lundi 27 février 2017

HIPPOCRATE, de Thomas Lilti (2014)


HIPPOCRATE est un film réalisé par Thomas Lilti.
Le scénario est écrit par Baya Kasmi, Pierre Chosson, Julien et Thomas Lilti. La photographie est signée Nicolas Gaurin. La musique est composée par Alexandre Lier, Sylvain Ohrel et Nicolas Weil.


Dans les rôles principaux, on trouve : Vincent Lacoste (Benjamin Barois), Reda Kateb (Abdel Rezakk), Jacques Gamblin (le professeur Barois), Marianne Denicourt (le docteur Denormandy), Félix Moati (Stéphane), Carole Frank (Myriam).
 Benjamin Barois
(Vincent Lacoste)

Benjamin Barois, tout jeune diplômé, intègre le service de médecine générale d'un hôpital parisien dont le chef de service est son père. Il y fait la connaissance d'un collègue, Abdel Rezakk, venu d'Algérie, qui accumule les stages pour décrocher un poste de titulaire, grâce auquel il pourra faire venir en France sa femme et sa famille. 
Abdel Rezakk
(Reda Kateb)

Piètre praticien, Benjamin considère rapidement Abdel, plus à l'écoute des patients, comme un rival. Deux cas médicaux vont permettre aux deux internes de confronter leurs méthodes et d'apprendre à se connaître. D'abord pris en charge par Benjamin, un SDF, M. Lemoine, meurt des suites d'un pancréatite, faute d'avoir pu bénéficier d'un ECG (Electro-Cardio-Gramme) car l'appareil était en panne. 
Abdel et le Pr. Barois
(Reda Kateb et Jacques Gamblin)

Mais son père le couvre devant la veuve du patient, perplexe sur sa prise en charge. Lorsqu'Abdel est interrogé par Mme Lemoine, il lui confirme les causes du décès mais découvre, en consultant le dossier du malade qu'il n'a pas subi l'examen qui aurait pu permettre de mieux juger la dégradation de son état. 
Le Dr. Denormandy
(Marianne Denicourt)

Par la suite, Abdel s'oppose au traitement infligé à Mme Richard, une octogénaire atteinte d'un cancer en phase terminale et à laquelle le Dr. Denormandy a retirée une pompe à morphine qu'il avait prescrit pour soulager ses souffrances. La vieille dame exprime également son désir de ne pas subir d'acharnement thérapeutique. Mais, suite à un malaise en pleine nuit, l'équipe de réanimation ignore ce souhait, ayant négligé de lire son dossier. 
Benjamin

De garde à ce moment, Benjamin avise Abdel, qui loge à l'internat, de la situation tandis que la famille de Mme Richard a été prévenue par une infirmière. L'interne obtient que sa patiente ne soit pas artificiellement maintenue en vie avec l'accord de ses proches - une décision qui va être lourde conséquences pour Abdel et Benjamin.  
Benjamin et Abdel

En effet, le chef de service  de l'équipe de réanimation convoque un conseil disciplinaire contre les deux internes. Mais seul Abdel est sanctionné : le blâme dont il écope et qui sera mentionné sur son dossier condamne la suite de sa carrière, ce qui révolte Benjamin, qui a deviné que son père l'a encore protégé. Indigné mais ivre, il retourne alors voir la veuve de Lemoine et lui révèle ce qu'on lui a caché concernant la mort de son mari : elle va alors poursuivre l'hôpital en justice pour négligence.  
Abdel

En la quittant, et après avoir fait du tapage à l'hôpital, Benjamin est renversé par une voiture et admis dans un état critique. La situation pousse le personnel soignant, lassé du manque de moyens et des cadences infernales, à faire grève en exigeant que la sanction d'Abdel soit levée. 
Benjamin se rétablit et décide de changer se service pour rejoindre celui de neurologie tandis que le cas d'Abdel sera reconsidéré.

La rigueur documentaire de Hippocrate ne saurait résumer sa grande qualité, même si la justesse du regard que porte Thomas Lilti sur son sujet est évidente, immédiate, indéniable. Et pour cause : il a été lui-même médecin avant de passer derrière la caméra (menant même de front les deux activités quand il a signé son premier long métrage, Les Yeux bandés, en 2007, et co-écrit le scénario de Télé Gaucho, de Michel Leclerc, en 2012). Il parle donc, et très bien, de ce qu'il connait.

Toute l'action du film se déroule dans les murs de l'hôpital et se concentre sur les deux jeunes héros : l'un est le fils du chef de service, piètre médecin, désinvolte et suffisant ; l'autre est un nouveau venu, originaire d'Algérie (ce qui aura son importance par la suite), perfectionniste mais attentif à la douleur des patients. Vincent Lacoste joue le premier de manière formidable, sortant pour la première fois du registre comique dans lequel il s'est illustré avec talent : il est d'abord peu sympathique, veule, puis révolté et solidaire. Reda Kateb (récompensé par le César du meilleur second rôle masculin - pourquoi seulement second, alors qu'il est aussi présent à l'écran que son partenaire ?) est remarquable dans sa partie, campant un médecin exigeant, presque hautain, mais en vérité humaniste, auquel il donne beaucoup d'intensité.

Lilti s'est inspiré de sa propre expérience comme généraliste mais a aussi alimenté son récit à partir d'anecdotes de collègues et de témoignages de terrain : le résultat est captivant, pointant les dysfonctionnements divers de l'hôpital public à l'heure où les autorités demandent aux directeurs de les gérer de manière rentable en opérant des coupes budgétaires dramatiques - manque de personnel, défaillances techniques, crises morales, gardes à rallonge, esprit de caste. A l'heure où certains candidats à la présidentielle sont prêts à encore plus saigner l'institution hospitalière, Hippocrate incite à réfléchir sur une médecine à deux vitesses.

Tout cela est écrit, décrit, de manière exemplaire, sans manichéisme, à défaut d'être filmé aussi remarquablement (une photo et une mise en scène assez quelconques). Mais l'énergie avec laquelle le réalisateur a su exprimer cet état des lieux fait mouche : l'épuisement physique et mental des soignants, les conditions souvent limites des soins, le recours à une main d'oeuvre étrangère peu considérée (un point peu connu mais révélateur du malaise et d'un certain paternalisme).

Mais Lilti dépasse ce constat déprimant en évitant tous les clichés (un "happy end" facile, des solutions toutes trouvées), en caractérisant précisément ses personnages (y compris les seconds rôles, comme Myrima l'infirmière ou Stéphane, l'interne de réa), se permettant même quelques traits ironiques (en profitant du fait que des séries télé, comme Dr. House, cité dans quelques scènes, ont rendu familier l'hôpital).

Au final, Hippocrate dresse un tableau inspiré, tonique et ambivalent, où le romanesque côtoie le banal, sans se résumer à un film-dossier : en somme, tout ce qui signe le cinéma populaire de qualité.

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