mercredi 15 février 2017

JE SUIS UN AVENTURIER, d'Anthony Mann (1954)


JE SUIS UN AVENTURIER (The Far Country) est un film réalisé par Anthony Mann.
Le scénario est écrit par Borden Chase. La photographie est signée William Daniels. La musique est composée par Hans J. Salter, Henry Mancini, Frank Skinner et Herman Stein.


Dans les rôles principaux, on trouve : James Stewart (Jeff Webster), Ruth Roman (Ronda Castle), Walter Brennan (Ben Tatum), John McIntire (Gannon), Corinne Calvet (Renee Vallon), Jay C. Flippen (Rube Morris).
 Jeff Webster
(James Stewart)

1896. Jeff Webster et son ami Ben Tatum arrivent à Seattle pour embarquer avec leur bétail à bord d'un steamboat lorsqu'un homme accuse le rancher d'avoir tué de ses employés. Il ne dément et explique aux autorités que ses victimes avaient voulu lui voler des bêtes. Néanmoins, il réussit à échapper au shérif grâce à Ronda Castle, une passagère, qui le cache dans sa cabine en attendant qu'il puisse aller dans celle où l'attend Tatum.
Rube Morris, Ben Tatum et Jeff Webster
(Jay C. Flippen, Walter Brennan et James Stewart)

Arrivés à Skagway, Webster et Tatum interrompent une pendaison et s'attirent l'inimitié de Gannon, le juge auto-proclamé de la ville. Il prend la décision de saisir leur bétail, mais Webster récupère son troupeau peu après et passe la frontière du Canada avec Ben Tatum et Ronda Castle qui a engagé pour lui quelques hommes de main pour encadrer leur convoi. 
Ronda Castle et Gannon
(Ruth Roman et John McIntire)

Ils atteignent Dawson City, une ville minière qui attire les orpailleurs, comme Rube Morris et la jeune Renee Vallon, sa partenaire. Webster met en vente son bétail aux enchères et Ronda, qui a l'intention d'ouvrir un saloon, en fait l'acquisition au grand dam de la tenancière de la cantine locale. Peu après, le rancher, qui a, avec l'argent gagné de cette vente, acheté une concession découvre que Ronda est en affaires avec Gannon. 
Ben Tatum, Renee Vallon et Jeff Webster
(Walter Brennan, Corinne Calvet et James Stewart)

Le juge de Skagway spolie les mineurs de Dawson City en récupérant leurs exploitations qu'ils n'ont pas enregistrées légalement. Malgré ces manoeuvres, Webster refuse d'affronter Gannon et d'être nommé shérif de la bourgade : Rube Morris hérite de l'étoile mais sans pouvoir permettre aux mineurs de reprendre possession de leur filon. 
Jeff Webster

Webster indique à Tatum qu'il préfère partir et veut rentrer en Amérique par la rivière pour éviter Skagway où les sbires de Gannon l'attendent pour l'arrêter. Alors qu'ils embarquent sur un radeau, des hommes en armes surgissent et ouvrent le feu sur les deux compagnons puis disparaissent avec leur or. 
Jeff Webster et Ronda Castle

Webster est soigné par Renee Vallon et apprend que son ami Tatum a, lui, succombé à ses blessures. Gannon continue à s'accaparer les concessions minières de Dawson City, dont les mineurs sont obligés de partir les uns après les autres. Quand les hommes de main du juge viennent pour l'exproprier, Webster va défier Gannon : il échappe à l'embuscade tendue par son ennemi grâce au sacrifice de Ronda Castle avant d'abattre le juge. S'appuyant sur l'indéfectible Renee, Webster est fêté en héros par la population.

Je Suis un aventurier (un titre que, pour ma part, je préfère, une fois n'est pas coutume, à l'original, The Far Country - soit : Le Pays Lointain) se distingue du lot commun des westerns d'abord pour son héros, un des plus complexes du genre, pathétique dans son absolutisme. Assurément le personnage le plus abouti écrit par Borden Chase.

En effet, pendant la majorité de l'histoire, Jeff Webster (interprété une fois encore magistralement par l'immense James Stewart - certainement l'acteur le plus passionnant du cinéma américain de cette époque quand on examine sa fabuleuse filmographie) ne montre aucune qualité héroïque, ce n'est ni un personnage positif ou sympathique. Au contraire, c'est un individualiste forcené, égocentrique, méprisant ostensiblement ses semblables, refusant d'agir pour tout autre que lui-même. Son passé est trouble (il avoue d'ailleurs avoir, sans hésitation, tué deux ranchers qui ont voulu lui voler des têtes de bétail) et apparaît en cette fin de XIXème siècle comme un homme du passé, campé sur des principes archaïques.

Pourtant, Anthony Mann va s'employer à nuancer ce portrait peu flatteur : en dépit de son nihilisme, Webster est surtout honnête, franc et loyal. S'il ne veut pas se mêler des affaires d'autrui, il n'apprécie pas davantage l'injustice dont peuvent être victimes les plus faibles et n'entend pas se laisser faire quand on s'en prend à ses biens. C'est un aussi un ami fidèle, comme en témoigne sa relation complice avec Ben Tatum (l'irrésistible Walter Brennan, futur "Stompy" dans Rio Bravo, de Howard Hawks) - le seul capable à réveiller sa conscience.

L'autre atout du film tient à ces petites digressions qui ponctuent la récit, pourtant simple et droit, ces moments d'intimité qui montre que l'indifférence de Webster n'est qu'une façade (voir comment il allume la pipe de Tatum, ou comment il taquine gentiment la jeune et jolie Renee, éprise de lui, ou encore l'évidente reconnaissance de Ronda Castle comme son double féminin - elle est aussi farouchement indépendante que lui). La chaleur qui se dégage de ces scènes permet au récit de respirer alors que l'intrigue est dense, tendue, sombre. On remarque insensiblement l'évolution de Webster qui devient un citoyen intégré à la communauté de Dawson jusqu'à la fin où, aussi bien motivé par le désir de venger son ami Tatum que par celui de rendre justice aux opprimés, il affronte Gannon.

Par ailleurs, Mann dépeint la fin d'une époque où se disputent le vice et la cupidité à l'esprit solidaire de cette bourgade et l'avancée inexorable de la civilisation moderne. La figure du mal est incarnée par un juge vicieux (joué avec une roublardise épatante par John McIntire), personnage ambigu car abusant de son pouvoir mais s'appuyant aussi sur la naïveté de ses victimes (il s'approprie leurs mines d'or à partir d'un argument tout à fait légal puisqu'ils n'ont pas enregistré leurs actes de propriété). Représentant d'une loi dévoyée, il est l'artisan de sa propre perte en poussant Webster dans ses retranchements, en en faisant le bras armé des habitants de Dawson City. Ce vilain d'anthologie fait aussi de Je suis un aventurier une oeuvre noire, traversée de morts violentes, dans une ambiance âpre, à l'issue incertaine.

Magnifiquement filmé en décors naturels (William Daniels était déjà le chef opérateur de Winchester '73, un autre chef d'oeuvre du cinéaste avec son acteur fêtiche), The Far Country mérite bien sa place au panthéon des westerns classiques comme la collaboration la plus emblématique du duo Mann-Stewart. 

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