jeudi 8 septembre 2016

JEUX DE DUPES, de George Clooney (2008)


JEUX DE DUPES (Leatherheads) est un film réalisé par George Clooney.
Le scénario est écrit par Duncan Brantley et Rick Reilly. La photographie est signée Newton Thomas Sigel. La musique est composée par Randy Newman.

Dans les rôles principaux, on trouve : George Clooney (Jimmy "Dodge" Connelly), Renée Zellweger (Lexie Littleton), John Krasinski (Carter Rutherford), Jonathan Pryce (C.C. Frazier).
Jimmy "Dodge" Connelly
(George Clooney)

Jimmy "Dodge" Connelly est le capitaine de l'équipe de football américain des "Bulldogs" de Duluth. Vétéran de la première guerre mondiale, il est, en 1925, à la fin de sa carrière dans un sport qui ne s'est pas encore professionnalisé.
Lorsque leurs sponsors se retirent, l'équipe est contrainte à la dissolution et ses joueurs cherchent - et parfois trouvent - de nouveaux emplois, souvent ingrats et mal payés. Sans aucune qualification, "Dodge" est, lui, au chômage.
 Carter Rutherford
(John Krasinski)

Sa situation change lorsqu'il croise la route d'une ancienne connaissance, le peu scrupuleux manager C.C. Frazier, qui s'occupe des intérêts d'un brillant joueur universitaire et soldat récompensé au front, Carter Rutherford. Connelly a l'idée de reformer les "Bulldogs" dans un échange de bons procédés puisque les membres de l'équipe pourront rempiler tandis que Carter y confirmera son statut de vedette. 
 Carter Rutherford, C.C. Frazier, "Dodge" Connelly et Lexie Littleton
(John Krasinski, Jonathan Pryce, George Clooney et Renée Zellweger)

Mais le glorieux passé militaire de Rutherford est contesté par un de ses camarades de régiment, qui en témoigne discrètement auprès de l'ambitieuse reporter Lexie Littleton. Son rédacteur en chef, flairant un scoop énorme qui augmentera les ventes du journal, lui commande alors un article complet confirmant l'imposture. 
 Lexie Littleton
(Renée Zellweger)

Lexie suit alors les "Bulldogs" dans leur série de matchs où brillent Carter et "Dodge". Ce dernier est séduit autant qu'irrité par cette jeune femme que courtise également le premier, au point de lui confier la vérité sur ses actes de bravoure en France durant la guerre.
"Dodge"Connelly, Carter Rutherford et Lexie Littleton

Le scandale éclate. Le gouvernement en profite pour pour réglementer la pratique du football. Carter, sur le conseil de Frazier, change d'équipe et s'engage avec celle de Chicago, dont la prochaine partie va l'opposer à celle de Duluth...

Avant d'être le troisième long métrage réalisé par George Clooney (après Confessions d'un homme dangereux, 2002, et Good night and good luck, 2005), le scénario de Leatherheads (le titre original renvoie aux casques de protection en cuir que portaient les joueurs de football américain dans les années 1920) a longtemps traîné sur les étagères des studios de Hollywood. Il était prêt depuis 1993 et devait à l'époque être adapté pour le grand écran par Steven Soderbergh, qui aurait déjà dirigé Clooney, en produisant le film avec lui pour Universal.

Playing Dirty, comme il s'intitulait alors (en référence à l'état désastreux des terrains de jeu, souvent boueux, mais aussi à l'absence de règles strictes des parties, autorisant toutes les ruses), fut abandonné par le réalisateur de Sexe, mensonges et vidéo quand leur partenaire se retira. Clooney le récupérera pour le développer quinze ans après.

Il n'est pas étonnant que ce sujet ait passionné l'acteur dont l'intérêt pour les médias l'a toujours inspiré, après avoir été le témoin du succès de sa tante (Rosemary Clooney) et de la carrière de journaliste de son père (Nick Clooney). Que l'intrigue se déroule dans le passé est l'autre élément-clé : le comédien a toujours proclamé sa nostalgie de l'âge d'or tout en conservant un regard critique. Enfin, si ce n'était pas encore assez clair, ayant souvent été comparé par la critique à des stars d'autrefois pour son jeu et son charme, l'envie d'exercer ses talents dans une screwwball comedy était irrésistible.

Malheureusement, le football américain a empêché au film de trouver son public en dehors des Etats-Unis, alors qu'il ne s'agit que d'un prétexte et que le match à la fin du récit reste aisément compréhensible même pour les profanes car il est davantage mis en scène pour ses gags.

Jeux de dupes mérite donc bien d'être (re)vu et reconsidéré car c'est une réussite, combinant réflexion sur les coulisses d'un sport en pleine mutation, l'influence politique dans cette évolution, et surtout une comédie sentimentale exquise et élégante, confirmant que Clooney est non seulement une vedette unique mais un auteur de talent.

Sa manière de traiter l'histoire (grande et petite) est originale car il ne se pose pas en donneur de leçons, en moraliste. Son approche est plus subtile et ironique que cela. S'il n'a jamais caché son engagement à gauche, en faveur du Parti Démocrate, George Clooney n'est pas pour autant un spectateur désabusé de l'Amérique d'aujourd'hui, il préfère visiblement penser qu'en regardant en arrière on peut en tirer de profitables leçons pour améliorer le présent. En orientant franchement l'intrigue dans le registre de la comédie, il peut se permettre de dénoncer subtilement les travers de la société actuelle, hérités des excès conservateurs d'autrefois. Il y a du Wilder chez Clooney, dans cette façon rusée d'orchestrer une bagarre dans un club clandestin (on est alors en pleine Prohibition) ou de filmer la guerre des sexes (avec le personnage frondeur de Lexie Littleton face à celui désinvolte de "Dodge" Connelly). Il s'agit moins de rappeler le chaos d'une époque que de déclarer que trop de règles tue le plaisir, que les préjugés doivent être battus en brèche. Tout ça avec le sourire - un sourire en coin bien sûr. 

Comme réalisateur, Clooney s'est visiblement fait plaisir à mettre en scène les matchs comme des bagarres loufoques, abondant en filouteries, dans lesquelles s'amusent comme de grands enfants des joueurs préférant ça au travail à la mine ou à l'usine. La facture du film est très soignée, avec une photographie superbe, et des extraits d'archives (souvent en sépia) qui s'intègrent merveilleusement aux séquences de fiction. Le design est parfait, tout y est, des tenues des footballeurs aux véhicules (impayable moto side-car avec un guidon incroyable conduit par "Dodge") en passant par des décors reconstitués très classieux (cf. L'Ambassador Hotel). 

Mais tout ça n'est pas là que pour faire joli : l'esthétique du film démontre habilement que les joueurs issus de l'université comme Rutherford sont des gentlemen, tandis que les amateurs sont des rustres rigolards. Seul l'amour du jeu les réunit, mais pour les seconds le plaisir l'emporte sur la victoire en vérité. Pourtant c'est aussi là que se situera leur limite : ils pratiquent sans règle, or les sponsors veulent encadrer le jeu. Les sponsors se retirent, les parties entre copains sont condamnés. C'est le début de l'ère publicitaire, des managers, des arbitres, des instances. Clooney ne cache pas que son coeur bat davantage pour ces ouvriers, ces paysans, même s'ils cèdent à l'argent facile (en s'achetant tous le même modèle de manteau en fourrure dès qu'ils en ont les moyens), alors que les privilégiés, se présentant comme des pratiquants courtois, sont des parvenus, menteurs, avides (quand bien même Carter saura être honnête à la fin en avouant que sa gloire a été "légèrement exagérée" - la vérité, exposée dans un flash-back en noir et blanc offre une séquence savoureuse).

Les manoeuvres de Lexie Littleton pour pousser Rutherford à soulager sa conscience tout en composant avec l'attraction/répulsion que lui inspire Connelly, ce vieux renard, sont également finement conduites et aboutissent à des passages très amusants. Les dialogues sont débités à toute allure, insufflant un rythme soutenu au film sans que son montage soit haché (la preuve que le tempo est donné par ceux qui jouent et non pas des artifices techniques), comme dans les meilleurs classiques du genre. Et pour interpréter cette partition, Clooney s'est bien entouré.

Avant de livrer son visage et son corps aux rondeurs si expressives aux chirurgiens esthétiques qui l'ont tant abîmée, Renée Zellweger a été cette actrice fabuleuse, révélée par Cameron Crowe dans Jerry Maguire : elle est ici excellente en reporter fougueuse, insolente, pugnace, à laquelle ce look rétro convient si bien. Quel gâchis vraiment de voir ce qu'elle est devenue...

Souvent comparé à Cary Grant, George Clooney l'imite si bien qu'il est irrésistible : roulant des yeux, tout en mimiques drolissimes, rayonnant de classe et de séduction, il sait faire preuve d'une auto-dérision peu commune parmi les stars de son niveau (allusions fréquentes à son "grand âge", à ses conquêtes féminines : il prolonge ce qu'il produisait dans O'Brother des frères Coen en annonçant déjà ce qu'il apporta à Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson), et réussit à ne jamais oublier ses partenaires.  

Ainsi, John Krasinski profite du sur-jeu de Clooney pour briller dans le costume trop grand pour son personnage du all-american hero, grand benêt attendrissant, à la fois opportuniste et gauche, trop honnête pour les combines de son imprésario (campé par l'épatant Jonathan Pryce). 

Le plus grand mérite de ce film tient sans doute au fait qu'il compte à fond sur la complicité du spectateur, ce qui est une condition indispensable dans ce "jeu de dupes". Le flegme avec lequel son acteur-réalisateur emballe son affaire, le mélange de légèreté et d'intelligence, l'élégance et le swing de sa production et le talent de son casting accompagnent, au son d'une magnifique musique de Randy Newman, ce divertissement stylé. Comme dirait l'autre : "What else ?"

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