", Dempsey refuse pourtant de diriger sa propre ferme et repart, seul, Jeff ayant, assagi, choisi de rester avec la fille d'un des petits exploitants.

J'avais évoqué les relations souvent houleuses entre Kirk Douglas et ses réalisateurs dans ma récente critique des Vikings, même si ces tensions n'empêchaient pas les longs métrages d'être parfois de belles réussites artistiques et commerciales. Man Without A Star en est un remarquable exemple.

En 1955, l'acteur vedette vient d'achever un film pour la Fox et s'apprête à en enchaîner un autre pour la Warner mais il cherche un projet intermédiaire. Il contacte son ami scénariste Borden Chase pour lui dénicher une histoire et celui-ci lui parle d'un roman de Dee Linford. Avec D.D. Beauchamp, le scénario est rédigé en dix jours (!) et Universal lance la production en engageant le vétéran King Vidor pour le réaliser.

Le cinéaste commentera par la suite avoir accepté cette commande uniquement pour l'argent, n'ayant pu collaborer à son écriture. Douglas, lui, en plus de son salaire, est intéressé aux bénéfices et, en position de force, il ne va pas manquer une nouvelle fois de montrer qu'il est le vrai patron. Ses relations avec Vidor sont exécrables : l'acteur lui reproche sa lenteur et discute pratiquement toutes ses décisions, qu'elles concernent les indications de jeu comme la mise en scène.

Pourtant, le réalisateur n'est pas gêné par les conditions extrêmes avec lesquelles il doit composer : habitué aux cadences infernales (il a débuté au temps du muet), il met en boîte les prises de vue en 22 jours (avec deux jours d'avance sur le calendrier !) et imprime quand même son style, très pictural, au film. Malgré tout, il doit accepter de tourner des scènes qui lui déplaisent mais qui contribuent à rendre plus sympathique le héros (comme celles où il joue du banjo) ou des passages humoristiques compensant le ton globalement dramatique du récit.

Le résultat se ressent quelquefois de ces accommodements, mais il n'empêche que L'Homme sans étoile est quand même un western très efficace, avec des personnages profonds dont l'intrigue dévoile progressivement et habilement leurs secrets et leurs pulsions souvent troubles. Visuellement, Vidor signe des cadrages et des compositions superbes et la photographie de Russell Metty exploite magistralement l'éclat du Technicolor. Enfin, le montage est vif (l'affaire est pliée en 90 minutes), alternant notes d'humour (certes pas très subtil) et éclairs de violence.

L'histoire explore à la fois l'initiation (pour un résultat en demi-teinte d'ailleurs) d'un jeune cowboy ingénu (Jeff "Texas" Jimson - hélas ! interprété sans charisme par William Campbell qu'on n'arrive jamais à aimer autant que Dempsey Rae) par un aventurier aguerri et farouche (à qui Kirk Douglas donne une insolence et une énergie irrésistibles, même s'il cabotine volontiers quand il doit amuser la galerie) ; l'individualisme forcenée de Dempsey, et la fin d'une époque (symbolisée par la disparition des petits propriétaires terriens, l'exploitation massive de la prairie, l'élevage de masse, le quadrillage du territoire par les clôtures - bref, la fin de l'Ouest sauvage).

Face à Dempsey Rae, un homme qui ne tient pas en place (au point que son aventure ressemble à une fuite sans fin), qui refuse de s'attacher (le titre indiquant donc non pas une étoile de shérif mais un endroit où se poser), à la fantaisie nuancée de fatalisme, s'oppose Reed Bowman et les barbelés, matérialisant une entrave à la liberté du cowboy - même s'il admettra leur utilité pour préserver des lopins de terre). Cette femme est une figure étonnante, très différente de celles qu'on croise dans tant de westerns : arriviste, avide, elle n'hésite pas à jouer de ses charmes et de l'autorité que lui confère ses fortune pour imposer ses idées. Jeanne Crain l'incarne avec une sensualité et un érotisme affolants - au point qu'on se demande comment la scène où elle apparaît nue dans sa baignoire a pu être épargnée par la censure de l'époque.

L'affrontement de l'aventurier prenant conscience de l'évolution du monde et des bienfaits de la civilisation et du progrès et de cette exploitante aussi féroce que séduisante aboutit à un film étonnant, épatant, comme le reflet de l'antagonisme entre son acteur star et son réalisateur.  

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