samedi 10 décembre 2016

DRÔLE DE FRIMOUSSE, de Stanley Donen (1957)


DRÔLE DE FRIMOUSSE (Funny Face) est un film réalisé par Stanley Donen.
Le scénario est écrit par Leonard Gershe, d'après le livret de Gerard Smith et Fred Thompson pour la comédie musicale de George et Ira Gershwin. La photographie est signée Ray June, supervisée par Richard Avedon. La musique est composée par Roger Edens et Leonard Gershe, les chansons par George et Ira Gershwin. 

Dans les rôles principaux, on trouve : Audrey Hepburn (Jo Stockton), Fred Astaire (Dick Avery), Kay Thompson (Maggie Prescott), Michel Auclair (Pr. Emile Flostre), Richard Flemyng (Paul Duval).
 Dick Avery et Jo Stockton
(Fred Astaire et Audrey Hepburn)

Maggie Prescott dirige le magazine "Quality" et veut, pour rester toujours en pointe des tendances de la mode, trouver un nouveau visage à la fois "beau" et "intelligent" pour incarner sa publication. Avec son photographe Richard "Dick" Avery, son équipe d'assistants et une mannequin, elle investit une librairie de Greenwich Village pour un photoshoot improvisé. Jo Stockton, la jeune femme qui travaille là, se voit mettre dehors après avoir exprimé son sentiment sur la superficialité de la mode. 
Jo et Dick

En développant ses clichés, Dick remarque la photogénie de Jo et convainc Maggie que c'est elle qui doit représenter le nouveau modèle de "Quality". La rédactrice l'attire dans ses locaux pour la pièger mais Jo prend la fuite quand on lui parle de la rhabiller et de lui couper les cheveux. Elle réfugie dans la chambre noire de Dick qui, pour l'amadouer, lui propose d'aller à Paris pour y faire de nouvelles images et défiler pour le couturier Paul Duval tout en en profitant pour rencontrer son idole, le philosophe Emile Flostre, chantre du courant de pensée de "l'empathicalisme". 
Maggie Prescott, Dick Avery et Jo Stockton  : "Bonjour Paris !"
(Kay Thompson, Fred Astaire et Audrey Hepburn)

Lors des prises de vue dans la capitale française, Jo tombe irrésistiblement amoureuse de Dick qui se montre bienveillant et patient avec elle sans se douter des sentiments qu'il lui inspire. Une nuit qu'elle se prépare pour assister à un gala, elle apprend que Flostre donne une conférence dans un café et décide de s'y rendre après avoir prévenu sa logeuse où Dick, qui doit passer la prendre, où il la trouvera.
Jo et Dick

Quand le photographe la rejoint, il met Jo dans l'embarras en se moquant du vaniteux Flostre et en lui rappelant ses engagements vis-à-vis de "Quality". Le lendemain, en coulisses du défilé du couturier Paul Duval, Maggie assiste, médusée, à la dispute entre Jo et Dick, chacun reprochant à l'autre le mépris qu'il affiche pour ses centres d'intérêt. La réception tourne au désastre devant un public hilare. La jeune libraire retourne le soir venu chez Flostre qui reçoit à son domicile ses adeptes mais s'isole avec elle dans son bureau. 
Jo

Maggie et Dick intriguent pour s'incruster dans cette soirée et surprennent le philosophe en train de draguer Jo. Comme il veut les chasser, Dick l'assomme accidentellement.  
Emile Flostre, Jo Stockton, Dick Avery et Maggie Prescott
(Michel Auclair, Audrey Hepburn, Fred Astaire et Kay Thompson)

Jo les renvoie, furieuse, puis ranime Flostre qui tente alors de l'embrasser. Offusquée, elle l'assomme à nouveau.
Le Pr. Flostre et Jo

Le lendemain, une nouvelle présentation de la collection de Paul Duval est organisée et Jo honore son engagement pendant que Maggie s'affaire à retrouver Dick qui, la veille au soir, lui a annoncé son intention de repartir à New York. A la fin du défilé, en robe de mariée et en larmes, Jo s'enfuit. Dick, pris de remords, surgit alors mais Maggie ignore où sa protégée est partie.
Dick et Jo

Intuitivement, Dick se rend à une petite église où il a photographiée Jo et l'y retrouvent. Ils s'embrassent, assumant enfin leur amour.

Radicalement différent de la comédie musicale de 1927 dont il n'a gardé que le titre et quatre chansons, Funny Face est une merveille absolue du genre, qui aura permis à l'aérien Fred Astaire de renouer avec le rôle qu'il tint trente ans auparavant aux côtés de sa soeur Adele. Il a d'ailleurs les chorégraphies pour le grand écran avec Eugene Loring de cette adaptation de Wedding Bells (le titre initial du long métrage devait d'ailleurs être Wedding Day).

Contrairement à My Fair Lady (George Cukor, 1964), Drôle de Frimousse permet d'entendre la divine Audrey Hepburn chanter vraiment sur quatre titres, dont le superbe solo How Long Has This Been Going On ?. Sa formation de danseuse lui permet également d'assurer deux fabuleux numéros, dont une tonique parodie de danse contemporaine dans le café-philo.

Fred Astaire, alors âge de 58 ans, fut imposé par Hepburn, qui était une de ses admiratrices, alors que sa carrière était déclinante : il chante et danse - non, il vole ! Car Astaire n'était pas un athlète comme Gene Kelly, c'était un génie absolu : regardez-le là-dedans, et vous verrez que Michael Jackson n'a rien inventé (voir son numéro dans la cour d'immeuble où il joue les matadors avec son parapluie et son imperméable) - merveilleusement, mélange de classe et de bonne humeur, notamment sur Let's Kiss And Make Up

Quant à Kay Thompson, elle accède à un vrai rôle après avoir fait sa carrière comme directrice musicale dans de nombreux films, avec ce personnage inspiré de l'éditrice Diana Veerland : un duo avec Hepburn, un autre avec Astaire, et un trio, plus le solo d'ouverture, endiablé, Think Pink !

Richard Avedon, conseiller artistique du film, a inspiré le personnage de Dick (Dick étant un diminutif de Richard) Avery (Avery se distinguant à peine de Avedon) : le portrait d'Audrey Hepburn que développe Fred Astaire deviendra d'ailleurs une des images les plus célèbres de l'actrice par la suite.

Mais Funny Face ne se résume pas à des performances et des clins d'oeil, même s'il fut ironiquement présenté comme le premier et seul "MGM Musical" produit par Paramount depuis que Roger Edens et Stanley Donen en étaient les figures emblématiques aux côtés de l'unité créatrice d'Arthur Freed. Malgré ses qualités exceptionnelles, le film réalisera d'abord un score décevant en salles, malgré une critique unanimement élogieuse, et ne sera redécouvert que lors d'une deuxième exploitation. Il inspirera longtemps la pop culture puisque Whitney Houston le citera dans son clip I'm your baby tonight, Disney dans son dessin animé La Belle et la Bête (2001), Madonna sur la couverture de son album Erotica, The Divine Comedy dans un sample sur une chanson de Promenade, Sophie Ellis-Bextor dans la vidéo Take me home, mais aussi dans des pubs pour la marque de vêtements Gap, la série télé Gilmore Girls, pour une poupée Barbie et dans le titre Countdown de Beyoncé !

Cette référence des musicals doit beaucoup à Audrey Hepburn qui renonça au rôle-titre de Gigi (Vincente Minnelli, 1958) pour le tourner. Elle est inoubliable dans ce rôle, déjà fabuleusement jolie en libraire habillée en gris et noir, avant de rayonner dans un festival de couleurs. Le film est une ode au cinéma comme art du mouvement et Stanley Donen y prouve son génie dans l'enchaînement des tableaux dont il assume l'artificialité pour expérimenter en permanence : le Technicolor est aussi flamboyant dans les scènes de danse et de shooting que brumeux dans les moments plus calmes et bucoliques (magnifique séquence dans le parc de la petite église) en passant par des clairs-obscurs étonnants (Paris by night).

Chaque espace possède sa lumière propre, une ambiance intense, une signification unique : ainsi, c'est dans l'obscurité d'une chambre de développement photographique que Dick révèle à Jo sa beauté, dévoilant cette féminité qu'elle estime superficielle. Puis c'est un ballet multicolore pop lorsqu'il en fait une mannequin à Paris. Entre deux chansons et numéros dansés, Donen suggère l'amour naissant de son héroïne mais aussi la jalousie du photographe vis-à-vis d'Emile Flostre. Le choix des couleurs dans les lumières comme les vêtements raconte une histoire parallèle et traduit le trouble qui gagne les protagonistes, les liens qui se tissent entre eux, les sentiments qui les assaillent. Sublime.

L'argument du récit est certes classique - l'éveil amoureux d'une jeune femme mais aussi le retour de flamme d'un homme plus âgé : tous deux sont saisis par surprise dans cette romance alors que tout les oppose. Il cherche un mannequin à modeler tel Pygmalion, elle cherche celui qui va la révéler à elle-même et au monde. Elle croit trouver son mentor avec Flostre mais ce n'est qu'un séducteur pompeux, alors que l'homme qu'elle aime et qui l'aime est celui qui la met en scène pour la libérer (en commençant par la sortir de cette librairie semblable à une grotte).

L'histoire aligne donc les clichés, au propre comme au figuré, mais sans se résumer aux caricatures : Paris y est idéalisé mais devient un lieu de découvertes où se définissent les sens et les sentiments. Et si le film égratigne l'existentialisme à travers "l'empathicalisme", c'est sans condescendance mais pour rappeler qu'on ne vit pas que d'idées.

Quoiqu'il en soit, c'est un enchantement constant pendant 100 minutes, pétillant comme du champagne, émouvant aussi - et cette réussite rappelle le brio de Stanley Donen, idéalement entouré par ses interprètes, pour repenser le format, revisiter le genre, en un déferlement visuel d'une élégante sensualité, une captation du mouvement (quitte à l'arrêter pour figurer la prise d'une photo). Derrière ce tourbillon surtout il y a de la joie, un optimisme vivifiant, poétique, jamais niais ni grandiloquent. Un antidote contre tous les "déclinistes".

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