mardi 4 avril 2017

CAPTAIN FANTASTIC, de Matt Ross (2016)


CAPTAIN FANTASTIC est un film écrit et réalisé par Matt Ross.
La photographie est signée Stéphane Fontaine. La musique est composée par Alex Somers.


Dans les rôles principaux, on trouve : Viggo Mortensen (Ben Cash), Frank Langella (Jack Bertrang), Ann Dowd (Abigail Bertrang), Kathryn Hahn (Harper), Steve Zahn (Dave), George MacKay (Bodevan Cash), Annalise Basso (Vespyr Cash), Nicholas Hamilton (Rellian Cash), Samantha Isler (Kielyr Cash), Charlie Shotwell (Nai), Shree Crooks (Zaja).
 Ben Cash
(Viggo Mortensen)

Depuis que sa femme, Leslie, est hospitalisée pour soigner ses troubles bipolaires, Ben Cash élève seul leurs six enfants. Formés aux techniques de survie, lecteurs d'ouvrages savants, ils vivent loin de tout, en pleine nature, à l'abri de la société de consommation, en célébrant le philosophe Noam Chomsky. Mais la solidarité de cette tribu est éprouvée quand Ben, de passage dans un village voisin où il est venu acheter des provisions, téléphone à sa soeur cadette, Harper, qui lui apprend que Leslie s'est suicidée.
Zaja, Nai, Bodevan, Rellian, Vespyr et Kielyr Cash
(Shree Crooks, Charlie Shotwell, George MacKay, Annalise Basso et Samantha Isler)

Son beau-père, le riche Jack Bertrang, qu'il appelle ensuite, lui annonce son intention d'inhumer sa fille traditionnellement, alors qu'elle souhaitait être incinérée. Si Ben se présente tout de même à la cérémonie religieuse, il est menacé d'être arrêté car Jack le tient responsable de la mort de Leslie et considère comme de la maltraitance l'éducation qu'il donne à ses enfants. 
Harper et Dave
(Kathryn Hahn et Steve Zahn)

Respectant la volonté de sa progéniture, Ben décide de défier son beau-père et d'assister aux obsèques de Leslie. En route, le bus aménagé qu'il conduit fait une halte chez Harper et son mari, Dave, qui tentent de le raisonner. Ils se disputent au sujet de la déscolarisation des enfants, même si Ben prouve que ceux-ci sont plus instruits que leurs deux fils, des adolescents accrochés à leurs consoles de jeux vidéos.
Les funérailles de Leslie

Le jour des funérailles, Ben et ses enfants surgissent dans l'église et il prononce devant l'assistance médusée un discours provocant, qui ulcère Jack au point qu'il le fait expulser par la force. Rellian, le cadet des fils de Ben, fugue pour vivre chez ses grands-parents, reprochant à son père de les avoir privé de trop de choses, puis Bodevan révèle qu'il est admis dans plusieurs universités prestigieuses auxquelles il a écrit en cachette. 
Ben Cash et Jack Bertrang
(Viggo Mortensen et Frank Langella)

Ben est désemparé et furieux car la situation lui échappe. Mais Vespyr, Kielyr, Nai et Zaja restent acquis à ses principes et souhaitent exaucer les dernières volontés de leur mère avant de repartir vivre dans les bois. Avant cela, il faut "délivrer" Rellian.  
"Mission : libérer Rellian !"

En tentant de s'introduire acrobatiquement chez ses grands-parents, Vespyr se blesse et doit être hospitalisée. Par chance, elle s'en sort sans séquelles, mais Ben comprend qu'il ne peut plus mettre ainsi ses enfants en danger et admet qu'il doit les re-socialiser. Pour cela, il les confie aux Bertrang et choisit de repartir, seul. 
Vespyr, Ben et Zaja

A la nuit tombée, il s'arrête dans une station-service pour faire le plein d'essence et se raser la barbe. Puis il allume un feu de bois dans la plaine voisine. C'est là qu'il découvre, stupéfait, que tous ses enfants l'ont suivi, en se cachant dans le bus, pour exaucer le testament laissé par leur mère à leur père. Ensemble, ils vont déterrer son cercueil puis brûle sa dépouille dans un coin perdu avant de disperser ses cendres. 
La famille recomposée

Bodevan quitte les siens pour partir trouver sa place dans le monde. Ben s'installe dans une ferme avec ses cinq autres fils et filles qui vont désormais à l'école.

Présenté au festival de Sundance, dont il est reparti bredouille malgré une critique dithyrambique, puis dans la section "Un Certain Regard" à Cannes, le deuxième film de Matt Ross est une vraie curiosité, à la fois euphorisante et dérangeante. Production indépendante, elle s'inscrit dans la veine de longs métrages critiques sur le système capitaliste américain dont ils dénoncent la déshumanisation.

Pour autant, ce n'est pas un pamphlet virulent que livre l'auteur mais plutôt une réflexion douce-amère sur la confrontation d'une utopie à mi-chemin entre le songe hippie et la robinsonnade et la "vraie vie" dans la société moderne et urbaine. Dans sa première partie, le film présente, patiemment, cette curieuse famille recluse au fond des bois et refusant les règles du monde extérieure, en plein trip "survivaliste". Bien que cette tribu soit soudée et que ces enfants aiment leur père, on devine déjà des tensions (Rellian, le cadet, qui se blesse lors d'une séance d'escalade, laisse exploser sa colère quand son paternel annonce qu'ils ne pourront pas se rendre aux funérailles de leur mère).

Avec sa barbe fournie, ses méthodes extrêmes, Ben Cash fait en vérité davantage penser à un gourou fanatique, ayant embarqué sa progéniture dans son délire, qu'à un patriarche responsable, quand bien même il a fait de ses enfants à la fois des athlètes et des têtes bien remplies, pour qu'ils soient capables de faire face à tout. Il n'a cependant pas apprécié à sa juste mesure qu'on peut être entraîné comme un guerrier et ne pas être capables de surmonter la douleur la plus intime, celle du deuil.

S'ensuit alors un deuxième acte en forme de voyage depuis la forêt jusqu'à la grande ville, spectacle sidérant pour ces gamins. Et suscitant des moments embarrassants comme celui où l'aîné Bodevan, exalté, demande en mariage une jeune fille juste après qu'ils se soient embrassés un soir dans un camping ! Le malaise engendré par la pédagogie très spéciale de Ben Cash devient de plus en plus intense à mesure que le récit progresse : le décalage atteint un premier pic lors d'une halte chez sa soeur, qui tente de lui expliquer que les enfants sont devenus asociaux et déphasés, même s'ils sont plus instruits que des adolescents abrutis par leurs jeux vidéos. Cette partie est la plus maladroite du film : Matt Ross cède à un jugement facile, dénonçant sans nuances les citadins déculturés par rapport à ces sauvageons parlant comme des livres qu'ils ne comprennent pas forcément et détachés de leurs émotions intimes.

Le dernier acte redresse la barre dans une succession de scènes à la fois comiques et perturbantes mais surtout émouvantes : Ben finit par admettre que ses méthodes sont dangereuses, mais Matt Ross évite de trop le culpabiliser (il le responsabilise plutôt et donc l'humanise). Les rebellions et mensonges successifs de Rellian et Bodevan obligent à une remise à question subtile et dessinent le portrait de cet homme prisonnier de sa quête de pureté radicale, brisé par la perte de sa femme et effrayé par le départ de ses enfants. Cette détresse est admirablement traduite par le jeu toujours aussi fin et intense de Viggo Mortensen, entouré d'une troupe de jeunes acteurs formidables dont les personnages sont tous superbement caractérisés.

Au terme de cette aventure étrange, bouleversante, aussi épique qu'intime, baignée dans une ambiance solaire, une nouvelle harmonie succède au tumulte tout en conservant sa singularité : on s'incline devant cette prouesse narrative ménageant aussi bien l'émotion que la réflexion, sans solution facile.

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