samedi 24 décembre 2016

L'HOMME TRANQUILLE, de John Ford (1952)

200ème critique !


L'HOMME TRANQUILLE (The Quiet Man) est un film réalisé par John Ford.
Le scénario est écrit par Frank S. Nugent, d'après une histoire de Maurice Walsh. La photographie est signée Wynton C. Hoch. La musique est composée par Victor Young.

Dans les rôles principaux, on trouve : John Wayne (Sean Thorton), Maureen O'Hara (Mary Kate Danaher), Victor McLaglen (William Danaher), Barry Fitzgerald (Michaleen O'Flynn), Ward Bond (Père Lonergan), Mildred Natwick (la veuve Sarah Tillane), Arthur Shields (Pasteur Playfair).
Sean Thornton
(John Wayne)

Années 1920. Innisfree, Irlande. Sean Thorton, un américain d'origine irlandaise, arrive de Pittsburgh pour racheter la ferme de sa famille où il est né. Conduit sur place par Michaleen O'Flynn, il croise en route une ravissante bergère, Mary Kate Danaher, dont il tombe amoureux au premier regard. 
Mary Kate Danaher
(Maureen O'Hara)

La jeune femme n'est visiblement pas indifférente non plus au charme viril de cet étranger même si elle l'observe avec méfiance. La prudence prévaut en effet puisque Sean s'attire l'inimitié de William Danaher quand il convainc la veuve Sarah Tillane, propriétaire du lopin de terre où se trouve encore la ferme, de le vendre à lui plutôt qu'au frère aîné de Mary Kate. 
Michaleen O'Flynn et Sean Thornton
(Barry Fitzgerald et John Wayne)

Homme simple et droit aspirant à une vie tranquille, Sean, à cause de cette affaire, voit William lui refuser la main de sa soeur, qui elle-même ne veut pas s'opposer à la tradition. Pour aider Thornton, plusieurs habitants du village, dont le Père Lonergan et le Pasteur Playfair, conspirent alors pour faire croire à William que la veuve Tillane acceptera de l'épouser s'il consent à laisser Mary Kate se marier avec Sean.
Sean et Mary Kate

Mais, lorsque, après les noces, William découvre qu'on l'a trompé, il refuse de donner à Sean la dot promise pour sa soeur. Cela indiffère Thorton mais pas son épouse pour qui cet argent et son mobilier (sa vaisselle mais aussi son clavecin) symbolisent à la fois son identité, sa fierté et son indépendance. Tant qu'elle n'aura pas obtenu son dû, elle ne veut pas consommer son mariage.
Le Père Lonergan et Mary Kate
(Ward Bond et Maureen O'Hara)

Les amis de Sean réussissent à récupérer les meubles de Mary Kate mais pas son argent. Quand elle le réclame une nouvelle fois à son époux qui préfère l'ignorer, elle le traite de lâche. Chacun s'éloigne pour ne pas avoir à se disputer : la jeune femme se confie au Père Lonergan qui lui rappelle ses devoirs de femme mariée tandis que Thornton parle au Pasteur Playfair - celui-ci sait que son visiteur est parti des Etats-Unis où il était champion de boxe mais a quitté les rings après avoir accidentellement tué un adversaire. Il lui conseille d'affronter William pour l'obliger à respecter ses engagements envers sa soeur. 
Mary Kate et Sean

Après avoir passé la nuit avec elle, apparemment apaisée, Sean apprend le lendemain matin que Mary Kate a décidé de le quitter et va prendre le train à Castletown. Il la rattrape et la traîne jusque chez son frère qui consent enfin à lui payer sa dot. Mais, fièrement, elle jette l'argent au feu et rentre à la maison préparer le dîner pour son mari. 
Sean Thorton et William Danaher
(John Wayne et Victor McLaglen)

Sean et William règlent leurs différends au cours d'une mémorable bagarre à laquelle assistent tous les habitants du village et qui se conclut sur la victoire de Thorton. 
Mary Kate et Sean

Sean et Mary Kate peuvent enfin profiter de leur bonheur tandis que William fait sa cour à la veuve Tillane, sous la surveillance de Michaleen O'Flynn.

Malgré sa réputation et ses succès déjà nombreux, John Ford eut fort à faire pour pouvoir monter ce projet qui lui tenait à coeur depuis qu'il avait découvert et acquis les droits (pour 10 $ !) de Maurice Walsh en 1933.

Il convainquit le studio Republic Pictures de financer le projet contre quelques conditions : il lui fallait obtenir John Wayne et Maureen O'Hara d'en tenir les rôles principaux, après avoir tourné un western (Rio Grande, 1950), que les deux acteurs acceptent de réduire leurs cachets, et de livrer un long métrage n'excédant pas deux heures - le montage final en comptera dix minutes de plus mais le réalisateur persuada les producteurs de les conserver pour ne pas écourter la fameuse bagarre finale.

Une fois cela établi, en creusant un peu, on découvre tout ce que Ford a apporté de personnel à cette histoire. Ainsi le héros se prénomme-t-il Sean car le cinéaste prétendait que son vrai nom était Sean O'Fearna, et l'héroïne s'appelle Mary Kate en hommage aux deux femmes qu'il aima - son épouse Mary et sa maîtresse, Katharine Hepburn.   

Ensuite, il s'agit pour Ford de représenter non pas l'Irlande de manière réaliste mais volontairement idéalisée : l'action se situe dans les années 20, à une époque où, dans le Nord du pays, les divisions sociale et religieuse (entre catholiques et protestants) n'étaient pas aussi vives. Les seules allusions à l'animosité anglo-irlandaise sont exprimées quand, après le mariage de Sean et Mary Kate, un invité porte un toast à "la liberté nationale", et à la fin, quand William Danaher cite Hugh Forbes, commandant de l'Armée Républicaine Irlandaise (l'I.R.A.) qui voulait expulser tous les britanniques en brûlant leurs maisons. Le tableau que peint le cinéaste tient donc de la fantaisie, à l'image de la nature verdoyante et de la bonne humeur générale.

Tournée notamment sur l'île de Lough Hill, où résida le poète William Butler Yeats, le film est une ballade nostalgique mais enjouée, un hymne au paradis perdu. Tout y est too much dès le début comme le souligne la photographie éclatante en Technicolor de Wynton C. Hoch, qui fut supervisée par le spécialiste de ce format, Francis Cugat : les lumières sont vives, les contrastes intenses, rien ici n'est naturel - encore moins naturaliste. Quand les cadres de Republic Pictures découvrirent les premiers rushes, ils crurent même que Ford avait placé des filtres pour accentuer la palette chromatique du film ! Mais c'est oublier que Ford avait déjà beaucoup joué avec la flamboyance de la couleur comme en témoigne un autre de ses chefs d'oeuvres antérieurs, La Charge héroïque (1949), aussi élégiaque et irradié. 

Néanmoins, The Quiet Man tranche indéniablement dans l'abondante filmographie de son auteur : au milieu d'une pléthorique collection de (grands) westerns (passés et à venir), cette comédie sentimentale étonne et détone. Le titre lui-même est trompeur car Sean Thornton aspire à la tranquillité, à la fois après le drame qui a brisé sa carrière de boxeur et sa volonté de revenir aux sources de son histoire familiale, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que ce retour ne sera pas un long fleuve tranquille. Il s'éprend d'une femme au caractère "violent", comme elle l'admet elle-même, aussi amoureuse de lui que tenant à son indépendance, et dont le frère aîné, deux fois doublé (quand la veuve Tillane refuse de lui vendre un de ses terrains et quand il apprend qu'on lui a menti sur les sentiments de la même veuve envers lui), fait tout pour semer la zizanie dans son couple.

Thornton ne veut d'abord pas se battre parce que l'argent de son beau-frère l'indiffère (il est lui-même assez riche pour entretenir sa femme et vivre sans travailler dans sa ferme - où il préfère cultiver des rosiers que des légumes), ensuite parce qu'il craint de tuer William comme il a tué son dernier adversaire sur le ring. Ford ne sombre pas dans le mélodrame facile en expédiant lors d'un flash-back ce trauma. En revanche, il exploite très habilement le fait de montrer un homme suffisamment fort pour s'imposer mais qui rejette toute violence : voir ainsi John Wayne se contenir est jubilatoire et la retenue avec laquelle le "Duke" interprète son personnage suffit à rappeler qu'il était un grand comédien, très sobre et élégant (et très différent de l'homme qu'il était en réalité...).

Ford ne filme pas non plus tout cela avec angélisme : la communauté qu'il décrit est corsetée par des traditions absurdes, aliénantes, où l'amour est soumis à des règles archaïques, que Sean Thorton comprend d'autant moins qu'il en saisit l'évidente hypocrisie - à l'image du Père Lonergan, prêtre catholique, et du Pasteur Playfair (dont le nom repose sur une savoureuse inversion du fairplay), représentant des protestants, s'entendent parfaitement au point que le premier cache son col blanc quand le supérieur du second visite Ennisfree.

Mais l'ambiance enjouée, culminant dans une bataille finale anthologique (près de dix minutes de pugilat, d'abord complètement chaotique avec l'affrontement des soutiens de Sean et ceux de Will, puis plus resserrée et expéditive entre le mari et son beau-frère), dominent, sous le regard à la fois sévère et amusé de Maureen O'Hara, dont c'était le film et le rôle préférée (elle y est effectivement formidable en épouse fière et têtue au possible).

L’Homme tranquille peut enfin se lire comme un auto-portrait de Ford, homme et auteur à la fois attaché aux valeurs mais aussi épris de liberté. Quelle que soit sa grille de lecture, en ce jour de Noël, c'est surtout un feel-good movie absolu.

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