lundi 14 novembre 2016

THE IMMIGRANT, de James Gray (2013)


THE IMMIGRANT est un film réalisé par James Gray.
Le scénario est écrit par James Gray et Richard Menello. La photographie est signée Darius Khondji. La musique est composée par Christopher Spellman.

Dans les rôles principaux, on trouve : Marion Cotillard (Ewa Cybulska), Joaquin Phoenix (Bruno Weiss), Jeremy Renner (Emil Weiss alias Orland le magicien), Dagmara Dominczyk (Belva), Angela Sarafyan (Magda Cybulska), Yelena Solovey (Rosie).
Bruno Weiss et Ewa Cybulska
(Joaquin Phoenix et Marion Cotillard)

1921. New York. Ewa  et Magda Cybulska, deux polonaises, arrivent à Ellis Island dans l'espoir de trouver une vie meilleure après avoir survécu à la première guerre mondiale. Tuberculeuse, Magda est mis en quarantaine tandis que Ewa est menacée d'expulson à cause du comportement déplacé qu'elle aurait eu lors du voyage. Bruno Weiss, rabatteur pour un cabaret, passe par là et soudoie un agent de l'immigration afin d'emmener Ewa à qui il promet de tout faire pour aider Magda. 
Méfiante envers son sauveur, dont elle découvre le caractère ombrageux, Ewa réussit à trouver sa tante et son mari qui l'accueille. Mais le lendemain, la police vient la chercher, dénoncée par son oncle qui craint pour sa réputation. Reconduite à Ellis Island, elle espère y retrouver Magda lors d'une représentation donnée par le magicien Orlando. Celui-ci, lors d'un numéro, la remarque dans l'assistance et tombe amoureux au premier regard. Au matin, Bruno resurgit pour la faire ressortir de là, lui assurant une meilleure paie et toujours son aide pour Magda. 
Ewa
(Marion Cotillard)

Ewa accepte d'intégrer la troupe de danseuses menée par Bruno au cabaret "Le Repaire des Vauriens" où la patronne vient d'engager, sans le prévenir, Orlando le magicien. Les deux hommes se connaissent bien puisqu'ils sont cousins mais ne s'apprécient pas. Lors de sa prestation sur scène le soir, il sollicite Ewa comme assistante et déclenche la colère de Bruno. Exigeant que Rose choisisse entre lui et Emil, Bruno quitte les lieux avec ses filles.
Ewa et Emil alias Orlando le magicien
(Marion Cotillard et Jeremy Renner)

Elles sont alors obligées de continuer à se prostituer sous un pont dans un parc. Ewa partage l'appartement de Bruno en continuant de refuser à coucher avec lui. En son absence, elle reçoit la visite d'Emil qui lui propose son aide, mais elle le met en garde contre son cousin qui s'est muni d'un revolver. Il le lui vole et le menace avec quand Bruno rentre chez lui. Mais Bruno poignarde mortellement Emil et oblige Ewa à dissimuler le corps dans une ruelle. 
Ewa et Bruno

Le lendemain, la police procède à l'arrestation des filles de Bruno dans le parc. Ils s'enfuient avec Ewa qu'il cache avant de se faire tabasser par les flics qui lui commandent de livrer Ewa au plus vite pour qu'elle réponde du meurtre d'Emil, comme une prostituée l'a dénoncée. Comprenant qu'ils sont dans une impasse, Bruno convainc l'agent de l'immigration qu'il a soudoyé à Ellis Island de libérer Magda. Il remet deux billets de train à Ewa afin qu'elle et sa soeur partent ensuite à Pittsburgh puis en Californie où elles pourront commencer une nouvelle vie meilleure tandis qu'il assumera le meurtre d'Emil.
Ewa et Magda
(Marion Cotillard et Angela Sarafyan)

Le cinéma de James Gray est connu pour son goût de la tragédie, de la musique d'opéra (comme ici celle du Caruso) accompagne d'ailleurs souvent ses récits où des familles se déchirent, prises dans un engrenage fatal. Il a ainsi réalisé quelques polars très noirs mais somptueux visuellement et aux scripts très impressionnants, comme Little OdessaThe Yards ou son chef d'oeuvre La Nuit nous appartient, avant de de signer son plus beau film, Two Lovers, en 2008, dans le registre du drame sentimental.

Le projet de The Immigrant lui tenait particulièrement à coeur puisque, comme il l'a expliqué lors de la présentation du film au festival de Cannes en 2013 (dont il est reparti, comme d'habitude, bredouille, malgré la rumeur qui assurait à Marion Cotillard le prix d'interprétation féminine - qu'elle n'a toujours pas reçu), l'histoire lui a été inspirée par celle de ses propres grands-parents, provenant de Pologne après la "grande guerre".

Encore une fois, le résultat est formellement splendide et la photographie de Darius Khondji est époustouflante, dans ses tons de sépia et de gris anthracite. Bénéficiant d'un budget confortable (une quinzaine de millions de $... Pour un résultat commercial d'à peine 5 millions de $), le cinéaste a pu soigner la reconstitution du New York des années 1920 sans verser cependant dans un film décoratif.

Pourtant, cette fois, ça ne prend pas. La faute à qui, à quoi ? Difficile de le dire. Le scénario est habile et emprunte au mélodrame classique tout en brassant les thèmes récurrents de Gray dans un contexte dense et très bien évoqué (l’Amérique accueillant des expatriés européens après la guerre, le cosmopolitisme new-yorkais, le sacrifie de soi et des autres). La mise en scène alterne une étonnante opulence et un sens de l'épure (comme en atteste le dernier plan, d'une simplicité poignante mais merveilleusement composé), avec des références picturales très pointues (à Rembrandt notamment).

Mais tout cela manque cependant cruellement d'émotions. Ses fans (dont je suis) le savent, James Gray n'est pas un expansif : pas de déluges de violons, pas d'hystérie, pas d'emphase chez ce cinéaste dont la sobriété n'a d'égale que la pudeur. Mais c'est précisément là où le bât blesse : le mélo est un genre qui exige un lâcher-prise, un abandon, pour que le spectateur frémisse pour les personnages - c'est ce qu'a parfaitement su illustrer Todd Haynes dans Carol (2015). Ici, Gray suggère trop, ne laissant éclater la violence des liens entre ses protagonistes que trop rarement. La tension entre les deux cousins, l'enjeu amoureux incarné par Ewa, ne sont pas assez exprimés, déchaînés, pour nous émouvoir comme ils le devraient. De même, le personnage de Magda, pour laquelle sa soeur consent aux pires épreuves (a même déjà consenti, comme l'explique la scène du confessionnal où on comprend qu'Ewa a été violée sur le bateau qui les emmenées aux Etats-Unis, ce qui lui vaut à présent d'être considérée comme une femme de mauvaise vie par sa tante et son oncle), est trop absent, désincarné, pour qu'on admette qu'elle vaut tous ces sacrifices.

Comparé à la justesse bouleversante de Two Lovers, The Immigrant ne réussit jamais à dépasser les codes du genre dans lequel il s'inscrit. Le seul élément qui apporte un peu de vie, de lumière aussi, à cette histoire est celui d'Emil alias Orlando le magicien : joué avec énergie et charme par Jeremy Renner, il peut même laisser croire que le fantastique (à défaut de la fantaisie) s'invite dans une intrigue sans éclat. Mais Gray écarte en définitive trop vite cet élément pour qu'il impacte le déroulement de l'histoire, confirme la présence d'un espoir, et le sort du cousin est réglé de manière si expéditive qu'elle provoque certes un peu de stupeur mais plus de déception que de tristesse. Ensuite, et jusqu'au dénouement, le film sombre à nouveau, non sans complaisance, dans le caniveau et l'accablement.

La direction d'acteurs du réalisateur a toujours été un de ses autres points forts, parvenant à tirer de ses interprètes des prestations intenses (Gray a certainement donné son meilleur rôle à Gwyneth Paltrow, actrice souvent transparente, et su exploiter le potentiel dramatique de Mark Wahlberg mieux que quiconque). On était donc en droit d'attendre une nouvelle fois des étincelles de ses retrouvailles avec Joaquin Phoenix : or, le compte n'y est pas, le comédien paraissant étrangement absent, et rendant du coup ses rares irruptions artificielles.

Quant à Marion Cotillard, si elle compose dignement cette femme à la dureté sévèrement attaquée, elle n'arrive jamais à exprimer franchement les nuances dont elle est capable. Si elle évite avec mérite tout cabotinage, toute performance (malgré un rôle lui ayant réclamée d'acquérir un accent germano-polonais), son personnage est réduit trop souvent à une femina dolorosa, un cliché de victime qui encaisse sans ciller. A l'image du film tout entier, elle semble innervée, trop bridée.

C'est parce que tout, en fait, est trop bien en place, que The Immigrant déçoit : pour la première fois, on a le sentiment que James Gray se repose trop sur son savoir-faire et son film manque de cette fièvre, de ce souffle prêt à tout ébranler qui distinguaient ses précédents opus. Cela ne suffira pas, néanmoins, à ne plus lui accorder notre confiance : il semble d'ailleurs disposé à surprendre tout le monde avec son prochain projet, Lost City of Z, un récit d'aventures tiré d'une étonnante histoire vraie, dans les salles l'an prochain.

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