jeudi 24 novembre 2016

LE CANARDEUR, de Michael Cimino (1974)


LE CANARDEUR (Thunderbolt & Lightfoot) est un film écrit et réalisé par Michael Cimino.
La photographie est signée Frank Stanley. La musique est composée par Dee Barton.

Dans les rôles principaux, on trouve : Clint Eastwood (John Thunderbolt), Jeff Bridges ("Lightfoot"), George Kennedy (Red Leary), Geoffrey Lewis (Eddie Goody), Catherine Bach (Melody), June Fairchild (Gloria).
 John Thunderbolt
(Clint Eastwood)

John Thunderbolt est un ancien braqueur qui se dissimule sous l'identité d'un pasteur dans un bled perdu de l'Amérique. Mais son passé le rattrape quand, alors qu'il prononce un sermon à ses ouailles, un ancien complice surgit dans son église et ouvre le feu sur lui. Il réussit à prendre la fuite par l'arrière du bâtiment en s'enfonçant dans les hautes herbes d'un pré.
 "Lightfoot"
(Jeff Bridges)

Quelques instants auparavant, un jeune escroc qui se fait appeler "Lightfoot" (traduit en français par "Pied-de-biche") a volé une voiture chez un concessionnaire. Alors qu'il traverse une piste voisine de la fusillade dans l'église, il percute violemment le tireur, sauvant la peau de Thunderbolt qui grimpe dans le véhicule. Ensemble, ils réussissent à semer les deux acolytes, Red Leary et Eddie Goody, de l'agresseur de Thunderbolt.
 Thunderbolt et "Lightfoot"

Après s'être arrêtés en ville, les deux hommes se séparent, mais en entrant dans un diner, Thunderbolt aperçoit Leary et ressort aussitôt pour rejoindre "Lightfoot". Ils louent un bungalow pour la nuit et le jeune voleur y attire deux charmantes prostituées après avoir changé les plaques d'immatriculation de leur voiture. 
 Red Leary et Eddie Goody
(George Kennedy et Geoffrey Lewis)

Malheureusement, le lendemain, Leary et Goody piègent Thunderbolt et "Lightfoot", résolus à demander des comptes au premier qu'ils accusent d'avoir empoché le demi-million de dollars de leur dernier braquage plusieurs années auparavant. Après s'être expliqués aux poings avec Leary, Thunderbolt parvient à le convaincre que le chef de leur gang, Dunlop, aujourd'hui mort, avait en vérité caché leur magot dans une vieille école à Warsaw, Montana. 
 Leary, Thunderbolt, Goody et "Lightfoot"

Mais sur place, les malfrats constatent que l'école a disparu pour faire place à un établissement tout neuf. "Lightfoot" suggère aux trois hommes de commettre à nouveau un casse en employant la même méthode, persuadé que la police ne pensera jamais que les voleurs auraient cette audace. Pour réussir leur coup, il leur faut se procurer notamment un canon anti-char, manié par Thunderbolt, et pour cela, gagner de l'argent en effectuant quelques petits boulots. Puis procéder à des repérages minutieux et s'occuper de tous ceux susceptibles de déclencher les alarmes.   
 "Lightfoot" et Thunderbolt

Minutieusement préparé et parfaitement exécuté, l'opération réussit mais lorsque le gang se replie comme prévu, ensuite, dans un drive-in pour éviter la police, leur comportement suspect intrigue la caissière qui oriente les flics et déclenche une course-poursuite. Goody est mortellement blessé, mais Thunderbolt réussit à semer ses assaillants. Leary en profite alors pour les doubler, lui et "Lightfoot", qu'il tabasse méchamment pour se venger de ses fanfaronnades. Il prend la fuite mais sera piégé par les forces de l'ordre. 

Pris en stop, Thunderbolt et "Lightfoot" sont déposés en pleine campagne. Tandis qu'ils traversent un champ, stupéfaits, ils aperçoivent l'ancienne école de Warsaw qui n'a pas été détruite mais déplacée pour être reconvertie en musée. Le butin s'y trouve toujours et avec l'argent, Thunderbolt exauce le rêve de "Lightfoot" en achetant cash une Cadillac blanc. Mais en reprenant la route, le jeune voleur s'éteint, victime des coups infligés par Leary.

Mort l'an dernier à 76 ans, Michael Cimino laisse le souvenir d'un météore dans la galaxie du cinéma hollywoodien. Qu'a-t-on retenu d'une carrière qui compte seulement sept films dont deux seulement ont rencontré un succès à la fois critique et public ? Pour beaucoup, en vérité, il restera l'homme de Voyage au bout de l'enfer (1978), un des grands films sur le Vietnam, qui lui a valu l'Oscar du meilleur réalisateur, et de La Porte du Paradis (1980), dont l'échec commercial a provoqué la ruine du studio United Artists. 

Ces deux dates, ces deux titres ont complètement occulté le reste de sa filmographie, certes inégale (avec un remake de La maison des otages, 1990, ou son dernier effort, Sunchaser, 1996) mais qui compte un polar hallucinant (L'Année du dragon, 1985), et ce premier opus remarquable, stupidement rebaptisé en français Le Canardeur.  

Cimino a toujours de toute façon occupé une place à part : s'il est donc apparu sur le devant de la scène au milieu des années 70, il ne faisait pas partie de la bande du "New Hollywood" avec Spielberg, Lucas, Coppola, Scorsese ou de Palma. C'était plutôt un auteur à la marge comme Friedkin, Monte Hellman, Jerry Schatzberg. Qui plus en convainquant Clint Eastwood d'être la vedette de son premier film, il marquait sa différence avec ses camarades qui dirigeaient des comédiens issus de l'Actor's studio.

Sans Eastwood, pas de Cimino : en 1974, le premier est une star incroyable grâce à ses westerns dirigés par Sergio Leone (la fameuse "trilogie des dollars" : Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la brute et la truand) et ses polars filmés par Don Siegel (dont l'apogée a été L'Inspecteur Harry en 1971), sans oublier ses premiers longs métrages comme réalisateur. Cimino lui soumet le script de Thunderbolt & Lightfoot après un accord pourtant très contraignant pour lui : l'acteur produira le film via sa société Malpaso Productions, l'auteur réécrira Magnum Force (dont la première version était rédigée par John Milius) - la suite de Dirty Harry - mais sera viré si les premiers rushes ne convainquent pas Eastwood ! Le débutant persuadera pourtant rapidement la vedette qu'il maîtrise son affaire.

Ce qui fascine immédiatement en effet, c'est la maîtrise du jeune cinéaste : le premier plan, montrant une église perdue au milieu d'un champ de blé, évoque un tableau d'Edward Hopper, et tout le reste est à l'avenant. La composition des images, photographiées par Frank Stanley, est extraordinaire, digne d'un metteur en scène chevronné - ou d'un cinéphile qui a longtemps étudié et parfaitement intégré les leçons des grands maîtres (au premier rang desquels John Ford).

La beauté formelle du film sert un script qui, tout en respectant les codes de la série noire, illustre le genre du buddy movie avec un sens jubilatoire de la dérision. Toute l'intrigue joue avec les clichés et en fait l'argument du braquage sert surtout à dresser subtilement un état des lieux de l'Amérique au mitan des 70's, avec suffisamment de recul pour être moderne mais aussi une pointe de nostalgie pour demeurer respectueux. Cette mélancolie parcourt tout le récit en magnifiant les grands espaces comme le ferait un western et en privilégiant les personnages. 

Toute sa vie, Cimino a caressé le projet d'adapter à l'écran La Condition humaine d'André Malraux en déclarant qu'il ne faisait pas un cinéma idéologique mais fondé sur l'humain, les rencontres, l'impact de l'Histoire sur les hommes. Ainsi dans Voyage au bout de l'enfer, la guerre du Vietnam comptait en définitive moins que l'éclatement d'une bande d'amis. Pareillement, dans Thunderbolt & Lightfoot, la banque visée est d'abord un prétexte pour rassembler d'anciens complices et parler de la relation qui se noue entre un ancien voleur et un jeune loup contre deux acolytes aussi rancuniers qu'idiots et brutaux. 

Cette démarche explique tout le processus créatif de Cimino : plus que les idées, les concepts, les genres même, ce qui subsiste reste les personnages, les hommes. Il faut leur donner de la chair, une âme, pour qu'ils demeurent inoubliables, pour qu'on s'attache à eux. Il n'est pas nécessaire dans cette configuration d'être particulièrement original, mais il est indispensable d'être sincère. 

Eastwood a dû sentir cette sincérité pour accorder sa chance à ce rookie, tout en sautant sur l'occasion de jouer dans un road movie, dont les dimensions existentielles et subversives reflétaient celles de la jeunesse de l'époque (depuis Easy Rider en 69 jusqu'à L'Epouvantail en 73 en passant par Point limite zéro en 71). La même année que Thunderbolt and Lightfoot sortiront La Balade sauvage (Terrence Malick), Nous sommes tous des voleurs (Robert Altman), Sugarland Express (Steven Spielberg) et Alice n'est plus ici (Martin Scorsese) : le zietgeist à l'oeuvre !

Ce qui distingue toutefois le film de Cimino, c'est la foi de ce dernier en la perpétuation non seulement de certaines valeurs (la solidarité, l'amitié), mais aussi donc d'une esthétique (les grands espaces hérités du western), à jeu égal avec l'incertitude concernant l'avenir. Les héros sont des braqueurs de banque mais qui ne commettent leurs forfaits que contraints et forcés (pour régler d'anciennes querelles) ou pour satisfaire des envies triviales (se payer cash une belle voiture). Et encore, se mettent-ils à élaborer leur casse, certes avec minutie, mais sans se presser, et en se résignant à le financer en faisant de petits boulots ingrats (vendre des glaces, travailler à l'usine, intégrer l'équipe d'entretien d'un magasin, participer à de la maçonnerie). Ce décalage fournit des respirations humoristiques sur un ton pince-sans-rire, où le jeu très expressif de Jeff Bridges (épatant en chien fou charmeur) contraste avec celui marmoréen de Eastwood ou grotesque de George Kennedy et Geoffrey Lewis. Les femmes ici ne font que passer (même si la séduisante Catherine Bach vaut le détour).

Le film joue aussi sur les générations de ses héros : Kennedy, Lewis et Eastwood sont tous des anciens de la guerre de Corée, et leurs rapports, quoique tendus, ont été tissés par la camaraderie des soldats. Ils ne s'apprécient pas mais profitent de leurs compétences respectives. En face d'eux, Bridges représente la jeunesse insouciante et désorientée : il s'est choisi un nom évoquant un indien, qui l'oppose donc aux cowboys que sont ses acolytes mais symbolise aussi la liberté, l'insoumission, qui seront éprouvées par la guerre du Vietnam. Ce choix traduit la volonté de Cimino de mixer tous les éléments constitutifs de l'Amérique avec ce qu'elle a de contradictoire mais aussi avec l'espoir d'une réconciliation, d'une fraternité. Les circonstances dans lesquelles Thunderbolt et "Lightfoot" sont volontairement cocasses, et leur aventure ponctuée d'épisodes rocambolesques culminant avec l'utilisation d'un canon anti-char pour forcer une chambre forte. Ces fantaisies ne sont pas gratuites : elles révèlent comment un ancien truand de 40 ans se réveille au contact d'un garçon à peine sorti de l'adolescence au point de craindre que son passé ne lui nuise - le dénouement est à cet égard aussi cruel que poignant.

De la même manière, Le Canardeur aura permis à Clint Eastwood de se dérider : comme Thunderbolt, amusé par le culot de "Lightfoot", on peut estimer que Cimino aura contribué à casser son image de type taiseux et cynique, parvenant à lui arracher de francs sourires (et même quelques éclats de rire !). On quitte cette aventure et ses héros avec la même émotion qu'on quitte de vieux amis : en à peine deux heures, c'est aussi cela le talent de cette oeuvre.

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