lundi 21 novembre 2016

AMERICAN SNIPER, de Clint Eastwood (2014)


AMERICAN SNIPER est un film réalisé par Clint Eastwood.
Le scénario est écrit par Jason Hall, d'après les Mémoires de Chris Kyle rédigées par Scott McEwen et Jim DeFelice. La photographie est signée Tom Stern. La musique est composée par Clint Eastwood, Ennio Morricone et Joseph S. DeBaesi.

Dans les rôles principaux, on trouve : Bradley Cooper (Chris Kyle), Sienna Miller (Taya Kyle), Luke Grimes (Marc Lee), Jake McDorman (Ryan "Biggles" Job), Jammy Sheik (Mustafa), Mido Hamada ("le Boucher").
 Chris Kyle
(Bradley Cooper)

Né au Texas, Chris Kyle est initié dès son enfance au tir au fusil par son père lors de parties de chasse au cerf. Des années plus tard, il est devenu cowboy et participe à des rodéos. En 1998 les attentats contre les ambassades américaines au Moyen-Orient le convainquent de s'engager au sein des SEALS comme sniper.
 Chris et Taya Kyle
(Bradley Cooper et Sienna Miller)

Durant sa formation, il rencontre Taya Studebaker et l'épouse peu après. Trois semaines après leurs noces, Chris est envoyé pour la première fois en Irak, suite aux attentats du 11 Septembre 2011. Ses premières cibles sont une mère et son enfant sur le point d'attaquer un char avec une grenade. Bouleversé par cette expérience, mais vite réputé pour son efficacité, il est surnommé "la Légende".
 "Le Boucher"
(Mido Hamada)

Assigné pour débusquer Abou Moussa Al-Zarqaoui, Chris Kyle traque "le Boucher", un des lieutenants de ce cadre de l'organisation terroriste Al-Qaïda. Il obtient des renseignements à son sujet en acceptant de payer un irakien mais le plan tourne mal car l'informateur est capturé et tué avec son fils par leur ennemi sans que Kyle ait pu les protéger car il essuyait au même moment les tirs d'un autre sniper.
Chris Kyle et Marc Lee
(Bradley Cooper et Luke Grimes)

Son rival est connu sous le nom de Mustafa, syrien d'origine et médaillé d'or aux Jeux Olympiques. Les insurgés irakiens ont mis la tête de Chris à prix. De retour chez lui, Kyle assiste à l'accouchement de Taya, mais hanté par la guerre, il néglige son rôle de père et d'époux alors que sa femme souhaiterait qu'il reste à ses côtés.
 Mustafa
(Jammy Sheik)

Chris repart pour une nouvelle mission en Irak avec une promotion. Lors d'une fusillade, au cours d'une opération nocturne, il réussit à abattre "le Boucher". Il rentre chez lui où sa famille s'agrandit avec la naissance de sa fille, mais l'adrénaline du combat lui manque à nouveau. Au cours de sa troisième "tournée", Chris voit successivement deux de ses meilleurs camarades tomber : "Biggles" est gravement blessé par Mustafa, puis Marc Lee, son partenaire, est abattu.
 Chris Kyle et sa fille

La culpabilité oblige Chris à entamer une quatrième mission, bien que Taya l'ait menacé entretemps de le quitter. Il reçoit l'ordre de tuer Mustafa. Placé avec une équipe sur le toit d'un immeuble et alors qu'une tempête de sable est imminente, il réussit à abattre son rival par un tir à près de 2 000 mètres de distance, mais ce faisant expose ses camarades à la riposte de nombreux insurgés. Ils réussissent à être évacuer in extremis, peu après que Chris ait téléphoné à Taya pour lui annoncer être prêt à rentrer définitivement.
Taya Kyle

La réinsertion est difficile pour Chris qui avoue à un psychiatre toujours penser aux hommes qu'il pourrait encore sauver. Pour combler ce manque, il rencontre des vétérans gravement blessés, dont certains qui ont échappé à une mort certaine grâce à lui. C'est pourtant l'un d'eux, mentalement perturbé, qui le tuera le 2 Février 2013. Chris Kyle sera enterré avec les honneurs.

C'est Bradley Cooper qui a acquis les droits de l'autobiographie de Chris Kyle mais il voulait confier le rôle principal à Chris Pratt. Pour adapter cette histoire, David O. Russell puis Steven Spielberg sont approchés, avant que Clint Eastwood n'en hérite parce qu'il a manifesté son intérêt et accepté un budget réduit. Cooper endosse finalement le rôle de Kyle à la demande du réalisateur et le tournage débute en Mars 2014, à Los Angeles, se poursuit au Maroc, et s'achève en Juin.

Pour la deuxième fois (après Jersey Boys), Eastwood filme en numérique avec Tom Stern comme chef opérateur. Le cinéaste élimine pratiquement toute musique du film, à l'exception du Thème de Taya qu'il compose lui-même, de The Funeral écrit par Ennio Morricone, et de fonds sonores édités par Joseph S. DeBeasi. La chanson Someone like you de Van Morrison est également présente sur la bande originale.

American Sniper va devenir non seulement le plus gros succès commercial de la carrière d'Eastwood, avec près de 550 millions de dollars de recettes dans le monde, mais c'est aussi le film de guerre le plus rentable de toute l'Histoire du cinéma ! De quoi consoler les producteurs de l'échec du long métrage aux Oscar où il ne recevra qu'une statuette pour le montage sonore alors que Bradley Cooper, le scénariste Jason Hall, les monteurs, les mixeurs, le photographe et Clint Eastwood étaient nommés...

L'explication la plus probable de ce désaveu tient aux quelques critiques négatives et virulentes exprimées contre le film qui a été accusé de glorifier les snipers, l'intervention de l'armée américaine en Irak, et d'enjoliver la carrière de Chris Kyle - ce dernier avait vivement protesté contre l'exploitation des soldats dans des longs métrages en-deçà de la réalité, et plusieurs faits reportés dans ses Mémoires ont été contestés (Mustafa, personnage majeur du film, y est à peine mentionné. L'enfant tué par Kyle au début n'aurait jamais existé. "Biggles" n'est mort que plusieurs années après avoir été blessé, des suites de complications post-opératoires. "Le Boucher" a été créé pour les besoins de l'histoire, mais aurait été inspiré par Abou Deraa.).

A ces reproches, Clint Eastwood a répondu que son film montrait "ce que [la guerre] fait pour tous les gens laissés derrière". Bradley Cooper a, lui, estimé que le récit traitait surtout de la négligence subie par les vétérans et que le public devraient plutôt demander des comptes à ceux qui envoient des hommes au front sans les accompagner psychologiquement ensuite.

Chacun se forgera un avis moral sur Chris Kyle et ses actions. Mais on peut difficilement être surpris de l'intérêt d'Eastwood pour lui tant il appartient à la longue galerie d'individus ambigus peuplant son oeuvre, et qu'il a souvent incarnés - on peut d'ailleurs également penser qu'il l'aurait certainement interprété s'il avait eu l'âge requis. Par ailleurs, d'un strict point de vue artistique, American Sniper est une oeuvre puissante dont les 135 minutes passent avec une fluidité remarquable.

Dans le film, Chris Kyle projette une force toute entière en tension nerveuse contenue plus que dans la démonstration virile. Eastwood expédie rapidement l'évocation de son enfance et de sa jeunesse, ce sont d'ailleurs les scènes les moins convaincantes, et jamais ensuite l'histoire ne les rappelle pour tenter d'expliquer le comportement  de son héros. Le réalisateur le filme également dans son intimité de manière rapide, très prude (lorsque Kyle porte Taya jusque dans leur chambre pour y faire l'amour, la caméra s'arrête dans le couloir, après que la porte se ferme derrière le couple). Tout cela compose une figure certes héroïque mais à la la façon d'un moine guerrier. 

Son mystère se traduit sous la forme d'une adrénaline inquiète, la partie de ses actions dépasse la ligne claire du scénario. En refusant ainsi toute psychologie (ce que Eastwood a toujours fait, aussi bien comme acteur que comme metteur en scène), le cinéaste laisse le spectateur ressentir la douleur et les doutes du personnage : son mal est intérieur et son empreinte est profonde, il avance dès le début vers la mort - celle qu'il va donner et qui l'attend.

Eastwood interroge d'ailleurs subtilement cette héroïsme, une question hérité du cinéma classique dont son style est inspiré. Depuis longtemps le cinéma européen a fait le tour des anti-héros, en tant qu'américain Eastwood continue encore d'explorer cette figure et à travers lui sa représentation. Chez lui, le classicisme va de pair avec ce questionnement qui est aussi une manière de lutter contre l'élitisme. Or Chris Kyle est au centre de ces deux mouvements : ce n'est pas un héros noble - il agit dans l'ombre, c'est un tireur embusqué - mais il fait partie de l'élite de l'armée - appartenant au corps des SEALS et missionné pour sauver la vie des soldats au sol ou empêcher les représailles d'insurgés.

Individu tiraillé entre un évident "syndrome du sauveur" (il pense, même s'il le nie, pouvoir sauver tout le monde) du haut de son poste de tir et le besoin de combattre aux côtés de soldats plus exposés, il vit mal le fait d'être surnommé "la Légende", d'être considéré comme un héros. Descendre des toits pour se mêler aux troupes au sol, c'est déjà une volonté de se réintégrer. Mais cet effort est vain : sa réputation est telle qu'il ne peut plus être estimé comme un soldat ordinaire. Et quand il rentre chez lui, qu'un troufion le reconnait et le remercie de l'avoir sauvé, il est embarrassé d'être ainsi identifié.

Le film témoigne aussi du parcours d'Eastwood comme cinéaste : il a commencé à passer derrière la caméra au début des années 1970 alors que toute une génération de réalisateurs émergeait en réfléchissant à la fin du rêve américain. Lui-même n'a cessé de filmé cette déroute du point de vue de losers, de personnages dépassés par leur destin, rattrapés par leur condition, hantés par leurs démons. Il l'a toujours fait sans ostentation, refusant toute esthétique baroque, à l'image de ses héros : il joue du stéréotype pour montrer les dégâts que peuvent provoquer les conventions et les institutions américaines, signant une oeuvre finalement très politique sans que ses longs métrages ne soient des tracts (alors que, dans le même temps, Eastwood n'a jamais caché sa sympathie pour le Parti Républicain).

Les personnages d'Eastwood, qu'il a joués hier et filmés autrefois comme aujourd'hui, sortent de l'ombre, de la solitude, mais ce côté déjà mort leur donne du courage, une inconscience, une direction. Il leur faut triompher du plan, du déterminisme, pour exister. S'ils n'y parviennent pas, ils meurent. C'est ce qu'illustre le parcours de Kyle, fabuleusement incarné par un Bradley Cooper transfiguré (lesté de plusieurs dizaines de kilos, barbu, il en impose, et compose avec une sobriété digne de son metteur en scène) : d'abord observateur, sans cesse en train de régler le viseur de son fusil, scrutant chaque centimètre autour de lui, il résiste à admettre à quel point la guerre, la mort, le changent profondément et bouleversent sa vie de famille. Pour tenter d'échapper à cette bulle mentale, il quitte son propre champ de vision et se joint aux simples soldats sur le terrain, semblant alors trouver un certain équilibre. De la même manière, quand il rentre chez lui, il est moins un époux et un père de famille qu'un spectre, inerte devant sa télé éteinte, le regard vide mais les oreilles bourdonnant de cris et de détonations.

La tragédie absurde de ce héros le verra tué non pas par un ennemi mais un vétéran. Eastwood choisit judicieusement de ne pas montrer sa mort, le générique de fin défile sur des images d'archives de l'enterrement en grandes pompes de Chris Kyle après qu'un carton ait mentionné les circonstances de son décès en une simple phrase. Une ultime mise en scène pour dire qu'un héros ne connait jamais de fin heureuse et, au-delà, renvoie à cette phrase d'Aragon : "malheureux le pays qui a besoin de héros." 

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