dimanche 30 avril 2017

L'ANNEE PROCHAINE, de Vania Leturcq (2015)


L'ANNEE PROCHAINE est un film réalisé par Vania Leturcq.
Le scénario est écrit par Vania Leturcq avec la collaboration de Christophe Morand. La photographie est signée Virginie Surdej. La musique est composée par Manuel Roland.


Dans les rôles principaux, on trouve : Constance Rousseau (Clotilde), Jenna Thiam (Aude), Julien Boisselier (Sébastien), Frédéric Pierrot (Bertrand, le père de Clotilde), Anne Coesens (Ariane, la mère de Aude), Kevin Azaïs (Stéphane), Aylin Yay (Mme Ferreira, la professeur de philosophie).
 Clotilde et Aude
(Constance Rousseau et Jenna Thiam)

A 18 ans, depuis la mort de sa mère, Clotilde ne rêve que de quitter sa province natale pour poursuivre des études de philosophie à la Sorbonne. Mais elle veut que sa meilleure amie, Aude, la suive, bien qu'elle ait entamé une liaison avec Stéphane. 
Stéphane et Aude
(Kevin Azaïs et Jenna Thiam)

Pour l'obliger à la suivre à Paris, Clotilde envoie un dossier d'inscription en classe préparatoire aux Beaux-Arts et Aude, en recevant une réponse favorable, comprend que sa meilleure amie l'a mise ainsi au pied du mur. Même sa mère l'encourage à s'engager dans cette voie.
Clotilde
(Constance Rousseau)

Une fois en cours pourtant, c'est la désillusion pour les deux filles : Aude comprend vite que son talent ne convainc pas ses professeurs et camarades, Clotilde se voit reprocher par une enseignante de ne faire preuve d'aucune personnalité dans ses copies.
Aude
(Jenna Thiam)

A ces déconvenues s'ajoutent d'autres problèmes : le manque d'intimité dans l'appartement qu'elles partagent (héritée de sa mère par Clotilde), frais exorbitants pour des travaux divers. Pour obtenir un prêt étudiant, il faudrait que le père de Clotilde se porte garant mais elle se refuse à lui demander de l'aide car il a désapprouvé son départ pour Paris. 
Clotilde et Aude

Lors d'un week-end, les deux filles retrouvent leurs familles : Clotilde fleurit la tombe de sa mère puis demande à Aude si elle peut lui verser un loyer alors que la mère de celle-ci craque, en pleine crise sentimentale, et regrettant de n'avoir pu suivre de meilleures études (qui lui aurait donné une meilleure situation professionnelle).
Stéphane, Aude et Clotilde

De retour à la capitale, Clotilde devient l'assistante et la maîtresse d'un maître de conférences, Sébastien. Aude le découvre et se sent de plus en plus délaissée et déprimée car ses notes ne s'améliorent pas. La tension monte d'un cran quand Stéphane resurgit, de passage à Paris pour un stage d'hôtellerie : Clotilde ne cache pas sa contrariété mais ne peut empêcher que Aude et lui reprennent leur liaison. Comme prévu, Aude est recalée à l'examen d'entrée des Beaux-Arts mais, au lieu de la réconforter, Clotilde lui reproche d'avoir tout gâché en se dispersant. Peu après, Sébastien rompt avec Clotilde, estimant leur relation sans avenir et lassée de l'égocentrisme de la jeune femme. 
Clotilde et Aude

Aude et Clotilde se croiseront une dernière fois plusieurs mois après : la première, s'étant remise en question, poursuit de brillantes études, sur le point d'être publiée ; la seconde vit en couple avec Stéphane avec qui elle a eu un bébé. Elles s'échangent un sourire de loin mais sans s'adresser la parole.

Loin d'être un film girly, L'Année Prochaine, remarqué et primé dans plusieurs festivals, montre les premiers pas très prometteurs d'une jeune cinéaste qui porte un regard sensible et cruel sur l'amitié de deux jeunes filles dont les ambitions de l'une auront raison de l'affection et la confiance que lui portait l'autre.

Clotilde et Aude sont deux bachelières de 18 ans, amies depuis l'enfance, mais la première ne veut/peut plus vivre dans cette province étriquée depuis la mort de sa mère, nourrissant de grands projets pour elle et sa complice. Elle la piège afin de la contraindre à la suivre à Paris en s'inscrivant dans des classes préparatoires à de grandes écoles (la Sorbonne et les Beaux-Arts). Elles entament cette aventure avec l'insouciance de leur jeune âge, mais l'expérience va se retourner méchamment contre elle et avoir raison de leur belle complicité. 

De ce postulat, Vania Leturcq tire une réflexion lucide sur les limites de l'amitié et ce qui définit ce sentiment - l'usure du temps, l'éloignement de ses bases, le fait d'imposer à l'autre son désir, la priorité accordée aux sentiments ou au travail. La chronique est développée de manière riche et subtile, suivant un crescendo très fluide, avec des ellipses bien placées. 

Surtout le scénario ne fait preuve d'aucune complaisance : si le personnage de Clotilde apparaît a priori comme la responsable du délitement de cette amitié, celui de Aude n'est pas sans défaut non plus. La cinéaste donne des personnalités distinctes et ciselées à ses héroïnes et expose clairement le malentendu qui, grandissant, sera fatal à leur relation.

Clotilde est réfléchie et ambitieuse, voire arrogante et manipulatrice, autant que Aude est délurée et fragile derrière une façade enjouée et suffisante, qui cache mal son manque de confiance (en elle, en son talent). Tous deux sont comme des pôles contraires qui s'attirent puis se repoussent : leur affection nous attendrit sans que l'on en soit dupe, cela dissimule mal le malaise persistant qui plane sur leur histoire, le gouffre qui va, croissant, les séparer. Au fond, l'une a envie d'une chose qui n'attire pas l'autre (une soif éperdue de reconnaissance, voire de revanche sociale).

C'est donc un récit initiatique qui se révèle avec ses épreuves pénibles : Clotilde devra apprendre l'humilité mais en tirera un surcroît de motivation, Aude à reconnaître qu'elle n'est pas suffisamment talentueuse et motivée et préférera tout lâcher pour un bonheur plus ordinaire mais aussi plus paisible. Quand éclatera la rupture, en vérité consommée depuis longtemps, entre elles, les mots et les gestes seront conséquemment violents, amers, déchirants - à la mesure des déceptions et des manipulations. Soulignée aussi par leurs histoires amoureuses (Clotilde s'éprend d'un maître de conférence cynique, Aude ne peut se passer de son copain que méprise/jalouse Aude). Hier dansant collées l'une contre l'autre dans une boîte de nuit, elles se fâcheront définitivement dans les murs blancs d'un appartement parisien chic à la fois trop petit et trop grand pour elles : une idée de mise en scène simple mais redoutablement efficace.

Porté par deux magnifiques (dans tous les sens du terme) actrices (la gracile et blonde Constance Rousseau et la sensuelle brune Jenna Thiam), L'Année prochaine s'achève sur une note à la mélancolie poignante et révèle une réalisatrice dotée d'un solide potentiel.
*
J'ajouterai que ce film m'a également troublé pour des raisons personnelles car son intrigue trouve des échos dans mon propre parcours à l'âge de ses héroïnes : je me destinais à des études aux Beaux-Arts auxquelles j'ai renoncé pour tranquilliser ma mère en m'inscrivant en faculté pour y étudier la philosophie. Malgré mes efforts, j'ai constaté l'insuffisance de mes compétences dans cette discipline, tout en persévérant jusqu'à l'année de Licence. Démotivé, m'estimant trop âgé, je n'ai jamais eu le coeur à tenter ma chance aux Beaux-Arts. J'ai continué à produire des bandes dessinées dans mon coin, essayant d'être publié, sans succès. 
Aujourd'hui, j'ai totalement abandonné cette activité et seules ont subsisté de ces années d'apprentissage la rédaction d'analyses de bandes dessinées d'abord, puis maintenant de films. Mais l'histoire de Clotilde et Aude m'a rappelé la mienne, jusque dans des détails amusants (la lecture de "Télérama", découvert quand j'avais 18 ans) ou plus tristes (la perte d'un parent, l'envie de fuir en croyant échapper au passé).
Il ne suffit donc pas de croire en son talent (ou celui qu'on vous prête) pour arriver, encore moins penser que suivre un ami pour être motivé : son chemin, on le fait, je crois, seul, en acceptant de laisser pas mal de choses en arrière (parfois même un peu d'intégrité). Mais il n'est pas honteux de revenir d'où on vient si c'est là qu'on est le mieux et qu'on y trouve de quoi vivre sinon accompli, du moins apaisé.

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